Florilège d’interventions
en libre copie
Nota : ces textes sont en libre copie, sous couvert d’en préciser la source pour tout usage, comme suit :
"Auteur: Laurent Ott/ ; http://fondation.intermedes.free.fr/ ".
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Interventions au cours de colloques
ou de journées d’étude
Quelle prévention pendant l'enfance?
(quelles stratégies pour prévenir la primo délinquance?
DEI France- Assemblée Nationale
Samedi 16/11/02
par:
Laurent OTT,
Nécessités
des pratiques de prévention pendant l'enfance
Quand on parle de prévention pendant l'enfance, traditionnellement, il s'agissait le plus souvent de prévention secondaire, c'est à dire centrée sur des fléaux sociaux et non sur les personnes qu'il s'agit. Ce constat peut paraître surprenant: alors que l'on connaît depuis longtemps le fait que l'enfant ne peut être accessible qu'à des actions éducatives qui prennent en compte sa globalité et son histoire, on s'évertue encore à décliner les ambitions en matière de prévention selon des modalités partielles et atomisées.
On a beaucoup parlé ces dernières années de prévention de ceci ou de cela et notamment abondamment de prévention des mauvais traitements ou abus sexuels sans se demander si de tels objectifs relèvent en fait véritablement d'un souci sincère de prévention ou s'ils ne concernent pas une simple recherche de dévoilement, ce qui n'est évidemment pas la même chose.
L'école a souvent été sollicitée pour servir de terrain de campagne pour la prévention de tel ou tel fléau. Les enseignants ou bien, certains intervenants sont censés, par exemple, y dispenser des actions dites de prévention sur à peu près tout: tabac, alcool, drogues, maltraitance et abus sexuels… La prévention est ainsi un terme qui progressivement a envahi l'école au moment même où c'est l'éducatif qui n'y faisait plus consensus, voire qui y perdait de plus en plus de place.
Quelle place reste-t-il, en effet, pour un véritable travail de la relation,
par exemple à l'école à l'heure où on parle de retirer des classes les enfants
en difficulté?
Quelle place
reste-t-il en dehors de la Famille pour une ambition éducative pour les enfants
d'aujourd'hui?
Pire est encore ce à quoi on assiste aujourd'hui, toujours dans le flou des concepts: à entendre certains responsables politiques, la présence ou l'omniprésence de policiers à proximité des lieux de vie des enfants constituerait une forme de "prévention". De même la sanction, la répression, quand elles sont immédiates pourraient également prétendre relever de cette dimension. On nage ici en plein non sens et si on commence à parler de répression préventive, autant dire qu'on a oublié ce que le mot prévenir pourrait dire…
Il est donc devenu bien urgent et nécessaire de réaffirmer et de marteler que, si l'enfance a besoin de prévention, ce n'est pas sous n'importe quelle forme: c'est bien le renforcement des facteurs de protection personnels, la construction de l'identité et de l'estime de soi qui constituent une ambition en matière de prévention qui soit à la fois pertinente, suffisante, nécessaire et ambitieuse!
Or si cette remarque me paraît s'imposer sur le plan du bon sens, elle me paraît par ailleurs de plus en plus urgente quand il s'agit de prendre en compte les conditions de vie des enfants modernes; en effet, la situation de vie des enfants dans les pays occidentaux et en milieu urbain nécessite de plus en plus la mise en place de dispositifs éducatifs cohérents et globaux tout simplement parce que leur vie est de plus en plus déliée et émiettée.
instabilités
environnementales
C'est un lieu commun mais pourtant une réalité de rappeler que les enfants d'aujourd'hui en milieu urbain connaissent de plus en plus de ruptures; celles ci peuvent être dues à l'accroissement constant ou maintenu de l'exode des générations vers de nouveaux cadres de vie: il s'agit là de mouvements mondiaux de déracinements collectifs. Mais les ruptures sont également familiales, quand elles mettent en scène l'éloignement des parents de leur propre famille d'origine; elles sont enfin liés à des histoires de vie: valse des intervenants sociaux et éducatifs dans la vie des enfants, déménagements successifs liés à des ruptures, des promotions, des rapprochements, éloignement des nourrices, des copains, des écoles, séparation des parents, ou des compagnons d'un moment: jamais la vie des enfants des enfants comme celle des adultes d'aujourd'hui n'a tellement été placée sous le signe de la séparation.
Instabilités
institutionnelles
Or, le fait que l'enfance soit devenue une préoccupation constante et une valeur absolue sur le plan de la société n'a pas semblé très efficace pour protéger l'enfant de l'isolement et des conséquences de ces pertes de repères à répétition. En effet si le degré d'exigence concernant la qualité des interventions auprès des enfants n'a cessé d'augmenter sur un plan technique et procédural dans à peu près tous les lieux qu'il peut avoir à fréquenter, la cohérence entre ces interventions, le souci de leur durée, leur suivi à long terme sont complètement négligés par les politiques publiques et éducatives actuelles (du moins en France) et ce à n'importe quel échelon, local ou national.
Pire, la demande de qualité en matière de pratiques éducatives, qui s'est traduite par une professionnalisation croissante des intervenants, un développement continu des moyens et des structures semble avoir abouti à perdre de vue toute ambition éducative globale et durable centrée sur la personne, au bénéfice unique de la qualité et de la sécurité des pratiques dispensées.
Sauf à être complètement isolés (ce qui arrive plus souvent qu'on ne croit) les enfants d'aujourd'hui, en milieu urbain, au moins, sont appelés à côtoyer une multitude d'intervenants durant leur enfance: ceux ci s'occuperont de toutes sortes de sports ou d'activités, d'autres de cultures et de loisirs, certains encore de sa santé; bien entendu, au centre il y a l'école qui a tendance à tout grignoter et à mettre toutes les autres structures à son service… Pourtant, combien d'interlocuteurs se maintiendront dans la vie de l'enfant au delà de quelques années? Quels interlocuteurs connaîtront autre chose de l'enfant que ce que leur cadre d'intervention leur donne à voir?
Il s'agit bien là d'un manque réel et cruellement ressenti par les enfants d'aujourd'hui; c'est d'ailleurs la recherche par les enfants eux mêmes de relations durables avec des adultes réellement investis auprès d'eux, et non de simples spécialistes, qui explique le succès sans cesse rencontré par les actions éducatives en milieu ouvert (dont il sera question plus bas).
perte
des pratiques d'éducation communautaires
Il est aussi nécessaire de signaler la perte constante d'influence des grands mouvements éducatifs qui on permis aux générations passées d'enrichir considérablement le potentiel éducatif des familles et des collectivités (alors plutôt absentes de ce terrain).
Qu'il s'agisse de mouvements confessionnels tels que les divers patronages, plus larges tels que les mouvements scoutes ou même d'organisations politiques telles que les jeunesses communistes, il existait bel et bien, du moins en France, de solides traditions éducatives communautaires qui ont imprégné des générations.
Or celles ci, ce n'est pas un scoop sont en baisse constante d'influence; on a souvent évoqué pour expliquer ce mouvement de repli, la fin ou la baisse d'influence des idéologies et la montée en puissance de l'individu isolé. Par ailleurs ces mouvements quand ils continuent d'exister sont souvent mis en péril par la montée en puissance des réglementations en matière d'accueil d'enfants, par la recrudescence des procès et des mise en cause personnelles, etc.
Il ne s'agit évidemment pas de regretter que des dispositifs laïcs et démocratiques aient pris la place des initiatives de certains groupes sociaux; mais pour autant, il faut bien reconnaître que si les collectivités territoriales ont su développer des pratiques éducatives beaucoup plus professionnelles, il en a découlé une perte certaine sur le plan de l'existence d'un projet éducatif , collectif, vivant ( et partagé par des adultes vivant et agissant dans la société qui les entoure) et que c'est bien ce manque que les enfants d'aujourd'hui sentent et mettent en cause…
Repli
de l'école en France sur des pratiques strictement cognitives
L'école est au centre de la vie de l'enfant. Par un énorme tour de passe-passe , elles est également de plus en plus au centre de la vie de leurs parents au point que pour les parents leur enfant est en train de devenir … un élève. Il n'est pas rare de rencontrer des parents souvent issus de milieux défavorisés qui comptent priver de jouets leurs enfants à Noël alors qu'ils adorent les gâter car les résultats n'étaient pas à la hauteur ou que l'école se plaint de leur comportement… Et il n'est pas rare de rencontrer non plus des enseignants pour trouver le procédé certes exagéré mais dans l'ensemble plutôt heureux.
C'est que l'école a pris la place d'un projet éducatif de société aujourd'hui absent. La réussite individuelle sanctionnée par l'école est devenue l'unique horizon, l'unique ambition d'une société donnée pour ses jeunes.
Pire, on ne remarque pas assez le curieux renversement conceptuel qui a fait de l'école son propre but; elle n'est plus comme le devrait se mettre parmi d'autres (parents, environnement, autres professionnels) au service d'un projet de co-éducation global, elle devient à elle même son propre objectif et au passage mobilise tous les autres intervenants pour son service. C'est ainsi que l'on envenime, de plus en plus couramment, les rapports des enfants avec leurs parents à force de convoquer ces derniers et de les mettre sous pression.
Or, au même moment où l'école devient le centre de la vie de l'enfant et accessoirement le but y compris de la famille elle- même (et ce encore davantage dans les milieux les plus défavorisés), celle-ci, en France particulièrement, abandonne de plus en plus la mission d'éducation qui pourtant a toujours été la sienne depuis ses origines.
Depuis 1984, en France, comme le remarquait M Meirieu dans un article paru dans le Monde du 24 février 1996 décrivait parfaitement le processus dans ces 3 composantes caractéristiques et complémentaires:
rétrécissement des ambitions de l'école vers des savoirs fondamentaux minimaux et en tout cas vers une zone d'intérêt exclusivement cognitive
éjection en dehors de l'école, vers les parents ou l'extérieur de la tâche d'éduquer l'enfant,
annexion de l'environnement de l'enfant pour le mettre au service de la réussite de l'institution .
On peut mesurer aujourd'hui combien cette analyse est encore pertinente et comment ce même mouvement se perpétue encore.
On voit également combien ce constat, ce déni d'éducation, peut éclairer d'un sens tout à fait différent et intéressant la question de la violence ou de l'incivilité dans les institutions scolaires.
Il faut cependant remarquer que ce reflux de l'ambition éducative de l'école s'accompagne de la dénonciation du comportement des enfants et des adolescents dans ces mêmes établissements. On ne cherche plus, semble-t-il à savoir pourquoi, les adolescents ne veulent plus venir au collège… On cherche plutôt comment mieux convoquer leurs parents s'ils sèchent, et comment les orienter ou les exclure plus rapidement.
Critiques
des pratiques actuelles de prévention pendant l'enfance
incohérence
de la notion de "campagne de prévention"
Le dernier exemple, à savoir la pratique des campagnes d'informations dans les écoles, qui emprunte malheureusement au terme de "prévention", illustre particulièrement, la conception courante de ce que peut être une politique de prévention pendant l'enfance.
Il y a en effet dans le terme de campagne de sensibilisation et dans les pratiques qui l'accompagne tout un ensemble de conceptions contradictoires avec le souci de prévention. La prévention et surtout pendant l'enfance ne peut pas faire l'objet d'une campagne: une campagne suppose une action dirigée et orchestrée de l'extérieur alors que la prévention suppose la construction de défenses en interne.
Une campagne est la même pour tout le monde alors que la prévention ne peut venir prendre sens, pour un sujet donné, qu'en éclairant sa propre expérience de la vie ainsi que l'image de soi . C'est dire que la véritable prévention ne peut naître, et se développer que dans le cadre d'une relation, pré existante et plus importante qui lui donne tout son sens. On est bien là à l'opposé du concept et des pratiques d'une campagne; les campagnes ne peuvent au mieux faire que de la sensibilisation à l'aveugle c'est à dire sans savoir, sans prévoir comment elles seront reçues.
C'est dire au passage la vérité élémentaire que la prévention ne peut pas se donner comme une information et encore moins comme un cours ce qui invalide par exemple le fait de toujours rechercher à ce qu'elle ait lieu dans les écoles telles qu'elles sont aujourd'hui. Pour que l'école puisse réellement contribuer à une véritable politique en matière de prévention globale pendant l'enfance, on voit ce que cela nécessiterait comme remise au premier plan des objectifs éducatifs et relationnels aujourd'hui sous le boisseau.
Pire, on peut se questionner et même redouter les effets des campagnes actuelles de sensibilisation contre les abus sexuels par exemple ou contre le SIDA qui ont pris tout simplement la place d'une éducation sexuelle aujourd'hui défaillante: on est bien là au cœur d'un déni d'éduquer. Sans éducation préalable, toute ambition de prévention est illusoire.
inadaptation
des pratiques traditionnelles des "clubs de prévention"
Si l'école ne peut s'acquitter telle qu'elle est de la mission de prévention, qu'on lui délègue pourtant sans trop y croire, on pourrait penser que dans les quartiers qui bénéficient d'un "Club de prévention", ce dernier remplirait tout naturellement cette mission.
Sur le plan des pratiques actuelles des clubs de prévention, je ne connais que le contexte français et je ne prétends donc pas généraliser au delà.
De ce que je connais je peux dire combien les pratiques actuelles des clubs de prévention ne leur permettent pas d'établir des relations durables et adaptées aux enfants entre 6 et 13 ans. Certains clubs de prévention se sont alarmés de cette inadéquation dont je décrirai les causes plus bas et ont été amenés à développer des actions spécifiques vers cette tranche d'âge; quand ils l'ont fait, ils ont en fait été amenés à développer des pratiques radicalement différentes de celles qui sont développées pour les adolescents ou les jeunes adultes, ce qui aboutit donc bien à la création d'une nouvelle pratique de prévention.
Les clubs de prévention, en France, sont de plus en plus sollicités pour accompagner des individus de plus en plus âgés en mal d'insertion dans le tissu social et qui cumulent souvent de nombreuses difficultés. Comme il s'agit souvent de jeunes en conflit avec leur famille et leur environnement , les pratiques développées pour les accompagner par les équipes relèvent le plus souvent de la médiation des conflits.
Beaucoup d'énergie est aussi dépensée pour aider le jeune à se reconstruire un projet personnel et professionnel de vie, ainsi qu'à l'accompagner dans certaines démarches ou mesures. On travaille également beaucoup par rendez- vous, par téléphone, par rencontres, par présentations, par visites.
Or, ces pratiques sont complètement étrangères aux besoins des enfants entre 6 et 13 ans; entre 6 et 13 ans, en effet, les enfants n'ont pas tant besoin de médiation des conflits entre eux et leur milieu que de renforcement concret de celui ci; ils n'ont pas tant besoin de rendez vous que de présence au quotidien, pour être là, pour compter. Ils n'en sont pas encore à se construire un projet de vie mais ils ont par contre besoin qu'on les écoute exprimer ce qu'ils ressentent de la vie qu'ils ont.
Travailler en prévention auprès d'enfants ne peut se faire depuis un club; c'est en bas de leur immeuble, en se mettant à leur portée géographique mais également en rentrant dans leur temps c'est à dire en leur apportant permanence et périodicité qu'on arrive à constituer auprès d'eux, un cadre relationnel nécessaire. On ne reçoit pas sur rendez vous, ni sur projet, du moins pas en premier.
La "Maison Robinson de Longjumeau" travaille à un jet de pierre d'un club de prévention qui existait déjà depuis bien longtemps. Pourtant, il n'avait pas connaissance de la population qui est aujourd'hui la nôtre; parfois rencontrés comme petits frères des jeunes dont ils s'occupaient, les enfants étaient du point de leur pratique, trop éloignés pour être rencontrés pour eux mêmes.
Par ailleurs il faut également mentionner que de nombreux clubs de prévention se sont un peu égarés depuis les années 80 dans la recherche de la valorisation des "leaders". Beaucoup d'énergie a en effet été employée pour connaître, accompagner et aider les jeunes les plus populaires dans leur quartier, les caïds, ceux qui avaient le plus de prestige, au prétexte que si eux "s'en sortaient", les autres suivraient. On touche ici également à l'idée fondatrice des "grands frères". Or, il faut bien reconnaître que cette idée, a souvent polarisé trop de moyens et trop d'énergies autour de quelques individus dans certaines quartiers, alors que beaucoup d'autres adolescents bien plus discrets en auraient sans doute davantage profité.
Ceci n'est pas anecdotique; le travail dès l'enfance montre justement la nécessité de travailler d'abord avec tous pour s'assurer que l'équipe et la structure ne se ferme pas sur un groupe déterminé qui en chasserait les autres.
Spécificités des pratiques à construire
les
règles du milieu ouvert
A l'origine de notre structure de
"veille éducative", notre association s'est employée à rechercher,
analyser et capitaliser les diverses expériences d'actions innovantes en
direction des enfants entre 6 et 13 ans, dans leur milieu ordinaire.
Toutes les expériences réussies que nous
avons eu à connaître ne se donnaient pas forcément d'objectifs éducatifs ou
préventifs bien définis. Au contraire, elles étaient souvent issues du milieu
de l'animation et le plus souvent portées par une petite équipe consciente de
la valeur et de l'intérêt du dispositif trouvé mais souvent dans
l'impossibilité de le faire savoir ou reconnaître.
Les structures éducatives que nous avons
étudiées parce qu'elles avaient su contacter réellement et durablement une
population enfantine, locale, volontaire et non captive respectaient
toutes un certain nombre de critères
non dits et souvent empiriquement trouvés par leurs promoteurs, qui
correspondent en fait, selon moi, aux
contraintes des enfants visés.
Ces règles sont celles de l'action en
milieu ouvert; elles proviennent de la capitalisation de nombreuses expériences
tirées de l'animation généraliste et de l'intervention éducative hors
institution; elles me paraissent être au nombre de 3:
Travailler à partir de la
libre adhésion de l'enfant, c'est à dire de son droit de venir ou de partir
quand il le veut ou quand il le doit; les enfants ont de nombreuses
contraintes, il ne faut pas l'oublier…
Travailler dans la
gratuité et le don, sans quoi cette libre adhésion n'a pas de sens.
Accueillir un très large
éventail d'âges enfantins ensemble ceci afin de donner au groupe une dimension
coopérative grâce à cette hétérogénéité (relations verticales entre enfants) ,
mais surtout pour permettre aux enfants chargés de plus jeunes d'avoir tout
simplement le droit et le pouvoir d'être là!
Travailler dans la
durée, et c'est là le plus rare et le plus essentiel car comme le dit toujours
une amie, Anne Soley, créatrice justement à Paris d'une de ces structures,
"Si on ne compte pas rester 10 ans auprès de l'enfant, il vaudrait mieux
ne rien faire".
