Florilège d’articles
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Nota : ces textes sont en libre copie, sous couvert d’en préciser la source pour tout usage, comme suit :
"Auteur: Laurent Ott/ ; http://fondation.intermedes.free.fr/ ".
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Education Familiale : Permanence éducative en milieu ouvert :
un nouveau type d’intervention socio-éducative ?.
SCEREN/ CNDP 2003 : La famille, à la fois enjeu et exception de citoyenneté.
Par Laurent Ott,
L’association INTERMEDES développe depuis 1998, à partir d’actions bénévoles puis depuis 1999 avec le soutien d’une équipe permanente, une action innovante de « permanence éducative », au bénéfice de la population enfantine comprise entre 5 et 14 ans d’un quartier « grand ensemble » à Longjumeau (91). [1]
Le principe est d’une simplicité biblique : permettre aux enfants habitant du quartier de retrouver par leurs propres moyens et en fonction de leurs besoins, des adultes référents, disponibles, à leur écoute et stables et ce, dans leur environnement immédiat.
Le principe est simple mais marque pourtant une rupture certaine avec la logique institutionnelle classique ; ce sont les enfants qui s’adressent eux mêmes dans 90 % des cas à nous. Ils restent libres de venir, de ne pas venir, de repartir quand ils le souhaitent et ils trouvent auprès de nous un accueil qui est souvent alternativement et naturellement groupal et individuel. [2]
Afin de se faire connaître de la population enfantine locale disponible et pour rester en contact permanent avec le quartier, notre action se déroule sur trois plans complémentaires, selon un découpage que nous avons nommé « pyramide [3] » :
- A la base, notre équipe, composée de volontaires et de permanents éducatifs, développe des actions de rue, axées autour du développement de l’expression personnelle et collective, qui permettent le contact et la rencontre avec quasiment tous les enfants : ludothèques de rue, théâtre de rue, bibliothèques de rue, ateliers d’arts plastiques de rue, etc. Ces actions ont la caractéristique d’être à la fois très libres, très ouvertes, mais elles sont également et résolument régulières et durables. A la base de notre relation avec les enfants à partir des actions de rue, il y a en effet un contrat moral : nous sommes toujours et régulièrement présents de façon de pouvoir promettre à chaque enfant d’être en mesure de le suivre et de le revoir au delà de la rencontre, et ce, dans la durée.
- Tous les enfants n’ayant pas forcément les mêmes besoins et les mêmes attentes, le deuxième étage de la pyramide se destine aux enfants qui nous sollicitent davantage que ce soit par des demandes directes de type « quête affective » ou par leur comportement provocateur et « collant ». A ces enfants, nous proposons des accueils réguliers dans nos locaux, autour de projets groupaux. Il peut s’agir d’ateliers de fabrication d’objet, de projets autour e journaux, d’expositions, de spectacles, etc. Tous ces projets doivent avoir en commun la caractéristique d’être ouverts au delà du groupe ou de la bande d’affinité et d’obliger chacun à se confronter à l’hétérogénéité des autres ; autre contrainte : le bénéfice du groupe doit être ouvert sur u autre groupe, sur le quartier ou la vie citoyenne ; le bénéfice ne doit jamais s’épuiser en interne.
- Pour les enfants qui nous paraissent les plus seuls, ou le plus en difficulté, nous essayons, dans la masure de nos moyens de réaliser une véritable permanence ou « veille » ; pour eux, nous nous arrangeons pour être disponibles 6 jours sur 7, l’après midi et en soirée et y compris le dimanche.
Notre action est résolument une action de soutien de la fonction éducative ; mais pourtant dans ce domaine, elle a la caractéristique assez rare de partir des enfants pour aller vers les parents ; car ce sont les enfants qui viennent les premiers et qui nous amènent leurs parents. Si ces derniers sont systématiquement mis au courant par nos soins de notre présence, de notre identité, de notre mode de travail, ils sont en général beaucoup plus longs à venir nous rencontrer et à travailler avec nous.
Il faut en effet préciser que nous travaillons également de la même façon avec les parents qu’avec les enfants : pour eux, nous développons également , en parallèle et en liaison avec le travail auprès des enfants, une « pyramide » : actions de rue, fêtes ponctuelles, ouvertes aux familles (arbre de Noël ; pique nique des familles ; repas de quartier ; repas à thème ; exposition ; séance de dédicace ou vernissage ; concours culinaire, etc.) Il y a donc bel et bien une double pyramide mais décalée dans le temps ; celle des parents, selon notre expérience s’est développée, deux ans après celle des enfants ; le temps des uns et des autres comme la possibilité d’établir des relations de confiance n’est pas égal à tous les âges….
Le caractère nouveau, sans modèle de notre action nous a évidemment apporté pas mal de difficultés et d’obstacles que ce soit sur le plan administratif, ou surtout, pour obtenir les subventions nécessaires à notre fonctionnement. Pourtant et cela et même curieux : l’intérêt de notre action est rarement questionné en lui même. Tout se passe comme si le simple énoncé de nos modalités d’intervention se suffisait comme garantie d’intérêt éducatif.
C’est pourtant ce point qui importe pourtant le plus à l’équipe et aux militants de notre association. C’est ce point qui nous a amené , par exemple , depuis le départ de notre action à ce que l’équipe rencontre régulièrement une psychanalyste et réalise un véritable travail d’analyse de pratique de type « Balint ». [4]
Car en effet, au delà du simple souci de permettre aux enfants d’aujourd’hui d’échapper à la solitude [5] , c’est à dire, selon le cas, à l’isolement ou à la dépendance dans un groupe non choisi et enfermant, quelle est notre ambition sur le plan de l’évolution des enfants et de leur devenir ?
Sans vouloir conclure d’une façon anticipée le cours de cette réflexion, je me propose d’en développer ci dessous quelques éléments .
- En premier lieu, il nous apparaît clairement que le travail que nous développons répond réellement à la fois à une réalité sociale évidente et à une forte demande de la part des enfants eux mêmes d’autre part. Tout notre travail repose en effet, sur la démarche volontaire de l’enfant ; celle ci n’est pas motivée par l’originalité ou la valeur marchande des prestations que nous proposerions. De ce point de vue là, nous sommes en effet très pauvres et, contrairement à l’air du temps, nous ne proposons aux enfants du quartier aucun sport dangereux valorisant, aucune activité médiatisée ou autre… Toutes nos actions sont centrées sur la qualité de la relation, bien plus que sur l’activité elle-même..
- Notre action se situe résolument du côté de la prévention, cela semble évident. Mais de quelle prévention parle-t-on ? Le terme malheureusement a été tellement galvaudé et édulcoré qu’il a aujourd’hui mauvaise presse et devient synonyme de morale, de bons sentiments, ou d’action ponctuelle et sans lendemain. Nous ne faisons pas de la prévention comme on fait à l’école de la prévention contre les abus sexuels ou le tabagisme. Nous ne focalisons pas notre action sur des risques personnels ou sociaux déterminés. Au contraire, à l’inverse de cette tendance actuelle qui émiette et estampille le danger social ou personnel en l’éloignant de la question de la construction du sujet lui même, nous ne cherchons pas à téléguider les enfants dans leur futur. Nous ne cherchons pas à leur éviter tel ou tel danger, au risque de les enfermer, mais au contraire les armer pour vivre dans un monde qui est aussi dangereux et surtout à prendre conscience qu’à l’inverse des représentations sociales et médiatiques dont chacun est abreuvé, la véritable source de danger se situe toujours davantage à l’intérieur qu’à l’extérieur…
- Notre action se veut préventive mais nos méthodes de travail diffèrent considérablement des pratiques courantes des clubs de prévention. Les clubs de prévention, on le sait, sont de plus en plus convoqués au chevet d’une population de jeunes adultes. De ce point de vue, l’identité des pratiques que ces structures se sont forgées tournent autour de la médiation des conflits : conflits avec les familles, conflits avec les institutions, conflits personnels et avec l’entourage.
Les soucis qui traduisent ces problèmes trouvent à se décliner en général autour des questions de projets de stages, de travail, de formation, de logement. Les pratiques professionnelles qui découlent de ces « cibles » vont toutes aussi dans le sens de la nécessaire séparation et autonomisation des jeunes : on va travailler par rendez vous, on va recevoir séparément, on va demander.
Pour notre part, et ce en rapport selon nous avec ce que nous percevons des besoins de l’âge des enfants que nous contactons, notre action est entièrement autrement orientée : d’une part nous ne recherchons pas l’autonomisation, mais l’accompagnement, la séparation, mais la création de nouveaux liens. Nous ne travaillons pas dans la ponctualité mais dans la durée et la permanence. Sur le plan de l’espace nous n’amenons pas les enfants à la rupture, mais nous nous plaçons nous mêmes dans leur proximité immédiate. En bref, nous ne travaillons pas pour la séparation mais au contraire en vue du renforcement du milieu éducatif. [6]
Le renforcement des facteurs de protection est donc bien pour nous historiquement le premier enjeu de toute action de prévention. Mais pour comprendre cet objectif, pour ne pas le diluer dans des pratiques « segmentarisées » , nous le rattachons au paradoxe de Winnicott qui fonde notre pratique : l’autonomie n’est souvent qu’un autre nom pour la solitude ; la véritable autonomie ne peut se construire qu’à partir du vécu de relations de dépendance « réussies » puis (très) progressivement dépassées. équilibrées. C’est à ce travail de tissage de relations que nous nous employons quotidiennement.
Permanence éducative en milieu ouvert :
un nouveau type d’intervention socio-éducative ?
Laurent Ott
Au côté des interventions socio-éducatives classiques, certaines structures innovantes, portées par des acteurs sociaux, en matière de soutien de la fonction éducative, montrent la singularité et l’intérêt d’un dispositif de type « permanence éducative de quartier ». À partir d’un tel dispositif, qui allie la souplesse du travail en milieu ouvert avec le souci d’un accompagnement consistant dans la durée, un travail de soutien des parents et d’enrichissement des relations éducatives parents/enfants est réalisable, et cela, sans signalement préalable et en reposant sur la libre initiative. Un tel dispositif cumule alors nombre de qualités des divers types d’intervention socio-éducatives classiques et se rapproche d’un travail de type « communautaire ». Ce type de pratique nécessite, cependant, la définition et l’application de principes de travail bien définis et une action durable, ce qui est rendu souvent difficile par l’environnement institutionnel.
Introduction
À partir des travaux de P Durning (1995), notamment sa typologie des actions socio-éducatives, et de ceux de D. Fablet (2001) qui propose de distinguer différentes formes d’innovations dans le champ de la suppléance familiale, cet article s’efforce d’analyser et de caractériser un mode d’intervention « communautaire » innovant permettant l’intégration et le cumul d’un ensemble de caractéristiques : l’action appelée « permanence éducative en milieu ouvert », initiée par l’Association Intermèdes / Maison Robinson à Longjumeau, commune du département de l’Essonne [7] . La question sera alors de savoir comment une telle action « transversale » peut être perçue dans sa globalité par son public.
La spécificité d’une action de « permanence éducative » au regard des interventions socio-éducatives
Selon P. Durning (1995), on peut distinguer plusieurs types d’interventions socio-éducatives :
– celles qui assurent une fonction éducative spécifique clairement complémentaire de l’action éducative familiale,
– celles qui visent à aider et soutenir les parents ou le groupe familial dans l’accomplissement de ses tâches éducatives, dès que des difficultés apparaissent,
– celles, enfin, qui à l’occasion de défaillances repérées amènent à confier, le plus souvent provisoirement, tout ou partie des activités familiales d’éducation aux professionnels d’un internat ou d’un service de placement familial, soit le domaine de la suppléance familiale.
