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Label "fraternité 2000 -
décerné par le Ministère de l'Emploi et de la Solidarité
ALTERNATIVES
AU SECURITARISME EN EDUCATION
CONTRIBUTION POUR UN DROIT A L'EDUCATION EN MILIEU OUVERT
Journée d'étude co-organisée par l'association INTERMEDES
5 juin 02 – Longjumeau
Note: le texte ci dessous est purement consultatif et ne donne aucun droit de copie ou de citation. Nous demandons à tous ceux que ces Actes intéressent d'effectuer l'acte responsable et citoyen de les acquérir auprès de l'éditeur
Jeunesse et Droits, 16 Passage Gatbois, 75012 PARIS.
Merci
Association Intermèdes Siège : 28 rue des Marguerites 91160 Longjumeau E-mail : intermedes@wanadoo.fr |
Accueil : Maison Robinson Villa Saint-Martin Bât C2-Log 117 91160 Longjumeau E-mail : maison.robinson@wanadoo.fr |
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http://assoc.intermedes.free.fr/ Tél: 01-64-48-60-61 Mobile: 06 03 01 15 43 |
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1 Introduction de la Journée d'Etude:
2 Programme de la Journée du 5 juin 02.
3 Listes des partenaires qui ont été associés à cette initiative:
6 L’exercice des libertés à l’école.
7 " Ils ne sont pas nés élèves"
8 Les trois lignes de violence invisibles.
8.1 La première ligne de violence…...
8.2 La deuxième ligne de violence…...
8.3 Et la troisième ligne de violence…...
8.4 Les cinq propositions de réponses à ces lignes de violence…...
9 Le triple déni moderne d’éduquer
9.1 Le déni de pouvoir d’éduquer
9.2 Le déni de la nécessité d’éduquer
9.3 Le déni de la valeur de l’acte éducatif
10 La parentalité entre violences politiques et violences urbaines.
10.2 Territorialisation et singularisation de la loi
10.3 Une exclusion hors de la loi commune.
10.4 Conflictualité et violence.
10.5 L’invisibilité des quartiers.
11 La jeunesse, catégorie de tous les dangers.
11.1 Comment en sommes nous arrivés là ?.
11.2 Une conjoncture inédite justifierait-elle ce recul historique sans précédent ?.
11.3 L' impossibilité de mémoire.
12 Des dispositifs alternatifs éducatifs en milieu ouvert qui existent… à renforcer!
12.1 Scouts de France- Plein Vent
13 Prendre le risque de la Parole et de la Rencontre.
14.1 Faut-il réécrire la Marseillaise?.
14.2 L’école de la république n’appartient pas aux " Républicains "
14.4 Agir pour clarifier le débat public sur l’insécurité.
14.5 Qui sème le vent sécuritaire, récolte la honte lépéniste!
14.6 C'est la nuit en plein jour
L’Association Intermèdes intervient dans les domaines de l’animation, de l’éducation et du travail social au sein du quartier Sud de Longjumeau par l’intermédiaire de sa structure de veille éducative de proximité, " la Maison Robinson ". Celle-ci met en œuvre un projet de lutte contre la solitude enfantine et de soutien à la fonction éducative à l’aide d’un fonctionnement en milieu ouvert (gratuité de l’accueil, hétérogénéité des âges, liberté d’aller et de venir).
Cette intervention locale se fait en complémentarité avec une réflexion globale portée par le collectif de citoyens, de professionnels et d’individus qui constitue l’Association Intermèdes. La projet " Maison Robinson " a été pensé dans le cadre d’une réflexion critique sur la déshumanisation de la relation à l’autre dans nos domaines d’intervention, conséquence d’une approche administrative et instrumentale du public. La promotion de la relation de proximité et la dénonciation de la thèse de la démission parentale sont deux enjeux qui font l’objet de notre vigilance.
L’approche sécuritaire de la relation sociale se traduit aujourd'hui par un sécuritarisme renforcé dans les domaines de l’animation et de l’éducation qui nous amène à organiser une journée de réflexion en Juin 2002, en partenariat avec différentes organisations et structures.
Effectivement par rapport à notre approche nous nous posons les questions suivantes :
· Dans un contexte où, suite aux amendements apportés par le Sénat, les couvre-feux pour mineurs risquent de se multiplier (générant un isolement et une stigmatisation soutenus par un arsenal juridique coercitif), quelle place est laissée à la démarche de la prévention qui reconnaît les situations et valorise les personnes?
· Quel service public concevoir pour mettre fin aux conséquences éducatives de l'exclusion économique , alors que se développent les volontés de suppression des allocations familiales, ce qui risque de renforcer la précarité?
· Quel travail d'éveil et d'ouverture d'esprit est encore possible quand le renforcement de la pénalisation des mineurs paralyse leur démarche de structuration?
· Comment dépasser l'approche parcellaire des questions éducatives quand l'école est immobilisée par Vigie Pirate et quand la réglementation interne se renferme l'école sur elle même et se concentre sur les savoirs fondamentaux?
· Quelles sont les possibilités d'imaginer l'avenir et de s'y projeter, alors que le développement des normes de sécurité dans l'animation restreint le champ des possibles?
· Quelle place laissée à la relation de proximité si le travail d'accompagnement attentif et distancié des demandes et des besoins des travailleurs sociaux est sapé au profit de leur instrumentalisation au profit de l'ordre public?
· Quelle place laissée à la compréhension des situations alors que l'obligation de signalement propose une approche unique en terme de responsabilité pénale et non d'analyse des situations?
· Quelle est la reconnaissance du travail en réseaux des travailleurs sociaux et des publics acteurs des dispositifs les concernant quand la tendance est aux contrats locaux de sécurité qui mettent de côté la prévention au profit d'une relation directe police/municipalité, figeant les maires dans leur seul rôle de magistrat?
Nous pensons pour notre part qu'une autre voie reste possible; c'est celle ci que se proposent d'exprimer et de présenter les contributions qui suivent.
Matin:
Intervention de M. Bernard Defrance : "Bientôt des chars dans nos banlieues?"
Intervention sur la liberté de circulation à l’école (GEDEM 91- Mouvement Freinet)
Intervention de Gilbert Longhi, proviseur du lycée innovant Jean Lurçat, à Paris :
"Les enfants ne sont pas nés élèves…"
Intervention de Azuz, Mouvement de l’Intégration par les Banlieues, sur les difficultés d'ouverture de l'école à des interventions extérieures.