Contribuer résolument à
donner des enfants et de leurs familles que nous côtoyons une image positive;
c'est assez je crois aujourd'hui de tous ces professionnels, fonctionnaires ou
administratifs qui vivent des quartiers en produisant sans arrêt de ces
quartiers et de leurs habitants une image extrêmement péjorative,
Travailler sur 3 plans
qui sont en fait indissociablement liés: le grand collectif qui permet de
prendre contact avec la totalité de la population enfantine disponible,
travailler avec des groupes de projets et d'initiative sociale que nous
soutenons et accompagnons, et enfin dans l'accompagnement et la permanence éducative avec les individus
les plus isolés et les plus en difficulté,
Travailler au soutien de
la fonction éducative, avec les familles… mais dans un sens particulier: en
partant des enfants pour aller vers les
parents et non l'inverse…
Une
mise en pratique de ces principes: "la Maison Robinson de Longjumeau"
A Longjumeau (banlieue sud de paris- 91) , avec le soutien de partenaires publics (Conseil général, DDAS, CAF, Conseil régional) et privés (Fondation de France, Ligue Française de Santé mentale), nous développons un véritable programme de lutte contre la solitude enfantine et de soutien de la fonction éducative.
A cette fin, nous proposons aux enfants du quartier dans lequel nous intervenons une véritable "permanence éducative de proximité". Ils peuvent ainsi rencontrer 6 jours sur 7 nos intervenants et volontaires qui sont pour eux et pour leur famille autant de référents.
Notre programme alterne trois niveaux d'intervention strictement complémentaires:
des actions de rue, qui sont destinées à nous faire connaître l'ensemble des enfants du territoire: bibliothèques de rue, ludothèques de rue, théâtre de rue, etc. (180 enfants connus et rencontrés régulièrement)
des actions de soutien de groupes d'enfants porteurs de projets ou d'initiatives citoyennes, ou sociales (groupes préparant des spectacles, groupe journal, etc.) (50 enfants impliqués.
des accompagnements individualisés d'enfants particulièrement isolés ( 15-20 enfants concernés).
Nous envisageons notre action à long terme; à la différence des institutions traditionnelles, nous pouvons suivre les enfants tout au long de leur évolution et de les accompagner encore durant leur adolescence sous d'autres formes.
Notre travail mêle volontairement la participation de volontaires, de parents et de nos seuls trois permanents salariés.
Nous nous efforçons par notre action de redonner à l'éducation des enfants une dimension publique, voire politique dans le bon sens du terme.
"Contre la solitude enfantine et parentale,
pour une co-éducation plus que jamais nécessaire."
Intervention au cours de la première Journée d'Etude
des Relais Parentaux 14 novembre 2002
Par
Laurent OTT,
éducateur
et enseignant,
Invité par les Relais parentaux à contribuer la réflexion sur ce qui, aujourd'hui, isole les familles, les enfants et rend difficile et conflictuelle la communication sociale, j'ai la tâche difficile de parler des causes, des comportements induits et des conséquences qui selon moi doivent être intégrées dans les pratiques éducatives d'aujourd'hui.
Je risque en effet cette affirmation contradictoire que la famille moderne, urbaine est à la fois de plus en plus seule, de plus en plus isolée mais également de plus en plus sollicitée, mobilisée, assignée et voire à présent réprimée, en matière d'éducation.
Présentation personnelle:
Avant de commencer, il est peut être utile que je me présente un peu; j'ai tour à tour été animateur, éducateur spécialisé au contact de diverses populations, enseignant; je suis actuellement directeur d'école en banlieue de Paris. Par ailleurs, je suis membre fondateur de l'Association INTERMEDES qui développe une forme d'accompagnement éducatif que nous nommons "veille éducative de proximité" que je vous exposerai un peu plus tard. Enfin, j'ai soutenu en juin 2002, une thèse de Philosophie intitulée "Crise de la famille ou crise de la pensée de la famille" à l'Université de Strasbourg.
Si je parle ici de ces différentes casquettes, c'est parce que je crois que le fait d'avoir travaillé de différents points de vue dans l'enfance est forcément en rapport avec le type de pratique éducative que je contribue à développer; pour le risquer rapidement, je crois que nous vivons une telle époque de morcellement des parcours de vie, des âges et des itinéraires que la pluridisciplinarité n'est plus seulement indispensable dans les structures, je crois qu'elle l'est aussi devenue chez les acteurs.
Quelques causes à cela:
l'Ecole a réduit régulièrement depuis 1984 ses ambitions éducatives pour se concentrer sur des "apprentissages fondamentaux" sans cesse réaffirmés.
Le développement du travail en horaire atypique, mais aussi pour d'autres raisons que je pourrais m'efforcer d'exposer, le développement du chômage et de l'emploi précaire ont réduit les possibilités de contact, de relations directes et d'accompagnement dans la vie courante des parents vis à vis des enfants,
Une baisse d'influence continue des grands mouvements d'éducation populaire mais encore religieux et politiques en direction des enfants est toujours en cours. Or ces mouvements assuraient une part non négligeable de l'éducation concrète et de l'accompagnement auprès des enfants, en même temps qu'une orientation pour la parentalité.
L'offre en loisirs et en culture des enfants se "marchandise" de plus en plus, c'est à dire qu'elle se spécialise et se fragmente sans arrêt.
Les parents et enfants des milieux les plus précaires et les plus isolés sur le plan social, géographique et culturel, intègrent à la lettre les effets pervers des campagnes de mise en garde contre les divers abus dont pourraient être victimes les enfants, au point de leur donner consigne de se retrancher sans cesse davantage des dispositifs d'animation et d'éducation.
Par crainte d'être stigmatisées comme démissionnaires par les institutions qu'ils redoutent toujours plus, les parents les plus démunis ne trouvent pas d'autre alternative que de se rigidifier, de devenir elles mêmes (à l'instar de la société) plus punitives, plus intolérantes vis à vis de leurs propres enfants mais surtout vis à vis des autres enfants et familles du voisinage. Cela vient alimenter une vie quotidienne conflictuelle dans laquelle prennent largement part les enfants.
Même si les parents se centrent de plus en plus sur leur progéniture au risque de mettre en péril leur couple, leur travail, leur insertion sociale, cela n'aboutit pas pour autant à améliorer leurs relations avec leurs enfants et ne les aide nullement quand il s'agit de faire des choses avec eux et de les accompagner dans la vie sociale.
Des conséquences sur les pratiques éducatives classiques:
L'ensemble de ces facteurs constitue un rétrécissement, et un émiettement de l'environnement éducatif vécu par les enfants. Ces derniers n'ont plus d'autre possibilité dans la vie quotidienne que la bande ou l'isolement et ce, malgré une amélioration constante de leurs niveau de vie matériel; ils ne peuvent plus que se donner à eux mêmes, mais dans la précarité et la solitude les expériences éducatives collectives mais aussi personnalisantes qu'on leur refuse par ailleurs.
Face à cette situation, il convient d'imaginer de nouvelles actions d'éducation propres à contacter, fidéliser les parents comme les enfants dans leur environnement direct.
Cette nouvelle forme d'éducation, d'intervention éducative doit avoir des qualités inédites: elle se doit d'être accessible à tous les enfants et à leur portée réelle, elle doit être durable, elle doit être préventive au sens le plus fort du terme, c'est à dire du côté du développement des facteurs de protection psychoaffectifs.
Il est en effet devenu nécessaire d'imaginer des formes d'action éducative qui:
Partent des enfants et ne contactent les parents que dans un deuxième temps,
Qui ne s'épuisent donc pas dans la convocation, l'analyse et l'étayage de la parentalité, mais qui au contraire prennent une part concrète dans la charge d'éduquer, à l'instar, justement de l'action des relais parentaux,
Qui concernent l'ensemble d'une population enfantine locale, sans se focaliser sur certains enfants et certaines familles,
Qui concernent un âge précis et oublié des pratiques classiques de prévention spécialisée: les 5 – 13 ans (voire de l'animation classique tout court en ce qui concerne la tranche des 10 – 13 ans)
Qui contribuent à un véritable travail de développement local, associant côte à côte enfants et adultes à la re-dynamisation de leur quartier; nous encourageons notamment les enfants à devenir les animateurs de leur quartier,
Tels sont les objectifs du programme de "Permanence éducative de proximité" de l'Association INTERMEDES qui depuis plus de quatre ans, à Longjumeau, fidélise à peu près 180 enfants et leur famille autour d'un accompagnement éducatif coopératif et durable.
Le mode simple mais rigoureux d'intervention de l'Association INTERMEDES
La "Maison Robinson de Longjumeau", est une action de l'Association INTERMEDES ; née à l'initiative de professionnels, militants, qui avaient eu l'occasion de travailler en milieu ouvert et de mesurer, de ce fait, l'énorme vide et besoin éducatif que connaissent nos quartiers, la Maison Robinson se veut un "programme de veille éducative de proximité".
L'idée est toute simple: mettre à la disposition des parents et des enfants d'un quartier donné, des référents éducatifs stables, accessibles, durables et "non accusateurs". Pratiquement, le programme de la Maison Robinson se décline sur 3 plans:
actions de rue, ouvertes à tous, -
groupes d'initiatives sociales pour parents et/ou enfants, soutenus et accompagnés par l'équipe, -
permanence quasi-quotidienne pour les enfants et les parents les plus fragilisés et isolés.
Cette ventilation de l'action de la Maison Robinson sur 3 plans est essentielle, chacun de ces plans étayant le suivant et lui donnant sens. Le travail dans les espaces extérieurs est une base et un socle absolument nécessaire qui donne tout son sens et son identité au travail de l'association, en plaçant celui ci sous le signe de l'inscription des enjeux des questions d'éducation sur la Place Publique. Il permet aussi concrètement d'assurer la prise de contact et la connaissance réciproque de l'équipe et des volontaires avec l'ensemble de la population enfantine disponible d'un quartier.
Dès lors, les enfants qui manifestent le plus d'attachement à l'offre éducative à la base de l'action de la Maison Robinson, soit directement sous forme de sollicitation et de demande, soit indirectement par le biais d'un comportement plutôt "accrocheur", dépressif, ou au contraire provocateur, trouvent facilement à prendre place dans les divers groupes d'accueil régulier et de projets que propose l'équipe ou les enfants de Robinson. A ce stade l'accueil est encore collectif; mais le "groupe d'appartenance" spontané de l'enfant est modifié: il ne s'agit plus de l'enfermement dans le groupe subi de la fratrie, de la classe ou de la cage d'escalier, mais de la découverte d'une situation de travail ou de communication dans un groupe hétérogène, construit et organisé, pacifié par les adultes. C'est une autre expérience.
Le troisième étage de l'action, à savoir le caractère privilégier et reconnu de la relation de tel ou tel enfant avec l'équipe et qui va se manifester par une amplitude d'accueil vis à vis de cet enfant exceptionnelle (les enfants concernés vont parfois directement nous voir à la sortie de l'école, ou au retour d'une colonie; ils téléphonent aussi et laissent des petits mots) prend son sens car il succède et renvoie constamment aux deux étages précédents. Certains enfants qui connaissent des difficultés personnelles, relationnelles ou familiales parfois très importantes peuvent, pour y faire face, s'appuyer sur cette présence consistante, sur ce potentiel d'accompagnement de proximité que peut représenter la Maison Robinson pour eux et pour leur famille. A ce niveau, la Maison Robinson constitue bel et bien, peut être d'une façon un peu plus visible, une extension et un renforcement du milieu éducatif direct de ces enfants.
Rien dans les idées qui fondent la Maison Robinson n'est en soi vraiment original ou inaccessible, mais la véritable innovation réside souvent moins dans la nouveauté radicale des idées que dans l'entêtement à les réaliser et l'ambition de les tenir dans la durée. En éducation aussi, aujourd'hui, il est devenu urgent et nécessaire de parler de développement durable! Le travail de la Maison Robinson est tout entier traversé de cette idée: il ne servirait à rien de donner encore aux enfants d'aujourd'hui des espérances inutiles et l'expérience d'encore plus de ruptures et de précarité relationnelles.
Soutenir la fonction éducative et parentale à partir des enfants, est à l'expérience un pari doublement intéressant; en travaillant directement auprès des enfants, on clarifie avec les familles l'esprit de notre travail en éloignant tout soupçon de contrôle social. En effet, l'action des animateurs de la Maison Robinson repose sur la capacité de se développer directement avec les enfants du quartier contactés dans les espaces extérieurs, sans contraindre les familles à quelque engagement ou procédure que ce soit.
L'autre intérêt est que la tranche d'âge concernée mais aussi intéressée par ce travail est une tranche d'âge pleine d'initiatives et de motivation pour la vie publique; les enfants contactés dans les espaces extérieurs développent une immense richesse d'initiatives pour animer leur quartier, leur ville, leurs parents, et leurs amis.
Ce sont ainsi littéralement les enfants qui petit à petit amènent leurs parents et les poussent à prendre place dans un projet, une action qui les concerne tout autant.
Initiée depuis 1998, l'histoire de l'action de la Maison Robinson, de l'association INTERMEDES est l'histoire de l'implication progressive (qui aurait pu apparaître lente à certains, mais la confiance, vis à vis des adultes est bien plus longue à gagner ou à reconquérir) des parents, des adultes du quartier, des familles, dans son fonctionnement même. Spectateurs attentifs au départ de cette action, accompagnateurs occasionnels dans une autre phase, encourageants et aidants à la suivante, demandeurs de soutiens ponctuels, puis interlocuteurs permanents, les parents et les adultes du quartier, sont aujourd'hui dans une démarche d'appropriation de la structure, du projet et sont impliqués y compris quand il s'agit de le défendre vis à vis des organismes partenaires et subventionneurs.
On découvre alors que le processus de travail de la Maison Robinson auprès des parents… repose exactement sur le même modèle que celui organisé avec les enfants; on retrouve en effet la même pyramide qui se décline encore: actions en grand collectif en milieu ouvert, groupes de projets et de soutien, accueils individuels, et la même progression de la qualité des relations filées et suivies dans le temps.
L'Association INTERMEDES à travers son action, la Maison Robinson, se propose de rendre les enfants et les parents, acteurs, animateurs et citoyens de leur quartier et de leur ville. Elle les encourage à prendre place et la parole dans les lieux publics. A l'expérience, elle devient pour les enfants et les familles concernées à la fois un outil de renforcement de la sécurité affective et relationnelle et un moyen d'ouverture et d'expression sociale, voire politique.
Face à la fragmentation des liens sociaux, la fragilisation et la mise en cause des familles, la baisse des ambitions éducatives des institutions publiques, les actions de co-éducation du type "Relais Parental" ou "Maison Robinson" constituent probablement une alternative éducative mais aussi citoyenne contre une société froide, autoritaire, sécuritaire et, finalement, démissionnaire.
" Permanence éducative
en milieu ouvert,
oser rendre effectif
le droit à l'éducation dans
les quartiers?"
Par Laurent OTT, éducateur et
enseignant,
A l'origine: l'expérience de la pluridisciplinarité
Au cours de mon expérience personnelle professionnelle, j'ai été, tour à tour auxiliaire de vie (sans qualification)éducateur, animateur puis enseignant. Ce que cette diversité des points de vue institutionnels et théoriques m'a permis de développer, c'est une forme d'appréhension et d'intérêt pour l'enfant saisi dans sa globalité.
Cet intérêt pour un enfant total, pas coupé en tranches froides, c'est essentiellement dans les fonctions éducatives pourtant les moins considérées qu'on peut au mieux le développer, à savoir le travail d'animateur, surtout quand ce travail d'animation peut se faire hors institution et s'adresser aux enfants d'un quartier urbain tout venant.
Rencontre avec une situation fondatrice
C'est à partir en participant ou en prenant connaissance des expériences de travail en milieu ouvert, en région parisienne que j'ai ainsi pu rencontrer et prendre conscience que de nombreux enfants d'aujourd'hui échappent à la fréquentation de structures éducatives et vivent finalement dans un certain isolement relationnel que d'ailleurs ils partagent avec leurs parents.[1]
Sources du travail en Milieu Ouvert dans les pratiques et politiques éducatives
Le travail en milieu ouvert a trois grandes origines historiques: le travail de rue, à partir de la fin des années 60, essentiellement à destination des adolescents et des bandes "de jeunes", le travail de type A.E.M.O (Action Educative en Milieu Ouvert) qui voit un travailleur social référent suivre une famille sur le plan éducatif et enfin le travail d'animation en milieu ouvert qui a souvent vu le jour au gré des initiatives municipales ou bénévoles dans divers environnements urbains, voire même rurbains durant les années 1980 – 1990; c'est l'époque où les pouvoirs publics donnent une signification plus sociétale aux manifestations de mal être parmi les jeunes dans les quartiers[2]: c'est l'époque où on pense, par exemple des "plans anti-été chauds".
En général, le caractère innovant de ces actions publiques était minoré par le choix un peu stéréotypé de la population destinataire; la plupart de ces actions ont en effet choisi comme public les bandes d'adolescent les mieux organisées capables de développer une forte "présence dans les espaces publics".
Mais, dans la commune où j'ai pu participer à une action d'animation relevant de ce champ, on avait cherché à dépasser cette focalisation sur ce public adolescent plus bruyant et plus visible; on avait alors eu comme projet de mettre en place un accueil en milieu ouvert clairement défini pour les enfants pendant les vacances. Bien sûr, comme il s'agissait d'un terrain nettement moins bien exploré, l'idée de départ était restée floue et ouverte, voire même indigente: mettre à la disposition d'une population locale enfantine des animateurs disponibles pendant le temps des vacances autour d'un local de fortune avec souvent fort peu de matériel.
Or, la Ville organisatrice, comme l'équipe ont été stupéfaits qu'une action aussi modeste rencontre un tel engouement, un public si nombreux et une telle fidélité de la part de ce public. Rapidement, en effet, les enfants furent tellement nombreux à venir fidèlement qu'il a fallu étendre l'action initialement prévue sur un quartier pendant l'été, aux petites vacances, puis aux mercredis et enfin reproduire cette formule dans tous les quartiers de la Ville.[3]
Depuis, notre expérience et nos investigations ultérieures nous ont permis de vérifier que[4], à chaque fois que ce type de dispositif a été développé pour des enfants d'âge scolaire, avec un petit peu de durée et en permettant aux acteurs animateurs d'investir la situation, le succès a semble-t-il toujours dépassé les attentes initiales.
En effet, dès lors qu'on travaille en Milieu Ouvert, avec une certaine visibilité et régularité, les acteurs sont frappés par l'importance de la population qu'ils contactent.
Ce ne sont pas en effet que quelques enfants dont on peut découvrir en milieu urbain l'effarante disponibilité, mais bien des dizaines, voire plus d'une centaine par quartier, à l'occasion de la mise en place d'un accueil souple.
Plus étonnant encore, les enfants manifestent dans ce genre de situation une fidélité et une présence d'autant plus étonnante qu'elle ne dépend après tout que de leur initiative, ce type d'animation étant tout sauf obligatoire et n'apportant généralement aucune assurance de type "garderie".