Or, si ces distinctions rendent efficacement compte d’un grand nombre des pratiques d’interventions auprès des familles dans de nombreux pays, certains dispositifs semblent plus difficiles à ranger dans une telle catégorisation et, relèvent soit d’une autre catégorie qui resterait à définir, soit du cumul de ces catégories ; il en est ainsi, semble-t-il, de l’action développée par l’Association Intermèdes / Maison Robinson.
Position personnelle vis-à-vis de l’action étudiée
Avant de décrire et d’analyser certains aspects de la pratique de l’équipe de la Maison Robinson, de Longjumeau, il semble important de mettre en lumière la particularité de ma position personnelle vis à vis de cette action ; je suis en effet, en tant que membre fondateur de l’association qui a promu et développé cette action socio-éducative, à la fois engagé comme concepteur et comme acteur au sein de celle ci. Bien que professionnel de l’éducation, je n’ai exercé dans le cadre de cette action qu’une activité bénévole et militante comme membre du bureau. Enfin, tant la définition des objectifs que la pratique développée par cette structure, concernent également mes activités d’étude et de recherches, notamment en ce qui concerne le partage de l’action éducative entre parents et professionnels. L’objectif de contribuer à l’évaluation et à la communication des effets d’un dispositif de ce type motive une démarche de recherche, à laquelle je tente de contribuer, en mettant à contribution la connaissance « fine » que j’ai de cette action, depuis son origine ; autant que possible, je cherche à mettre la vision « engagée » que je peux avoir de la structure en rapport avec des évaluations ou des recherches externes.
Les principales caractéristiques de l’action
La Maison Robinson est un programme d'action développé par l'Association Intermèdes depuis mai 1998 [8] , qui s’est donné deux objectifs :
– lutter contre la solitude enfantine et la violence pendant l'enfance
– soutenir la fonction éducative et développer les relations humaines et sociales dans un quartier donné.
L'idée de base est de mettre à disposition des enfants et de leurs parents, sur un territoire délimité, une équipe d'interlocuteurs de référence en matière éducative, disponibles pour développer des actions de rue, des animations ponctuelles et accompagner le développement de projets d'initiative sociale et citoyenne. L'équipe développe dans ce but divers modes d'intervention : actions de rue, accueils de groupe dans son local pour différentes activités et accueil régulier d'enfants et de familles en difficulté. La Maison Robinson contacte à ce jour plus de 200 enfants et leur famille habitant le quartier sud de Longjumeau (Essonne).
L'action de l'Association Intermèdes, au travers le programme de la Maison Robinson combine un ensemble de caractéristiques peu fréquent dans le paysage des structures socio-éducatives actuelles. Le travail proposé est un travail « hors institution » (même s'il peut se dérouler dans un local), trois principes étant affirmés quant à l'accueil :libre initiative des enfants (liberté d'aller et de venir, ou de ne pas venir), accueil complètement gratuit, accueil dans une même formule d'une grande hétérogénéité d'âges (normalement 6-13 ans, dans la réalité, plutôt 3 – 16 ans).
Ces caractéristiques d’intervention en milieu ouvert sont directement inspirées de pratiques « d’animation en milieu ouvert » qui se sont développées en France, vers la fin des années 1980, dans le cadre des opérations « anti-été chaud » (cf. Dubet, Jazouli, Lapeyronnie, 1985), puis « Ville vie vacances ». Il s’agissait d’offrir, durant les congés scolaires, un accueil non, conventionnel, aux enfants de certains quartiers réputés « difficiles ». Ce « travail en milieu ouvert » bouleverse en général les pratiques traditionnelles de l’animation et oblige les équipes concernées à développer un travail différent, beaucoup plus tourné vers l’accueil et la relation. Toutefois, ces accueils séquentiels, de loisirs, le plus souvent municipaux sont régulièrement remis en cause, du fait de la difficulté de leur position administrative vis-à-vis des réglementations en matière de centres de vacances et de loisirs. Ce qui pose problème et qui est au cœur de l’originalité de ce type d’accueil est bien évidemment la liberté qu’a l’enfant de partir librement.
Le travail de la Maison Robinson, partage avec ces pratiques une certaine modestie des moyens et la valorisation des espaces publics et de la relation plutôt que du matériel, des « sorties » ou de la notion d'activité ; mais elle s’offre, également, le luxe, plutôt rare aujourd’hui, de présenter une intention de durer. La permanence est ainsi la valeur la plus reconnue par l'équipe, tant pour l’espace, que pour le temps. Si on parle aujourd'hui dans le domaine de l'écologie et de l'économie de « développement durable », il est surprenant qu'on en parle moins dans le domaine de l'accompagnement éducatif et psychoaffectif des enfants : la durée est peut être davantage encore, dans ce domaine une nécessité, une rareté et une urgence.
L’importance de cette notion de permanence a, d’ailleurs, amené l’équipe à changer l’appellation de la structure, en cours de fonctionnement ; de « veille éducative de proximité », la Maison Robinson a été progressivement dénommée « Permanence éducative de proximité », à partir de 2001 ; d’une part, il s’agissait de se démarquer de l’expression « veille éducative », qui, au cours de cette période, avait été utilisée par les pouvoirs publics français pour caractériser une nouvelle instance municipale destinée à lutter contre le décrochage scolaire ; mais surtout, il s’agissait de prendre en compte le fait que le terme de « permanence » rend bien mieux compte de la réalité de la quotidienneté même de l’action de l’équipe auprès des enfants ; les « professionnels » de l’Association Intermèdes, ne se tiennent en effet pas en retrait, à disposition, vis-à-vis de cette population enfantine, mais, au contraire, affirment leur présence dans les espaces publics et vont à la rencontre des enfants du quartier. [9]
Le travail de l’équipe de la Maison Robinson est une des rares pratiques, en France, dite de « soutien de la fonction éducative » qui parte des enfants pour aller vers les parents et non l'inverse, s’inscrivant dans une certaine rupture avec la conception même du soutien à la parentalité. En effet, il ne s'agit pas de s'adresser à une minorité relativement favorisée culturellement et portée à la réflexion et à l'analyse critique (groupes de parents, groupes thérapeutiques pour parents, pratique de conférences pour les parents, etc.), mais d'impliquer tous les parents et adultes présents sur un territoire à partir de l'initiative des enfants. La démarche est ainsi à la fois plus dynamique et tournée vers le développement et le changement des relations sociales et humaines vécues dans le quartier. C'est une pratique qui souhaite réconcilier du point de vue de ses initiateurs le professionnalisme des compétences individuelles et la richesse des expériences antérieures, à un certain militantisme social. Cette « double casquette » de la part de l'équipe d'animation de la structure est essentielle car elle justifie le fait que l'on incite les familles et les enfants à s'impliquer personnellement dans cette action.
Le programme de la Maison Robinson se développe sur trois plans complémentaires : le grand collectif (manifestations, événements préparés avec les adultes et les enfants ou les uns sans les autres) ; les groupes d'initiative (qui réunit des enfants ou des adultes porteurs d'un projet ouvert sur le quartier d'apprentissage, d'animation, d'expression, de création, ou de convivialité) ; les accompagnements individuels des enfants et des parents et les plus en difficulté. Le maillage de ces trois plans est essentiel si on veut travailler réellement sur la globalité des relations sociales et humaines d'un quartier.
L'action de la Maison Robinson vise à contribuer à redonner aux enfants, aux jeunes, aux adultes et aux parents qui habitent des quartiers dits en difficulté une image positive. Il s'agit de revaloriser la présence des enfants et des adultes dans les espaces publics. À l'opposé de la logique sécuritaire qui a tendance à s’imposer actuellement, toute l'action de l'Association vise à re-qualifier l'occupation des espaces publics par les habitants eux-mêmes ; les enfants et les jeunes ont en effet tout à gagner à voir les adultes de leur quartier sortir de la peur et de la passivité et à venir « habiter » les espaces publics. Les enfants et les jeunes y gagnent en sécurité et en sociabilité; moins relégués entre eux dans des groupes ou des bandes dont le fonctionnement interne est le plus souvent maltraitant, ceux ci peuvent alors faire l'expérience d'autres groupes et d'autres collectifs ouverts sur l'environnement et les autres.
Une action de type « communautaire »
Il peut sembler intéressant de montrer en quoi l’action développée par cette structure peut rendre bel et bien compte d’un mode d’intervention inédit qui ne peut être réduit à une seule des trois catégories d’interventions socio-éducatives distinguées par P. Durning, sans pour autant apparaître comme la simple conjonction d’interventions disjointes. Il restera alors à rechercher comment ce mode d’intervention témoigne d’une unité d’action, ce qui lui procure une certaine identité, à partir d’autres paramètres.
Ainsi l’intervention de la Maison Robinson n’est pas exempte d’autonomie ; la pratique développée permet en effet de :
– contacter les enfants indépendamment des familles,
– maintenir ces contacts le cas échéant, y compris en l’absence d’une adhésion parentale,
– définir son public, indépendamment de tout mandat, en provenance d’autres structures socio-éducatives, ce qu’un psychiatre, membre de l’équipe de secteur a formulé ainsi : « Il n’y a pas de prescription de la Maison Robinson ».
Pourrait-on alors affirmer que la structure développe une action « spécifique et complémentaire » de l’action éducative parentale ? On peut en douter fortement si on prend en compte les faits suivants :
– dans la pratique, la relation avec les enfants, se double rapidement d’une relation suivie avec les familles,
– les enfants initient dans la structure de nombreuses actions qui sont dirigées vers leur quartier et en premier lieu vers leur famille,
– la structure est volontairement porteuse d’un message social qui est à la fois répercuté verbalement à l’occasion des rencontres avec les familles, mais qui supporte également l’essentiel du travail de rue, à savoir que l’éducation se devrait d’être prioritairement une co-éducation et que les adultes du quartier se doivent de contribuer à l’éducation de l’ensemble de la population enfantine locale (les actions éducatives proposées constituent par ailleurs un mode de participation à la vie du quartier pour les adultes et les enfants concernés).
Bref, si on peut à bon droit qualifier par exemple l’intervention éducative de l’école de relativement indépendante et complémentaire de celle de la famille, on ne pourrait soutenir de même vis-à-vis de l’action de la Maison Robinson qui loin de se poser en intervention « experte » et menée de bout en bout par des spécialistes, se propose, au contraire de re-qualifier les adultes de l’environnement social urbain, et, au premier chef, les parents.
Inversement, il est presque tout aussi difficile de considérer le travail de la Maison Robinson comme relevant du soutien à l’exercice des tâches et responsabilités parentales pour les familles ; en effet, dans une telle perspective, on ne comprendrait plus très bien l’intérêt du travail effectué directement auprès des enfants. De même, le caractère « collectif » et « d’éducation au collectif », développé par l’équipe ne rend pas compte de telles préoccupations. D’une façon plus large, l’ association Intermèdes cherche visiblement à développer une « éducation communautaire » qui tranche singulièrement avec les préoccupations sociales et psychologiques qui animent en général les intervenants auprès de familles repérées comme en difficulté.