Intervention de Laurent Ott, président de l’association Intermède:
"Le triple déni actuel d'éducation"
Après-midi:
Intervention du sociologue Laurent Mucchielli sur les dangers de la focalisation actuelle sur les problèmes d'incivilité et de sécurité.
Intervention de Mme Elizabeth Chauvet, Juge, sur l'alternative à la pénalisation que représentent les mesures de réparation
Intervention de Jérôme Aucordier , " Plein Vent " (scouts de France) sur leur travail dans les quartiers
"A propos de la pénalisation des familles en difficulté, par F. Messica, sociologue, "La Fabrique de la Haine".
Débat
Intervention de l’équipe de la Maison Robinson sur l'espace à (re) construire de la "prévention primaire"
Intervention de l’association STAJ sur les difficultés actuelles du travail de l'Education Populaire
Clôture par le Mouvement Education et Société sur la nécessaire prise de parole des travailleurs sociaux pour éviter l’accaparement du débat par les médias
La modération des interventions et débats a été assurée par M Cavat (le matin) et par M Rungoat (l'après-midi).
En dehors des interventions, les participants ont pu rencontrer et discuter directement avec les représentants des organisations qui étaient présentes autour de stands de documentations.
Que M J.P. Bartholomé soit aussi remercié pour son stand de librairie et de presse qui proposait un stock étendu et important de titres en rapport avec les intervenants et le thème de la journée!
· Mouvement Freinet- GEDEM 91
· Ligue des Droits de l'Homme: groupe de travail "Enfances"; M . P. Dunaigre.
· CEMEA Infop
· Scouts Plein-Vent
· groupe CLARIS (Clarifier le débat concernant la sécurité)
· Sud "Santé Sociaux" et Sud Education 91.
· MIB
· Groupe: " La Fabrique de la haine".
· Mouvement Education et Société
· Journal "Action Juridique et Sociale"
· Journal "Lien Social"
· STAJ
Par Laurent Ott,
président de l'Association INTERMEDES
Tout d'abord, il est utile de rappeler que cette journée d'étude était prévue bien avant la campagne politique sécuritaire que nous avons connue; le projet de cette journée d'étude a à peu près un an et est partie de notre inquiétude face au retour des "couvre feux pour enfants" pendant l'été dernier. Ces couvre feux, comme les précédents nous paraissaient à la fois inutiles, dangereux, injustes et discriminatoires.
Bien évidemment, le choix du thème de cette journée est en droite ligne de la vocation et de l'action de l'Association INTERMEDES. Car pour nous, et à la lumière de notre pratique (comme le développera l'intervention de la Maison Robinson cet après midi), la relation entre les âges constitue sûrement la meilleure alternative au sécuritarisme et à l'insécurité vécus ici ou là. Mais pour autant mettre en œuvre cette relation nécessite une volonté, une méthode et une durée.
Affirmer le primat de l'importance de la relation avec les enfants et les jeunes sur toute autre préoccupation était en effet en filigrane de nos deux précédentes journées d'étude: Journée d'étude concernant la solitude enfantine en 1998, Journée d'étude concernant la relation éducative, en 1999…
Pour autant, si la précarité, l'isolement et la solitude des parents et des enfants ont pu nous apparaître comme un danger social, il est devenu de plus en plus manifeste depuis quelques années, qu'une autre cause de la solitude enfantine et de l'isolement familial résidait bel et bien dans une forme de "difficulté éducative"; à savoir qu'il est pour de multiple raisons de plus en plus difficile de construire de nos jours un projet éducatif cohérent, global et durable pour des enfants donnés.
Dans tous les domaines, dans tous les secteurs, toutes les institutions on remarque depuis des années, des faits similaires: rétrécissement perpétuel du champ des possibles en matière d'action éducative, renoncement des professionnels face à la difficulté croissante des habilitations, des demandes de subventions, ou vis à vis de tout projet éducatif un peu ambitieux.
Mais depuis le 11 septembre et la campagne politique indigente que nous connaissons, le bouchon est encore poussé un peu plus loin; à coup de matraquage médiatique, on agite des spectres de la délinquance, de l'agression et même du terrorisme pour faire encore un peu plus reculer les quelques libertés éducatives qui pouvaient rester ici ou là: dans telles et telles écoles, on "s'interdit" les pâtisseries, ailleurs les fêtes et les rencontres. Dans les écoles, dans les collèges, dans les cités, on dénonce, on montre du doigt les enfants, les adolescents les plus mal dans leur peau et on "rêve" de pénalisation; en attendant, on distille de la haine et on couvre d'un voile pudique les injustices institutionnelles dont ils sont souvent victimes.
Ce n'est pas qu'autour de l'école et dans les cités, que ce sécuritarisme progresse; c'est aussi dans tous les lieux de loisirs, de culture et d'éducation que l'on constate cette limitation des ambitions éducatives, et à la baisse des possibilités pour les jeunes de connaître des véritables expériences socialisantes:dans les établissements, sociaux, tout concourt à limiter la liberté d'action et de penser des équipes et des professionnels; au sein des mouvements d'éducation populaire, la place des volontaires, l'utilisation éducative qui peut être faite de la découverte de nouveaux environnements, de la gestion du risque n'ont jamais été autant menacées; dans les quartiers, au moment même où on met en demeure les familles de s'occuper de leurs enfants, on "pénalise" la présence des enfants et des jeunes dans les espaces publics…
La rencontre de ces tendances n'apparaît nullement fortuite; pire elle présente une logique de plus en plus évidente: au fur et à mesure que se rétrécissent les ambitions d'éduquer, une volonté de contrôle et de répression tend à prendre leur place; derrière la volonté de contrôle, se cache le déni d'éduquer.
Parce que nous sommes confrontés à une vision réductrice de nos fonctions et de notre métier, parce que nous sommes menacés dans notre liberté d'initier et accompagner (avec les enfants et les jeunes eux mêmes) les expériences éducatives dont ils ont besoin, parce que nous savons bien que la véritable sécurité effective passe d'abord par la sécurité affective et l'éducation au risque, il nous a semblé urgent de proposer à l'ensemble des mouvements, des acteurs des secteurs éducatifs qui se rencontrent rarement, une journée pour appréhender, comprendre et nommer un des obstacles les plus envahissants du secteur éducatif: le sécuritarisme montant et la volonté de contrôle et de répression qui l'accompagnent.