Bien entendu, pour les villes occasionnellement organisatrices, le constat est dur à effectuer: passé le premier étonnement, viennent les inquiétudes: "ces enfants que l'on contacte à présent à partir d'activités gratuites mais suivies, ne sont-ils pas en train de quitter des activités payantes? "
Sur ce plan, là, on est vite rassuré car on peut très bien rencontrer dans la plupart des quartiers urbains réunissant des populations précarisées, une masse importante d'enfants qui ne fréquentaient pas les activités traditionnelles, que celles ci soient sportives, d'animation ou de loisirs.
De fait, le constat est encore plus terrible quand on doit se rendre compte à l'évidence que des populations entières d'enfants sont livrées, en guise d'accompagnement éducatif qu'aux ressources de leur milieu et n'accèdent souvent même pas aux infrastructures quand bien même ces dernières semblent faire le plein et sont de reste implantées presque en face de chez eux.
Ce à quoi, on se confronte, là c'est semble-t-il à une réalité de l'isolement familial, social et enfantin de notre temps mais également au fait que si les populations adolescentes savent ne pas se faire oublier, les enfants quant à eux peuvent souvent rester inaperçus.
Ce que le travail en dehors des institutions change à la relation éducative…
Ce que l'on n'aperçoit pas immédiatement non plus, c'est, une fois ce premier constat effectué, comment un travail aussi rudimentaire, aussi précaire dans ses moyens, voire aussi bricolé qu'un simple accueil en milieu ouvert va dès lors permettre à cette population enfantine de sortir du noir, et semble convenir et répondre à leurs besoins, alors que les institutions les mieux dotées et organisées échouent à les intégrer.
L'Association INTERMEDES s'est fondée dans le but de travailler à approfondir et communiquer le travail de ce type, et, dans un premier temps, nous avons cherché à connaître d'autres expériences et d'autres actions de ce type.
Nous avons ainsi recensé diverses initiatives ayant pu exister dans différentes villes de la Région Parisienne que ce soit à partir d'une initiative municipale, associative voire même relevant parfois de l'initiative privée; nous en avons rencontré les acteurs, et avons organisé des journées de travail et d'échanges autour de ces expériences; petit à petit, nous avons défini un cadre de travail qui tienne compte des expériences connues ainsi que les principes qui nous paraissaient à mêmes de développer une structure à la portée réelle des enfants d'un quartier.
Rapidement, nous avons pu repérer quelques qualités qui se retrouvaient dans toutes les actions en milieu ouvert qui avaient rencontré un public nombreux. Celles ci, qu'elles partent d'une situation d'accueil dans un local de base ou d'une animation de rue régulière avaient en effet en commun les critères suivants qui nous sont rapidement apparus comme de véritables invariants du travail en milieu ouvert:
Libre adhésion et circulation des enfants.
Les enfants sont libres de venir, bien sûr mais de repartir aussi s'ils le souhaitent. Du coup la relation éducative est en quelque sorte libérée de la fonction de garde (posant au passage quelques problèmes juridiques et administratifs)? Dans ce type d'action, la place de l'enfant, basée sur son initiative est également perçue comme active.
Gratuité totale et souplesse administrative extrême.
En effet, sans gratuité totale, la libre adhésion des enfants est dénuée de sens. Pour la partie administrative, il n'y a bien souvent qu'une feuille d'autorisation générale signée par les parents autorisant l'accueil. Souvent les parents ne sont pas même aperçus au début du travail, et l'autorisation revient par les enfants.
Mélange des âges et grande hétérogénéité de l'accueil.
Les enfants semblent apprécier curieusement le mélange des âges vécu dans le cadre du travail en milieu ouvert; les mêmes actions, les mêmes temps permettent de recevoir ensemble des enfants entre 4 et 14 ans, selon les expériences.
Ce mélange des âges est, en général motivé au départ par un souci d'économie de moyens, mais il est en général maintenu pour la qualité des relations qu'il permet au sein de groupes constitués.
Par ailleurs, un tel mélange constitue une grande audace éducative, à une époque où le modèle scolaire de saucissonnage des enfants selon l'âge est dominant et est devenu la norme de toutes les institutions accueillant des enfants: dans celles ci, en effet, même quand les enfants sont accueillis ensemble, ils sont toujours ensuite re séparés en interne.
Rien de tout cela, en milieu ouvert, de sorte que les groupes ainsi constitués sont très riches du point de vue des interactions verticales. De plus le mélange des âges a une qualité très importante: il permet l'accueil de grands frères ou de grandes sœurs chargés par leur milieu de s'occuper des petits. Ce genre de charge exclue ordinairement bon nombre de fratries entières de toute activité organisée classiquement…
Le principe "d'accompagnement durable"
C'est là le point le plus délicat à mettre en évidence, puisque la plupart des expériences "spontanées" généralement municipales en milieu ouvert achoppent de ce point de vue, finissant régulièrement par être interrompues pour des motifs administratifs. Et pourtant, ce qui fait une différence et une grande entre une animation de rue ponctuelle, et l'accueil en milieu ouvert c'est justement le fait que des liens se créent entre enfants et animateurs ou éducateurs et que les enfants sont toujours très fidèles montrant même un extrême attachement au point d'anticiper l'arrivée des animateurs et de faire "le pied de grue" parfois depuis l'aube…
La durée, la permanence, la prévisibilité, la stabilité de l'équipe sont ainsi sans doute les qualités les plus appréciées par les enfants d'aujourd'hui. Ce sont celles là, bien entendu qui leur font le plus défaut dans les institutions qu'ils fréquentent ou qu'ils ne fréquentent justement plus.
Le primat de la relation sur l'activité
De par sa formule basique, l'accueil en milieu ouvert n'a que peu d'activités de prestige à proposer. Le plus souvent, le matériel est minimal, voire indigent ou abîmé. Pourtant les enfants reviennent sans arrêt manifestant bien par là que contrairement à ce que l'on croit souvent, leur intérêt les porte à l'inverse de l'esprit de consommation (qui n'est que de surface et probablement second, voire "par défaut"), à valoriser tout ce qui est relationnel: attachement à la personne des animateurs, développement de rituels de groupe, prédominance des activités d'expression sur les activités ludiques ou sportives; pas de sorties.[5]
Convaincus de l'intérêt exceptionnel que peut re présenter ce type de travail aujourd'hui et notamment dans le but de renforcer la fonction éducative, avec quelques acteurs de ce type d'actions nous avons créé une association en 1996, qui s'est donnée comme objectif de développer une expérience originale d'accueil en milieu ouvert, tout au long de l'année pour une population définie.
Rapidement pour des raisons de proximité et de bonne connaissance du milieu, nous avons cherché à développer cette action à Longjumeau, dans le quartier sud de la ville, quartier grand ensemble qui regroupe 60% de la population sur à peine 20 % du territoire.
Malgré des soutiens d'estime obtenus, comme le Prix de la Fondation P. Straus ou l'implication rapide de la Fondation de France, intéressées par notre expérimentation, nous avons rencontré beaucoup d'obstacles administratifs ou locaux pour ouvrir ce type d'accueil. C'est que, nous en avons fait l'expérience, l'initiative sociale est aujourd'hui, chose extrêmement difficile.
Lassés de l'attente et de ces obstacles, et ne voulant pas nous cantonner dans un travail uniquement théorique, nous avons, localement commencé à développer une action en milieu ouvert, bénévole, qui quoique modeste, correspondait à nos hypothèses de travail, à savoir que certains enfants sont extrêmement demandeurs d'occasions de contacts et de relations avec des adultes disponibles à condition que cette disponibilité s'engage dans la durée et la permanence du cadre éducatif ainsi créé.
Face au succès que nous avons rencontré, nous avons tout naturellement cherché à développer cette petite action ponctuelle, pour proposer un véritable programme de "veille éducative de proximité".
Ce programme répondait visiblement à des problèmes sociaux actuels rencontrés à la fois en général mais également par les acteurs sociaux locaux. Cette idée d'enrichir l'espace éducatif autour des enfants d'un quartier donné, en permettant à ce soutien de se décliner en fonction des besoins exprimés soit par les enfants eux mêmes , soit directement par les parents qui se rendent compte des difficultés matérielles et quotidiennes d'accompagnement de leurs enfants, en 1998, ne pouvait qu'être en phase avec l'ensemble des grands chantiers que se sont donnés les années suivantes, les pouvoirs publics en ce domaine.
Aujourd'hui après plus de quatre années de fonctionnement, notre programme fidélise plus de 180 enfants et leur famille dans quartier. Notre action concerne et mobilise progressivement de plus en plus de parents et d'adultes du quartier. Notre structure est ouverte tous les jours; elle dispose d'un local mais réalise l'essentiel de son action dans les espaces extérieurs.
Notre action concerne l'ensemble de l'environnement humain du quartier:
Des enfants qui
cherchent…
- à se sentir moins seuls et moins perdus; de pouvoir sonner à tout moment, et
d'obtenir toujours, bien sûr pas toujours un accueil, mais au moins une réponse et une écoute. Alors en cas de problème...
à mieux se repérer dans leur espace et dans leur temps: espace du quartier, possibilité de s'éloigner un peu sans errer; temps des rendez vous et des rencontres fixes; on se casse le nez trop tôt ou trop tard mais on y retourne.
A se montrer comme actifs et travailleurs; presque collègues, on se salue avec connivences. A ce moment là , on n'est plus dans du parental mais dans du social.
A quelques uns de jouer en toute tranquillité.
A quelques autres, enfin,
de trouver un encouragement et une invitation à développer des
responsabilités et des compétences qui leur sont demandées par ailleurs mais
qu'ils n'ont pas l'occasion d'exercer suffisamment dans leur environnement
naturel
A certains enfants chargés largement de responsabilités
éducatives vis à vis de plus jeunes ou de plus handicapés, de pouvoir être accueillis
aussi pour eux mêmes tout en voyant leurs responsabilités reconnues, valorisées
et aussi soutenues.
A quelques enfants, en rupture vis à vis de toutes les
institutions (les "incasables"), enfants déscolarisés à temps
partiel, ou en attente de place dans un établissement, d'avoir un endroit où
ils sont à leur place.
Nous accueillons et mobilisons des parents qui recherchent:
à avoir dans leur quartier des interlocuteurs disponibles pour confier leurs difficultés personnelles qui ont toujours une incidence sur la vie des enfants.
des interlocuteurs qui connaissent bien leurs enfants, et qui sont en mesure de leur en parler.
à se retrouver à plusieurs familles pour développer des projets instantanés comme organiser ensemble un arbre de Noël ou une sortie pique nique collective, ou plus durables qui les amènent par exemple à une démarche d'adhésion.
De vaincre et dépasser leur peur des intervenants éducatifs, et d'accepter que leurs enfants puissent s'investir dans des relations collectives et personnelles, en dehors d'eux.
Face à
cette situation, nous développons une "Permanence Educative de
proximité", qui vise à:
Enrichir le milieu éducatif social et familial
L'action de la Maison Robinson vise à enrichir le vécu
intra familial par le développement des relations extra familiales.
Pour cela, les enfants issus des familles les plus isolées du quartier sont appelés , à rencontrer des intervenants éducatifs durables, et à joindre des groupes d'enfants qui s'organisent avec l'aide des permanents de la structure.
Les parents, sont contactés très régulièrement par l'équipe qui n'hésite jamais à se rendre au domicile. Les difficultés éventuelles des enfants ou des parents sont abordées très franchement et peuvent ainsi être suivies dans le temps. Les parents trouvent par ailleurs dans la Maison Robinson, l'opportunité de se rencontrer entre eux et d'organiser avec l'aide des permanents des actions collectives ouvertes sur le quartier.
Contribuer à une approche globale et durable de la
situation de l’enfant par:
Une intervention permettant de faire un lien entre les divers intervenants de la vie de l’enfant, et en premier lieu avec les parents.
Un souci de maintenir les relations dans la durée avec les enfants et les familles; notre structure souple nous permet en effet de "garder le lien" au delà des ruptures institutionnelles: passage au collège, orientation spécialisée; notre seule limite étant cependant le déménagement hors de la ville . Comme le soulignent les travaux, en théorie de l'attachement, notamment ceux de M B. Cyrulnik, les enfants qui ont n'ont pas qu'une seule source d'attachement affectif ou éducatif développent de meilleurs et plus sûrs facteurs de protection contre les risques sociaux ou psychologiques.
Sensibiliser et conseiller les intervenants locaux
par:
Une intervention qui comprend une dimension de ressource en direction des personnels socio-éducatifs y compris les enseignants qui ont conscience des difficultés éducatives vécues par les enfants et qui se sentent impuissants à cet égard. Nous répondons notamment aux demandes émanant du collège de secteur; de même, nous développons un partenariat avec des structures municipales et des associations d'habitants soucieuses de maintenir et d'améliorer le climat social et l'image du quartier
Une intervention qui comporte une dimension de sensibilisation et de prévention vis à vis des habitants et des parents eux mêmes; notre action, amène régulièrement à réaliser avec les habitants du quartier diverses manifestations ciblées (fête de la lecture; journée des droites de l'enfant; journée de présentation des réalisations des enfants, etc.), auxquelles ont été associés des partenaires (association "Lire c'est partir", le CDAS PMI, etc.) ainsi que les adultes du quartier qui ont trouvé dans ces occasions, la possibilité de se réapproprier des espaces et des temps publics, autour des enfants (et pas seulement vis à vis des leurs).
Sensibiliser les enfants à leur environnement et aux
conditions de vie de leurs proches:
Notre intervention tend à développer avec les enfants un esprit communautaire et tolérant; les groupes que nous constituons sont démocratiques, structurés et laissent une grande part à l'hétérogénéité des âges, aux différences interpersonnelles et constituent un cadre tolérant et ouvert. Nous développons cet aspect de notre action, à partir des outils de la Pédagogie Institutionnelle (Freinet; Oury) que nous adaptons au cadre du milieu ouvert.
Car :
Il faut en effet,
que les enfants apprennent à accepter la différence sans la vivre comme une inégalité,
qu'ils développent par l'association et leur initiative des comportements
citoyens qui leur apportent en retour une autonomie nouvelle.
Une intervention non stigmatisante de "soutien de la fonction éducative " par :
Une intervention qui se situe clairement au côté des familles, ne reposant pas sur la thèse de la démission généralisée, s'affichant y compris pour l'enfant comme une aide à la fonction parentale et comme une "école de coopération".
Une grande disponibilité vis à vis des familles, permettant des échanges réguliers autour de la situation des enfants, proposant un soutien, ainsi que des conseils et une information ciblée pour toute orientation.
Car:
Si l'adolescence a
besoin de médiation, de résolution de conflits, l'enfant a plutôt besoin de
lien fort et de renforcement de son milieu.
Une intervention souple et ouverte à la diversité des situations par:
Une intervention reposant sur le volontariat des enfants et des familles, intégrant une forte hétérogénéité des âge, mais résolument centrée sur l'enfance - ceci permettant d'accueillir des fratries entières et gratuite.
Une intervention qualifiante pour des jeunes intervenants se destinant aux professions sociales ou éducatives afin de dépasser l'horizon généralement réservé aux grands frères qui, à terme, s'avère toujours enfermant et limitatif pour tous.
Notre participation à une démarche de recherche et de
réflexion sur un plan national :
Notre action a également été recensée par l'ODAS (Observatoire de l'Action Sociale Décentralisée) dans son répertoire RIDS des actions de développement social, mais aussi par la Cellule d'Appui Technique DIF/ CEDIAS concernant le développement des réseaux de soutien de la parentalité.
Nous publions de nombreux articles et participons à divers groupes de travail et Journées d'Etude concernant la prévention primaire auprès des 6-13 ans et le soutien de la fonction parentale.
Plusieurs livres présentent nos constats, nos objectifs et nos travaux (voir plus haut); différents comptes rendus ont été proposés et acceptés dans des revues avec comité de lecture: Le Furet, Connexions, Journal Droit des Jeunes, etc.
Un fonctionnement qui s'est progressivement structuré:
Les diverses actions en interne et de rue conduites par notre équipe depuis plus de trois ans pour certaines (depuis un an de façon permanente) nous ont permis de prendre contact (et de le conserver) avec un très large ensemble de la population enfantine et, ce, dans les divers ensembles urbains qui composent le Quartier Sud de Longjumeau.
Une méthode de travail particulière et homogène: la Pyramide
Notre programme développe un mode de travail par paliers complémentaires que nous nommons "la Pyramide". Ainsi l'action de la Maison Robinson s'exerce sur deux publics bien identifiés et paradoxalement relativement autonomes entre eux: les parents (nous contactons même des adultes sans enfants, notamment des jeunes désireux de découvrir les situations et les métiers de l'éducation) et les enfants. Il est à noter toutefois que les enfants sont toujours contactés en premier ce qui fonde l'originalité de notre programme vis à vis des actions habituelles et bien connues de soutien de la fonction éducative qui privilégient toujours les parents au risque de ne pas contacter les familles les plus en difficulté ou alors de s'adresser à un public rare, capable de porter à long terme une démarche thérapeutique vers des intervenants spécialisés[6].
Pour chacune des deux populations que nous contactons, notre action se distribue sur trois plans qui constituent la pyramide.
Les actions en grand collectif, se déroulant dans les espaces publics.
Ces actions nous permettent de rencontrer l'ensemble de la population disponible et de rester en contact avec elle. Ce sont des actions suivies très sérieusement, qui fidélisent rapidement un public large. Ce stade, le plus large (la base de la pyramide) est le plus important: il nous permet le contact de départ et une première connaissance des situations vécues par les adultes ou les enfants; c'est aussi l'occasion de recevoir les demandes, d'observer des comportements d'appel et/ ou de recherche d'intérêt. Il ne s'agit finalement presque jamais, comme on aurait pu le craindre, de contacts furtifs: la régularité de ces actions est telle qu'elle nous garantit une connaissance approfondie et suivie des personnes contactées dont le nombre est toujours très important.