Enfin, une seconde fois, se pose la difficulté de rendre compte de l’absence « de mandat nominatif » qui caractérise ce travail. Comment en effet se donner comme projet d’aider les familles à assumer leurs charges éducatives, alors qu’on s’adresse au tout venant, et qui plus est sur la base du volontariat des enfants comme des familles ? Certes, l’action de la Maison Robinson se développe dans un ensemble urbain qui concentre de nombreuses familles qui cumulent des difficultés sociales, psychologiques et éducatives (quartier classé Réseau d’Éducation Prioritaire, par l’Éducation Nationale), ce qui laisse supposer que cette action va, en fin de compte, rencontrer un public bel et bien concerné par des objectifs de soutien de la fonction parentale ; mais cette seule conjonction ne suffit pas à ranger une telle pratique dans ce domaine d’intervention ; il semble bien, au contraire, que la Maison Robinson, travaille davantage au soutien de la fonction éducative, plutôt qu’à celui de la fonction parentale ; cela ne fait pas équivalence et caractérise justement peut être la différence entre action sociale classique et action de développement communautaire, ce qui nécessite quelques développements.
Une action pour suppléer aux parents ?
L’action de la Maison Robinson repose sur la prise en compte des difficultés d’exercice et de pratique de la parentalité au quotidien de certaines familles. Selon le groupe de recherches animé par le professeur Houzel (1999), la parentalité peut s’envisager sur trois axes : l’exercice de la parentalité (les droits et les devoirs), l’expérience de la parentalité (soit la parentalité « subjective » qui correspond à l’intime ressenti par chaque parent) et la pratique de la parentalité (soit la parentalité effective, encore appelée « parentage » par G. Poussin, qui correspond à la pratique des soins parentaux au quotidien).
L’expérience des éducateurs de la Maison Robinson peut témoigner de l’existence de nombreuses familles qui manifestent une expérience subjective forte de la parentalité (les enfants sont très investis, tout événement ou problème qui leur arrive affecte fortement les parents, etc.) mais qui se trouvent néanmoins en difficulté dans le vécu quotidien familial ; ainsi dans la vie de tous les jours, de nombreux parents, surtout quand ils sont eux-mêmes écartés d’une vie sociale riche et variée, se trouvent en difficulté pour savoir « quoi dire » et « quoi faire » avec leurs enfants.
Comme ils se ressentent en difficulté dans la gestion du temps « vécu ensemble » avec leurs enfants, ces derniers ne tardent généralement pas à rechercher au dehors du foyer, l’animation et les contacts sociaux qui leur font défaut à la maison. Il faut aussi ajouter à cette catégorie de parents, ceux qui se trouvent physiquement en difficulté pour contenir leurs enfants dans un cadre familial ; il n’est ainsi pas rare pour des éducateurs attentifs aux conditions de vie au quotidien des enfants d’un quartier de devoir raccompagner chez lui un enfant de 3- 4 ans, qui jouait devant l’immeuble sans surveillance et de s’entendre dire par un parent : « Je lui avais bien interdit de sortir, mais il ne m’a pas écouté ». [10] On regroupe habituellement l’ensemble de ces situations qui peuvent mettre en danger les enfants et qui trahissent celles des parents, sous le terme de « négligences ». Ce terme, quoique pas toujours approprié (le concept de négligence induit trop souvent un soupçon de complaisance) a l’intérêt de permettre une distinction possible de ces situations vis-à-vis des situations de maltraitance avérées. Ces défaillances peuvent toutefois conduire quand elles sont graves et répétées à des mesures d’aide éducative ou de retrait de l’enfant.
L’action, dans ce domaine, de la Maison Robinson suit une logique différente. Prenant acte des difficultés partielles de l’exercice quotidien de la parentalité de certaines familles vis-à-vis de certains enfants, cette action se propose de renforcer l’environnement éducatif quotidien de l’enfant sans aucun déplacement ni mise en place d’aucune mesure judiciaire ou administrative. Ce type d’intervention est rendu possible par le fait, qu’au travers de ses actions de rue, une structure du type de la Maison Robinson, se donne les moyens de rencontrer de façon satisfaisante l’ensemble de la population enfantine locale, et peut donc, à partir de là, s’adapter aux besoins des enfants les plus à l’écart de leur famille.
C’est donc une intervention généraliste, mais très souple et particulièrement adaptée à la tranche d’âge des enfants entre 5 – 13 ans, qui accepte en général assez favorablement le soutien et l’intérêt des adultes à leur sujet, pour peu que ce soutien soit bien toléré par leurs parents. Les enfants, qui nécessitent un tel accompagnement et un tel suivi au quotidien profitent en effet le plus de l’accueil de la Maison Robinson et des adultes qui y sont disponibles pour eux. Ils peuvent selon les cas, se rendre au local de la Maison Robinson depuis la sortie des classes et être raccompagnés chez eux pour le dîner. Ils savent aussi que dans le cadre des heures d’ouverture (qui restent encore à développer pour atteindre l’objectif de permanence éducative) ils peuvent toujours s’adresser à l’équipe lors d’événements assez graves (disputes, accidents) mais aussi et surtout très banals comme pour venir « boire un verre d’eau », utiliser les toilettes, prendre un gâteau, demander de l’aide pour un travail scolaire, etc.
Parallèlement, l’équipe de la Maison Robinson développe d’autres projets avec les parents concernés, en se mettant en situation de pouvoir écouter leurs difficultés, mais aussi d’accompagner ceux-ci dans des projets sociaux et d’animation du quartier. L’enfant soutenu par la Maison Robinson sait donc que la même structure peut aussi aider un de ses parents à sortir de son propre isolement ; cette familiarité des parents vis-à-vis de la structure renforce encore le caractère « familier » du lieu comme de l’équipe pour les enfants.
C’est pourquoi, dans le cadre du travail engagé par l’Association Intermèdes, nous avons préféré mettre en avant l’appellation de « soutien de la fonction éducative », pour caractériser un système combiné d’activités de co-éducation, en partie complémentaires, mais qui proposent également une part de « suppléance familiale ». À ce sujet, il faut noter, que dès son origine, le projet de l’Association Intermèdes était de pouvoir offrir également aux enfants du quartier une possibilité d’internat de dépannage et de proximité, permettant une grande souplesse de recours et de fonctionnement en dehors de toute procédure systématique de signalement ou de placement. Ce volet de l’action n’a pas pu se mettre en place compte tenu des réticences de l’Aide Sociale à l’Enfance, qui, bien que convaincue de l’intérêt de l’action, se disait soucieuse des difficultés juridiques entourant un accueil d’enfant à partir de la libre initiative. Avec ce dernier volet, la Maison Robinson aurait pu disposer d’une bien meilleure amplitude dans son action auprès des enfants et des familles ; cependant, à partir du mode d’intervention « pyramidal » qui la caractérise, l’équipe tend à décliner deux des trois types d’intervention socio-éducatives caractérisées par P. Durning.
L’intervention de type « développement communautaire » : un autre type d’intervention socio-éducative ?
Le plus grand intérêt de la tentative rapprocher la pratique de la Maison Robinson des catégories des interventions socio-éducatives courantes est, en effet, de mettre en valeur le caractère transversal mais aussi « cumulatif » de cette approche particulière, qui semble emprunter des qualités de chacune des catégories sans se fondre dans aucune.
La « permanence éducative de proximité » mise en œuvre par la Maison Robinson associe en effet l’intérêt et l’impact de deux des trois types d’intervention socio-éducatives distinguées par Paul Durning (1995/1999). Elle développe une action propre et indépendante des familles en direction des enfants ; elle contribue à aider les parents à développer leurs relations sociales et à tenter de nouveau de s’intégrer dans des projets collectifs ; elle renforce, enfin, et sécurise le vécu éducatif de certains enfants au quotidien, sans qu’il soit nécessaire dans la plupart des cas, de recourir à un signalement ou à un placement. Mais il faut également signaler que cette transversalité n’est en aucun cas un empilement ; pour avoir un impact dans ces différents domaines, l’action de ce type de « permanence éducative » n’en perd pas pour autant une unité certaine.
Pour son public enfantin comme adulte, la Maison Robinson apparaît comme un programme cohérent et surtout concret [11] ; il paraît ainsi naturel aux familles comme aux enfants que l’action de cette structure se destine aux enfants et aux parents, de la même façon qu’elle mélange les âges et les situations à l’intérieur du public enfantin accueilli. C’est que les objectifs éducatifs de ce programme sont facilement partagés par les familles concernées et du coup celles ci acceptent volontiers de s’associer aux actions de la Maison Robinson, dès lors que cette participation est pour elles valorisante ainsi que vis-à-vis de leurs enfants, du quartier. Sous couvert d’autres expérimentations, dans un cadre similaire, on pourrait donc caractériser la « permanence éducative de proximité » comme un type d’intervention socio-éducative, de type communautaire [12] , particulièrement adapté à certaines situations de « négligences » ou de dé-socialisation parentale.
« Permanence éducative en milieu ouvert » : une innovation socio-éducative ?
Dominique Fablet (2001) a différencié deux principaux types d’innovations qui concernent les structures, les dispositifs et les pratiques socio-éducatives : les innovations transformatives qui se proposent de modifier les pratiques et les services existants et les innovations créatives, qui se proposent de créer de nouveaux modèles d’action inédite. Là encore, il peut être intéressant de décrire comment une action éducative de type communautaire, telle que celle de l’Association Intermèdes / Maison Robinson développe des formes « d’innovation créative », tout en reprenant à son compte, et en les modifiant, certaines pratiques classiques et éprouvées, issues notamment du secteur de l’animation généraliste, selon une visée «transformatrice ».
Innovation et action en milieu ouvert
Le travail en milieu ouvert propose des principes d’action qui donnent une autre perspective à l’intervention socio-éducative. Le travail en milieu ouvert repose en effet sur les principes suivants qui sont en rupture avec ce que les enfants comme les parents ont pu connaître des institutions et des structures éducatives classiques :
– un fonctionnement qui repose sur la libre initiative de chacun de venir, repartir à tout moment, (ce mode de travail rompt avec les préoccupations classiques de garde, mais libère aussi l’adulte de devoir fournir « une activité » pré-construite à l’enfant)
– une gratuité totale [13] de l’ensemble des actions, l’absence de toute démarche administrative à effectuer, etc. (sans quoi cette libre initiative de contact ne serait pas effective, surtout pour les enfants)
– un accueil conjoint de tous les âges (ce mélange des âges est en réalité double : pour les enfants, il permet de recevoir en même temps des fratries nombreuses ; pour tous, il permet un lien entre les générations)
– un souci évident et affirmé de travailler dans la durée, la régularité, la permanence de l’équipe et « le long terme » (il s’agit de trancher avec la multiplicité et le fractionnement des lieux et des intervenants destinés aux enfants).
L’ensemble de ces caractéristiques permet tant aux enfants qu’aux parents contactés de ne pas percevoir cette action comme une action « socio-éducative » institutionnelle classique. Du coup, les autorisations sont plus faciles à obtenir, la régularité et la durabilité des contacts se mettent en place.
Comme le note le rapport d’évaluation de l’action de la Maison Robinson par un organisme extérieur [14] , ces méthodes de travail représentent véritablement une triple innovation :
– une modification dans les rapports professionnels/ public ; les professionnels apparaissent pour les parents, plus proches, plus accessibles, sans pouvoir mais pas sans autorité. [15]
– une modification des modes d’accueil et de travail traditionnels, les contacts ayant souvent lieu dans des espaces publics ; les relations qui en découlent sont plus « décousues », mais finalement aussi, souvent, plus durables.