C'est pour comprendre ce phénomène, ses causse et ses conséquences de nombreux intervenants et membres d'organisations ont accepté de venir aujourd'hui, et/ ou de se faire représenter organisations ont accepté de venir aujourd'hui, et/ ou de présenter un stand, des textes ou des publications.
Je voudrais les nommer ici pour les remercier (… énumération des intervenants/ organisations) Je recommande particulièrement à tous de profiter des pauses et du temps de déjeuner pour rencontrer les uns et les autres.
Je voudrais remercier également la Ville de Longjumeau de nous avoir permis d'organiser cette journée dans cette salle et d'avoir mis à notre disposition le matériel utile.
Avant de donner la parole à nos intervenants dans l'ordre du programme, je souhaite rappeler que les interventions sont relativement courtes pour permettre un échange avec la salle dans la suite. Pour ce faire…
Mme C. Chabrun,
ICEM Pédagogie Freinet – Groupe de l'Essonne
Depuis le premier tour des élections présidentielles, l’école se pose de plus en plus des questions sur ses responsabilités : reproductions des inégalités sociales, transmission des savoirs excluante, méprisante, soumise à l’économie de marché, individualisme et compétition à tout crin.
Mais aussi réduction de l’enfant à un rôle d’élève obéissant, qui n’est pratiquement jamais consulté, ni responsabilisé et qui se découvre ainsi citoyen le jour de ses dix-huit ans sans aucune expérience de participation, de prises d’initiatives ou de responsabilités. Un enfant objet, un " vase à remplir " !
L’exercice des libertés à l’école permet de construire dans le temps et dans l’espace une citoyenneté fondée sur des pratiques de participation et de responsabilités. Ces pratiques, tâtonnées, expérimentées mais réalisées en toute sécurité, donneront au citoyen en devenir les capacités de juger, choisir, décider, argumenter, proposer, discuter, répondre, s’engager, modifier, transformer…..
A l’école, on voit deux pratiques d’exercice de libertés : celle limitée par la répression et celle soumise à l’autorisation préventive :
Celle limitée par la répression : l’enfant exerce son activité, librement sans préalable. Mais si cette activité ne respecte pas les règles, les limites il est puni. Règles et limites souvent implicites, soumises à l’incohérence des adultes et qui provoque un sentiment d’insécurité chez l’enfant .
L’autorisation préventive : L’enfant demande à l’adulte qui accorde ou non d’une manière arbitraire l’autorisation (provoquant un sentiment d’injustice très sensible chez l’enfant).
Cette formation du citoyen ne se fonde que sur des méthodes autoritaires : obéissance, soumission, contraintes, sanctions, l’obligation première pour les enfants étant d’obéir à l’enseignant qui leur énonce les règles et limites.
L’école n’a pas encore intégré que les lois, les contraintes, les interdits ne précèdent pas les libertés, mais qu’elles en permettent l’exercice.
Pour que la démocratie vive à l’école, il faut donc mettre en place une autre pratique où les enfants afin d’exercer leurs droits, leurs libertés devront définir ensemble les modalités de leur mise en oeuvre. C’est ainsi leur permettre de comprendre la réciprocité entre droits et devoirs, libertés et obligations et les limites à poser. C’est aussi leur permettre d’identifier et de conscientiser les libertés de l’Autre dans une perspective relationnelle.
Bien sûr cet apprentissage respecte les exigences de la Loi : des droits et libertés d’autrui, la protection de la santé, de la moralité publique, de la sécurité….
Sécurité, justement pour nous éducateurs et enseignants nous nous retrouvons avec une contradiction: liberté et protection. Et dans cette atmosphère du tout sécuritaire, le problème risque de s’amplifier.
Il nous faut organiser l’exercice des libertés, notamment celle de la circulation, tout en respectant le cadre juridique. Ce qui est problématique car le règlement départemental des écoles élémentaires et maternelles donne obligation de surveillance partout où les enfants ont accès.
Cette absence de réglementation permettant l’exercice des libertés individuelles et collectives tout en garantissant la sécurité des enfants laisse les deux pratiques que j’ai citées tout à l’heure : celle liée à la répression et celle liée à la demande d’autorisation, s’alterner ou s’opposer.
Voici deux exemples de récréations qui illustrent à la fois des libertés lésées et des attitudes d’adultes :
Suite à une demande de délégués de classe, des enfants veulent lire, jouer au calme, ne pas sortir lorsqu’il pleut ou fait très froid. Les adultes répondent négativement sans avoir essayer de trouver une modalité, car il faudrait une surveillance supplémentaire pour répondre au souci de sécurité et parfois de convenance personnelle.
Lorsqu’il pleut les 250 élèves se bousculent sous le préau, où les risques de collision entre eux ou avec les poteaux ne sont pas à démontrer même s’ils ont interdiction de courir. Et obligation d’aller sous le préau même s’ils sont bien couverts et s’il pleut finement, pour des motifs de santé !
Dans la classe, nous avons adopté un aménagement : lorsqu’il pleut et que je ne suis pas de service, les enfants qui le souhaitent, restent avec moi dans la classe, nous sortons alors les jeux de société, certains lisent ou dessinent …les modalités ont été pensées en conseil de coopération. Nous avons limité ce droit aux jours de forte pluie, pour respecter les autres classes.
Cette année, il n’a pas neigé, mais sinon, il y a interdiction de jouer dans la neige, il faut rester sous le préau ! Dur, non ! Alors on redescend un peu plus tard pour profiter de ce phénomène rare.
En ce moment dans la cour, avec des jeux d’osselets ("Jojos" ), des conflits, des disputes, des vols surgissent…certains maîtres les confisquent, d’autres non. Attitude répressive sans préalable pour les uns, attitude au coup par coup chez les autres. Les enfants ne comprennent pas. Les repères, les référents adultes deviennent incohérents et instables.
On peut aussi imaginer avec ces deux petits exemples, la réflexion collective qu’il y aurait pu avoir :
Avec le premier exemple, la liberté de choisir le lieu ou l’activité de la récréation, auraient été élaborées des règles, des limites, des conditions pour que le droit à la sécurité pour chacun soit respecté.
Avec le deuxième, le jeu des osselets, des règles du jeu auraient pu être élaborées avec des sanctions si besoin, communes et connues par tous.
