A la F. Intermedes, nous soutenons ce texte, qui propose d’enraciner la lutte contre la fragmentation et la sécurisation de la vie sociale, l’exploitation du terrorisme.

   Il faudrait à l’inverse réaffirmer la nécessité et l’efficacité irremplaçable de l’éducation et de la prévention.

 

 

Manifeste du 1er Mai

 

 

Libérations encore…

 

 

 

Refusant de plier devant la peur de nos semblables, nous  affirmons que, par les solidarités que nous mettons en œuvre chaque jour, nous assurons mieux qu’un Etat policier, la protection de ceux qui nous entourent. Pour autant que soient libérés les ghettos dans lesquels on enferme les enfants, les adultes, les professionnels et usagers, nous proclamons que la solidarité, qu’elle soit le fait de professionnels engagés ou d’habitants, est le seul moyen de briser le cercle de la solitude, du désespoir et de la violence. C’est par l’espérance d’un monde délivré de la peur, c’est par la vigilance de nos luttes que nous assurerons le droit pour tous à un toit, à la santé, à un travail digne, seules protections réelles et garanties de libertés.

 

Militants du mouvement associatif ou syndical, travailleurs sociaux, magistrats, enseignants, infirmières, médecins, chercheurs, citoyens engagés, nous affirmons aujourd’hui notre volonté de mettre en échec l’offensive libérale et conservatrice. La guerre contre les plus pauvres et contre l’intelligence de tous n’a pas été gagnée. . Ceux qui prétendent penser notre bien à notre place et troquer, contre une improbable sécurité, nos libertés solidaires se sont trompés. Refusant d’être gouvernés par la peur, un mouvement convergent proclame, contre tous les défaitismes, la suprématie du principe espérance

 

Dans un contexte international marqué par l’utilisation du terrorisme comme prétexte à la surveillance généralisée et à la répression des libertés, partout en Europe, les gouvernements ont voulu substituer des mesures répressives aux actions éducatives et sociales fondées sur la prévention. . En privatisant le social, en livrant l’espace privé et parfois l’école à une intervention policière incontrôlée, en accusant les parents de carence, d’insuffisance, de pathologie, en brocardant la « morale » de citoyens rendus responsables de leurs conditions sociales, ces politiques, restaurant le primat de la répression sur l’éducation, n’ont assuré ni sécurité, ni tranquillité. Accompagnées par l’abandon de toute ambition en matière de lutte contre les inégalités comme pour la recherche, la santé et l’éducation, elles ont au contraire accru l’insécurité sociale, tout en réduisant l’espace de nos libertés.

 

 Le retour à un ordre anti-républicain et anti-social qui marginalise d’abord les catégories les plus pauvres, les femmes, les étrangers et finalement, la société entière n’est pas une politique de réformes à laquelle s’opposeraient des réfractaires au changement. C’est au contraire une politique de défaite face au défi des libertés et de l’exigence de justice, c’est la politique de la paix des cimetières par la pacification, sourde ou violente, des conflits sociaux. Face à cette tentative, l’émergence de pratiques de solidarité et d’un mouvement de convergence citoyenne, associative et syndicale, traduit aujourd’hui le véritable sens des luttes qui se sont déployées dans tous les secteurs de la société : pour un vivre libre, pour un vivre ensemble.

 

Élevé au rang de priorité au moment des élections d’avril 2002, le thème de “ l’insécurité ”, a cautionné l’adoption de mesures contraires aux droits de l’enfant, de l’homme et du citoyen. Ces mesures traduisent la volonté de restaurer un ordre moral “ traditionaliste ” qui redéfinit la place assignée aux parents, aux enfants et aux éducateurs dans le nouveau contrôle social.