Il est à noter que pour fragile qu'il paraisse, ce mode de contact, dans les espaces extérieurs vis à vis des enfants est à l'expérience plus fiable et plus durable que les relations qui s'établissent depuis des institutions. En effet, les relations que nous établissons avec des enfants peuvent même au besoin être à l'abri momentané de préventions ou d'interdictions parentales que l'enfant aurait pu recevoir, mais qu'il est libre d'ignorer dans des espaces publics.[7]
Les personnes contactées au stade précédent et qui se montrent désireuses de développer des relations avec notre programme sont personnellement invitées à initier ou à participer à des groupes de projets. C'est le stade des "groupes d'initiative sociale", c'est à dire des groupements d'enfants ou d'adultes (ou, parfois des deux) qui définissent un projet d'animation, de création, ou d'expression dont le bénéfice toujours doit être ouvert sur le quartier et sur l'extérieur du groupe. Les permanents de la structure aident le groupe à se constituer, puis à s'organiser; ils apportent aussi une éventuelle aide technique et souvent un soutien matériel. Ils s'assurent de la valorisation du produit fini. Concrètement, ces groupes peuvent se proposer de réaliser des choses simples comme une fête, une soirée à thème, un atelier de bricolage ouvert à tous et animé par des personnes ressources; mais ils peuvent se consacrer plus durablement à la réalisation de projets plus ambitieux comme un journal, un recueil, un spectacle, une exposition, etc.[8]
Le troisième axe de travail de l'action "Maison Robinson" est constitué par les accompagnements individuels des personnes les plus en difficulté. Il s'agit des enfants et des parents les plus isolés auxquels s'adresse prioritairement notre action. Ces difficultés et ces problèmes ont trouvé à se manifester et à s'exprimer souvent au cours des actions liées aux deux axes de travail précédents. Concrètement, l'équipe de la Maison Robinson se rend disponible pour ces personnes à la demande. Les enfants sont ainsi accueillis sans rendez vous, dès leur sortie d'école s'ils le souhaitent, ou peuvent venir jouer dans notre local, à la demande. Bien entendu, cette permanence éducative vis à vis des enfants est exprimée et exposée dans ses objectifs aux parents qui l'acceptent toujours. Les parents concernés sont rencontrés d'autant plus régulièrement que la plupart du temps les permanents raccompagnent l'enfant chez lui, ce qui donne une occasion de contact fréquent. Vis à vis des adultes en difficulté cette permanence peut se manifester par le fait qu'ils trouvent toujours auprès de l'équipe une écoute, un conseil, une ressource possible ou éventuelle pour trouver une solution aux difficultés du moment, trouver une solution de garde pour les enfants, etc. Bien entendu, les individus concernés par cette réelle "permanence" éducative de proximité sont beaucoup moins nombreux que pour les axes précédents. Il s'agit d'une vingtaine d'enfants et une dizaine d familles, dont nous réévaluons régulièrement le nombre et la composition, en fonction des évolutions.
Nous développons des relations individualisées et suivies avec 180 enfants de ce quartier et leur famille; nous connaissons la majorité d'entre eux depuis plus de trois ans.
Des situations variées requièrent notre intervention
Nous contactons largement au sein de cette population des familles réduites et isolées, vivant souvent des conditions de vie précaires.
Des moyens raisonnables à soutenir
Presque totalement des moyens humains:
Notre équipe se constitue à ce jour de 4 postes de permanents (2 postes d'emplois jeunes, deux postes de droit commun) et d'un poste d'animateur en CDD, auxquels il convient de rajouter les vacations de notre psychologue clinicienne (psychanalyste- 3 heures hebdomadaires de supervision de l'équipe), une vacation artistique professionnelle hebdomadaire (intervenante théâtre), et un contrat avec un cabinet d'expertise comptable pour le suivi de nos comptes (Cabinet Lejeune- Sainte Geneviève des Bois)
Une dizaine de bénévoles de l'association renforce de façon
indispensable cette équipe dans le domaine, notamment, des animations de rue et à la mise en place
de la maison Robinson. Cet apport volontaire mais également compétent ajoute
à l'action de la Maison Robinson une valeur importante que nous évaluons pour
notre part à plus de 2000 heures qualifiées qui constituent l'apport important
en propre de l'association.
L'ensemble de ces acteurs volontaires a des qualifications réelles multiples: diplômes d'éducateurs, d'animateurs, de travailleurs sociaux de professeur des écoles. Aux côtés de ces personnes s'en trouvent d'autres qui n'ont pas particulièrement de qualification dans le domaine de l'éducation mais qui ont acquis une véritable expérience de terrain au sein de l'association
De plus pour des actions particulières (animations de rue ciblées) la participation des animateurs du quartier ou d'intervenants spécialisés est recherchée (intervenante professionnelle pour notre théâtre de rue, intervention d'associations spécialisées pour nos animations autour du théâtre ou de la lecture, collaboration permanente, dans le cadre des deux bibliothèques de rue avec la Bibliothèque municipale, concours mutule pour nos actions respectives avec une association de parents d'élèves.
Cet investissement humain ne doit
nullement paraître démesuré en regard de l'objectif du programme qui consiste,
il faut le rappeler, à assurer une véritable veille
éducative, 6 jours sur 7, pour une population d'enfants et de parents concernés par notre action , finalement très
importante. A titre comparatif, le coût
humain et financier d'une telle action est infiniment moindre que nombre
d'actions d'accueil et d'écoute qui ne concernent que fort peu de personnes
tout au long de l'année. Par ailleurs, une action en Milieu Ouvert contribue à
éviter ou minorer des crises ou des itinéraires de "décrochage" ou
d'exclusion dont les coûts de traitement qu'ils soient éducatifs ou répressifs
sont infiniment supérieurs.
La création du quatrième
poste qualifié pour renforcer la "professionnalité éducative" de
l'équipe a également permis de réellement rendre possible cette
"permanence " qui est au cœur même du projet: sinon comment assurer
une ouverture qui ne soit pas que nominale, 6 jours sur 7? C'est à partir de
l'obtention de ce poste que notre équipe peut dès à présent répondre à la
sollicitation et à la participation des familles elles mêmes.
Ce dernier axe suppose en effet
un travail de contact préliminaire et d'établissement de contact avec les
parents (ce qui est toujours plus long qu'avec les enfants) et ce travail
demande du temps.
Démarche d'évaluation continue et mise en lumière de certains aspects
En dehors de l'action d'évaluation que vous avons confiée à un organisme extérieur et indépendant (voir partie suivante), notre association a choisi d'analyser continûment le travail conduit et les divers problèmes ou phénomènes rencontrés et ce notamment au travers :
de réunions d'association régulières,
des réunions d'équipe hebdomadaires
des journées d’étude préparées conjointement entre l’association et équipe,
d’un travail régulier de réflexion sur les pratiques sous la supervision d’une psychanalyste (travail de type "Groupe Balint"- 3 heures par semaine)
à travers une pratique de représentation et d'expression du travail de notre structure ou de l’équipe par les permanents ou les volontaires de l'association, à l’occasion de colloques, journées de travail ou de conférences sur les domaines que nous concernons.
Notre action de lutte contre la solitude enfantine et de soutien de la fonction éducative a démarré en mai 1998 progressivement. Le plein fonctionnement de ce programme a été initié à partir du mois de septembre 1999, à partir de l'embauche des deux premiers permanents sous la forme de postes "emplois jeunes".
de se porter à la rencontre d'enfants connaissant des situations d'isolement, de solitude ou de non- accompagnement dans les espaces publics.
De rencontrer les familles et de contribuer avec elles à une réflexion en matière d'éducation et de participation à la vie publique.
De soutenir et d'accompagner les parents et les enfants les plus isolés ou en difficulté
Que chacun contribue à sa place à un travail de concertation et de travail en réseau des diverses institutions et équipes socio-éducatives intervenant sur le même territoire ("Quartier sud de Longjumeau").
Il est donc à ce
jour possible, à côté des indicateurs quantitatifs de fréquentation que nous
tenons à jour, et des compte rendus de suivis individuels (qui sont
régulièrement informés dans d'autres documents) d'esquisser les premières
grandes lignes d'une évaluation de l'action en tant que telle et de son impact
sur la population enfantine et parentale globale d'un quartier.
La rencontre avec le terrain et la vérification de quelques postulats de départ
Notre premier
enseignement du terrain a été de démontrer la validité des constats de départ:
Notre équipe a
rapidement vérifié:
l'existence de nombreux enfants disponibles pour des actions éducatives de rue
Que ces enfants semblaient connaître et exprimer des difficultés personnelles et relationnelles.
Qu'ils manifestaient un intérêt pour notre action, notre disponibilité et qu'ils y répondaient par une certaine "fidélité" exemplaire de l'ensemble des enfants contactés. A titre d'exemple, nous continuons de contacter à ce jour la quasi totalité des enfants et des jeunes que nous avions rencontrés aux débuts, en 1998, et ce , bien que les enfants, du moins les plus âgés soient bien sûr devenus entre temps des adolescents.
Le bon accueil reçu par notre intervention dans le tissu local, que ce soit du point de vue des parents, des adolescents plus âgés, pourtant constitués en bandes et très attachés à démontrer leur autorité sur l'espace du quartier, ou par les structures éducatives localement représentées.
Des évolutions notables dans la réception de notre action
La période considérée est aujourd'hui suffisante (cinquième année à la date de l'écriture de ce texte) pour permettre l'observation d'évolutions importantes du point de vue de la perception de notre programme, à la fois par les parents et les enfants qui en sont les destinataires.
Il serait intéressant de rechercher en quoi ces évolutions pourraient se retrouver dans d'autres expériences du même type, dans le cas, par exemple d'un essaimage possible de la structure.
Une période "de test" (jusqu'à une année de plein fonctionnement)
Forts de l'expérience de l'action en milieu ouvert, que nous avions "capitalisée"dans d'autres cadres, l'équipe s'attendait bien à ce que la plus grosse difficulté de mise en place de notre programme provienne davantage de son succès que d'une absence de demande.
En effet, au moment de son ouverture la structure et son équipe se sont trouvées en but à des difficultés de communication et de compréhension avec les usagers en ce qui concernait le sens et la portée de notre action et ce, notamment face à une "demande des enfants" à la fois pressante et massive.
Notamment:
Il s'est avéré que pour certains enfants et leur famille, la structure a pu, dans un premier temps, être assimilée à une structure d'animation supplémentaire mais plus proche; les enfants qui connaissaient déjà les membres de l'équipe de longue date et qui avaient donc déjà pu tisser des liens de confiance forts, espéraient trouver dorénavant un accueil de journée permanent.
Des familles ont pu dans le même esprit nous envoyer les enfants tout en restant en retrait, voire relativement invisibles: l'enfant se trouvait alors le seul porteur de la demande familiale qui se trouvait souvent réduite ou à une demande de garde, ou à une demande de loisirs. Nous avions fait le choix d'accepter cette étape et de ne travailler, si nécessaire dans un premier temps, qu'avec les enfants seuls.
Durant la même période, une population d'adolescents, se situant souvent à la limite de notre "âge cible" développait un comportement bien connu des intervenants sociaux dans "les quartiers"; il s'agissait d'un mélange d'épisodes de demandes fortes, mais également de conduites collectives "de pression" destinées dans l'esprit de ces enfants ou préadolescents à nous amener à mettre la structure au service de leur groupe et à leur livrer les biens ou les services très médiatisés ou socialement valorisés dont ils sont à la recherche. Le caractère particulier de notre action, la forte valorisation qu'inversement nous développions sur les aspects relationnels de la relation éducative leur apparaissait à la fois peu familier, et probablement relativement déstabilisant sur le plan de l'expression de soi; il s'agissait en effet d'enfants qui alliaient des difficultés d'expression personnelle avec une tendance à une identification à un groupe particulièrement "agité", voire "agressif".
Notre action, dans ce domaine a consisté en un difficile équilibre entre la nécessité de ne pas rejeter cette population et notre résistance à l'empêcher de paralyser notre action, ou à monopoliser l'espace de notre intervention au détriment d'enfants plus isolés et naturellement plus discrets qui en avaient tout autant besoin.
Une période d'apaisement ( deuxième et troisième années de fonctionnement)
Les difficultés décrites plus haut sont demeurées importantes et préoccupantes pendant un peu moins d'une année; au bout de cette période, elles ont eu tendance à régresser à la fois dans leur fréquence et dans leur intensité.
La "pression de la demande" a baissé d'intensité ( elle s'est en quelques sortes "dédramatisée") sans que pour autant nous perdions contact avec les enfants; ceux ci ont progressivement accepté d'être parfois accueillis en différé; ils ont également appris à se repérer dans les diverses plages horaires et propositions que nous leur faisions. Ils ont enfin , ayant pu expérimenter la durée de notre implication et la permanence de notre intérêt pour eux, appris à différer des demandes qui auparavant les "débordaient" complètement. Cette évolution se constate par exemple par l'observation de l'interphone: ( en effet pour rentrer dans le local de la Maison Robinson, la porte de l'immeuble est assujettie à l'usage d'un interphone) jusqu'aux environs du mois de mai 2000, la seule nécessité de répondre à l'interphone monopolisait pratiquement l'attention permanente d'un adulte, et ce seulement pour y répondre… Aujourd'hui, il n'en est plus rien et les sonneries à l'interphone correspondent à une initiative motivée et réfléchie de la part des enfants qui ont pris en compte nos exigences et nos demandes.
De même l'occupation de l'escalier par des enfants désireux de rentrer ou de retarder leur sortie a énormément évolué sur cette même période. Les espaces communs ont progressivement cessé d'être les lieux d'insistance ou de résistance qu'ils avaient pu être les six premiers mois (cette évolution était par ailleurs nécessaire pour permettre au voisinage de continuer de tolérer au sein d'un immeuble collectif d'habitation une structure qui fidélise à peu près 180 enfants… ) .
Les enfants les plus dépendants de phénomènes de groupes et de bande que nous avions pris l'habitude (d'ailleurs à tort pour certains d'entre eux vu leur jeune âge) de nommer "les préadolescents" ont quant à eux sur la même période de 6 mois connu une évolution tout aussi importante; après une période de "forte pression", voire, épisodiquement, de "harcèlement", ces enfants ont pu expérimenter la résistance et la fiabilité de notre structure; n'ayant pu l'ébranler ni la mettre en difficulté, leur attitude a, dans un deuxième temps, évolué pour une bonne partie d'entre eux évolué vers un comportement "d'indifférence" et "d'abandon"; durant cette période, certains de ces enfants ont pu verbaliser qu'ils avaient pensé que leur absence conduirait la structure à un déséquilibre et forcerait les membres de l'équipe à se mettre au service de leur groupe: ils ne faisaient dans ce domaine que transposer l'expérience et les pratiques de leurs aînés vis à vis des structures de loisirs destinées aux adolescents.
Une nouvelle fois, ils ont pu constater que pendant cette période la structure n'a pas cessé, en leur absence, d'accompagner de nombreux autres enfants et groupes d'enfants qui semblaient bien y trouver leur compte. Ainsi, au bout d'un an de fonctionnement, nous avons pu constater l'insertion des individus les plus véhéments dans les propositions de la Maison Robinson; plus encore, nous obtenons à présent de ces mêmes enfants qu'ils se présentent pour eux mêmes, indépendamment de leur groupe d'affinité ou d'identification, voire qu'ils acceptent de coopérer et de communiquer avec d'autres enfants et d'autres jeunes d'âges divers.
Il est évident que pour ces enfants les plus perturbés,
le travail permanent avec les familles a été particulièrement déterminant dans
cette évolution spectaculaire.
En ce qui concerne les relations avec les familles, il convient de distinguer deux catégories; certaines familles ont été dès le début à la fois partie prenante, demandeuses et fidèles dans les relations établies avec les membres de l'équipe; en difficulté sur le plan de l'accompagnement éducatif quotidien ou des relations avec les institutions éducatives, parfois connaissant des crises internes importantes, quelques familles ont en effet, immédiatement trouvé dans la Maison Robinson un lieu et des personnes pour exposer, interroger et tenter de remédier à leurs difficultés.
La majorité des familles des enfants fidélisés, par contre, restait, par contre, encore un peu à l'écart, sur une position de réserve que l'on pourrait interpréter comme: "Occupez vous de nos enfants, si vous voulez, mais pas de nous". Pour ces dernières, les relations que nous connaissons actuellement se sont très lentement développées sur l'ensemble de la période; on a ainsi vu des parents venir à la maison Robinson dans un premier temps pour des "rencontres de courtoisie", puis revenir pour demander une aide ou un service particulier; actuellement , nous constatons que de plus en plus de parents développent des relations courantes et naturelles avec la structure: coups de téléphone, visites réciproques, accompagnements, invitations dans les deux sens sont devenus monnaie courante et nous voyons actuellement des parents qui proposent des actions, des projets ou qui se prêtent, à notre invite, à devenir des "animateurs d'un jour".
Une période de maturité ( quatrième et cinquième années de fonctionnement)
Une troisième période était nécessaire pour permettre aux familles de prendre leur place au sein de l'action de la Maison Robinson. En effet, si le contact et l'adhésion des enfants est toujours assez rapide, par contre la confiance d'adultes est toujours bien plus longue à obtenir.
Ce n'est que durant cette quatrième année et cinquième année de l'action, que le postulat qu'une action en milieu ouvert comme la nôtre serait de nature à mobiliser les familles et à développer les liens de proximité dans le quartier à partir de l'action des enfants, a pleinement trouvé à se démontrer.
En particulier, pendant cette période, les familles:
se sont mobilisées régulièrement pour toutes les actions collectives en extérieur; de nombreux parents se sont engagés à renforcer l'équipe des encadrants, ont accepté un tour de rôle, ont proposé des plannings, se sont organisés entre eux pour prendre certaines responsabilités (tenus de stands, préparations de décors, fabrications, etc.)
ont répondu aux invitations de l'association, en après coup des événements et des actions organisées ensemble pour en faire le bilan, en tirer les expériences, projeter des suites;
ont tenu à soutenir l'association qui connaissait pendant la même période des difficultés de trésorerie, en organisant des ventes au bénéfice de certaines de nos actions, lors de manifestations municipales;
pour les mêmes raisons ont proposé d'adhérer et de contribuer à une campagne d'adhésions parmi les parents;
ont volontairement contribué aux actions d'évaluation en externe, organisées par l'AFRESC;
ont organisé une fête à l'occasion du départ d'un membre de l'équipe de la Maison Robinson.
Enfin, un parent est rentré dans le Bureau de l'association pendant cette période.
Pistes pour quelques enseignements provisoires
Notre action a pris comme cadre un quartier populaire comme il en existe beaucoup d'autres en banlieue parisienne. Nous y avons retrouvé une population enfantine et des familles relativement isolées, soit que les individus avaient peu de contacts avec d'autres et peu d'insertion dans les structures existantes, soit qu'au contraire ils se trouvaient dans des groupes d'affinité ou des fratries très enfermantes et très stéréotypées. Dans l'ensemble, les enfants dont nous souhaitons nous occuper, se trouvaient largement coupés du monde des adultes, que ce soit celui de leurs parents ou celui de leur voisinage.
La maison Robinson, au bout de plus de quatre ans de fonctionnement semble avoir globalement contribué à des évolutions sensibles:
des enfants qui acceptent d'échanger et de partager des moments de vie avec d'autres enfants ne faisant pas partie de leurs groupes d'affinités ou "d'identification",
des parents acceptant d'en rencontrer d'autres, ou pour le moins de fréquenter régulièrement les acteurs et volontaires de la maison Robinson; ce faisant, ils tendent à s'émanciper de cette identité un peu réductrice et finalement très "officielle" de "parents" pour partager des moments où ils sont des adultes parmi d'autres, en relation et en contact avec des enfants qui ne sont plus forcément les leurs.