La sécurité de l’enfant, n’est souvent perçue que dans la crainte d’un constat d’accident, d’une plainte de parents, d’une mauvaise image de l’école : par exemple, on va interdire les jeux où les enfants entrent en conflit, on croit ainsi repousser la violence de l’école. Mais l’insécurité due aux règles implicites, à l’incohérence des propos et des comportements d’adultes préparent furtivement la violence redoutée…
Revenons à la liberté de circulation. Il y a dans toutes les écoles des enfants qui circulent seuls, pour aller aux toilettes, qui transmettent les papiers de classe en classe, qui rejoignent une classe pour un cours de langue…. Cette liberté s’exerce sans démarche de construction de règles, de condition, cette liberté est soumise à l’appréciation de chaque adulte voire réduite à l’implicite. Cette liberté, s’il se passe un accident, sera remise en cause mais il n’y aura pas conscience d’une absence de travail de règlement intérieur de l’école.
C’est possible dans des écoles où tous les acteurs sont convaincus, avec les équipes Freinet par exemple. Là, des règlements intérieurs sont élaborés avec la participation des enfants et des parents et inscrits dans un projet d’école visant l’autonomie et la responsabilisation.
Un règlement intérieur permet non seulement aux adultes de répondre aux conflits, aux transgressions mais les enfants ayant participé à son écriture le reconnaissent comme un garant de leurs libertés, une référence sûre et les protège de l’arbitraire.
Ce qui n’est pas mon cas je suis dans une école lambda, la mise en œuvre de la libre circulation se fait essentiellement dans la classe, à la bibliothèque une fois par semaine avec l’aide éducatrice, et pour les toilettes.
La libre circulation est indispensable dans la classe et n’est pas soumise à la demande d’autorisation. Mais elle est soumise à des devoirs, des conditions, des restrictions…
Ces contraintes sont établies pour respecter les autres droits : travailler sans être déranger, avoir un matériel disponible et en bon état, aider un camarade ou être aider. Les règles évoluent selon les capacités des enfants et les transgressions….Le conseil de coopération est le lieu de parole où les observations, les constats sont présentés et où les décisions sont prises.
Pendant une heure, tous les lundis matins, l’aide éducatrice est en bibliothèque, un escalier sépare la classe de la bibliothèque. Les enfants montent seuls ou en petit groupe, pour choisir un livre, ils peuvent redescendre juste après ou rester lire. Les conditions établies avec les enfants servent à respecter le lieu spécifique, la lecture de l’autre et la sécurité de chacun. En attendant qu’un enfant ait les capacités de circuler seul ou en petit groupe, il se déplacera avec l’aide éducatrice.
Les toilettes ont des conditions spécifiques mises en place lors des premiers conseils de coopération de l’année : pendant un temps de travail personnel et non pendant un temps collectif, on me prévient, la porte de la classe reste ouverte…un seul enfant sort à la fois. En cas de transgression, une demande d’autorisation sera obligatoire.
Ce sont des petits exemples, mais qui peuvent aider à comprendre l’importance de la participation des enfants dans leurs lieux de vie et qui justement leur apporte la sécurité.
Si dans ma pratique quotidienne, je reçois l’enfant comme une personne capable d’organiser avec les autres son travail, sa vie scolaire, d’avoir des responsabilités, de proposer pour lui, pour tous, en connaissance et reconnaissance des libertés de l’Autre, c’est pour lui permettre de se construire comme citoyen libre, responsable, capable de participer réellement à la Société pour l’améliorer, et pourquoi pas la transformer.
Par M Gilbert Longhi,
Proviseur du Lycée Jean Lurçat, Paris.
Les élèves qui abandonnent les études ne sont pas des décrocheurs, mais plutôt des décrochés. La nuance est d’importance, car les premiers sont fautifs tandis que les seconds sont victimes.
Sur les causes du phénomène, de fins observateurs expliquent que l’enseignement, tel le latin d'église, est un code compassé ; ce qui légitimerait la démobilisation de nombreux élèves lassés qui ne perçoivent pas l’intérêt d’un artefact endogène.
Cette thèse paraît cocasse aux adeptes des causes exogènes comme la baisse du niveau, la dissolution des valeurs, la démission des parents ou le communautarisme.
Si le monde enseignant n’est jamais profondément catastrophé par le décrochage c’est qu’il est divisé dans le choix des solutions. Une fraction importante des profs défend une ratiocination simplette : certains jeunes ne sont pas faits pour des études.
Reprenant la balle au bond, le patronat explique que l’embauche précoce des ados serait un remède énergique aux maux de l’école.
Les établissements qui s’occupent de l’échec de leurs élèves ont tendance à faire du neuf avec du vieux. Ils ajoutent des cours de soutien aux cours traditionnels et du tutorat au cours de soutien, sans compter les nombreux travaux supplémentaires imposés à des ados déjà saturés.
Leu incapacité à résorber le décrochage n’est pas seulement liée à un tel manque de créativité, mais plutôt à une volonté politique. Ainsi, tout se passe comme si chaque établissement laissait son voisin inventer une solution. Dès lors, on comprend pourquoi les élèves restent à la rue, vaguement sous-traités par une multitude d’opérateurs, d’animateurs, de médiateurs et autre bénévoles.
Face au décrocheurs des autres, le lycée Jean-Lurçat, à Paris, a pris une position inverse. En ouvrant sept classes de rêve il offre une place dans l’école publique aux plus mauvais élèves.
Deux cents vingt-cinq ados raccrochent progressivement grâce à des méthodes conçues spécialement pour eux. Ils coexistent avec des classes standard : 650 élèves en seconde, première, terminale ; ainsi que 700 étudiants préparant de nombreux BTS. Ce dispositif est officiellement encouragé par l’académie et le ministère.
Le lycée du temps choisi est la formule la plus ancienne. Une centaine de jeunes, en cours du soir ou du jour, préparent les Bacs L, ES et STT, en optant individuellement pour leur propre rythme de travail, et en jouant sur l’étalement du cursus en une ou deux années ou sur l’éventail des matières. Généralement les élèves admis ont perdu pieds depuis la classe de première.
Le Lycée intégral de son côté reçoit 35 jeunes par an pour une mise à niveau de seconde ou première. Ils souhaitent vérifier qu’ils sont susceptibles de poursuivre des études. Ils ne refusent aucune conversion dans une voie professionnelle, du moment qu’ils gardent un droit de retour immédiat dans l’enseignement général. Ces lycéens qui se sont dissous dans divers redoublements reprennent leur vie en mains.
L’opération ENVOL (enseignement par niveau pour une voie d’orientation en lycée) a la particularité de procéder à trois rentrées par année scolaire (novembre, janvier, avril). Il s’agit de donner l’occasion à tout lycéen qui décroche à n’importe quel moment de reprendre illico des cours, et de préparer sans attendre une solution pour l’année suivante. Le but est de ne pas les laisser s’enfoncer dans une la lente dépréciation de soi.