– une modification de l’accompagnement éducatif des individus , qui prend pour cadre aussi bien l’entretien individuel, familial, que groupal ; chaque individu est ainsi connu dans différents contextes.
Ce qui fonde la transversalité d’action d’une « Permanence éducative » : « le travail en pyramide »
Il y a une difficulté traditionnelle des actions de soutien de la fonction éducative, quand elles ne sont pas mandatées par une administration, une institution ou un juge, à contacter d’une part un public, et d’autre part à s’assurer que ce public est celui qui aurait le plus besoin de ce type d’action. La mise en place en France de la politique des Réseaux d’Écoute, d’Appui et d’Accompagnement des Parents a permis le développement de nombreuses actions en direction des familles rencontrant des difficultés éducatives. Cependant, la majorité des actions ouvertes à tout public oscille entre deux grands exemples fréquents :
– les lieux d’accueil, qui peuvent être axés autour du jeu, du livre, et qui s’inspirent des lieux accueil parents/ enfants de type « Maison verte » (cf. Bastard & al., 1996).
– les groupes de paroles, destinés aux parents qui souhaitent réfléchir avec des spécialistes aux difficultés éducatives qu’ils rencontrent (cf. Tillard, 2003).
Or, ces deux types d’action ne s’avèrent adaptés que pour une fraction de la population locale enfantine ou parentale. Il est alors difficile, à partir de telles actions de vérifier que les parents les moins autonomes et les plus en difficulté puissent y accéder, compte tenu du fait que le nombre de participants notamment à des « groupes de paroles pour parents » est souvent relativement modeste.
Il est donc difficile de proposer un accompagnement de la fonction éducative, par des professionnels qui soit suffisamment généraliste pour concerner un quartier, un territoire de façon à connaître l’ensemble des situations, tout en conservant une disponibilité importante pour les familles et les enfants qui en attendent le plus. Un travail de type plus communautaire de type « permanence éducative » est à même de réunir ces deux exigences, à partir d’un mode de travail qui se développe sur trois « niveaux d’intervention ».
Le programme de l’association Intermèdes développe, en effet, un mode de travail par paliers complémentaires appelé « la Pyramide ». Ainsi l'action de la Maison Robinson s'exerce sur deux publics bien identifiés et paradoxalement relativement autonomes entre eux: les parents (même les adultes sans enfants peuvent être contactés, ainsi que, notamment, des jeunes désireux de découvrir les situations et les métiers de l'éducation) et les enfants. Il est à noter toutefois que les enfants sont toujours contactés en premier ce qui fonde l'originalité de notre programme vis-à-vis des actions habituelles et bien connues de soutien de la fonction éducative qui privilégient toujours les parents au risque de ne pas contacter les familles les plus en difficulté ou alors de s'adresser à un public rare, capable de porter à long terme une démarche thérapeutique vers des intervenants spécialisés [16] .
Pour chacune des deux populations contactés, l’action de la Maison Robinson se distribue sur trois plans qui constituent la pyramide :
– les actions en grand collectif, se déroulant dans les espaces publics. Ces actions permettent de rencontrer l'ensemble de la population disponible et de rester en contact avec elle. Ce sont des actions suivies très sérieusement, qui fidélisent rapidement un public large. Ce stade, le plus large (la base de la pyramide) est le plus important: il permet le contact de départ et une première connaissance des situations vécues par les adultes ou les enfants; c'est aussi l'occasion de recevoir les demandes, d'observer des comportements d'appel et/ ou de recherche d'intérêt. Il ne s'agit finalement presque jamais, comme on aurait pu le craindre, de contacts furtifs: la régularité de ces actions est telle qu'elle garantit une connaissance approfondie et suivie des personnes contactées dont le nombre est toujours très important. Il est à noter que pour fragile qu'il paraisse, ce mode de contact, dans les espaces extérieurs vis-à-vis des enfants est à l'expérience plus fiable et plus durable que les relations qui s'établissent depuis des institutions. En effet, les relations établies avec des enfants peuvent même au besoin être à l'abri momentané de préventions ou d'interdictions parentales que l'enfant aurait pu recevoir, mais qu'il est libre d'ignorer dans des espaces publics. [17]
– les groupes de projets ou d’initiative sociales .Les personnes contactées au stade précédent et qui se montrent désireuses de développer des relations avec notre programme sont personnellement invitées à initier ou à participer à des groupes de projets. C'est le stade des « groupes d'initiative sociale », c'est-à-dire des groupements d'enfants ou d'adultes (ou, parfois des deux) qui définissent un projet d'animation, de création, ou d'expression dont le bénéfice toujours doit être ouvert sur le quartier et sur l'extérieur du groupe. Les permanents de la structure aident le groupe à se constituer, puis à s'organiser; ils apportent aussi une éventuelle aide technique et souvent un soutien matériel. Ils s'assurent de la valorisation du produit fini. Concrètement, ces groupes peuvent se proposer de réaliser des choses simples comme une fête, une soirée à thème, un atelier de bricolage ouvert à tous et animé par des personnes ressources; mais ils peuvent se consacrer plus durablement à la réalisation de projets plus ambitieux comme un journal, un recueil, un spectacle, une exposition, etc. [18]
– les accompagnements ou soutiens individuels. Le troisième axe de travail de l'action de la Maison Robinson est constitué par les accompagnements individuels des personnes les plus en difficulté. Il s'agit des enfants et des parents les plus isolés auxquels s'adresse prioritairement notre action. Ces difficultés et ces problèmes ont trouvé à se manifester et à s'exprimer souvent au cours des actions liées aux deux axes de travail précédents. Concrètement, l'équipe de la Maison Robinson se rend disponible pour ces personnes à la demande. Les enfants sont ainsi accueillis sans rendez-vous, dès leur sortie d'école s'ils le souhaitent, ou peuvent venir jouer dans notre local, à la demande. Bien entendu, cette permanence éducative vis à vis des enfants est exprimée et exposée dans ses objectifs aux parents qui l'acceptent toujours. Les parents concernés sont rencontrés d'autant plus régulièrement que la plupart du temps les permanents raccompagnent l'enfant chez lui, ce qui donne une occasion de contact fréquent. Vis-à-vis des adultes en difficulté cette permanence peut se manifester par le fait qu'ils trouvent toujours auprès de l'équipe une écoute, un conseil, une ressource possible ou éventuelle pour trouver une solution aux difficultés du moment, trouver une solution de garde pour les enfants, etc. Bien entendu, les individus concernés par cette réelle « permanence » éducative de proximité sont beaucoup moins nombreux que pour les axes précédents. Il s'agit d'une vingtaine d'enfants et une dizaine d familles, dont l’équipe réévalue régulièrement le nombre et la composition, en fonction des évolutions.
L’exemple de l’approche communautaire de la « permanence éducative » de la Maison Robinson témoigne de la complexité et de la difficulté des interventions socio-éducatives ; celles ci doivent en effet, pour développer une action efficace sur le plan d’un territoire, être assez ouvertes et généralistes pour être au plus près des besoins et des publics les moins autonomes, et suffisamment professionnelles pour apporter la qualité d’écoute et d’accompagnement qu’exigent les situations. De même, ces interventions ont besoin, pour rester crédibles, de proposer aux familles qui font état de leurs difficultés en matière d’accompagnement éducatif des enfants de véritables accompagnements, sur de larges tranches horaires (et pas sur des horaires de bureau) et dans la durée. Cela suppose des moyens et des engagements des administrations et des collectivités territoriales dans le soutien technique et financier des structures et des équipes. Les problèmes éducatifs de nombreuses familles sont réels mais la tentation est grande, face à la complexité et à l’investissement que représente une politique ambitieuse de soutien de la fonction éducative, d’y substituer, à bon compte, des mesures autoritaires et des pénalités.
Bastard & al. (1996), Reconstruire les liens familiaux. Nouvelles pratiques sociales, Paris, Syros.
Dubet F., Jazouli A., Lapeyronnie D. (1985), L’État et les jeunes, Paris, Les éditions ouvrières.
Durning P. (1995/1999), Éducation familiale. Acteurs, processus, enjeux, Paris, PUF.
Fablet D. (2001), « Innover dans le champ de la suppléance familiale », in Corbillon. M. (dir.) Suppléance Familiale : nouvelles approches, nouvelles pratiques, Paris, Matrice, 13-29.
Houzel D. (dir.), (1999), Les enjeux de la parentalité, Toulouse, Érès.
Ott, L. (2001/2003), Les enfants seuls, Paris, Dunod.
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Poussin G. (1999) La fonction parentale, Paris, Dunod.
Tillard B. (coord.), (2003), Groupes de parents. Recherches en éducation familiale et expériences associatives, Paris, l’Harmattan.
Introduction
Les rapports entretenus entre les conceptions de citoyenneté et celles de la Famille sont complexes et paradoxaux. Quoi qu’étant de registres différents, les deux notions sont très souvent et spontanément associées. Ne met-on pas systématiquement en cause les familles pour le défaut de civilité supposé (ou mis en exergue) de leurs enfants ?
D’un autre point de vue, si la question du rapport que les familles entretiennent avec la politique paraît décalée, le fait que la famille fasse elle même l’objet d’une politique et que cette politique familiale prenne de plus en plus de place dans des les débats de société, invite à regarder d’un peu plus près ce que la famille peut représenter sur le plan des rapports sociaux et politiques.
L’attachement ambivalent du Libéralisme pour la Famille
Il y a une contradiction au cœur même du traitement libéral de la Famille ; en premier lieu, la Famille est insupportable pour l'ordre économique libéral "triomphant" car elle pourrait constituer une poche de résistance au marché et à la marchandisation devenue nécessaire des services et des solidarités internes.
De la même façon, la Famille peut être un obstacle insupportable en ce qu'elle risque de fausser les rapports d'offre et de demande, pour tout ce qui concerne la mobilité des individus [19] .
Toutefois, une tendance inverse travaille l'ordre libéral: les individus doivent se montrer éduqués et adaptés à leur environnement alors que justement les institutions éducatives publiques se désengagent sur ce plan, selon une logique inhérente de repli de la puissance publique sur ses prérogatives minimales. Or, ce repli a des conséquences, notamment observables dans l'attitude des générations montantes vis à vis des symboles et institutions publiques subsistantes. Notre époque développe ainsi la hantise de la délinquance et de l'incivilité non pas comme source de criminalité, mais surtout en tant que ces phénomènes portent en eux quelque chose de bien plus inacceptable pour l'ordre économique: la désobéissance, le refus de la mobilité, une forme même de contre-pouvoir sans contre-partie économique.
Solitude et assignation parentale
La seule façon de régler cette contradiction qui se manifeste par une tension (voire même une certaine hésitation) toujours perceptible par exemple entre le souci de protéger ou de pénaliser la jeunesse, de soutenir ou de punir les parents (etc. ), consiste à « responsabiliser » les parents tout en les isolant: c'est tout l'objet de la plupart des politiques dites familiales.
Les parents sont de plus en plus renvoyés vers « leurs » responsabilités et ces responsabilités coïncident de plus en plus avec les priorités publiques; la parentalité est ainsi valorisée et omniprésente ; on incite les parents à être compétents, à s'éduquer, à faire une psychothérapie, le cas échéant. On les exhorte à la vigilance, à exercer un contrôle soutenu sur tous les aspects de la vie des enfants. La chose est simple: plus on rend les parents compétents, moins il y a besoin de définir, de développer et de financer des dispositifs ou des politiques éducatives ambitieuses. [20]
Or et c’est un point essentiel, cette « pression » sociale qui s’exerce sur les parents a comme effet paradoxal de limiter les capacités de ces mêmes parents à prendre une place active dans la vie sociale et publique.