Tous les usagers de l'action de la Maison Robinson, adultes ou enfants abordent à présent tout à fait différemment les événements collectifs que nous contribuons régulièrement à mettre en place (Représentations et mini expositions; Fête des associations, Fête du livre, Fête de Noël et des enfants, etc.); si la peur de la frustration était visible et handicapante lors des premières tentatives, entraînant des comportements nuisibles pour l'organisation collective, les dernières manifestations ont rencontré une meilleure participation et organisation en interne des adultes du quartier et ont constitué une expérience collective valorisante et satisfaisante pour l'ensemble des participants.
Quand nous avons initié le programme d'action de la maison Robinson, nous souhaitions lutter contre la solitude enfantine sous deux formes: l'isolement de certains enfants et la dépendance de certains autres à un groupe, une fratrie, un milieu enfermant. Notre expérience sur le terrain nous a permis de vérifier cette intuition de départ: que ce soit sous une forme ou une autre, nous avons bel et bien rencontré ces deux solitudes et en nombre.
Ce que nous avons découvert, chemin faisant, c'est que les parents eux mêmes partageaient souvent ces deux formes de solitude.
Nous vérifions actuellement, à travers leur investissement de plus en plus nombreux et durable, que notre action peut aussi les aider à rompre leur isolement, à adhérer à une dynamique de projets, et à acquérir une image plus positive de la collectivité et des potentialités qu'elle offre.
Nous postulions qu'en prévenant la solitude de l'enfant et celle du parent, notre action contribuerait à réduire d'autant les occasions de violence pendant l'enfance et participerait ainsi de la prévention de problèmes sociaux plus ou moins graves à l'adolescence et à l'entrée de l'âge adulte.
Si la prévision reste à vérifier à long terme (et pose en cela le problème de critères pertinents pour "suivre" une cohorte d'enfants dans la durée) il est possible d'ores et déjà de mettre en évidence comment la veille éducative de proximité que nous mettons en oeuvre contribue à la valorisation et à la bonne insertion des enfants dans leur quartier et notamment:
comment l'accompagnement des enfants dans les espaces publics permettent à ces derniers d'habiter et non de se contenter d'occuper ces espaces,
comment les enfants dans ces espaces, à partir de notre action peuvent être perçus par les habitants d'une façon positive et non plus seulement comme une source potentielle de désordre ,
comment, finalement, notre action développe les relations entre enfants mais aussi entre générations dans un même quartier.
comment les enfants peuvent ressentir une meilleure sécurité affective et matérielle dans leur environnement immédiat
comment ces enfants apprennent à mieux connaître et utiliser les ressources de ce même environnement .
De même, sur le plan des individus, nous émettons l'hypothèse, à la lumière de l'ensemble des observations individuelles concernant notamment les 40 enfants et parents les plus en difficulté que nous suivons tout particulièrement , que l'accompagnement éducatif que nous mettons en œuvre contribue également à développer leur sécurité affective et éducative et à renforcer leurs facteurs de protection, et ce, notamment:
en permettant aux enfants d'acquérir de meilleures capacités de communication de leurs émotions dans la relation duelle, en groupe et vis à vis des adultes en général,
en offrant aux enfants la possibilité d'expérimenter, hors institution, des relations éducatives, stables, durables et réussies, et de conforter ainsi leur confiance dans les adultes.
en leur permettant de concilier le mieux possible la nécessaire construction de soi avec la reconnaissance des autres, et ce, notamment, grâce à des moments de vie vécus dans un esprit de coopération et de communauté qui n'ont pas échoué sur un sentiment de frustration.
Quelques enseignements inattendus concernant les groupes et la solitude:
La solitude, les enfants la vivent aussi en bandes…
A partir du moment où on n'offre pas aux enfants que du loisir, que de l'activité, mais au contraire de la relation, c'est une autre écoute, un autre rapport qui se met en place entre enfants et adultes présents. Les enfants qui accrochent le mieux aux moments d'action de rue, ou bien parce qu'ils développent une forte demande directe et assumée, ou bien parce qu'ils mettent en scène un comportement provocateur qui cherche visiblement à capter l'attention de l'adulte, voire à la ravir aux autres, demandent avant tout à être écoutés.
Et si on les écoute, que nous disent-ils? Ils nous disent en général une certaine solitude qu'ils partagent souvent avec leur famille. Cette solitude prend parfois la forme de l'isolement, dans le confinement par exemple avec des parents souffrants; c'est pour sortir de cette solitude que les enfants s'orientent spontanément vers la rue ou la cité; ils en attendent d'ailleurs légitimement de la relation, une chance de prendre place dans une communauté humaine, où l'enfant ne serait pas cantonné dans des activités oisives ou passives; mais ils nous disent aussi que la solitude c'est de se retrouver enfermés entre enfants dans des groupes non choisis, d'appartenance qui s'ils les protègent quelques fois, les étouffent et les maltraitent souvent.
Quand ils sont plongés dans des bandes, les enfants, en effet, se retrouvent souvent coincés dans des relations de force et de domination qui sont usantes et pénalisantes. Dans les quartiers, il n'est pas rare que les enfants aient à fréquenter le même petit groupe qui compose la cage d'escalier ou le bas d'immeuble durant de longues années, à l'école aussi. On comprend qu'il s'agit alors de collectifs d'enfants dont la réunion est plus subie que choisie.
Ces groupes n'ont en effet jamais été structurés et organisés avec l'aide des adultes; ils se sont constitués et ordonnés tout seuls, à partir du rapport le plus simple et le plus évident: le strict rapport de force. Ce sont donc des groupes omniprésents, extrêmement ordonnés en interne et qui ont la particularité d'imposer à leurs membres une certaine violence quotidienne. Quand il est plongé dans untel groupe, un enfant ne peut pas profiter pour lui même d'un instant privilégier avec un autre, sans que le groupe viennent l'interrompre. De la même manière, il ne peut pas bénéficier des marques d'une faveur d'un adulte (petit cadeau, gâterie) car le groupe impose alors son partage et son influence. Enfin, ce n'est pas au sein d'un tel groupe que l'on peut se risquer à apprendre à exprimer aux autres ses émotions: se montrer sensible ou triste même quand on l'est vraiment ne peut que constituer qu'une preuve de faiblesse qui risque trop d'être exploitée par le groupe lui-même. On voit ainsi la violence la plus ordinaire possible que font peser sur leurs membres les groupes d'enfants non structurés et non organisés avec l'aide des adultes. Alors, bien entendu, de tels groupements apportent tout de même une certaine sécurité à leurs membres, au moins vis à vis de toute atteinte ou de toute intervention extérieure, fût elle celle de l'adulte qui vient demander des comptes ou s'intéresser de trop près à ce qui se passe; mais cette "sécurité" vis à vis de l'extérieur est payée au prix fort de l'absence de toute garantie en interne du respect des personnes.
Paradoxalement, c'est au sein de ces groupes les plus "soudés", les plus "collés" que l'on rencontre l'image a plus dégradée de la collectivité ou de la société. Si l'on interroge les enfants et les jeunes qui composent ces groupes, on peut ne peut être qu'atterré par l'image dévalorisée que ceux ci peuvent avoir du collectif et de la vie en collectivité: ces situations sont en effet pour eux synonymes "de se faire avoir", ou spolier. Ce sont justement ces enfants et ces jeunes là qui vont se faire les chantres des modèles et projets de vie les plus individualistes et les lus éloignés de toute idée d'engagement, de don ou de responsabilité.
En fait, contrairement à ce que s'imaginent de nombreux adultes, les enfants qui passent une bonne partie de leur temps en bandes spontanée dans les espaces publics n'ont pas tant besoin d'ordre que d'organisation. L'ordre c'est ce qui arrive dans un groupe sans règle où des rapports très stricts de hiérarchie se mettent implacablement en place. Il n'y a dès lors plus beaucoup de conflits dans de tels groupes et les conflits trouvent à se reporter et à se vivre vis à vis d'autres groupes ou des adultes en général.
A l'inverse, l'organisation, au contraire, suppose de renoncer à cet ordre et d'imposer dans le groupe une place et le respect pour chacun. Cela suppose évidemment qu'un "adulte se mouille" pour prouver dans la durée que ce n'est pas qu'une vaine parole. Un tel groupe peut alors s'organiser; il peut se donner des objectifs, il peut s'ouvrir à d'autres collectifs en extérieur; ses membres n'en sont pas prisonniers et le conflit en interne peut être accepté et assumé, c'est à dire devenir fécond. Les bénéfices éventuels des actions menées dans des groupes organisés ne s'épuisent plus en interne, ils peuvent être ouverts ou offerts aux autres. On va ainsi pouvoir, dans de tels groupes, préparer un spectacle que l'on jouera devant des parents ou d'autres enfants, ou préparer un atelier auxquels d'autres s'initieront. Or, cette ouverture du bénéfice sur l'extérieur produira en retour une image valorisée du groupe et de ses membres.
Or, que permet, le travail en milieu ouvert quand il donne lieu justement à la création et à l'encadrement avec des adultes de groupes d'enfants? Il permet justement de faire en sorte que cette orientation spontanée de l'enfance pour la vie de l'immeuble, du quartier, de la Ville, prenne une dimension non clanique mais créative et dynamique.
Les enfants attendent toujours de la rencontre avec les adultes en milieu ouvert la possibilité d'accéder à un rôle actif et positif dans leur environnement à partir de groupes qui se re forment cette fois autour de projets sociaux et d'initiatives ouverts sur l'environnement.
Les enfants témoignent ainsi que leur place ne se situe ni dans des institutions froides ou centrées sur leur fonctionnement en interne, ni dans leur foyer parfois lui même coupé de toute vie sociale et de participation active à la vie de la Cité.
Les enfants que nous côtoyons, avec qui nous travaillons, revendiquent de prendre une place tangible dans la communauté; avec notre aide, ils s'efforcent de devenir animateurs de leur quartier, d'inciter les parents et les adultes à se rencontrer autour de leurs productions et de leurs projets…
On voit peut être combien on est loin ici des pratiques sécuritaires contre les enfants et les familles qui semblent toutes orientées vers l'enfermement de l'enfant à l'école ou dans des "réserves spécialisées". Toutes ces pratiques toutes ces mesures qui tentent à pénaliser la présence des enfants sur la voie publique, ou les rassemblements d'enfants dans les quartiers ne contribuent qu'un peu plus à parfaire la production de solitude, la dilution des liens sociaux et l'exclusion de la participation à la société du plus grand nombre.
Non, pour nous à Robinson, nous en faisons un principe: la place des enfants est dans la rue;.. La nôtre aussi!
Quelques enseignements issus de la démarche d'évaluation externe entreprise avec l'AFRESC en 2002
L’Association de Formation et de Recherches en Santé Communautaire est une association indépendante, fondée en 1987 et dirigée par M Michel Bass, médecin de santé publique et anthropologue.
L’AFRESC réalise des enquêtes et des actions qui sont à l’interface de la recherche , de la formation et de l’action pour de nombreuses institutions publiques, et particulièrement celles qui sont partenaires et financeurs de l’action de notre association (Conseil Général 91 ; CAF ; CPAM ; Mutuelles, DDASS et DRASS, etc.)
Cette action d’évaluation indépendante a été conduite à la demande de notre association et financée en fonds propres, dans un esprit d’échanges et de coopération, entre les mois d’avril et juin 2002. Le rapport final a été remis au mois de juin 2002.
Ce travail d’évaluation a constitué un élément important dans une démarche permanente de notre association. En effet, notre équipe, volontairement pluridisciplinaire, avec l’apport des volontaires prend en charge de manière globale l’ensemble contextuel de notre action, en partant de la recherche de subventions jusqu’ à la réflexion, en passant bien entendu, par l’action éducative.
Les passages ci dessous qui décrivent quelques aspects du
travail de l'Association INTERMEDES sont extraits du rapport officiel, remis en
juin 2002.
Etablir des relations basées sur la confiance
"On peut donc voir les professionnels de la Maison Robinson poser un regard bienveillant sur chaque enfant, la parole ayant une place très importante. Que ce soit lors des activités en extérieur ou à l’intérieur de l’appartement la communication est constante entre adultes et enfants.
On sent qu’il ne faut pas faire des promesses que l’on ne pourra pas tenir et si les adultes s’engagent auprès des enfants, c’est que tout sera mis en œuvre pour que cela fonctionne.
C’est ainsi que le lien se fonde sur la confiance et l’amitié à la maison Robinson.
On peut voir à chaque instant l’attachement que les enfants ont pour les animateurs de la Maison Robinson, ils ont tous développé une histoire personnelle avec chacun d’entre eux, leurs envoient des cartes postales lorsqu’ils partent en vacances. Ce sont des adultes et des amis car on peut jouer et rire avec eux. " (P. 10)
"Les animateurs ont une autorité sur les enfants même en présence des parents, ce qui nous prouve que les mamans leur font confiance dans l’éducation de leurs enfants. Si les enfants peuvent jouer dehors, c’est parce qu’ils sont avec les animateurs de la Maison Robinson, les parents pouvant ainsi vaquer à d’autres occupations. Après l’école, lorsque les enfants jouent dehors et qu’ils sont accompagnés par les animateurs, il y a parfois un groupe de mamans qui discute un peu à l’écart tout en posant un regard bienveillant de temps en temps sur le groupe et sur leur enfant, mais sans volonté d’intervenir sur le déroulement des activités, elles les regardent juste s’amuser.
Aussi, lorsqu’il y a une urgence dans la famille, ils savent qu’ils peuvent laisser leur enfant à la Maison Robinson. Les professionnels de la Maison Robinson jouant à la fois le rôle de soutien, de conseiller et de partenaires dans l’éducation de leurs enfants, des échanges réguliers se font entre eux.
Nous avons pu voir dans l’appartement une animatrice qui aidait une maman dans ses papiers administratifs. La maman est revenue à plusieurs reprises pour demander d’autres informations. Il arrive aussi que des mamans préparent la cuisine et viennent amener ses plats à la Maison Robinson pour les partager avec tout le monde. Elles accompagnent les enfants lors des sorties et proposent des projets en aidant à leur réalisation. Tous ces gens se connaissent et se font confiance, ils savent ce qu’ils peuvent attendre les uns des autres et ce qu’ils peuvent faire les uns pour les autres.
La maison Robinson semble avoir créé une petite communauté autour d’elle, à laquelle tout le monde participe." (P. 11)
" Le travail des « éducateurs » n’est pas du tout vécu comme une intrusion par les familles, il n’y a pas de suspicion de contrôle social. La confiance dont nous ont fait part les personnes interrogées est née du rôle que la maison Robinson a joué dans leur histoire personnelle.
Les parents ne vivent pas non plus les « éducateurs » comme des concurrents éducatifs mais comme des soutiens , des relais … prolongeant leur rôle de parent .." (P.15)
Développer une prévention active basée sur le développement des facteurs de protection
"Cette capacité à protéger l’enfant « du dehors », à définir un cadre non contraignant, à définir l’espace de la rue comme un espace constructeur parce qu’accompagné est une spécificité de la Maison Robinson. La présence presque permanente en détermine le caractère préventif. La socialité est réinvestie dans son territoire et pas seulement dans l’institution. La Maison Robinson est un cadre, un contenant sans murs, même si une partie des activités se déroule dans un appartement. Mais sa pédagogie singulière en fait autre chose que de l’éducation de rue. La Maison Robinson change le quartier, transforme les notions de dedans et dehors, d’institution et de population, de producteur et d’usager (nous y reviendrons). Le quartier, les habitations, l’appartement de la Maison Robinson, la rue sont autant de lieux où l’action de la Maison Robinson permet de penser l’éducation et la socialisation des enfants sans solution de continuité.
Cela tord le cou à des notions un peu facilement exploitées ces derniers temps : créer des lieux fermés pour les jeunes mineurs, penser les groupes des jeunes, les relations parents enfants comme hors de (…), penser les quartiers comme des zones de « non droit » c’est à dire des zones de non société, ou de société parallèle avec des territoires définis.
La Maison Robinson prouve que l’on peut éduquer et créer du contenant sans poser des barbelés autour des gens." (P. 20)
Présenter le lien social comme non marchand et non utilitaire:
"Histoire de M.
On avait tout de suite senti en elle une grande solitude
il est arrivé à M. de ne rien avoir à nous demander :
nous sommes habitués à ce que les enfants n’aient pas tout le temps besoin de
nous.
M. n’était justement pas venue pour rien, pas pour
prendre, mais pour donner.
On s’est mis à rêver qu’on peut venir gratuitement, juste
pour le contact.