La ville pour école scolarise 35 ados exclus de collèges ou de lycées professionnels. Grâce à un va-et-vient directif entre l’école et son environnement, ils reprennent goût aux études, en vue d’un débouché dans l’enseignement professionnel, l’emploi, l’apprentissage ou une prolongation des études générales.
Le système installe l’élève dans une dialectique subjective entre ses professeurs et de nombreux acteurs de la vie sociale impliqués dans un métier passion (art, humanitaire, sport, cuisine, informatique).
La classe 4 Z porte un nom qui est un clin d’œil… Elle recrute des zigotos, zèbres, zozos et des zigomars. Quinze ados issus de cinquième ou quatrième sont inscrits dans une pédagogie de proximité qui permet d’enter, l’année suivante, dans une classe de l’établissement ; à moins que des jeunes préfèrent l’apprentissage.
Huit jeunes qui n’entrent dans aucune des formules, sont admis dans une formule appelée le lien. L’équipe des enseignants propose ainsi une rescolarisation atypique. Le décrocheur acquiert immédiatement un statut d’élève, mais il est dispensé provisoirement de cours. L’établissement sert de plate-forme pour un cumul d’expériences dans divers secteurs d’activités sociale, en relation continue avec un adulte de référence dans le lycée. Le procédé permet une poursuite d’études l’année suivante.
Enfin, le lycée des droits de l’homme et de l’économie solidaire ouvrira dès la rentrée 2002 vingt places pour des collégiens de quatrième qui resteront deux années dans le même groupe pour raccorder une classe première en fin de cursus. L’idée est de leur éviter le choc du passage entre le collège et le lycée. Parallèlement aux cours, les jeunes engageront des actions dans le Tiers monde et le Quart monde. L’approche ne sera pas misérabiliste. L’aide au développement sera importante, mais aussi les échanges culturels, sportifs et festifs.
Les différences perceptibles entre les classes innovantes sont bien peu de chose comparées aux principes qu’elles ont en commun. Par exemple.
-Le moratoire. Le lycée prononce un apurement de la dette scolaire, sur les notes et le comportement. Le passé de l’ado ne lui est jamais opposé comme passif.
-La position généalogique. La famille a été témoin non assisté de la démolition scolaire de l’ado, elle profitera de sa reconstruction.
-La revalorisation de l’enseignement général. La réconciliation avec les études passe par les matières classiques, sans jamais forcer l’élève à l’enseignement professionnel.
-La majoration du projet. Le lycée inimaginable amplifie les visées des jeunes. Sans jamais entretenir d’illusion il induit un futur ascensionnel au-delà de toute résignation défaitiste.
-L’exception dans la conformité. Les classes de raccrocheurs sont installées dans un lycée normal et sont mélangées aux divisions standard. Les programmes et les examens sont ceux de l’Éducation nationale. Les profs sont dûment titrés et inspectés…
-La subjectivisation du rythme scolaire. Le temps choisi est plus efficace pour apprendre, que le respect servile d’un calendrier imposé qui égrène le programme. Même durant les absences l’apprentissage n’est pas nul. Fort de ce constat le lycée reconnaît l’autodidactisme et défend l’idée que moins d’école suffit parfois à faire plus d’études.
On pourrait écrire au fronton : ici, les enfants ne sont pas nés élèves.
Les méthodes reposent sur la liberté des profs. Ils ne sont soumis à aucune doctrine : sans obédience, sans observance ni aucune obéissance. Leur seul credo est l’ajustement continu de leur rôle à la réalité d’ados entrain de réapprendre à retourner à l’école ; ensuite, à tirer le meilleur profit de leur démarche ; enfin, à transformer leurs acquis en réussite.
par Bernard Defrance, professeur de philosophie,
militant de la CLCV, vice-président de DEI-France,
Dans le cadre de mes responsabilités locales à la CLCV (Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie) en Seine-Saint-Denis, depuis trente ans maintenant, je tiens avec d’autres un certain nombre de permanences de renseignements juridiques : nous aidons les gens à s’organiser eux-mêmes pour essayer de résoudre les problèmes au ras de terre dans les quartiers, en matière de consommation, logement, etc..
Je suis aussi vice-président de la section française de Défense des Enfants International. À DEI-France, nous rédigeons chaque année un rapport où nous essayons de vérifier l’application en France et par la France de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant dans tous les domaines de leur vie quotidienne. Plus particulièrement, je m’occupe du champ concernant l’école…
Mais je vais surtout aujourd’hui partir de l’expérience qui est la mienne d’enseignant dans un lycée de banlieue dans le nord de la Seine-Saint-Denis. J’ai cinq classes de terminales soit 150 élèves environ, issus à 95% de l’immigration, et ils sont, me semble-t-il, porteurs de trois lignes de violence.
…est la plus cachée, la moins évidente, la moins explicite, celle dont ils sont porteurs de par leur propre histoire, leurs propres origines, leurs racines culturelles et religieuses.
C’est Chafique, originaire de Karikal en Inde, en vacances chez son oncle et sa tante l’an dernier, et une petite fille de 8-9 ans meurt d’une maladie qui aurait pu être soignée ; il raconte cet épisode écrit en cours de philosophie et termine son texte ainsi : « Depuis ce jour, je déteste l’argent quand il ne sert qu’à faire des hommes de plus en plus riches et des pauvres de plus en plus pauvres, qui, par conséquent, souffrent. Je me rends compte que nous vivons ici comme des rois par rapport à ceux qui souffrent de la guerre, du racisme, de la pauvreté et d’autres choses qui font du monde un enfer pour certains. Nous, par contre, nous vivons bien tranquilles, même si c’est un peu difficile parfois… » ; il habite une des cités les plus pourries de Stains, la cité du Moulin Neuf, qu’on va peut-être enfin se décider à réhabiliter.
C’est Gaye : originaire du Mali qui découvre qu’il est le fruit d’un mariage forcé. Sa mère est morte quand il avait trois ans. C’est Guislaine, originaire du Congo, qui n’a plus de nouvelles de là-bas depuis plusieurs mois. Son village a été ravagé par la guerre civile, et elle espère simplement que ses oncles et tantes sont en train d’errer sur les routes parmi les millions de réfugiés des famines et guerres fabriquées de notre planète. C’est Yavuz, d’origine kurde, qui parle avec Mustapha, turc musulman, c’est tel garçon d’origine croate qui entend telle fille d’origine serbe raconter la dépossession de tous ses biens et l’exil de sa famille de la plaine de Krajina, désormais réfugiée dans son propre pays, et réciproquement cette fille entendre les récits d’atrocités commises par les Serbes… C’est aussi Toufik, kabyle et français, qui a été pris dans les émeutes de l’été dernier en Kabylie et qui écrit ce qui est arrivé à certains de ses amis tombés aux mains des gendarmes.