L'exemple de la salle d'attente
Prenons pour illustrer cette idée, l'exemple de la situation suivante que tout parent, un jour ou l'autre a à connaître: un père ou une mère doit attendre en compagnie d'un jeune enfant dans une salle d'attente (d'un cabinet médical, d'une administration ou autres…). L'attente se prolonge, l'enfant s'énerve devient bruyant difficile; le parent se sent alors obligé d'exercer son autorité sur l'enfant pour amener celui-ci à être moins bruyant. Il craint en effet que l'enfant énervé ne constitue une gêne pour les autres personnes qui attendent ou pour celles qui travaillent.
Mais il existe aussi une autre motivation qui pousse le parent à intervenir et même à se fâcher et à ajouter éventuellement sa propre colère et sa propre violence à celle de l'enfant s'il ne parvient pas à de notables résultats: c'est que sa fonction parentale est alors mise à l'épreuve par l'enfant aux yeux de tous. L'attitude éventuellement réprobatrice des autres personnes présentes renforcera d'ailleurs ce sentiment.
Il y a dans cette situation pourtant banale et courante tout ce qui fonde l'isolement parental sur le plan social; en effet l'enfant en question ici n'est certainement pas le premier dans l'histoire de l'institution à avoir de la peine à attendre et pourtant tout se joue dans la scène ci-dessus comme si la situation était unique et qu'elle dépendrait donc entièrement des protagonistes présents à l'instant. On nie ici un élément pourtant fondamental: le lieu est inadapté pour que des enfants attendent; or, paradoxalement la responsabilité de cette inadaptation est entièrement intériorisée par le parent présent.
Pire, même le parent présent reçoit quant à lui une triple violence. A un premier niveau, il subit pour lui même la violence de l'attente. La vulgarisation psychologique a fait de l'attente une compétence directement liée à la maturité affective; on oppose ainsi toujours la situation du petit enfant qui ne supporte pas l'attente à celle de l'adulte capable de différer ses demandes. Pour autant, les situations d'attente sociale ( c'est à dire l'expérience des files d'attente dans les institutions ou chez des personnes exerçant une profession libérale) ont aussi une dimension sociologique: en effet l'attente n'est pas fortuite; si certains doivent attendre, c'est pour que d'autres, au contraire n'attendent jamais. Les files d'attente n'ont ainsi pas d'autres fonctions que d'économiser le temps des personnes qui reçoivent; il y a bien à la base de ces situations sociales, l'exercice d'une domination vécue et ressentie.
Or, le parent qui fait attendre un enfant avec lui, redouble pour lui même cette violence initiale: l'énergie qu'il aurait pu employer pour exprimer son indignation, il va plutôt l'employer pour faire taire, pour son enfant, l'écho de sa propre contrariété. Le parent renonce donc d'une part à exercer une quelconque protestation et s'engage même malgré lui dans la voie de la justification; il va s'employer en effet à réprimer l'impatience chez son enfant, à pousser ce dernier à considérer comme naturelle et normale une situation, pourtant au fond discutable. Et ce qui l'y pousse, c'est justement la responsabilité parentale dont, aux yeux de la société, il est investi. On voit comment la parentalité contribue discrètement à l'ordre public.
Cette situation de la salle d'attente illustre bien, comment, dans une situation sociale ordinaire, ce qui est visible n'est pas forcément ce qui agit; ici le désordre apparaît du côté de l'enfant et indirectement du côté du parent. Ce sont ces deux individus qui sont visiblement rendus fautifs du désordre ou bruit causé. Pourtant ce qui agit en la circonstance et qui provoque réellement le désordre et la violence, c'est la situation d'attente imposée, et la difficulté inextricable dans laquelle est placée le parent de justifier ce qu'il subit. Pour autant, cette violence passe complètement inaperçue aux yeux de tous.
Enfin, cette situation de la salle d'attente rend finalement compte de la transparence dans laquelle est vécue et se campe la parentalité quotidienne: être parent aux yeux de la Cité, c'est en quelque sorte tenir un rôle et consentir à un certain nombre d'attitudes et de comportements consensuels. Pour en juger, il suffit d'observer le regard réprobateur des passants quand des enfants se conduisent mal sous les yeux de parents qui ne réagissent pas. Les difficultés d'adaptation des enfants dans les espaces publics mettent les parents sur le devant de la scène mais occultent tout un arrière plan: comment se fait-il par exemple que la ville occidentale, en dehors des lieux spécialisés dans les quels elle les cantonne, soit si peu adaptée et si peu tolérante vis à vis des enfants?
Impossible solidarité parentale
Ainsi même si la plupart des adultes sont parents ou l'ont été, on constate que cette communauté d'expérience ne donne pas lieu à une solidarité dans la vie quotidienne; pire l'intervention des adultes à l'égard des enfants qui ne sont pas les leurs est en passe de devenir rarissime.
Les parents de l'exemple de la salle d'attente peuvent être nombreux à vivre cette situation inconfortable: ils n'en sont pas moins seuls. Leur nombre éventuel ne rend pas la situation plus tolérante à leur égard; au contraire de s'apporter un éventuel soutien ou une certaine tolérance, ils sont au contraire, visiblement en concurrence. Ceux qui ont des enfants plus calmes ont l'impression de mieux savoir "les tenir" et apprécieront faiblement l'agitation des autres.
La parentalité n'est pas spontanément porteuse de solidarités; elle apparaît comme une expérience qui pour être universelle n'en est pas moins vécue de façon parfaitement individuelle dans la culture occidentale; c'est qu'elle est socialement et implicitement marquée par ce qui apparaît comme une curieuse évidence: la parentalité serait finalement affaire de compétences individuelles inégalement distribuées.
Il est intéressant de noter que nous sommes probablement passés d'une conception majoritaire d'une parentalité méritante héritée du XIXème siècle, à celle d'une parentalité compétente bien plus en phase avec la société d'aujourd'hui Pour être moins morale, l'évolution n'en est pas moins pernicieuse et finalement en lien avec l'affermissement d'un libéralisme triomphant. Car, si la compétence parentale est inégalement distribuée, à terme, ce sont toutes les pratiques de l'aide sociale ou du soutien des milieux les plus défavorisés qui risquent d'être remises en question au motif qu'elles ne seraient pas fondées par une inégalité des chances mais pas une inégalité des aptitudes. [21] La conception "méritocrate" tellement liée à la base de la conception libérale a quitté le champ de la morale pour entrer cyniquement dans celui des considérations sur les aptitudes des groupes sociaux (voire des éventuelles "races").
Résistances à l'initiative sociale familiale et échec de la citoyenneté
Dans un contexte politique qui fait sienne, depuis de nombreuses années, la responsabilisation des familles, voire la préparation à leur éventuelle pénalisation, on a du mal à comprendre le souci quasi contradictoire des politiques sociales territoriales de chercher à développer la participation des familles à la vie de quartier.
Comment en effet prendre au sérieux une telle intention participative, quand concrètement, les acteurs sociaux peuvent constater la difficulté extrême qu’il y a, aussi bien pour les professionnels que pour les familles pour porter des initiatives sociales.
Les parents porteurs de projets de crèches collectives, les parents qui cherchent à organiser pour leur quartier des animations ou des temps conviviaux, peuvent témoigner de la difficulté fondamentale qu’il y a de rechercher des subventions, des autorisations pour un projet quand celui ci n’émane pas de prime abord d’une collectivité publique ou d’une institution en place.
Il paraît intéressant d'interroger ce frein concret à l'initiative sociale (non économique) du point de vue de la citoyenneté, quand il s’applique à l’activité et à l’expression même des familles dans les espaces publics.
En effet, la création de nouvelles structures socio-éducatives est une opération somme toute banale… quand elle émane directement d'administrations publiques ou décentralisées, ou, à défaut, de puissantes associations gestionnaires d'équipements sociaux, capables par leurs fonds propres ou par leur capacité de redéploiement de les mettre en œuvre.
L'initiative émanant directement de familles, se regroupant ou non en associations, se heurte à une toute autre résistance; leur initiative semble, convenons en, illégitime du point de vue des décideurs publics. Or il faut interroger cette illégitimité là si on veut justement comprendre quel type de freins peut opposer la conception de la citoyenneté à la française, à l'initiative sociale et justement en commençant par celle des familles.
Si celle-ci rencontre de telles résistances , c'est sans doute parce qu'elle est n'est tout simplement pas légitime sur le plan de la conception de la citoyenneté. C’est ce que souligne Saïd Bouammama dans "de la galère à la citoyenneté" ; selon lui, la conception française de la citoyenneté est à la fois centralisatrice et individualiste; c'est à dire qu'elle n'admet aucune légitimité politique aux groupements intermédiaires entre les individus et les formes de l'état. De ce point de vue, là , d'ailleurs, nous pouvons témoigner comment la politique de décentralisation n'a en rien changé cette nature et n'a donc pas abouti au rapprochement souhaité entre le citoyen et l'état. Les structures décentralisées reproduisent souvent en effet, en petit les dysfonctionnements et l'éloignement reproché aux institutions concentrées et centralisées. On ne voit pas en quoi le renforcement actuel de la décentralisation serait à même de rompre avec cette difficulté.
Formes de l'intervention sociale dans un contexte de citoyenneté individuelle
Comme elle n'est pas légitime, cette initiative sociale, cette implication citoyenne, des familles, en leur nom, dans la conception et le développement d'actions locales, dans les domaines de l’éducation et de l’intervention sociale, ne peuvent en général s'exercer que sous deux modalités résiduelles:
le groupe de pression
Le groupe de pression constitue un palliatif à l'initiative familiale bien connu ; il s’agit de ces associations de parents d’élèves, par exemple, ou de quartier dans certaines zones urbaines, qui s’emploient à infléchir les politiques territoriales ou institutionnelles qui les mobilisent.
De telles pratiques pourraient paraître contraires à la conception française de la citoyenneté et manquent, il faut le souligner, souvent cruellement d'équité : les mesures localement suspendues peuvent très bien s’imposer ailleurs dès lors que la «mobilisation » n’a pas été suffisante pour établir un rapport de force satisfaisant.
Ces pratiques en elles mêmes, pour légitimes qu’elles soient, sont souvent impuissantes pour établir, proposer ou constituer un projet politique cohérent, alternatif, et s’épuisent en général en « front du refus ».
A cela, une raison simple, la pression, pour s'exercer, ne nécessite que le nombre, la force et l'insistance ; elle est simple à mettre en œuvre et ne débouche sur aucune responsabilité ultérieure des initiateurs concernant la suite de ce qui a été obtenu.
A l'inverse, militer en collectif, pour promouvoir telle ou telle nouvelle forme d'initiative va lourdement engager la responsabilité y compris personnelle et pénale des concepteurs. Dans un contexte de juridification massive des rapports sociaux, cela est extrêmement dissuasif, convenons-en!
Le groupe de pression apparaît donc comme un pis aller plutôt banal de la participation citoyenne, dans une société bâtie sur une conception de la citoyenneté sans intermédiaires entre les individus et l'Etat.
la simple participation des usagers à un projet défini ailleurs
La participation des usagers, des familles, des citoyens aux situations éducatives ou sociales leur étant destinées représente à l'opposée la vitrine « encouragée » de l'intervention citoyenne ; elle semble non seulement acceptable mais, de plus, depuis une vingtaine d'année, elle semble officiellement recherchée lors de plans ou d'opérations destinées à un large public telles que les opérations de réhabilitation de certains quartiers.