Oui, M. peut venir pour rien, c’est à dire qu’elle peut venir digne, debout et pour elle." (article de l'association INTERMEDES, cité P. 21)
"La Maison Robinson est une structure proposant aux enfants et à leur famille une « offre » très particulière : une présence, un espace, une disponibilité. Elle ne propose pas vraiment de service ou d’activités qui seraient conçus en réponse à des besoins ou des problèmes particuliers repérés dans telle ou telle population. Nous verrons plus loin que, quand elle le fait (&4), le résultat n’est pas « très bon »." (…)
"La contrepartie, ou plus exactement le pendant de cette gratuité, ce qui fonde à notre sens l’action de la Maison Robinson, c’est précisément cette possibilité que chaque enfant, chaque parent vienne non pas en usager, en consommateur, mais en donateur. Contrairement à la philosophie du service, la Maison Robinson passe ainsi de la position de donateur (offreur de service) à la position de donataire (la Maison Robinson reçoit de la part des utilisateurs). M. ne vient pas pour prendre, mais pour donner. Les enfants que nous avons côtoyés n’avaient pas d’attitude consumériste. Il nous a semblé qu’ils venaient là pour être là, être reconnus, rencontrer d’autres enfants, rencontrer des adultes. Y compris dans les activités de rue (ludothèque par exemple) où l’activité est plus un prétexte (à la rencontre et à l’échange) qu’un but(…)"
" (…) La méthode de la Maison Robinson n’est pas seulement non utilitaire (comme par accident). Elle est dans un refus voulu de l’utilitarisme (…)"
" (…) Pourquoi ce refus et comment en interpréter la pertinence ?" (P. 22)
"A la Maison Robinson, chacun est libre de donner. Le contre don est rendu possible. Les conditions sont créées pour permettre à chacun de donner, d’apporter quelque chose aux autres, ou à la collectivité. De cette manière, la Maison Robinson a un impact sur l’isolement des enfants et des familles parce que son mode d’action vise à créer du lien. Cette approche anti-utilitariste recréé les conditions d’une relation, d’un échange solidaire. L’enfant n’est pas un consommateur de service, mais est placé dans des conditions où son apport est indispensable. " (P. 23)
" La Maison Robinson fonctionne dans la réciprocité. Elle ne pourrait fonctionner autrement. C’est par ce mode de fonctionnement que ce qu’elle fabrique est original et important. Cette force de la dette est partagée. Les professionnels eux-mêmes donnent beaucoup plus que l’équivalent de leur salaire. Le lien est d’autant plus fort que la dette est forte et circule. Voilà pourquoi la Maison Robinson n’est pas « un service public comme les autres ».
cette démarche peut être qualifiée de développement communautaire, reposant sur l’idée du développement local et de l’approche communautaire. Elle contribue à renforcer l’identité et la dignité des enfants et de leur famille. La démarche de la Maison Robinson nous semble pertinente : prévenir et traiter la violence des relations par la reconstruction d’une identité." (P. 25)
Une vision non sécuritaire des rapports sociaux
"En analysant cette dialectique, on s’aperçoit que ce qui rend, permet cette ouverture de la Maison Robinson dans le quartier, avec les familles, c’est l’absence de jugement sur les familles, qui va de pair avec l’absence de pouvoir d’intervention sur les enfants et les familles. Même s’il faut l’autorisation des parents pour venir à la Maison Robinson (l’appartement), on peut participer aux activités du dehors, si on se trouve là, sans autorisation des parents. Les professionnels de la Maison Robinson organisent des activités et les régulent, mais ne se permettent pas d’intervenir dans la vie des enfants et de leur famille. C’est par l’intermédiaire des enfants que les professionnels de la Maison Robinson rencontrent les parents. Cette absence de pouvoir, ce n’est pas un manque. Ce n’est pas un défaut. C’est une volonté. La Maison Robinson est une micro société « contre » le pouvoir à l’image de ce que Pierre Clastres appelait « la société contre l’état »[9] . Dès l’instant où la Maison Robinson ne peut exister que dans l’échange, le don et le contre don, les adultes en situation d’autorité (y compris légale) ont un « pouvoir sans pouvoir ». Le pouvoir conféré par la parole, l’écoute et l’absence de possibilité et même de volonté d’intervention." (P. 29)
"Ce modèle est à méditer à l’heure du retour, au moins dans les discours, de la volonté de la force, de la fermeté, du contrôle social et judiciaire de la violence. L’autorité ne se construit pas dans la force. Restaurer l’autorité, c’est restaurer la place réelle de chacun dans le collectif[10]. La violence est souvent le produit de la non place, du désespoir lié à une identité et une dignité mal assurées. La violence contribue, par la recherche du prestige et de la reconnaissance, à la création de sa propre place dans le groupe humain. Mais sa place, son prestige, son identité peuvent se construire autrement : par l’autorité et les rôles de chacun dans une réciprocité socialement légitimée. La Maison Robinson travaille à cette restauration et en ce sens, en refusant tout contrôle social, agit de manière extrêmement efficace à la prévention de la décomposition du lien social." (P. 30)
Vers une autre approche de la notion d'autorité?
"La Maison Robinson ne peut vivre que par le projet des
gens, des enfants. Les meilleures idées ne sont pas celles que
l'on a, ni même celles que l'on donne, mais celles que l'on suscite.[11] Ainsi la capacité des
professionnels à susciter les idées, les projets, les paroles sont plus
importantes que les capacités à faire ou organiser des services. Les
compétences des professionnels de la Maison Robinson dépassent les compétences
strictement professionnelles habituellement requises pour le travail social. On
ne demande pas aux professionnels de la Maison Robinson de porter des projets
au sens habituel (excepté le projet de la Maison Robinson lui-même). On leur
demande d’accompagner, de susciter les projets des enfants, dans une pédagogie
du don et une pédagogie institutionnelle. D’où l’importance de la problématique de la
réciprocité, de la place de chacun dans la construction du projet, et du
respect de la parole de chacun. La pédagogie du don ne fait en
général pas partie de la méthodologie de projet enseignée dans les écoles de
travail social ..." (P. 37)
"L’autorité
n’est pas coercitive. Elle est un processus de reconnaissance. Elle ne renvoie
au pouvoir qu’en tant que le pouvoir contraint ceux qui en sont pourvus à la
vertu et à la générosité. Le professionnel est reconnu parce qu’il joue ce rôle
de « chef » sans pouvoir. La personne jouissant de l’autorité doit
aux autres. Doit donner (de son temps, de son énergie, etc.). Ce qui nous fait
dire par ailleurs que le professionnel de la Maison Robinson est plus qu’un
professionnel. Ce qui peut permettre au professionnel de travailler à la Maison
Robinson est précisément d’être dans une relation aux enfants, aux familles
dans lesquelles son autorité est conférée par le fait qu’il est disponible,
présent, généreux. Les enfants et les familles se sentent liées par ce cadeau.
Le lien ainsi créé est d’une nature plus puissante qu’aucune règle imposée.
C’est parce que les acteurs sont liés que les adultes de la Maison Robinson
sont légitimes aux yeux des enfants. Réciproquement, les enfants et les
familles cherchent leur place, c’est à dire la possibilité, la liberté de
rendre, de donner à nouveau. Si tant est que la liberté « signifie la
même chose que poser un commencement et débuter quelque chose »[12].
Maria
Maïlat[13] demandait s’il y avait
« une équipe qui met en place des outils pour apprendre à l’enfant la
façon dont les professionnels expriment leur respect à l’égard des
parents » [14]. A la Maison Robinson, une
des possibilités de donner est l’espace-temps laissé à la création. La Maison Robinson n’existe pas sans la
créativité des enfants et des parents, même si « il faut souvent aller
chercher les parents ». Ainsi, la réciprocité est inscrite dans le
fonctionnement : la légitimité conférée par les parents aux adultes de la
Maison Robinson est un cadeau en retour. La Maison Robinson évite ce
piège dénoncé par Maria Maïlat de « remplacer le contenu de l’autorité
parentale par une panoplie d’obligations utilitaires »[15]. Liberté, don, autorité,
création sont le contre chant d’une tendance à vouloir encadrer, maîtriser,
imposer des règles. C’est une « restauration de la liberté dans un
champ où les institutions interdisent l’ouverture d’un chemin innovant et
spontané entre enfants et parents »[16]. " ( P. 40)
Actions poursuivies actuellement par la Maison Robinson
Dans le cadre de ses objectifs de lutte contre la solitude enfantine et de soutien de la fonction éducative, l'Association INTERMEDES a mis en place un programme appelé "Maison Robinson" qui comprend à ce jour:
Des actions de rue :
Une bibliothèque de rue hebdomadaire, à la Croix Breton, le mardi de 17h30 à 19h.
Une deuxième à Bel-Air, le vendredi de 17h30 à 19h.
Une ludothèque de rue hebdomadaire en alternance à La Rocade, à la Villa Saint Martin, le dimanche de 14h à 16h.
Des ateliers d’activités manuelles à la demande des enfants, le dimanche de 11h à 12h.
Un Conseil des enfants du quartier hebdomadaire.
Un prêt de jeux pour la semaine.
Des animations exceptionnelles: "Fêtes de quartier," "journée du livre", "journée de la création enfantine", etc.
Des animations de médiation culturelles: Ateliers d'écriture
Des actions en milieu ouvert dans la rue ou dans notre local sur place:
Des groupes d'initiative permanents ou à durée déterminée pour enfants porteurs de projets (8 - 12 groupes en activité) (groupe collégien, groupe grand, le goûter des petits, vidéo, cuisine, etc.)
Des accompagnements individuels d'enfants dans notre
local ou de familles à leur domicile :
Accompagnements individuels et réguliers d'enfants et de parents (30- 40 enfants concernés)
Actions de développement social et solidaire de quartier (projets initiés par les habitants et l'association).
Des actions et projets de promotion du travail de
permanence éducative en milieu ouvert:
Une actualisation de notre site est en cours
Nous diffusons tous les mois un bulletin d'information concernant notre action, "les Nouvelles de Robinson" que l'on peut recevoir sur adhésion par courriel ou par la poste.
Les Actes de notre Journée d'Etude de mai 2002, sont publiés et disponibles sur demande,
Nous accueillons toute l'année des stagiaires éducateurs, animateurs, psychologues, universitaires, intéressés par notre démarche de travail
Nous contribuons aux travaux de recherches et aux engagements d'organisations comme DEI France , l'ICEM- Pédagogie Freinet et le Mouvement Education et Société (Dans le cadre de cette dernière structure, l'Association INTERMEDES est membre de la Conférence Permanente sur la responsabilité démocratique du travail social".
Nous contribuons aux travaux et aux échanges des Réseaux d'Ecoute et d'Appui à la parentalité, dans l'Essonne.
Nous poursuivons un travail de réflexion et d'échange de pratiques avec l'équipe de l'Aide Sociale à l'enfance de la circonscription de Longjumeau.
Nous participons à de nombreux colloques ou Journées d'étude, dans les domaines nous concernant.
Pratiques coopératives contre pratiques sécuritaires
Par
Laurent Ott,
L’isolement, la solitude et la dépendance croissants des enfants et de leur famille
instabilités environnementales
C'est un lieu commun mais pourtant une réalité de rappeler que les enfants d'aujourd'hui en milieu urbain connaissent de plus en plus de ruptures; celles ci peuvent être dues à l'accroissement constant ou maintenu de l'exode des générations vers de nouveaux cadres de vie: il s'agit là de mouvements mondiaux de déracinements collectifs. Mais les ruptures sont également familiales, quand elles mettent en scène l'éloignement des parents de leur propre famille d'origine; elles sont enfin liés à des histoires de vie: valse des intervenants sociaux et éducatifs dans la vie des enfants, déménagements successifs liés à des ruptures, des promotions, des rapprochements, éloignement des nourrices, des copains, des écoles, séparation des parents, ou des compagnons d'un moment: jamais la vie des enfants des enfants comme celle des adultes d'aujourd'hui n'a tellement été placée sous le signe de la séparation.
Instabilités institutionnelles
Or, le fait que l'enfance soit devenue une préoccupation constante et une valeur absolue sur le plan de la société n'a pas semblé très efficace pour protéger l'enfant de l'isolement et des conséquences de ces pertes de repères à répétition. En effet si le degré d'exigence concernant la qualité des interventions auprès des enfants n'a cessé d'augmenter sur un plan technique et procédural dans à peu près tous les lieux qu'il peut avoir à fréquenter, la cohérence entre ces interventions, le souci de leur durée, leur suivi à long terme sont complètement négligés par les politiques publiques et éducatives actuelles (du moins en France) et ce à n'importe quel échelon, local ou national.
Pire, la demande de qualité en matière de pratiques éducatives, qui s'est traduite par une professionnalisation croissante des intervenants, un développement continu des moyens et des structures semble avoir abouti à perdre de vue toute ambition éducative globale et durable centrée sur la personne, au bénéfice unique de la qualité et de la sécurité des pratiques dispensées.
Sauf à être complètement isolés (ce qui arrive plus souvent qu'on ne croit) les enfants d'aujourd'hui, en milieu urbain, au moins, sont appelés à côtoyer une multitude d'intervenants durant leur enfance: ceux ci s'occuperont de toutes sortes de sports ou d'activités, d'autres de cultures et de loisirs, certains encore de sa santé; bien entendu, au centre il y a l'école qui a tendance à tout grignoter et à mettre toutes les autres structures à son service… Pourtant, combien d'interlocuteurs se maintiendront dans la vie de l'enfant au delà de quelques années? Quels interlocuteurs connaîtront autre chose de l'enfant que ce que leur cadre d'intervention leur donne à voir?
Il s'agit bien là d'un manque réel et cruellement ressenti par les enfants d'aujourd'hui; c'est d'ailleurs la recherche par les enfants eux mêmes de relations durables avec des adultes réellement investis auprès d'eux, et non de simples spécialistes, qui explique le succès sans cesse rencontré par les actions éducatives en milieu ouvert (dont il sera question plus bas).
Perte des pratiques d'éducation communautaires
Il est aussi nécessaire de signaler la perte constante d'influence des grands mouvements éducatifs qui on permis aux générations passées d'enrichir considérablement le potentiel éducatif des familles et des collectivités (alors plutôt absentes de ce terrain).
Qu'il s'agisse de mouvements confessionnels tels que les divers patronages, plus larges tels que les mouvements scoutes ou même d'organisations politiques telles que les jeunesses communistes, il existait bel et bien, du moins en France, de solides traditions éducatives communautaires qui ont imprégné des générations.
Or celles ci, ce n'est pas un scoop sont en baisse constante d'influence; on a souvent évoqué pour expliquer ce mouvement de repli, la fin ou la baisse d'influence des idéologies et la montée en puissance de l'individu isolé. Par ailleurs ces mouvements quand ils continuent d'exister sont souvent mis en péril par la montée en puissance des réglementations en matière d'accueil d'enfants, par la recrudescence des procès et des mise en cause personnelles, etc.
Il ne s'agit évidemment pas de regretter que des dispositifs laïcs et démocratiques aient pris la place des initiatives de certains groupes sociaux; mais pour autant, il faut bien reconnaître que si les collectivités territoriales ont su développer des pratiques éducatives beaucoup plus professionnelles, il en a découlé une perte certaine sur le plan de l'existence d'un projet éducatif , collectif, vivant ( et partagé par des adultes vivant et agissant dans la société qui les entoure) et que c'est bien ce manque que les enfants d'aujourd'hui sentent et mettent en cause…
Démission de l’école vis à vis de toute éducation réelle et concrète au collectif
L’école prend toute la place dans la vie d’un enfant
Que l’on se plaigne de son déclin, ou de ses insuffisances, comment ne pas s’apercevoir que l’école est de plus en plus et quoi qu’on en dise au centre de la vie de l'enfant ?
Par un énorme tour de passe-passe , elles est également de plus en plus au centre de la vie de leurs parents au point que pour les parents leur enfant est en train de devenir … un élève. Il n'est pas rare de rencontrer des parents souvent issus de milieux défavorisés qui comptent priver de jouets leurs enfants à Noël alors qu'ils adorent les gâter car les résultats n'étaient pas à la hauteur ou que l'école se plaint de leur comportement… Et il n'est pas rare de rencontrer non plus des enseignants pour trouver le procédé certes exagéré mais dans l'ensemble plutôt heureux.
C'est que l'école a pris la place d'un projet éducatif de société aujourd'hui absent. La réussite individuelle sanctionnée par l'école est devenue l'unique horizon, l'unique ambition d'une société donnée pour ses jeunes.
Pire, on ne remarque pas assez le curieux renversement conceptuel qui a fait de l'école son propre but; elle n'est plus comme le devrait se mettre parmi d'autres (parents, environnement, autres professionnels) au service d'un projet de co-éducation global, elle devient à elle même son propre objectif et au passage mobilise tous les autres intervenants pour son service. C'est ainsi que l'on envenime, de plus en plus couramment, les rapports des enfants avec leurs parents à force de convoquer ces derniers et de les mettre sous pression.
Or, au même moment où l'école devient le centre de la vie de l'enfant et accessoirement le but y compris de la famille elle- même (et ce encore davantage dans les milieux les plus défavorisés), celle-ci, en France particulièrement, abandonne de plus en plus la mission d'éducation qui pourtant a toujours été la sienne depuis ses origines.
Depuis 1984, en France, comme le remarquait M. Meirieu dans un article paru dans le Monde du 24 février 1996 décrivait parfaitement le processus dans ces 3 composantes caractéristiques et complémentaires:
rétrécissement des ambitions de l'école vers des savoirs fondamentaux minimaux et en tout cas vers une zone d'intérêt exclusivement cognitive
éjection en dehors de l'école, vers les parents ou l'extérieur de la tâche d'éduquer l'enfant,
annexion de l'environnement de l'enfant pour le mettre au service de la réussite de l'institution .
On peut mesurer aujourd'hui combien cette analyse est encore pertinente et comment ce même mouvement se perpétue encore.
On voit également combien ce constat, ce déni d'éducation, peut éclairer d'un sens tout à fait différent et intéressant la question de la violence ou de l'incivilité dans les institutions scolaires.
Il faut cependant remarquer que ce reflux de l'ambition éducative de l'école s'accompagne de la dénonciation du comportement des enfants et des adolescents dans ces mêmes établissements et de la montée en puissance des pratiques autoritaires, répressives et excluantes. Pire répression et sélection sont visiblement en passe de devenir les maîtres mots de la conclusion obligée de la parodie de « débat sur l’école » que l’on voit en œuvre. .
On ne cherche plus, semble-t-il à savoir pourquoi, les adolescents ne veulent plus venir au collège… On cherche plutôt comment mieux convoquer leurs parents s'ils sèchent, et comment les orienter ou les exclure plus rapidement.
L’école ne s’occupe pas d’éducation au collectif et livre
l’enfant à des groupes sans protection
De même, on ne se demande plus pourquoi et en quoi l’école ne répond plus aux besoins sociaux et éducatifs des enfants et adolescents d’aujourd’hui. On préfère sous traiter aux familles épuisées les réformes et les changements nécessaires.
Mais la pire démission de l’école provient sans doute de l’absence totale de toute éducation au collectif que celle ci met en œuvre auprès des enfants ; le groupe, à l’école, apparaît trop souvent et trop naturellement comme un « déjà là » déjà acquis. C’est ainsi que nombre d’enseignants se contentent d’enregistrer la qualité plus ou moins bonne des groupes constitués par leurs élèves, en fonction des années et du hasard des individus qui les composent.
L’enseignant n’est même pas encouragé par son administration à « travailler le collectif » ; la formation initiale des enseignants dans les IUFM a accentué les précédentes carences des Ecoles Normales : la formation psychologique, la formation aux phénomènes et processus psychosociologiques n’y occupent principalement aucune place et le dogme officiel transmis aux nouveaux enseignants continue de considérer que les problèmes de collectifs dans les classes ne viendraient que d’une mauvaise préparation des leçons, ou à une inadaptation des contenus étudiés par rapport aux compétences des élèves ; plus récemment, et de façon plus inquiétante encore, ces considérations indigentes se trouvent renforcés par un nouveau discours bien plus répressif, et plus excluant. Si le collectif ne parvient pas à devenir éducatif, il faut aujourd’hui, dans chaque classe désigner des coupables, mobiliser les parents sous peine de les déclarer démissionnaires et pour le moins recourir aux sanctions et à l’orientation, quand les deux ne se confondent pas.
On a ainsi par un tournant sécuritaire, transformé une ignorance en fourvoiement, et on entraîne sur la voie du conflit inter-personnel des enseignants qui n’ayant pas la chance de découvrir ce que c’est qu’un milieu éducatif et coopératif, ne peuvent plus se représenter leur fonction que par les verbes « résister et tenir ».
Evidemment, il faudrait aller dans le sens opposé et engager l’enseignant à s’intéresser au collectif, non pour faire « de la discipline » mais pour l’organiser, c’est à dire le rendre à lui même, en permettant à chaque membre de se l’approprier.
Entre solitude et dépendance : paradoxes de la sociabilité enfantine, en milieu urbain
Il pourrait paraître de premier abord quelque peu paradoxal de faire état de difficultés fréquentes de sociabilité, et en particulier à s'insérer dans un groupe, pour des enfants qui vivent dans des classes, dans des grands ensembles urbains et qui fréquentent largement les espaces publics où ils sont en contact constant avec d'autres enfants ; et pourtant, le constat n'est pas neuf.