Je dis souvent à mes élèves, surtout quand je devine que certains d’entre eux ont quelques difficultés de relation avec eux, que leurs parents ont traversé frontières et océans en se jetant à leur âge dans l’inconnu peut-être justement pour leur permettre d’échapper au sort qui est encore celui de 350 millions d’enfants sur la planète qui n’ont pas droit à l’école. Je leur dis souvent aussi qu’à la fin de l’année, quand ils auront peut-être leur bac, ils feront ainsi partie des 1 % de la population mondiale qui a un diplôme universitaire.
Mais il est vrai aussi que cette violence, héritée de l’histoire, et qui est encore présente, nous en sommes également porteurs. L’Europe mange à sa faim depuis un peu plus d’un demi-siècle peut-être et nous sommes issus d’un siècle qui a vu deux guerres mondiales en ravager la première moitié. Né en 1945, j’appartiens à la première génération qui n’aura pas, dans son existence personnelle, connu de guerre, la première génération sans doute depuis Vercingétorix, au moins sur cette petite parcelle de l’Europe occidentale qu’est la France.
Donc nous sommes nous-mêmes issus d’un siècle où on a vu les pires barbaries se commettre au nom des idéaux les plus élevés et les plus hauts degrés de compétence, de culture et de savoir se mettre au service de ces barbaries. La construction d’un four crématoire, c’est quelque chose de très compliqué et les gens qui conçoivent et construisent ces outils sont d’excellents ingénieurs, anciens bons élèves des meilleures écoles d’ingénieurs d’Allemagne. L’histoire de mes élèves est donc aussi la nôtre et on pourrait aussi évoquer ici le quasi renversement du colonialisme… En philosophie, nous pouvons souvent travailler sur des questions aussi simples et aussi profondes que celles-là.
Par exemple sur la question du racisme. J’ai fait récemment, lors d’une conférence, un petit test auprès de 300 instituteurs ; 80 % d’entre eux ont répondu oui à la question : « Au nom de la liberté de penser, ai-je le droit ou non d’avoir des opinions racistes ? », oubliant tout simplement la signification même du verbe penser.
…est celle qui est la plus fréquemment évoquée dans les médias et dans les divers colloques sur les « jeunes de banlieue », celle qu’ils vivent à l’extérieur du lycée, dans les cités où ils habitent, dans ces silos à main d’œuvre construits en chemins de grue pendant les « trente glorieuses » : ici, règne la loi du plus fort, la loi des bandes, le désir irrépressible de « se faire de la thune » le plus vite possible, l’emprise des « marques », de la bagnole, la misère sexuelle aussi qui conduit à des violences extrêmes parfois : c’est Farid qui démissionne du lycée après avoir été condamné à un an de prison avec sursis et dix-mille francs d’amende pour complicité de vol de voiture et de tentative de meurtre, et qui, dans sa lettre d’adieu à la classe écrit cependant : « …mais le jour du procès, j’ai revu le mec sur qui on avait tiré, il est paralysé à vie, et ça je m’en souviendrai toute ma vie… » [1] [1] C’est les multiples trafics, les violences diverses, les descriptions de l’emprise des drogues, et aussi les récits de violences policières, des humiliations du racisme ordinaire. Ces aspects de la vie quotidienne sont souvent décrits et je ne m’y appesantirai pas. Je souligne cependant un point qui, lui, est souvent passé sous silence : la violence froide infligée par les décideurs de toute sorte et de tout niveau à des populations entières, exclues de la vie civique, soumises à l’exploitation commerciale et immobilière, vivantes d’allocations et de boulots précaires. Quel peut être le rapport à la loi d’un jeune de 18 ans qui voit, depuis qu’il est né, sa mère monter les quatre ou six étages à pied avec les courses, et qui peut constater chaque mois sur la quittance 80 ou 120 francs de charges pour des ascenseurs qui sont perpétuellement en panne ? Qui va vérifier les charges locatives des ensembles immobiliers, la gestion des cabinets immobiliers et des syndics de copropriété ? Il est vrai que la quittance de loyer ou la feuille de taxe d’habitation, ça ne fait pas d’images très spectaculaires au journal télévisé ! tandis que deux ou trois carcasses de bagnoles qui brûlent… Qui dira que la « morale » des petits caïds de banlieue est la même que celle des prédateurs de la mondialisation libérale, la seule différence étant leurs rayons d’action respectifs dans l’espace et le temps ? Ne pas s’étonner en outre si ces violences économiques, sociales, urbaines ont des répercussions sur le comportement des enfants dans l’école…
…dont ils sont porteurs, est en effet celle de l’école. Pour ce dont j’ai l’expérience, le problème majeur est l’absentéisme.
J’interroge Samir : « Pourquoi sèches-tu les cours, pas seulement de philosophie ? » Réponse : « La fatigue. Je suis fatigué… » Tout se passe comme si, pour lui et pour d’autres, il aura fallu fournir de tels efforts, pour résister notamment aux tentations extérieures, qu’arrivés en terminales, en effet, c’est la lassitude. Mes 150 élèves de terminales se ressentent souvent eux-mêmes comme les survivants d’un parcours de combattant au cours duquel ils ont dû faire des sacrifices tout à fait extraordinaires, prendre sur eux pour essayer de se couler dans le moule qu’impose l’école, pour faire en sorte d’échapper aux mailles du filet de la sélection par lequel certains de leurs camarades ont été éliminés en cours de route et aujourd’hui nagent dans la galère, de petits boulots en petits boulots…
Arrivés en terminale, certains sont tellement fatigués qu’ils finissent par décrocher, alors qu’ils sont près de toucher au but (si tant est que le bac puisse représenter un but…) Cette sélection, cette discrimination scolaire s’inscrit dans les territoires mêmes et s’inscrit dans la composition même des équipes pédagogiques. Dans l’établissement où j’enseigne, 60 % des professeurs a moins de trente ans. Ce sont des débutants qu’on envoie dans les quartiers les plus difficiles, comme si en médecine par exemple, plus les maladies sont compliquées et plus on les confierait aux jeunes internes débutants.