Sur un plan méthodologique l'adjonction de volets explicitant les objectifs en termes de participation des usagers est devenu un passage obligé de l'ensemble des projets sociaux proposés au subventionnement public, voire même privé. La justification en est simple: les opérations sociales qui n'associent pas les destinataires à leur conception ou, au moins, à leur déroulement, sont réputées connaître le plus d'échec et de difficultés.
C'est donc plus la recherche d'efficacité que de légitimité politique qui assure le succès de la participation des usagers (qui sont aussi souvent des citoyens, sauf en ce qui concerne quelques groupes exclus de la citoyenneté) aux opérations leur étant destinées
Toutefois, on ne peut qu'émettre des réserves sur la portée de telles opérations destinées à recevoir la participation des usagers ou des destinataires:
Il y a d'abord un flou dans le concept même d'usager ou de destinataire; on est ici très loin de ce que le terme de citoyen peut véhiculer de pouvoir d'autodétermination et de capacité à infléchir l'action qui lui est proposée; un usager a sans doute des droits, mais lui échappent tout naturellement la conduite de l'opération ainsi que les motivations de sa conception.
Les divers organismes amenés à produire des évaluations sur les actions sociales ayant donné lieu à une recherche de participation insistent souvent sur la faiblesse de celle ci. Le plus souvent, ce volet de participation se réduit à des réunions préparatoires au cours desquelles on expliquera à des délégués ou des habitants présents les motivations et le détail de l'opération.
Quand elle est plus développée, cette "participation" ne touche le plus souvent qu'une faible part de la population et généralement celle qui était déjà d'emblée la plus socialisée. A cela, une raison toute simple, ce sont sociologiquement les plus proches des promoteurs et des acteurs de ces opérations.
Le terme même de participation témoigne de la faiblesse de la conception de l'intervention citoyenne. Il ne s'agit pas d'une intervention qui est censée fonder l'initiative sociale, ni même l'infléchir… mais seulement appuyer les initiatives en provenance de l'extérieur…
On retrouve dans cette conception le jugement d'incompétence sociale a-priori porté sur les destinataires d'action socio-éducatives et ne premier lieu celui des familles; semblables à des enfants ou des élèves, il conviendrait avant tout de bien leur expliquer les choses. On retrouve dans cette tendance le caractère capacitaire et réducteur de la conception française de la citoyenneté qui accorde la légitimité publique ou un surcroît de légitimité à ceux qui "sont en charge" ou qui ont des titres. On retrouve également dans cette tendance, le travers tant combattu par Kant, en pensée politique qui consiste à vouloir séparer l'étude de l'exercice: avant d'exercer une responsabilité, il faudrait auparavant avoir satisfait à son étude; c'est au nom de ce principe qu'on retarde communément l'exercice d'une pleine citoyenneté au sein des institutions scolaires , par exemple. Or cette rupture pensée et imposée entre l'exercice et la compétence est omniprésente dans l'espace politique qui est le nôtre.
Les deux modes privilégiés de la prise en compte des usagers : le modèle médical et le modèle éducatif.
Une fois admise la formulation de participation des usagers et entendue ce que cette formulation contient d’exclusion préliminaire de toute légitimité citoyenne, il reste à décrire les voies traditionnelles de cette participation :
Le modèle éducatif
La participation des familles n’est pas pensée comme une condition réelle de l’action ; elle est envisagée comme une simple adhésion de principe qui suppose la clarté et la compréhension. Dans ce modèle, on met l’accent sur les difficultés de compréhension des familles ; on met en avant les éventuelles particularités culturelles, sociologiques ou même intellectuelles qui pourraient entraver une adhésion qui apparaît comme étant la seule réponse à la fois possible et rationnelle.
Il n’est alors plus question que d’expliquer et d’expliquer encore… L’information bien entendu, dans ce schéma circule de façon privilégiée de haut en bas. L’expression des individus ne peut plus être admise autrement que comme un indicateur d’évaluation de cette compréhension.
Le modèle médical
Le modèle médical est également très répandu. Les difficultés particulières rencontrées avec certains individus ne prennent pas leur sens dans un cadre collectif d’opposition et de conflits d’opinion. Ces difficultés sont alors supposées être ancrées dans les individus qui les expriment selon un modèle tout médical.
L’action auprès des usagers n’est plus dans ce cas une participation ; elle devient un accompagnement individualisé adressé envers les individus désignés comme les plus éloignés d’une norme. Les actions alors proposées relèveront d’un arsenal thérapeutique classique tel que « groupes de parole », ateliers d’expression, etc.
Quelles initiatives sociales restent possibles pour les simples citoyens et les familles?
L'initiative sociale véritable ne peut donc en aucun cas se réduire une pratique de « pression brute et sans proposition », ni avec un ensemble de techniques ou de pratiques de « participation » des usagers.
Dans ces conditions, quel espace d'initiative sociale reste-t-il dans notre société pour les familles et les individus? En effet, ces derniers, s'ils ne se regroupent pas dans des structures organisées comme des associations n'ont actuellement aucune chance de voir soutenues leurs éventuelles initiatives sociales ou citoyennes. Ils peuvent usuellement au mieux émettre des souhaits ou des critiques qui ne manquent souvent pas. Or, les actions qui se fondent sur ces vœux ou sur ces critiques échouent communément ce qui ne manque pas d'ailleurs à décourager encore la prise de parole et le crédit (vis à vis des institutions) des familles et des habitants dans le domaine de l'intervention et de l'initiative sociale.
On observe ainsi une contradiction majeure entre la tendance actuelle de réclamer des familles davantage d'engagement pour développer la citoyenneté des jeunes et des enfants et l'exclusion banale de celles- ci ou des simples citoyens de l'exercice concret de la citoyenneté que constituerait un droit à l'initiative sociale.
La Famille: une citoyenneté à l'envers
Il peut paraître difficile de mettre en rapport les difficultés rencontrées par des collectifs de citoyens porteurs de projets d’initiative sociale avec le problème du rapport des familles avec la citoyenneté.
Il n’y a en effet que peu de ressemblances entre l’objet et le fonctionnement d’une famille et d’une collectivité d’individus mus par le désir d’intervenir sur leur environnement social.
Pourtant, il paraît évident que les difficultés de légitimité rencontrées par les groupements locaux concernent tout autant, voire davantage une famille.
Quand au cas particulier du groupement de familles d’un même environnement, il ne semble pas fondamentalement différent de la situation d’une association, ou d’un collectif d’habitants. On préférerait parler de familles plutôt que de collectifs quand l’objet de l’initiative semble relever de problématiques qui leur sont traditionnellement attribuées tels que les problèmes d’éducation ou de sécurité des enfants.
Dans les autres cas, on parlera plus volontiers de collectif d’habitants d’un même quartier, etc. Pourtant, il peut tout à fait s’agir dans tous les cas des mêmes individus.
Les familles rencontrent les mêmes difficultés que les petits collectifs associatifs en ce qui concerne l’exercice de formes d’initiative sociales. De fait on connaît peu d’initiatives sociales strictement familiales en dehors des modes de garde, d’éducation et de loisirs (cas des crèches parentales, des projets de foyers pour handicaps spécifiques portés par des groupements de parents, etc.)
La famille sur le plan de la citoyenneté ne constitue donc pas selon moi une exception ou un cas particulier ; les difficultés intrinsèques au projet d’innover restent les mêmes. L’appellation « familiale » apporte moins une nature différente de l’initiative en elle même, que l’invocation d’une légitimité revendiquée, en général, dans le domaine de l’éducation ou touchant au enfants.
Si on reconnaît à la famille une certaine légitimité concernant un niveau d'exigence en général concernant tout ce qui touche à l'éducation et à la sécurité des enfants, en revanche, il ne paraît pas admissible que les familles puissent remettre en cause les fonctionnements institutionnels en eux mêmes, dès lors que ceux ci relèvent de l'ordinaire.
Mais, par contre, il est tout à fait habituel et de plus en plus fréquent que les familles soient mises en cause, à l'occasion des problèmes éducatifs rencontrés par les institutions.
La diffusion dans les établissements scolaires de discours largement repris par le médias concernant une "démission parentale", génératrice d'incivilités et de pertes de valeur parmi les jeunes des banlieues est un phénomène actuel de grande importance; d'autant que ces discours ont trouvé progressivement depuis 1997 à se relayer et à s’incarner en mesures répressives qui se renforcent ou se durcissent (renforcement "de l'arsenal juridique" contre les familles, selon la terminologie « militaire » consacrée et particulièrement révélatrice).
La place de la Famille sur le plan de la citoyenneté est ainsi paradoxal: plus illégitime encore que tout autre type de groupement humain pour intervenir dans l'espace public, la famille y est quand même présente mais en tant qu'objet de débat, de discordes , et souvent même sous la forme de conflits ou de passions violentes.
Il s'agit donc en quelque sorte d'une citoyenneté à l'envers: les familles ne font pas de politique mais il y a bel et bien et peut être de plus en plus, une politique familiale.
La Famille, bouc émissaire du déni de citoyenneté
Il est, comme énoncé précédemment, de plus en plus communément fait appel à la responsabilité des familles en ce qui concerne une éducation à la citoyenneté qu'elles seraient sensées fournir à leurs enfants. Les incidents de banlieue autant que des incivilités quotidiennes vécues par les institutions poussent les professionnels à incriminer une défaillance familiale dans la transmission des valeurs sociales.
On omet pourtant de préciser que les conduites inciviles parfois adoptées par des enfants ou pré-adolescents peuvent souvent coexister avec une certaine forme de quiétude familiale; ces mêmes enfants en effet, ont le plus fréquemment des relations paisibles avec leurs parents et n'adoptent pas à leur domicile les comportements qu'on leur reproche en institution.
Il semble bien, pour expliquer ce paradoxe, qu'il faille faire une distinction entre socialisation et citoyennisation. Rien ne prouve en effet que les familles aient cessé de socialiser leurs enfants. Leur intégration fréquente au sein de leur propre famille en atteste. S'il semble y avoir une carence en matière de citoyenneté, c'est vis à vis des institutions et des espaces publics qu'elle se manifeste.
Il ne semble pas très légitime d'accuser les familles d'être à l'origine de ces carences de citoyenneté car rien ne prouve que l'éducation à la citoyenneté soit tout simplement de leur ressort.
Historiquement, une telle éducation (à supposer que le terme éducation convienne) n'a probablement jamais été l'apanage et peut être même pas à la charge des familles. L'apprentissage citoyen au cours des siècles a largement été assuré dans les espaces publics par la participation des enfants aux activités sociales, économiques et culturelles, grâce à des adultes et des collectifs de pouvoir intermédiaires, aujourd'hui en voie de disparition .
De plus les familles sont aussi les victimes de ce déni de citoyenneté, notamment dans leurs relations avec les institutions scolaires. Il suffit d'assister dans un collège banal à une "réunion de parents" pour s'apercevoir comment la parole peut être confisquée et utilisée par ceux qui ont le monopole de son instruction. De sorte, qu'à mon sens, il ne faille pas s'étonner de la désertion, dans les quartiers les plus défavorisés, des parents vis à vis de la maigre place qui leur est faite.
Bien entendu, la désertion des parents des lieux d'éducation est probablement plus inquiétante en soi, que leur intrusion.
Le travail avec les familles: issue ou impasse?