Ce que l’action d’une association comme Intermèdes[17] permet d'entrevoir, c'est d'abord la très grande hétérogénéité des enfants de ces quartiers de ce point de vue : on y rencontre en effet autant d'enfants capables de s'insérer dans un groupe nouveau et structuré que d'autres, qui au contraire, ne peuvent y développer que violences et inhibitions. Face à cette hétérogénéité, plusieurs voies s'offrent à l'action éducative ; la première consiste à ne pas vouloir la traiter et à laisser les enfants, en fonction de leurs compétences sociales, bénéficier et s'inscrire dans les activités traditionnelles ouvertes aux enfants en milieu urbain : garderies, clubs de sports, clubs de loisirs culturels. C'est la tendance actuelle, elle aboutit visiblement à renforcer les compétences et la sociabilité de ceux qui en ont le plus et à reléguer, à l'inverse, les enfants considérés comme les plus «difficiles» hors de tout groupe structuré, les mettant en contact avec des adultes et un projet éducatif. Il ne restera plus alors à ces enfants en difficulté que de bénéficier sporadiquement d'activités offertes par les municipalités dans un but de pure consommation : manifestations festives, actions ponctuelles d'animation avec des supports valorisés, sorties vers des bases de loisirs.
On saisit ce que cette répartition, finalement assez libérale, peut avoir d'enfermant; on fabrique ainsi les adolescents infantiles et individualistes, qui, quelques années après ne peuvent plus envisager le dialogue avec la collectivité que sous la forme de la «pression» ou du chantage, dans une dépendance finalement totale vis-à-vis des institutions et des pouvoirs qu'ils croient pourtant «manipuler». Une deuxième voie consiste évidemment, à exploiter cette hétérogénéité comme une ressource, et surtout comme une occasion de permettre aux enfants les plus en difficulté dans un groupe, d'apprendre à s'y exprimer, à y trouver une place et à enrichir et varier leurs compétences de relations à autrui. C'est bien entendu à cette deuxième voie que s'attelle toute démarche visant à développer des «actions d'association» pendant l'enfance.
Deuxième constat, : la solitude. C’est essentiellement à partir du double constat de l’isolement des parents et des enfants que s’est initiée puis développée l’action de l’Association Intermèdes (Ott, 2001/2003). Par ailleurs, il est important de préciser, pour mémoire, que le développement incessant de loisirs et de soins spécialisés pour les enfants a été contemporain d’une baisse évidente des ambitions publiques en matière d’éducation et à la baisse concomitante des grands mouvements d’éducation.
La solitude c’est également pour beaucoup de la dépendance. Pour autant, dans le cadre des actions du dispositif de la Maison Robinson, l’équipe s’est rapidement rendue compte que l’isolement des enfants, postulé à l’origine de l’action, se déclinait souvent d’une façon paradoxale, au travers de relations réduites, exclusives et souvent enfermantes que les enfants pouvaient connaître. En effet, de nombreux enfants des villes se trouvent souvent confinés, loin des adultes, dans des situations de co-existence quotidienne avec des enfants ; il s’agit souvent des frères et sœurs ; à défaut, c’est souvent (ou alors par surcroît) le groupe d’enfants de la cage d’escalier ou de l’immeuble lui-même. Le point commun de ces relations de quotidienneté est qu’elles sont à l’observation, plus souvent subies que choisies.
Elles semblent à l’évidence devoir leur force et leur permanence au fait que le groupe ainsi créé, est en quelque sorte un groupe d'appartenance ; il est en quelque sorte une enveloppe protectrice qui entoure l’enfant, plongé un peu rapidement et rarement accompagné, dans un environnement vécu comme inquiétant. Grâce à ce groupe premier, l’enfant acquiert une certaine forme de sécurité dans son environnement immédiat. Il se sent en particulier protégé de l’intervention potentielle des adultes étrangers, toujours ressentie et attendue avec une certaine inquiétude. Le groupe est en effet ainsi constitué qu’il fait souvent écran aux tentatives (voire aux tentations) de communication face à face avec un intervenant adulte ; il permet également de protéger chacun de ses membres, à l’occasion de tel ou tel mauvais tour, de la colère des personnes vécues comme étrangères à l’environnement immédiat. À l’inverse, ce type de groupe est un obstacle quand l’enfant cherche à initier de nouveaux contacts ou quand il tente de s’adonner à une forme d’expression plus personnelle. Par ailleurs, ce type de groupe, aussi plébiscité soit-il, est souvent le lieu d’incessantes petites tracasseries, de petites maltraitances quotidiennes que s’infligent les membres du groupe entre eux, selon un rapport de force, fortement implanté ; c’est un peu l’histoire de l’aîné qui frappe le cadet, qui frappe, le benjamin… qui frappe le chien.
Du groupe d'appartenance spontané
à la bande d'adolescents, les avatars du collectif
Les groupes premiers d'enfants, ceux qu'on pourrait qualifier d'appartenance ou encore d'identitaires en ce qu'ils permettent à l'enfant de répondre au fait qu'il se sent souvent perdu dans un environnement qu'il ne comprend pas et dans lequel il n'est pas accompagné, ont évidemment tendance à se préserver tout au long de l'enfance. En effet, ces groupes constituent tout autant des écrans que des protections et l'enfant continue donc à fréquenter exclusivement les membres de ces groupes.
À l'adolescence, ces groupes extrêmement rigidifiés et solidifiés par leur ancienneté développent d'autres zones d'intervention : ils s'imposent dans les structures de loisirs offertes aux adolescents, ils rentrent en concurrence souvent violente avec d'autres groupes ou d'autres bandes de même nature. Vis-à-vis des institutions publiques et des acteurs sociaux, depuis une dizaine d'années, ces groupes fonctionnent comme des «groupes de pression» marchandant volontiers une sorte de pression sociale contre le fait de bénéficier de prestations valorisées. Pour autant, les membres de ces groupes semblent bel et bien y être enfermés ; le groupe fait que l'on ne quitte pas le quartier, que l'on ne s'insère dans un stage éloigné, que l'on n'envisage plus d'autre avenir, à terme que de travailler dans son milieu de vie immédiat avec «ses potes», sans se poser la question de la professionnalité et de la légitimité de l'intervention[18].
Aussi convient-il d’en finir avec l’image des quartiers urbains comme milieux naturellement sociabilisant. Une certaine économie de pensée, se représente souvent la condition de l’enfant en milieu urbain, au sein d’un quartier de type «grand ensemble», comme celle d'un enfant fortement sociabilisé, possédant plutôt mieux que d'autres des capacités d'expression de ses émotions au sein d'un groupe de pairs ou dans une collectivité institutionnalisée.
Bien entendu, l'expérience quotidienne des acteurs socio-éducatifs témoigne du contraire ; cette socialisation d'apparence cache évidemment le plus souvent un confinement, voire une succession ininterrompue de ruptures[19], et les enfants issus de quartiers précarisés, moins que d'autres savent exprimer leurs émotions, leurs désirs ou déceptions. Certes, ils n'en ont pas pour autant moins acquis de réelles compétences sur le plan relationnel ; mais le fait est qu'il s'agit de compétences défensives et peu tournées vers l'expression de soi ; tel enfant va exceller à l'oral, par exemple, pour « embrouiller » tel ou tel adulte qui lui demande des comptes, tel autre saura en quelques phrases retourner une situation et se présenter aux yeux de l'assistance en victime, dans les mêmes circonstances. Mais les mêmes individus, s'ils acceptent (et c'est loin d'être gagné) de prendre place dans un groupe organisé qui laisse une grande place aux activités d'expression (groupes « goûters de philo », Conseils, etc.) perdent instantanément cette aisance qui semblait pourtant les caractériser autant et on comprend soudain, face à ces difficultés profondes, d'où leur vient un tel besoin de les dissimuler.
Les groupes, en eux-mêmes, n'ont aucune vertu éducative. On a longtemps cru qu'il suffisait pour donner à l'enfant une certaine sociabilité, de le plonger dans un collectif quelconque, l'expérience, la pratique permettraient ainsi à l'enfant d'acquérir par lui-même, comme un effet du cadre, les compétences indispensables à la vie en collectivité ainsi que la capacité de se construire dans et par le groupe. De nombreuses pratiques, toujours actuelles, qu'elles prennent pour cadre le centre de loisirs, l'école[20] ou le club de sports, sont toutes empreintes de cette conviction «naturaliste», de sorte qu'il ne rentre pas beaucoup dans le projet des initiateurs de tels lieux et groupes, de créer en leur sein les institutions pourtant élémentaires qui les rendront « vivables » et, peut être, éducatifs. Si de telles convictions, tellement partagées, peuvent encore influencer les pratiques, c'est probablement parce qu'on néglige de prendre en compte le fait suivant : jusque dans les années 1970, les enfants ne se contentaient pas de fréquenter ces « groupes d'appartenance » décrits plus haut. Ils étaient également majoritairement appelés à s'investir dans des mouvements d'éducation pour enfants d'obédience scoute, religieuse ou même politique qui avaient en commun d'introduire l'enfant dans une organisation et non pas seulement dans un collectif. La famille, elle-même, n'était pas encore réduite au point d'aujourd'hui, à la stricte parentalité et (à défaut) à la monoparentalité, elle pouvait offrir une autre diversité et une autre richesse en interne : liens de parentalité latéraux, fréquentation soutenue et régulière de familles alliées, etc. De ce fait, c'était toute une organisation familiale qui assumait, aux yeux de l'enfant, toute une panoplie de rôles et de fonctions qu'aujourd'hui un ou deux individus s'épuisent à tenir.
Faire du collectif un milieu éducatif
L'expérience des groupes de la Maison Robinson a entraîné l’équipe vers des pratiques paradoxales ; celle ci ne pouvait, en effet, pas se satisfaire, lors de la genèse de ces groupes, de se contenter « d'officialiser » les « groupes d'appartenance » pré-existants, pas plus qu’il était possible de se résoudre à ne développer, vis-à-vis du public enfantin, que des actions individuelles.
D’où la nécessité de transformer les « groupes d'appartenance ». L’équipe s’est ainsi rapidement rendu compte, que, dans le cadre de son travail en milieu ouvert, elle n’arrivait parfois pas à créer, en conservant ces groupes d'appartenance, les situations de rupture et de changement que l’équipe souhaite développer. Elle a donc été amenée à diverses reprises à refuser d'accueillir ou d'accompagner de tels groupes, obligeant par-là même, les individus concernés à se retrancher de cette «enveloppe sécurisante»
Mais c’est un travail de longue haleine. Il s'agit en effet d'un véritable travail de négociation qui se construit jour après jour, dans la confiance avec les enfants concernés. Il y a en effet une contradiction apparente à lever : l’Association avait affirmé dans tous ses documents de travail, en direction de ses subventionneurs, que le travail en milieu ouvert prôné se devait d'accorder une grande souplesse à l'accueil des contraintes vécues par les enfants ; c'est ainsi que l'accueil de l'hétérogénéité en âge peut permettre d'accueillir dans une structure une grande sœur chargée d'enfants plus jeunes, situation qui exclue quotidiennement ce type de public de la fréquentation des structures culturelles ou de loisirs classiques. Dans ce cadre-là, il faut bien comprendre que la pratique finalement adoptée, de «casser les groupes d'appartenance», est, pour l’équipe, un aboutissement et non pas un préalable à l'établissement et à la poursuite des relations éducatives durables avec le ou les individus concernés.
Quelles sont dès lors caractéristiques modernes des collectifs enfantins spontanés ? Les sociétés d'enfants, ont des caractéristiques bien connues et anciennes; une solide tradition littéraire et populaire a témoigné de l'existence de ces sociétés éphémères; cette tradition est encore prégnante dans la façon courante de considérer de prime abord les phénomènes de bandes d'enfants en milieu urbain. Or, il s'avère, à l'observation, que cette apparente familiarité est trompeuse : ce n'est pas en ayant en tête « La Guerre des Boutons », que l'on peut le mieux comprendre ce que les phénomènes de solitude et de dépendance des enfants en milieu urbain peuvent avoir de significatif.
Ce n'est pas l'objet de ce travail de développer particulièrement sur le plan anthropologique ce que les sociétés d'enfants d'avant-guerre pouvaient avoir de radicalement différent par rapport aux petits groupes atomisés au milieu desquels vivent souvent les enfants des quartiers d'aujourd'hui. Il peut quand même être utile de faire remarquer que :
– les sociétés d'enfants des villages, d'après de nombreux témoignages et récits ou témoignages écrits empruntaient souvent aux collectifs adultes des éléments d'organisation sociale tels que : grades, titres, et rituels de passation ou d'intronisation. Forts de ces «pratiques de référence», ces « micro sociétés » se lançaient souvent dans des projets de réalisations collectives. À l'inverse, les groupements d'enfants dans les quartiers urbains sont souvent dénués de ces éléments d'organisation même embryonnaires; ils se constituent en général sans référence au monde adulte et sans projet, idéal collectif ou « mythe d'origine ».
– ces bandes d'enfants généralement rurales bénéficiaient, pour fonctionner, d'une forte opacité vis-à-vis du monde des adultes; elles pouvaient se constituer des espaces ou des territoires qui n'étaient ni surveillés, ni interdits. Les enfants d'aujourd'hui, et d'autant plus en milieu urbain, vivent dans la transparence et au vu de tous. Les espaces qu'ils peuvent investir sont souvent considérés par les adultes comme usurpés ou occupés (quand leur fréquentation ou occupation ne tombe pas carrément sous le coup de nouvelles lois); ils font forcément l'objet d'un conflit.
– du fait de cette opacité, les collectifs traditionnels d'enfants pouvaient à l'occasion se rendre collectivement coupables de délits non négligeables tels que vol de matériel, bris ou casse dans certaines propriétés, de sabotages divers, parfois même de violences sexuelles ou de cruauté envers les animaux, etc., sans que ces délits n'attirent autre chose qu'une correction à ceux qui se faisaient prendre. Ces « bêtises » ne semblaient pas être ressenties par les adultes comme des atteintes inacceptables et dangereuses à l'ordre public. On assiste aujourd'hui à l'inverse à une pénalisation de la vie des familles et des enfants. L'idéologie de « la tolérance zéro » semble ainsi progresser au moins dans les médias et dans les annonces politiques, et on semble avoir complètement perdu de vue, que l'enfance a toujours été de tout temps une période où pouvaient trouver à s'exprimer sporadiquement certaines tendances antisociales sans pour autant que l'enfant y gagne un statut de délinquant.
Et pourtant, la gravité des actes reprochés aux enfants d'aujourd'hui est souvent en deçà des récits de nos anciens concernant leurs propres « frasques ». Une fois de plus, la différence essentielle provient du fait que les groupes enfantins d'aujourd'hui, et surtout en milieu défavorisé, sont contraints d'opérer dans la transparence. Ces quelques points de comparaison apportent quelques éléments explicatifs ce qui s'impose à l'observation de la condition de nombreux enfants dans les quartiers urbains défavorisés, à savoir que les groupes qu'ils sont amenés à composer sont souvent très réduits, très pauvres, et fondamentalement très enfermants. On y chercherait en vain les éléments du folklore enfantin littéraire. Il semble donc manquer aux enfants d'aujourd'hui, dans l'apprentissage de la socialité, ce que l'on pourrait définir comme « le stade du club ».[21] Ce stade semblait par contre, en milieu rural, du moins, relativement naturel aux enfants d'autrefois; il avait l'avantage d'introduire dans les groupements d'enfants des pratiques de recherche de règles en interne et de décentration des individus.
S'ils ne parviennent à un fonctionnement organisé, les groupes d'enfants d'aujourd'hui n'en développent pas moins, un caractère envahissant pour les membres et l'environnement au fait qu'ils sont solidement ordonnés en interne, à défaut d'être structurés.
Passer de l'ordre à l'organisation[22]
Tout l'intérêt de la démarche associative adaptée à l'enfance semble justement résider dans la possibilité offerte à l'enfant de comprendre et de pouvoir expérimenter des modes de vie groupaux non gouvernés par les stricts rapports de force. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, ce n'est pas tant l'ordre qui manque aux groupements spontanés d'enfants que l'organisation. L'ordre en effet est partout : tout groupe spontané de bas d'immeuble a ses « dominants » et ses « dominés ».
Le choix des actions collectives, la distribution des rôles et des responsabilités ne laissent rien au hasard; en fait ces groupes spontanés paraissent essentiellement déterminés de l'extérieur et polarisés sur la recherche de modèles groupaux très stéréotypés et très liés aux images véhiculées par les médias. À l'inverse, une démarche coopérative adaptée à l'enfance produit de l'organisation, c'est-à-dire qu'elle structure les rapports en interne et en externe du groupe en vue d'un but extérieur. Cette structuration produit pour se prolonger «des règles», des rituels et des institutions, au sens que donnent à ce mot les pédagogies Freinet et Institutionnelle.
Il est possible de relever deux invariants et trois grands « organisateurs » de la structuration des groupes enfantins. À la base de tout travail en milieu ouvert durable, se tiennent deux invariants fondamentaux : la permanence du lieu et du temps des rencontres, et la fidélité de l'adulte à la parole donnée. L’équipe de la Maison Robinson retire de sa pratique de travail en milieu ouvert le caractère fondamental de la fidélité de l'adulte vis-à-vis de ce qui était convenu. De là découle toute confiance possible de l'enfant, et toute adhésion possible de ce dernier à quelque projet, quelque groupe, que ce soit. Cela n'est pas un principe en l'air, pas une éthique réfléchie, mais une pratique quotidienne de chaque adulte qui engage le fonctionnement de la structure. Il s'agit d'un principe absolu : « aucun enfant ne doit attendre en vain ».
Chemin faisant, au cours de l’expérimentation de la Maison Robinson, l’équipe a été progressivement amenée à réaliser un travail d'adaptation et de redécouverte d'outils traditionnels de la Pédagogie Institutionnelle, comme en témoigne le travail réalisé sur la notion de « métiers ». Ce qui est intéressant, c'est que ces outils n'ont pas été plaqués dès l'origine des actions, mais qu'ils sont apparus progressivement ou bien à la demande des enfants, ou bien, à la réflexion, comme mode de réponses proposés par les adultes à des difficultés rencontrées par les groupes.[23] Le groupe coopératif tend généralement à générer des conflits, inhérents justement au fait que chacun est appelé à prendre une place active en son sein.