Il y a là un mépris de ces populations et ce même dans l’architecture, dans les murs de notre lycée, construit il y a une dizaine d’années et qui est entrain de s’écrouler. Il va de soi que si sa population était issue des classes moyennes ou bourgeoises, parisiennes, notre lycée ne serait pas dans cet état.
La troisième ligne de violence est ainsi celle de l’école même, vécue comme succession de fatalités, une expérience qui, à chaque étape impose de renoncer à quelque chose qu’on sentait comme une potentialité en soi-même. Elle impose aux bons et moyens élèves des parcours longs, aux futurs forçats des mathématiques l’abandon de toute culture littéraire, l’ignorance de toute culture technique pour les bons élèves ou les moyens orientés dans les cycles littéraires tandis que ceux qui ne sont pas doués, eux, sont relégués dans les classes SEGPA ou les lycées professionnels. Ce phénomène, lié à la massification considérable de ces dernières années, est abondamment commenté par les sociologues. On ne va plus à l’école en fonction de sa naissance, si bien que face à l’échec, on ne peut plus s’en prendre au hasard de la destinée mais à soi-même : il y a bien une intériorisation des causes de cet échec et donc une culpabilisation : « Je me suis laissé aller, je n’ai pas assez travaillé et suis seul responsable puisque la République m’a donné les mêmes chances qu’à tout le monde… », en apparence !
Je n’entrerai pas dans le détail des mécanismes de l’échec scolaire, je mets seulement l’accent sur ce qui m’est un peu particulier dans les analyses actuelles du système éducatif.
À savoir que l’école est une zone de non-droit où perpétuellement se trouvent confondues les obligations d’obéissance à la loi, aux lois du vivre ensemble (puisque l’école a cette double fonction d’instruction et de socialisation), et les contraintes de la soumission. Au lieu d’apprendre à comprendre les exigences du vivre ensemble et à instituer la loi en soi comme structure d’articulation des libertés, ici, on apprend non pas à obéir à la loi mais bien plutôt à se soumettre à quelqu’un. À l’école primaire, passe encore, on a un ou une institutrice pour l’année. Les redoublants, les anciens peuvent renseigner ceux qui arrivent sur les tics et manies de l’instit, on peut apprendre progressivement et s’adapter. Mais dès le collège, tout change bien sûr, parce que c’est d’heure en heure qu’il faut être docile, actif, demandeur de ce qui est imposé sur un emploi du temps et de l’espace morcelé et incohérent, auquel on ne peut rien : la « loi » change avec la salle et avec celui ou celle qui est chargé de l’appliquer. Donc il n’y a pas de loi, mais une déstructuration complète du rapport à autrui et une véritable désocialisation qui a évidemment des conséquences directes sur le rapport à la culture et aux savoirs. Et ce que je trouve miraculeux, finalement, c’est qu’il n’y ait pas plus de dégâts que ceux qu’on connaît.
Il y a aussi quelque chose de fondamentalement destructeur dans l’organisation même du temps scolaire, de l’espace scolaire, qui détruit toute possibilité d’instruction et de rapport au savoir. Autrement dit, si je veux réussir à l’école, l’essentiel pour moi est d’essayer de deviner ce qu’on attend de moi et de m’y soumettre, dans les acquisitions aussi bien que les comportements. Le travail de confrontation aux exigences de la recherche de la vérité, le travail de découverte des immenses champs de la culture humaine dans les techniques, arts et sciences se transforme ainsi en recherche de la devinette, parce que c’est le même qui enseigne et qui juge ensuite les résultats de cet enseignement. C’est le même qui est juge et partie, et réussir consiste donc à deviner ce qu’il a derrière la tête : « Qu’est-ce que je vais mettre sur cette copie qui va faire bien et faire que j’ai une bonne note ? »
…que je formule valent surtout pour l’institution scolaire, c’est-à-dire pour la troisième, mais il va de soi que si elles ne sont pas articulées avec des actions de partenariat dans le triangle de la socialisation (familles, institutions, associations) des enfants, elles risquent d’être vouées à l’échec. Moins que de solutions, il s’agit plutôt, pour les enseignants, de véritables chantiers de travail qui s’ouvrent. Il y a en effet cinq grandes lignes de travail, de mise à l’action, qui se dessinent pour nous dans nos systèmes éducatifs.
1. D’abord instituer dans les établissements scolaires une instance de médiation et de jugement. Nul ne peut se faire justice à soi-même, et donc il est important, lorsqu’il y a des comportements déviants par rapport au règlement, la loi, que ce ne soit pas la victime de ce comportement qui décide en même temps de la punition. Alors ce n’est pas seulement de la médiation : il ne peut pas y avoir « neutralité » entre le professeur qui dit à sa classe (exemple qu’un de mes élèves me rapportait la semaine dernière) : « C’est la classe qui est la plus nulle que j’ai eu de toute ma carrière et heureusement je prends ma retraite à la fin de l’année ! », et les élèves qui, une infime minorité d’entre eux d’ailleurs le plus souvent, protestent contre ces injures publiques qui sont formulées à leur égard. Il n’y a pas de neutralité possible ici, si un professeur injurie collectivement sa classe il enfreint le code pénal, et il n’y a pas de neutralité à maintenir entre celui qui insulte et l’insulté, entre le bourreau et la victime, entre le violeur et le violé. Donc il faut faire extrêmement attention que ces instances de médiation ne renforcent pas chez les élèves le sentiment d’impuissance et de résignation. Ce n’est pas la violence, ce n’est pas l’agressivité chez les jeunes qui est inquiétante, c’est leur immense capacité de résignation et de passivité à l’égard de situations qui sont institutionnellement intolérables. En tout cas, ces situations institutionnelles sont contraires, trop souvent, aux principes élémentaires du droit qui forment notre société.
2. Deuxième proposition : distinguer, tous les moyens sont à inventer, l’évaluation pédagogique interne au travail de la classe et la validation externe des compétences, des savoirs, des savoir-faire acquis. Séparer donc les rôles d’entraîneur et de juge, inventer donc les moyens institutionnels de cette séparation des pouvoirs qui pourra alors permettre au professeur d’être véritablement l’entraîneur de ses élèves, devant et non au-dessus. L’inégalité – nécessaire et structurante – entre professeur et élèves est temporelle et non spatiale. Nul ne peut être juge et partie : je ne peux pas, en droit, juger des compétences que les élèves ont acquises (ou non) grâce à mon action pédagogique.