 Prétendant substituer à la solidarité sociale une solidarité familiale, mais accusant, dans le même temps, les populations démunies de « communautarisme » et de « carence » parentale, les concepteurs de ces politiques ont placé les populations dans une contradiction insurmontable. Car comment la solidarité entre générations ne serait-elle pas dépendante de la situation et des revenus de chacun, comment ne serait-elle pas pour les pauvres une solidarité matériellement pauvre ? Par ailleurs, la suspicion de « carences éducatives » envers un nombre croissant de parents, sans nuance ni distinction autre que sociale, s’est s'accompagnée de la création de nouveaux délits : des jeunes se réunissant dans des halls d'immeubles faute de logement autonome, faute de place, sont devenus des délinquants ; le droit des enfants a été remis en cause avec l'abaissement de l'age de jugement au pénal ; des procédures à l’encontre des parents ont été créées ou renforcées : suppression des allocations familiales et amendes en cas de manque d’assiduité scolaire des enfants ou encore, pour les parents dont les enfants ont commis un délit , stages de « parentalité » obligatoires à leur frais voire, incarcération en cas de récidive. Enfin, le statut du juge des enfants, chargé de trouver un équilibre entre punition et protection a été remis en cause.

 

 Ces politiques, visant à modifier radicalement la conception préventive de l’action sociale et éducative, et avec elle, la nature même du lien de confiance entre usagers et professionnels, ont été massivement refusées. Les travailleurs sociaux ont rejeté le projet de loi obligeant les éducateurs de rue à signaler au maire le nom des jeunes qu’ils suivent. Dans les quartiers, le débat sur le voile qui permettait de masquer la question sociale et désignait de nouveaux coupables « de mauvaise intégration » n’a pas réussi non plus à remettre en cause les solidarités interculturelles construites de longue date. De nombreux mouvements, de nombreuses pratiques dans les quartiers stigmatisés, ont témoigné de l’échec de la volonté d’assigner à résidence les habitants et d’instaurer des pratiques de délation.

 

Le démantèlement progressif de la recherche et des services publics, la réduction de la culture et de l’art au rang de simples marchandises, la suppression des droits sociaux et des libertés, la remise en cause des droits de l’enfant qui sont, non des acquis mais des conquêtes, fruits des luttes de nos aînés, se présentent aujourd’hui comme un défi à nos libertés. Ce défi, nous le relevons. Cette atteinte à notre histoire commune et à notre intelligence partagée à travers l’aggravation de la condition des plus pauvres, des classes moyennes précarisées, des professions de l’art, de la recherche, de la santé, de l’éducation, du social rencontre aujourd’hui face à elle une volonté partagée de reconquête des libertés, des droits et de l’espérance.

C’est pourquoi nous affirmons que l’attaque contre les pauvres est aussi une guerre contre l’intelligence et les libertés de tous. L’exclusion qu’elle accroît ne saurait être l’affaire des seuls « précaires » et des « sans voix ».

 

Aucun pouvoir ni aucune situation prétendument fatale n’a de droits de préemption sur les conquêtes sociales et pour les libertés. Nous déclarons que ces conquêtes issues de luttes de libération sont le patrimoine de l’humanité et qu’elles sont, de ce fait, inaliénables.

 

·         Libérations encore

 

Nous appelons enfin l’ensemble des convergences et collectifs qui se sont constitués, les associations, syndicats, militants et citoyens, qui ont mené, depuis des mois des combats incessants, à rejoindre cet appel du 1 er Mai pour la conquête des libertés. C’est en s’appuyant sur le socle commun de nos luttes, sur cet élan vital qui nous fait entrevoir combien la liberté de l’autre nous est chère, combien elle est nôtre, combien elle accroît notre liberté que nous ferons émerger une société qui n’est pas celle de la peur mais celle de l’espérance. La privation de liberté, l’accroissement des inégalités et des injustices pour l’exilé, l’immigré ou ses enfants, pour les femmes, pour les enfants, pour les pauvres, et les précarisés, pour les travailleurs sociaux, les magistrats, les chercheurs, les créateurs, ceux qui enseignent, ceux qui soignent mais aussi ceux qui sont enseignés, soignés, transcende aujourd’hui les catégories dans lesquelles, sans ce principe d’espérance, nous sommes tous exilés de nous-mêmes.

Les libertés de ceux qui luttent sont toutes les nôtres, elles grandissent et grandiront avec celles de nos enfants, à l’abri de nos libertés, à l'abri de nos pratiques solidaires enfin libérées.