Trois « organisateurs »[24]
Le premier organisateur : savoir accepter, et exprimer les conflits nécessaires. La gestion de ces conflits devient le travail quotidien de ce type de groupe et prend énormément de temps. De cela, il ne faut pas trop s'inquiéter car ce temps est en fait un temps nécessaire pour que le groupe existe et que chacun puisse s'approprier son évolution. Le temps du groupe s'accorde ainsi sur les possibilités des personnes qui le composent. Les conflits mettent en péril le groupe, aussi doivent-ils être absolument gérés par la parole. Les enfants ne sont pas spontanément capables de susciter et gérer un tel travail de la parole ; cependant, comme le remarquent les intervenants de la Maison Robinson, ils sont tout à fait compétents et ce, depuis l'âge de six à sept ans, pour prendre la parole et exprimer avec leurs mots « ce qui va », « ce qui ne va pas » et « ce qu'on pourrait faire ». Les enfants qui ont bénéficié de cette action de l'Association Intermèdes ont visiblement énormément progressé dans leurs capacités préexistantes à verbaliser leurs sentiments, leurs émotions, leur colère vis-à-vis de ce qu'il se passe dans le groupe. Le recours à la parole a, à l'observation même, énormément gagné sur le recours à la violence physique ou verbale.[25]
Le deuxième organisateur des groupes démocratiques et organisés pendant l'enfance, savoir organiser la circulation de la parole, découle en ligne directe du premier : il ne servirait à rien d'accueillir et de permettre le conflit, de lui reconnaître une valeur positive dans l'évolution des groupes et des individus si on ne permettait pas à ces conflits de s'élaborer à travers la parole et donc si on ne recherchait pas les moyens de susciter et de laisser circuler cette parole de conflit.[26] L'organisation de la prise de parole, de son écoute et de sa circulation constitue un enjeu majeur de ce type de collectifs. Dans les associations d'adultes, il n'est pas forcément nécessaire de recourir à des outils spécifiques mais notons que bien souvent de nombreux Conseils d'Administration tournent au règlement de compte, du fait que le collectif adulte n'a justement pas su organiser en interne un travail de « veille critique constructive ». Dans les collectifs d'enfants, c'est plus simple; on ne peut s'en remettre à une pente supposée naturelle des conflits à s'exprimer et à se résoudre d’eux mêmes, il faut organiser.
Là encore l'usage et l'expérience ont convaincu l’équipe de la validité et l'intérêt en Milieu Ouvert de deux outils empruntés à la Pédagogie Institutionnelle, à savoir le « Quoi de neuf ? » et le « Conseil ». En milieu ouvert, ces deux instances gardent les mêmes fonctions et le même recours qu'elles peuvent avoir dans une salle de classe, mais il faut fournir par contre un continuel effort d'adaptation des modalités d'exécution[27]. Les animateurs de la Maison Robinson ont pris l'habitude de commencer toute réunion d'un groupe organisé par un rituel de type « Quoi de neuf ? » Celui-ci est parfois accompagné d'un goûter qui en renforce le caractère de convivialité. À chaque fois, ce « Quoi de neuf ? » est l'occasion d'ouvrir le groupe à chacun tout en permettant à chacun aussi de s'ouvrir sur le groupe. Il est aussi l'occasion de nommer les présents et les absents et de recevoir les messages rapportés par un autre. De la même façon, les animateurs ont graduellement mis en place une nouvelle pratique de « Conseil des enfants du quartier ». Au-delà de son instrumentalisation en tant qu’outil d’évaluation de la démarche associative chez les enfants, ces « Conseils des enfants du quartier » (ou réunions d’enfants) ont permis de travailler sur la circulation de la parole et la verbalisation. Ce Conseil, fidèle en cela à notre vocation, se tient dehors dans un espace public bien repéré et selon un horaire immuable. Il permet aux enfants présents de prendre la parole pour exprimer trois actions fondamentales : raconter, critiquer, proposer, et bien entendu, de donner son appréciation au sujet des dires d'un autre. C'est également un lieu où peuvent s'exprimer les critiques personnelles qu'elles soient adressées à d'autres enfants, aux adultes ou à des absents. À chaque fois, l'adulte présent rappelle ce qui est possible et ce qui ne l'est pas et veille à faire respecter au mieux la liberté d'écoute et d'expression ainsi que la sécurité de chacun. Petit à petit, les adultes, dans la mesure du possible, tendent à s'effacer et à permettre à certains enfants de remplir ces fonctions : gardien du temps, distributeur du « bâton de parole », président de séance, secrétaire.
Troisième organisateur : savoir produire et reconnaître des compétences reconnues en interne. Sortir de l'ordre pour aller vers l'organisation, c'est aussi déterminer en interne, avec les enfants eux-mêmes un système de reconnaissance des compétences acquises par tel ou tel des membres du groupe. Ainsi le groupe est attentif à chacun de ses membres, et surtout, est amené à réfléchir sur les compétences nécessitées par tel ou tel but qu'on se donne. Ce n'est donc ni la popularité, ni la force qui donne de la valeur et de l'importance à un individu mais la compétence que peut apporter ce dernier pour un objectif commun. Ainsi celui qui fait pour de vrai, passe-t-il pour plus précieux que celui qui est censé tout savoir et pouvoir tout faire… Et ainsi, un enfant plus faible, plus jeune peut-il apporter parfois davantage dans un groupe que nombre de ses aînés.
Ce point est essentiel : il permet en effet de décentrer l'attention perpétuelle portée par les enfants sur la valeur intrinsèque ou supposée telle des uns et des autres (« T'es super ! », « T'es nul ! »), pour la reporter sur les actes en eux-mêmes. De nombreux enfants qui ont parfois des difficultés d'estime d'eux-mêmes peuvent alors se trouver quand même justement valorisés. D'autres peuvent apprendre leurs limites et s'y confronter. Bien entendu, il est indispensable que l'adulte aide à ce travail de repérage et de discrimination qui permet justement à chacun des membres du groupe de se développer en tant que personne et de se différencier tout en apportant aux autres. Il peut alors être fait utilement appel aux techniques des « métiers »; dans le cadre du fonctionnement du groupe et du projet, on liste les besoins, on nomme les compétences, et quand tout cela est clair, on distribue des responsabilités. Bien entendu, toutes ne seront pas tenues ; aussi le travail de bilan et d'évaluation que le groupe sera amené à faire sur comment ces responsabilités ont été respectées (ou pas et pourquoi) est encore plus important que la simple distribution de rôles ou de tâches.
La démarche d’éducation au collectif constitue un enjeu de société fondamental ; cette éducation devrait trouver sa place à l’école, mais par défaut, il faudrait également la développer en milieu ouvert.
Les enfants d'aujourd'hui sont en effet de plus en plus mal accompagnés dans ce que la vie en collectivité peut comporter de difficile ; ils sont mal préparés à en affronter les inévitables frustrations et sont fréquemment ainsi réduits à se tenir à l'écart de l'action organisée. Les institutions éducatives ne semblent pas à ce jour s'être emparées de ce travail qui semble pourtant d’une grande actualité : certaines semblent bien davantage, en effet, avancer plutôt dans la voie de l'individualisation, de la contractualisation (et de la pénalisation qui en découlent) des rapports éducatifs, ce qui constitue un important danger.
Tous les éducateurs, engagés dans des pratiques coopératives peuvent témoigner des difficultés que connaissent les enfants pour entrer dans des formes d'action organisées où ils sont amenés à être davantage acteurs que consommateurs, mais aussi (et c'est bien plus important) de leur immense soif d'y parvenir ! Quelles que soient en effet leurs difficultés personnelles qui sont pourtant quelques fois massives, les enfants des quartiers contactés par l’Association Intermèdes, se montrent fidèles, assidus et enthousiastes pour les démarches collectives qui paradoxalement les mettent en difficulté; c'est qu'ils sentent que ces démarches leur permettent d'exprimer des aspects de leur sensibilité et de leur personnalité que l'isolement ou le cantonnement dans des groupes fermés et régis par la violence ne saurait leur permettre.
Pour aussi peu spectaculaire qu'il soit, ce travail de promotion de la démarche d'association entre les enfants et dirigé vers un bénéfice collectif et extérieur, semble revêtir un énorme intérêt éducatif. Toutefois, un tel travail rencontre quelques difficultés institutionnelles : il ne peut s'accomplir efficacement qu’en milieu ouvert, pour permettre réellement à chacun d'y trouver sa place, il nécessite un engagement certain dans la durée et l'accompagnement de la part des adultes de références, dans une période où le fractionnement des subventions et leur perpétuelle remise en cause rend « l'action éducative durable » plutôt rare, quoique essentielle.
Bruel A. (1998), Un avenir pour la paternité?, rapport du groupe de travail «Paternité» remis en juin 1997, Eco-Villages hors série n° 8,9, 10, 106 p.
Collot B. (2003), Une école du troisième type ou la pédagogie de la mouche, Paris, l’Harmattan, 332 p.
Freinet C. (1996) Œuvres complètes , Paris, Le Seuil, 2 tomes, 592 + 736 pages.
Georges J. (2002), Manifeste pour un débat public dans l’éducation , Paris, La découverte, 128 p.
Laffitte R. (1999), Mémento de pédagogie institutionnelle, Paris, Matrice, 363 p.
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Ott L. (2001/2003), Les enfants seuls, Paris, Dunod, 226 p.
Ott L. (2002 a), « De l’action en milieu ouvert à la veille éducative de proximité », in Fablet, D. (coord.), Les interventions socio-éducatives, Paris, l’Harmattan, 171-199.
Ott L. (2002 b) La relation éducative contre la violence scolaire , Nantes, Edition ICEM-Pédagogie Freinet, 40 p.
Paugam S. (2002), Enquête détresses et ruptures sociales , synthèse de février 2002, FNARS.
[1] Sur l'isolement et la solitude des enfants, voir "Les enfants seuls", première partie.
[2] Il faut bien comprendre la rupture qu"il y a eu, en ce qui concerne le passage de pratiques en "milieu ouvert" de type "travail de rue" ou
A.E.M.O à des pratiques plus généralistes et qui relèvent, dans l'esprit des concepteurs, moins du travail social que de l'animation généraliste. C'est toute
une doctrine qui a en quelque sorte vu le jour avec les plans anti-été chaud et qui a marqué l'action éducative des années 80 et 90: une théorie de
l'exclusion des loisirs, une vision enchantée de l'organisation dans les quartiers d'animations ponctuelles axées sur le sport, les activités à risques et les
séjours.
Depuis lors, une critique d'ailleurs justifiée de ce type de politique a souvent été développée; il nous semble par contre que le plan de l'animation de type
"développement local", à la lisière entre animation de loisirs et travail social est certainement et probablement le plus efficace, le moins stigmatisant et le
plus fructueux pour travailler avec la population enfantine et jeune d'un quartier.
[3] L'expérience a finalement tourné court dans cette ville (Evry) pour des motifs justement liés à cette "réussite inattendue".
[4] Voir notamment à ce sujet le compte rendu d'expérimentation que nous avons pu conduire, grâce au financement du FNDVA en 2001, intitulé: Associations d'enfances
FNDVA, Ministère de la
Jeunesse et des Sports; 78, rue Olivier de Serres, 75 739 Paris.
[5] On donne souvent des enfants d'aujourd'hui une image passive et pleine d'avidité que l'on résume assez bien par le terme "esprit de consommation". Pourtant
paradoxalement, les structures éducatives, voire les familles rivalisent souvent entre elles en offrant ou promouvant des activités de prestige pour leurs enfants. Et pourtant, dans ces
activités, les enfants ne
peuvent avoir un rôle que passif et de consommation. Pour qui les prend-t-on?
[6] Le sens de travail en partant des enfants pour aller vers les parents est absolument fondamental. Il permet de renouveler la pensée du soutien
de la parentalité et de sortir du ghetto socioculturel dans lequel se sont enfermés de nombreux lieux de soin qui proposent des "groupes de paroles pour
parents", voire même des lieux parents/ enfants de type "Maisons vertes" qui supposent quand même une démarche préalable et un accompagnement
initial de la Famille.
[7] On comprend à ce stade l'impérieuse nécessité pour notre action de s'attacher essentiellement à donner ou redonner une image positive des
parents et des enfants et à un grand respect a priori pour les familles. Sans cela, une telle démarche deviendrait par trop intrusive.
[8] L'interdiction que le bénéfice de l'action ne se répartisse pas au sein du groupe mais s'ouvre sur l'extérieur permet aux groupes ainsi créés de ne
pas être de simples "bandes", clans ou clubs. En cela, les expériences groupales que nous cherchons à développer proposent aux enfants quelque chose
qu'ils ne connaissent souvent pas, à savoir de contribuer à un collectif organisé et socialisé (qui n'est ni le collectif imposé de l'école, ni celui tout aussi imposé de la rue).
[9] Pierre CLASTRES « la société contre l’état »,
[10] Cela va même, pour des sociologues comme Jacques DONZELOT, à montrer, par l’exemple de Chicago, la pertinence d’une police
communautaire.
[11] M. GODET, pages rebond de Libération, 22 mai 2002.
[12] H.ARENDT, Qu’est-ce qu la politique, points Seuil p.88 (cité par M.MAÏLAT).
[13] Une partie importante de ce chapitre repose sur le travail théorique de Maria MAÏLAT, en particulier dans sa mission d’accompagnement des
REAPP. Son approche s’alimente aux travaux de Pierre LEGENDRE, de Pierre CLASTRES, de Paul Audie d’Hannah ARENDT et de Platon.
[14] Maria MAÏLAT, pour une pensée politique du parent – usager in La lettre du Grape, N° 46, déc. 2001, p. 54.
[15] Ibid. p.55.
[16] Ibid. p. 53.
[17] Pour en savoir plus:
Association INTERMEDES – Maison Robinson Logement 117, Bâtiment C2, La Villa Saint Martin, 91 160 Longjumeau Tel: 01 64 48 60 61
Fax: 01 69 79 00 36 Mel: maison.robinson@wanadoo.fr Site régulièrement mis à jour : http://assoc.intermedes.free.fr/ Notre action est décrite dans le
fichier RIDS (développement local) de l'ODAS (Observatoire de l'Action Sociale) sur: http://www.odas.net/ Ainsi que sur le site de la Cellule Nationale
d'Appui Technique des Réseaux de soutien de la parentalité (DIF/CEDIAS): http://www.familles.org/
[18] C'est par exemple la recherche auprès de la Municipalité d'un emploi d'animateur ou de médiateur, au sein du quartier même de résidence, qui
aboutit à l'ambiguïté et à l'enfermement dans des rôles peu légitimes, inconfortables et souvent privés d'évolution, de type « grand frère ».
[19] Selon Serge Paugam, le degré de socialisation à l’âge adulte, la confiance dans les institutions est directement en lien avec le nombre de
difficultés affectives et de ruptures connues pendant l’enfance ; on saisit alors l’enjeu de développer dès l’enfance des relations sociales positives et
durables.
[20] L’école, en France, a continûment et progressivement tourné le dos aux objectifs de socialisation (qu’elle avait mis en valeur dans les années
1970) depuis 1984, au profit d’objectifs purement cognitifs. C’est le constat que faisait par exemple Philippe Meirieu, en 1997, soulignant par ailleurs la
contradiction qu’il y a à s’éloigner des objectifs d’éducation à la collectivité au même moment où l’école se plaint continuellement d’une progression de
« l’incivilité ». C’est également le constat du Manifeste pour un débat public sur l’école.
[21] La structure du club est bien à différencier de la démarche coopérative, même si toutes deux supposent entraide et initiatives de groupe. La
différence fondamentale réside dans le fait que, normalement, la démarche coopérative véritable (telle qu'elle est définie par la Pédagogie Freinet) se
développe en fonction d'objectifs qui ne s'épuisent pas dans la satisfaction des membres du groupe, alors que le club se propose comme objectif premier, et
néanmoins implicite, la sauvegarde du groupe et la recherche des intérêts particuliers de ces membres. De ce point de vue, on constate que nombre
d'associations adultes ne sont en fait que des clubs, malgré le statut de la loi 1901 revendiqué par ailleurs. Ce n'est pas dans ce sens, du moins à ce qu’il me
semble, que l’équipe de la Maison Robinson sens que nous utilisons quant à nous, dans ce travail quand nous employons l'expression de « démarche
coopérative » ou « associative ». Pour autant, la démarche de club, qui constitue probablement un premier palier de cette coopération, est donc intéressante
de ce point de vue.
[22] Mot d’ordre emprunté à M Bernard Collot (2003), membre historique de l'ICEM- Pédagogie Freinet.
[23] Il faut remarquer à ce propos que seul le groupe de type démocratique, de type associatif, organisé donc, rencontre des problèmes ou des
difficultés. C'est justement une de ses caractéristiques les plus essentielles, que celle de cette difficulté ressentie par chacun des membres de le faire vivre
ou fonctionner; rien ou presque rien n'y vient naturellement, le détour par le conflit et la parole est toujours nécessaire. A l'inverse, le groupement
spontané, ordonné, donc qui se forme parmi les enfants d'un même quartier ne traverse presque pas de crises groupales: ce n'est en effet pas le groupe qui
pourrait supporter des crises, dans cette configuration, mais les individus. Et c'est ainsi que dans ces modes groupaux spontanés, les individus, finalement
toujours seuls, sont toujours en risque d'être oubliés, exclus, rejetés ou exploités et développent des techniques personnelles pour que, justement, cela
« n'arrive qu'aux autres ».
[24] Nous employons ici le mot « organisateur » au sens que Spitz a donné ce terme, en décrivant notamment les trois grands organisateurs de la
personnalité du nourrisson; ce qui est intéressant dans ce terme est qu'il exprime moins un état final et accompli d'un développement que le point de
départ, au contraire, d'une dynamique d'évolution. De ce point de vue, le terme « d'organisateur » pourrait se rapprocher au mieux de celui de « point
d'appui ».
[25] Nous souscrivons pour notre part à la nécessité d'établir une distinction claire et précise entre violence physique ou verbale. En effet la
violence verbale est d'une nature tout à fait différente de la violence physique, même si elle l'appelle quelques fois en retour. La violence verbale nous
semble bel et bien constituer un progrès énorme sur la voie de la symbolisation, si elle permet d'éviter le conflit physique.
[26] De nombreuses institutions ou lieux éducatifs se donnent assez banalement comme objectif plus ou moins secondaire de « susciter la parole
des enfants »; le terme est ainsi en passe de devenir un des pires lieux communs éducatifs, surtout quand la notion est appelée au secours de la crédibilité
défaillante des adultes. Dans notre pratique, le fait d'amener les enfants membres d'un groupe à « parler » sous-entend en fait que ce sont tout
particulièrement les conflits en interne et en externe qui sont le sujet privilégié de cette prise de parole. Le bémol est de taille. La parole dans ce sens n'est
pas employée comme une sorte « d'exutoire » qui permettrait aux enfants d'échapper à des passages à l'acte et à se calmer, mais au contraire est
naturellement subversive, puisqu'elle est par définition « critique » et polémique.
[27] Pour plus d'information sur ces deux outils, se référer à l'important travail de synthèse réalisé par J. Laffitte dans Mémento de Pédagogie
Institutionnelle, Paris, Matrice, 1999.