Le travail avec les familles est au goût du jour; il est devenu un mot d'ordre classique des institutions sociales et politiques; qu'on en juge simplement par la création en moins de cinq ans d'une conférence annuelle de la Famille et d'une délégation interministérielle spécifique.
Dans les pratiques des institutions sociales aussi, la famille n'a jamais eu autant de place. Cela par contre ne date pas d'hier, même si des avancées juridiques ont légitimé et officialisé cette nouvelle importance; en effet, le travail social a très tôt compris l'intérêt, la nécessité ou l'urgence de travailler avec les familles pour deux raisons bien distinctes:
La première tient d'une réflexion sur l'efficacité; il est apparu sous l'effet des connaissances en sciences humaines que le travail avec les enfants offrait peu de résultats s'il n'était pas associé à un travail avec les familles.
La deuxième, plus économique tient à une mutation des institutions médico-sociales elles mêmes: plus légères, plus sollicitées, plus affaiblies dans leurs moyens en accueil et hébergement, le recours à la famille est devenu une obligation structurelle pour éviter de multiplier les institutions souvent très coûteuses. On peut juger de ce mouvement à partir du démantèlement progressif des hôpitaux psychiatriques, ou le développement des soins ou de l’éducation « à domicile » ou à temps très partiel (dans ce dernier cas, les accompagnements sont pris en charge souvent, par… la famille).
Le travail avec les familles paraît pourtant frappée d'une contradiction fondamentale: au fur à mesure que la famille devient en elle même un objet d'étude, de soins et d'éducation, elle devient du même coup de plus en plus exclue de l'action citoyenne ou politique. Les structures familiales risquent même à l'inverse de se rigidifier et de s'uniformiser, aboutissant à l'élimination ou à la disparition totale des formes familiales les plus originales telles que les familles agrandies, recomposées, ou les plus ouvertes.
Le travail avec les familles risque ainsi de porter en lui la fin de cette souplesse qui justement a suscité la reconnaissance de son importance. Seules font exception toutefois, les formes de travail de type communautaires visant à développer les capacités des familles à s'emparer et à contrôler les lieux d'éducation et d'accompagnement social qui leur sont proposés, telles que « Le travail avec les groupes ».
Par Laurent Ott,
Éducateur et enseignant,
docteur en Philosophie,
Co-fondateur de l’Association
INTERMEDES
Le contexte socio-éducatif que nous connaissons est de plus en plus traversé
de logique sécuritaire, d'une part et marqué par la peur des professionnels
d'être incriminés s'ils se lancent dans des actions "qui sortent du cadre",
d'autre part.
La conjonction de ces deux phénomènes aboutit ainsi à décourager dans à
peu près tout le paysage éducatif, l'initiative sociale et éducative en général.
Face à autant de peurs, de craintes et de contraintes, et parce que l'on est
conscient que c'est justement l'éducation et la prévention en tant que pratiques
nécessairement engagées et volontaristes qui se trouvent menacées par ces tendances
actuelles, il est urgent de réaffirmer que tout projet éducatif repose, en fait,
sur cinq prises de risques minimales dont les conséquences et les conditions
préalables doivent être prises en compte:
Permettre la rencontre, comme préalable à tout travail éducatif semble aller
de soi et couler de source; mais comment peut on encore rencontrer des personnes
ou des jeunes de façon normale et naturelle aujourd'hui? Quels professionnels
et surtout quels non professionnels sont ne mesure de rentrer spontanément en
relation avec les enfants en bas des immeubles? Or aujourd'hui, le seul contact
inattendu que l'on propose à ces enfants semble bine être celui de la police
diligentée pour disperser les attroupements et renvoyer les gamins chez eux.
Suppose-t-on que ce type de rencontre enfants/ adultes, spontanée et normale
aurait lieu ailleurs, dans des institutions nombreuses et bien dotées en moyens
et personnels, et que (donc) il n'y aurait nul besoin de permettre ces échanges
en milieu ouvert? C'est méconnaître gravement que les institutions qui accueillent
les enfants d'aujourd'hui, qu'elles soient scolaires, sociales, de loisirs,
culturelles ou sportives sont centrées autour d'objectifs internes de plus en
plus contraignants, qui monopolisent toute l'énergie et l'attention des professionnels.
Ce qui est perdu, chemin faisant, c'est l'occasion de al parole libre et gratuite
avec l'enfant. D'ailleurs de plus en plus d'enfants, en milieu populaire du
moins, ne fréquentent plus qu'épisodiquement de telles structures, enregistrant
dans leur mode de fréquentation "zapping", ce morcellement de la relation
éducative qui caractérise de plus en plus ces lieux.
Permettre la rencontre est devenu juridiquement et socialement de plus en pus
risqué. C'est peut dire qu'il faut affronter le soupçon, surtout quand on est
un homme, et qu'on se propose d'aller à la rencontre des enfants& Pour sortir
les adultes près à rétablir leurs relations avec les enfants, il faut les aider
à sortir de la clandestinité et à s'organiser; il faut donner dans les quartiers
des crédits pour les habitants qui souhaitent proposer tel ou tel atelier, telle
ou telle activité; il faut permettre à ces habitants d'être aidés, encouragés
et soutenus par des équipes professionnelles, qui connaissent bien le quartier
et qui rassurent les adultes sur la faisabilité de leur initiative.
Prendre le risque d'une parole vraie, c'est prendre le risque d'une parole gratuite;
c'est encourager l'établissement de relations éducatives globales, prenant en
compte l'enfant comme un tout et ne bornant pas la relation entamée à des objectifs
parcellaires dans lesquels les enfants un jour ou l'autre, ne se reconnaissant
plus: réussite scolaire, sportive ou musicale&
Prendre le risque d'une parole vraie, c'est dégager la relation éducative, pour
le professionnel comme pour l'enfant, de ce qui était convenu: on ne joue plus
son petit rôle bien appris de "jeune des cités" ou "d'éducateur
social", voire de flic de service& Au contraire, on ouvre l'enfant
à une relations qui lui apporte la découverte d'autres adultes, d'autres horizons,
d'autres futurs, d'autres possibles sociaux et personnels. C'est énorme, c'est
indispensable et c'est devenu de plus en plus nécessaire car les groupes sociaux
et même les groupes d'âge de nos jours ont tendance à se replier sur eux mêmes
et à exclure la confrontation à l'autre, permise par la parole, quand elle ne
se perd pas dans l'insulte.
Mais prendre le risque d'une parole est un vrai risque; pour l'adulte, professionnel
ou volontaire qui accepte, au moins, partiellement de sortir de son rôle et
de sa fonction, pour se mettre en jeu, pour l'enfant; cela n'est pas sans conséquences
sociales, car il faut donner des lieux et des espaces pour ces rencontres: espaces
urbains aménagés, locaux résidentiels plus nombreux et animés, espaces de service
de proximité qui imposent la rencontre et la réunion de résidents, etc.
Aujourd'hui la "durée de vie" des intervenants auprès d'enfants donnés
n'a jamais été aussi courte; cela ne serait pas grave si les phénomènes de al
vie urbaine et l'évolution de la famille ne démultipliaient pas par ailleurs
le sentiment de morcellement et de solitude qui en découle!
Aujourd'hui, durer est un luxe mais c'est aussi, dans le domaine de l'action
sociale et éducative, un exploit! En effet, pour qu connaît les difficultés
de financement et de pérennisation des initiatives sociales dont l'intérêt et
le caractère innovant est paradoxalement souvent salué, la durée de l'action
et de l'initiative sociale, éducative de proximité paraît bien inaccessible:
subventions réduites ou remises en cause année après année, subventionneurs
qui se défaussent les uns sur les autres, ou qui font carrément "leur marché"
de la fraction d'action qui les intéresse dans le projet global; bref, il existe
une multitude de moyens pour les subventionneurs et les pouvoirs publics décentralisés
ou déconcentrés pour nier, ignorer ou faire avancer les structures vers une
"mort douce" par coupure des moyens ou épuisement des initiateurs&.
Et pourtant, aujourd'hui, il vaut parfois mieux ne rien proposer aux enfants
qui subissent tant de séparations et de morcellements de leurs relations avec
les adultes (sauf les quelques uns avec lesquels, par contre-coup, ils se trouvent
trop enfermés), si on ne peut pas rester au moins 5 ou 10 ans dans leur vie.
Aujourd'hui, la durée est un concept révolutionnaire et en matière d'éducation,
aussi, il faut promouvoir le concept de "développement durable", c'est
à dire d'une action dont le caractère éphémère ne va pas venir annuler les quelques
bénéfices produits par épuisement, découragement et perte de valeur dans la
parole de l'adulte.
Pour cela, bien sûr, il faut une nouvelle fois faire sortir les promoteurs et
les initiateurs du non droit et leur permettre de rencontrer des collectivités
et des institutions dont le pouvoir de nuisance doit être contre-balancé par
celui de soutenir durablement et efficacement! Or, les contrats pluri annuels
ne répondent, même à ce jour, que très partiellement à cet objectif car ce financement
pluri annuel ne concerne en général que des "fractions" de l'action
et non sa globalité qui seule, assure al cohérence.
C'est peu dire que nous nous trouvons envahi par une culture de "juridification
des rapports sociaux" qui bouleverse le paysage des pratiques sociales
et éducatives; que d'activités, de sorties, de rencontres, de fêtes, on annule
au motif que les initiateurs potentiels ont peur d'être mis en cause "si
ça tourne mal". Bien entendu, les conséquences de la généralisation de
ces attitudes amènent une dégradation des relations entre les professionnels
et les usagers qui aboutira ainsi de suite à de nouvelles rigidités&. Le
serpent se mord la queue et s'empoisonne tout doucement.
Bien entendu, tout cela est hypocrite et ce que l'ion refuse de faire avec les
enfants, dans un cadre aménagé, encadré, sécurisé, on condamne ces mêmes enfants
à en faire l'expérience "sauvage" par leurs propres moyens, et pire
encore, dans la cachette et la clandestinité. Quel dommage que la solitude,
l'ennui et l'isolement ne soient jamais mis hors la loi!
Eduquer au risque est bien entendu, la seule méthode effective et affective
d'éducation au risque et à la responsabilité des enfants; oh, je ne plaide pas
pour des initiations coûteuse pour des sports dangereux, soit disant initiatiques,
mais en vérité profondément déshumanisés, encadrés et à l'intérêt plus que faible;
c'est d'une véritable éducation au risque de la vie quotidienne que nous avons
besoin actuellement et le moyen de celle ci ne se trouve que dans l'accompagnement
durable des enfants dans leur cadre de vie, par des éducateurs, ouverts, présents,
disponibles, souvent là et longtemps.
Permettre cette éducation, qui est aussi une éducation à la responsabilité et
la seule éducation citoyenne qui mérite son nom (et qui ne s'épuise pas en leçons
de morales ou en affichage de bonnes attentions), c'est changer radicalement
la mentalité professionnelle des intervenants socio-éducatifs, c'est réaffirmer
comme essentiel la notion de temps pour connaître réellement et complètement
l'enfant, de disponibilité pour lui permettre de venir quand il en a besoin
et non pas quand l'institution le demande, d'ouverture pour accepter de prendre
l'enfant et ce qu'il vit comme un "déjà là" qu'il s'agit de faire
évoluer, plus que comme une situation à juger et évaluer.
Bien entendu, pour cela, les intervenants sociaux , bénévoles et professionnels
ont besoin d'être protégés, encouragés par les pouvoirs publics et vis à vis
d'eux aussi, il est temps de passer du soupçon à la reconnaissance.
Notre société devient de plus en plus intolérante; tout y prend valeur de drame
et d'illustration d'un délitement de al civilisation que nous promettent de
piètres penseurs et philosophes de salons!
Des enfants, des adolescents se trouvent chaque jour, enfermés précocement dans
une image dégradée d'eux mêmes qui ne tarde pas à se muer en véritable statut
de délinquant. Bien entendu, cette rigidification des rapports sociaux ne se
remet jamais en cause; pire elle prend ses résultats catastrophiques d'encouragement
à l'intolérance réciproque pour des preuves et une justification de son nécessaire
développement! C'est donc une maladie sociale qui se répand, et qui malheureusement,
pour des raisons électorales à courte vue, se trouve encouragée par ceux, responsables
politiques qui devraient plutôt en être les médecins.
Or, il ne peut y avoir d'acte éducatif qui puisse exiger en retour de l'enfant
ou de la personne concernée un plein accord, une solide reconnaissance et une
totale soumission. Pire, on oublie au passage que les enfants dociles dont rêvent
les adultes et particulièrement les éducateurs, deviennent en général, comme
le soulignait déjà Korczac, des adultes veules et lâches.
Au contraire, les enfants qui "résistent", ceux qui "accrochent"
refusent, développent probablement chemin faisant une image positive d'eux mêmes
qui leur permettra de devenir autonomes et capables de penser par eux mêmes;
de plus en plus, l'objectif de "casser" les enfants meneurs, difficiles,
pénibles se vulgarise et se répand bien au delà des salles des profs; il n'est
pas rare d'entendre de tels objectifs dans la bouche de politiciens, et même&de
soit disant chercheurs ou spécialistes. Or, on ne le dira jamais assez, si on
"casse" ces enfants, on cheville définitivement la haine en eux et,
de plus, on les livre directement aux groupes et aux idées les plus violents
et intolérants.
Laurent OTT
enseignant et éducateur à Longjumeau (91)
[1] Pour plus de renseignements sur la Maison Robinson, action de l’Association INTERMEDES, contacter :
Association INTERMEDES/ Maison Robinson. Logement 117.
C2 La Villa Saint Martin, 91 160 Longjumeau.
Tel : 01 64 48 60 61 Mob : 06 03 01 15 43 Mél : intermedes@wanadfoo.fr Site : http://assoc.intermedes.free.fr/
[2] Nous avons défini le travail en milieu ouvert, tel que nous l’appliquons par un certain nombre de choix de travail :
- libre adhésion et initiative de l’enfant de venir ou de repartir
- gratuité totale et simplicité maximale de l’action
- accueil toujours en groupe d’âge hétérogène
- Principe d’investissement durable de la part des adultes, dans les actions et les rencontres.
[3] Le terme pyramide renvoie à une distribution des effectifs des enfants accueillis selon leurs besoins tels que nous les percevons : en bas de la
pyramide nous avons à peu près 200 enfants, au « milieu » à peu près 100 et au sommet, une vingtaine. Il est à noter que nous n perdons presque jamais
contact avec les enfants , même devenus adolescents (sauf déménagement lointain brut, sans retour de visite). Par contre, en fonction de leur évolution
personnelle, les enfants peuvent prendre un peu de distance avec la structure par périodes pour revenir plus tard. De ce point de vue, les chiffres de
fréquentation cachent un nombre en réalité plus élevé d’enfants concernés au total.
[4] C’est également ce souci qui nous a amené à financer en fonds propres un programme d’évaluation externe des effets de notre action
(actuellement en cours) auprès de l’AFRESC (Association de Formation Recherche en Santé Communautaire que nous mettrons en ligne sur notre site.
[5] Et de lutter ainsi, à notre échelle, en tant qu’adultes et citoyens contre un destin social d’enfermement, de mimétisme, de filtrage et
d’incommunication et de désertification des espaces sociaux, qui nous semble découler du progrès constant de l’idéologie de marchandisation du monde et
des personnes.
[6] Ce qui ne veut pas dire que nous n’imposons jamais aucune rupture ; au contraire, nous amenons souvent les enfants à rompre avec les
groupes en général non choisis dans lesquels ils sont souvent « enfermés ». Au contraire, nous essayons de les introduire dans des collectivités qui laissent
toute leur place aux personnes. Mais nous ne faisons pas de cet objectif un préalable ; bien au contraire, nous partons toujours des enfant tels qu’ils nous
arrivent : sans parents quelques fois, et accompagnés de ceux qu’ils auront pu trouver jusqu’ici, en attendant mieux pourrait-on dire. En accord avec
Bettelheim, nous pensons qu’il vaut toujours mieux, contre le proverbe être mal accompagné que seul.
[7] La Maison Robinson de Longjumeau est une structure socio-éducative de l’association Intermèdes, ouverte depuis 1999 et qui salarie
actuellement une équipe de cinq « éducateurs-intervenants socio-éducatifs » (de formations initiales diverses).
[8] Cf. Ott (2001/2003) et Ott (2002). On peut aussi trouver des textes de présentation, de bilan et d’actualité de l’action sur :
[9] Il y a dans l’emploi du terme de « permanence » un caractère d’implication volontaire que l’on relève également dans celui de « permanent ».
Les acteurs de structures généralement militantes, telles que les lieux d’accueil/lieux de vie se désignent plus volontiers comme des « permanents » que
comme des travailleurs sociaux ; il ne s’agit pas tant d’un déni de professionnalité, souvent revendiquée par ailleurs, que de manifester la forte proximité
dans laquelle ils se sentent vis-à-vis du projet du lieu ou de l’équipe.
[10] On conclut généralement de ce type d’assertion une certaine négligence et un manque de responsabilité de la part des parents ; cette
perception n’est pas toujours exacte, la famille pouvant souvent, sous d’autres aspects, manifester un intérêt et un souci certain de l’enfant. Il ne faut pas
mésestimer, pour comprendre ce type de phénomène, les facteurs physiques et psychologiques de certains parents qui font qu’ils se retrouvent parfois,
qu’ils le souhaitent ou non, hors d’état d’empêcher physiquement un jeune enfant de sortir. C’est le cas, par exemple, de certains parents invalides, obèses,
ou qui éprouvent de grandes difficultés à se déplacer.
[11] Le caractère quotidien et concret de l’action de la Maison Robinson explique pour une grande part son succès ; il s’agit en effet d’une structure
éducative qui ne se limite pas à des accueils séquentiels mais qui assure une présence visible et manifeste dans l’environnement direct des enfants comme
des parents. Il est ainsi plus facile, de « pouvoir compter » sur une équipe et une structure que l’on rencontre quotidiennement et que l’on peut facilement
contacter, surtout quand cette équipe met en avant le caractère durable (théoriquement) de cette présence locale.
[12] Le caractère communautaire du travail de la Maison Robinson se manifeste d’une part, par la faible distance parents/ professionnels et d’autre
part par une valorisation évidente du caractère collectif des groupes de projets et le mélange recherché des âges ; il est à noter que le terme
« communautaire » a en France, une très mauvaise presse et est en général perçu comme une apologie implicite des phénomènes de replis
« communautaristes ». En pratique, il n’en est évidemment rien et une démarche communautaire respectueuse de tous est évidemment possible.
[13] « La contrepartie, ou plus exactement le pendant de cette gratuité, ce qui fonde à notre sens l’action de la Maison Robinson, c’est précisément cette possibilité que
chaque enfant, chaque parent vienne non pas en usager, en consommateur, mais en donateur. Contrairement à la philosophie du service, la Maison Robinson passe ainsi de la position de
donateur (offreur de service) à la position de donataire (la Maison Robinson reçoit de la part des utilisateurs). M. ne vient pas pour prendre, mais pour donner. Les enfants que nous
avons côtoyés n’avaient pas d’attitude consumériste. Il nous a semblé qu’ils venaient là pour être là, être reconnus, rencontrer d’autres enfants, rencontrer des adultes. Y compris dans
les activités de rue (ludothèque par exemple) où l’activité est plus un prétexte (à la rencontre et à l’échange) qu’un but(…) » (Rapport d’évaluation de la Maison Robinson, par
l’AFRESC.)
[14] Un travail d’évaluation de la Maison Robinson par l’AFRESC, « Association de Formation et de Recherches en Santé Communautaire » ,
association indépendante, fondée en 1987 et dirigée par M Michel Bass, médecin de santé publique et anthropologue, a été conduit entre janvier et juin
2002. Il a donné lieu à la remise d’un rapport consultable sur le site de l’association.
[15] « Le travail des “éducateurs” n’est pas du tout vécu comme une intrusion par les familles, il n’y a pas de suspicion de contrôle social. La
confiance dont nous ont fait part les personnes interrogées est née du rôle que la maison Robinson a joué dans leur histoire personnelle.
Les parents ne vivent pas non plus les “éducateurs” comme des concurrents éducatifs mais comme des soutiens , des relais … prolongeant leur rôle de
parent .. » ( Rapport d’évaluation, p. 15).
[16] Le sens de travail en partant des enfants pour aller vers les parents est absolument fondamental. Il permet de renouveler la pensée du soutien
de la parentalité et de sortir du ghetto socioculturel dans lequel se sont enfermés de nombreux lieux spécialisés qui pré-supposent quand même une bonne
connaissance des dispositifs, une démarche élaborée et une capacité d’initiative de la part des familles concernées.
[17] On comprend à ce stade l'impérieuse nécessité pour notre action de s'attacher essentiellement à donner ou redonner une image positive des
parents et des enfants et à un grand respect a priori pour les familles. Sans cela, une telle démarche deviendrait par trop intrusive.
[18] L'interdiction que le bénéfice de l'action ne se répartisse pas au sein du groupe mais s'ouvre sur l'extérieur permet aux groupes ainsi créés de
ne pas être de simples « bandes », clans ou clubs. En cela, les expériences groupales que nous cherchons à développer proposent aux enfants quelque chose
qu'ils ne connaissent souvent pas, à savoir de contribuer à un collectif organisé et socialisé (qui n'est ni le collectif imposé de l'école, ni celui tout aussi
imposé de la rue).
[19] De ce point de vue, le couple de parents divorcé constitue l'idéal même libéral de la Famille: chaque parent consomme en effet davantage (on
achète tout en double pour les enfants, en cas de garde alternée) et reste pour autant quasiment entièrement disponible pour les déplacements et les
reconversions éventuelles.
[20] "Comment interpréter la redécouverte subite des "solidarités familiales"?, qui n'ont rien de nouveau sinon comme un appel à la contribution
financière des familles? La frontière entre sphère privée et sphère légitime publique serait-elle en train de bouger dans le sens d'un renvoi de la famille à
elle-même?", s'interrogeait le sociologue Michel Messu lors d'un Colloque intitulé "Les implicites d la politique familiale", organisé par le CEDIAS et
l'UNAF et tenu les 8 et 9/04/ 1999 à Paris (ASH N° 2121 du 28/05/).
[21] Ce type de raisonnement paraît encore honteux à la plupart des européens. Il n'en va évidemment pas de même aux USA, où certains courants
ultra libéraux réclament la fin des aides sociales, distribuées majoritairement aux populations noires au motif que ces populations ne seraient finalement pas
victimes d'un système injuste mais plutôt d'inégales compétences… Or, pour ces groupes, les inégalités pour peu qu'elles puissent être qualifiées de
"naturelles" devraient échapper à tout système de compensation.