3. Troisième proposition : la réorganisation des cursus. Aujourd’hui nous savons bien quels sont les enjeux scientifiques et techniques des développements de notre monde et donc ça impose une réorganisation complète des cursus. Je l’ai dit : aujourd’hui à chaque étape, l’enfant est obligé de renoncer à une part de ses potentialités : privation des dimensions de la culture technique chez les élèves orientés vers les études longues, littéraires ou scientifiques, privation de la dimension artistique, littéraire, culturelle pour les futurs forçats des mathématiques et de la haute technologie, et privation des informations scientifiques nécessaires aux citoyens d’aujourd’hui pour que dans notre démocratie le pouvoir de décision continue d’appartenir à l’ensemble des citoyens et pas seulement aux experts, qui prétendent décider à notre place de ce qui est bien pour nous. Réorganisation des cursus, crédit éducation, possibilité pour un élève de s’intéresser simultanément la même année scolaire à l’archéologie égyptienne, à l’électronique et de jouer de la flûte, ce qui est impossible dans les prétendus choix que proposent, imposent en réalité, aujourd’hui l’ensemble de nos systèmes éducatifs.
4. Quatrième proposition : à propos du débat entre services publics et institutions privées, avec à l’horizon la menace que fait peser la marchandisation des savoirs et la commercialisation de l’école. Je crois qu’il serait du rôle de l’État, des États, que de définir des « cahiers des charges » extrêmement précis et contraignants, garantissant par exemple l’égalité des ressources financières entre les établissements, par élève et selon les filières, par exemple aussi garantissant le statut des enseignants en tant qu’experts de leurs disciplines, les programmes et enfin et surtout les méthodes pédagogiques qui permettent aux enfants de s’approprier les significations données au monde et à l’histoire par les générations qui les ont précédés, d’entrer à leur tour dans la construction des savoirs, la création culturelle et l’institution de la loi. Et bien entendu les États devraient se donner les moyens de contrôler effectivement l’application de ces cahiers des charges, avec sanctions prévues à la clé pour toute institution éducative, privée, publique ou associative qui ne les respecterait pas.
5. Cinquième proposition : je fais, probablement comme un bon nombre d'entre vous, un métier absolument impossible. Nous sommes absolument certains que quotidiennement nous commettons des erreurs, nous nous trompons… J’ai 150 élèves cette année, en classe terminale, des garçons et des filles de 16 à 20 ans et il est absolument impossible de prétendre maîtriser ce qui se passe dans une classe ordinaire d’une vingtaine ou trentaine d’élèves. Et donc en effet, la formation continue des enseignants devient une nécessité impérative. Si dans mon temps de travail, si dans mon temps de service, je ne peux pas rencontrer mes pairs, mes égaux, mettre avec eux sur la table tout ce qui m’arrive dans la classe et à quoi je ne comprends rien, mettre au jour ces pulsions plus ou moins obscures qui peuvent m’agiter devant ces garçons et ces filles dans la fleur de l’adolescence et de la jeunesse et qui réveillent en moi ma propre immaturité, alors je ne peux pas assumer les exigences et les risques de ce métier impossible. Il faut absolument en effet qu’il y ait ces moments de contrôle, au sens anglais du terme, qui me permettent de me contrôler, de reconnaître mes erreurs et d’en assumer les conséquences. Groupe de formation réciproque et de soutien, formation continue dans le temps de travail même des enseignants, pour assumer l’impossibilité de cette tâche.
Pour conclure, je crois qu’il y a deux enjeux majeurs qui ne se séparent pas l’un de l’autre :
1. Le premier : les savoirs, la culture. À quoi sert l’école ? Que font les adultes à l’égard des enfants lorsqu’ils leur offrent l’école ? Je crois que d’une part, l’école invite les enfants à s’approprier les significations données au monde et à l'histoire par les générations qui ont précédé, rôle essentiel de conservation (l’école est conservatrice, oui, d’une certaine manière), à s’inscrire dans des filiations culturelles, historiques, singulières et universelles et, d’autre part, (et vous voyez qu’ici on ne peut absolument pas séparer ces deux dimensions, sans les dénaturer l’une et l’autre, c’est comme le recto et le verso d’une feuille de papier), si l’école est essentiellement conservatrice, elle est aussi essentiellement révolutionnaire c’est à dire qu’elle doit habituer les enfants à s’affronter à l’imprévisible du monde qui les attend, à ne pas se soumettre aux prétendues fatalités de la guerre et de la violence. Entrez, disons nous aux enfants, entrez à votre tour dans la création culturelle. Entrez à votre tour dans l’aventure des techniques, des arts et des sciences. Dans les sciences, par exemple, eh bien les physiciens aujourd’hui ne savent toujours pas de quoi ils parlent quand ils parlent de la lumière, les biologistes ne savent toujours pas de quoi ils parlent quand ils parlent de la vie ! Nous sommes devant des questions où nous sommes infiniment plus ignorants que savants. La totalité des savoirs de l’humanité, nous dit-on, double à peu près tous les quatre ans. Ce que la totalité de l’humanité sait en l'an 2000 est le double de ce qu’elle savait en 1996, le quadruple de ce qu’elle savait en 1992 ! C’est la première fois dans notre histoire où les savoirs augmentent infiniment plus vite que le renouvellement des générations. Donc voilà la double mission de l’école : appropriez vous les significations données au monde et à l’histoire par les générations qui ont précédé et entrez à votre tour dans ce travail pour essayer de résoudre les questions que nous avons nous-mêmes été incapables de résoudre !
Et en ce qui concerne la culture, je crois que l’école peut permettre aux enfants de découvrir comment on peut retourner les formes les plus extrêmes de la violence dans les plus hautes formes de la culture. Un de mes élèves racontait il y a peu de temps un très grave incident qui s’était produit dans sa cité ou une fille avait été violée. Elle avait porté plaine, la plainte n’avait pas eu de suites et le grand frère et ses amis avaient retrouvé le violeur et s’étaient vengés. Ils sont actuellement pour deux d’entre eux, en détention provisoire en attendant le jugement sous les chefs d’inculpation d’enlèvement, séquestration, tortures, actes de barbarie et viol… Cet élève a écrit un texte où il raconte cette histoire [2] [2]. Le rôle de n’importe quel citoyen ordinaire est d’expliquer aux jeunes que nul ne peut se faire justice à soi-même, à condition que les procédures judiciaires permettent que justice soit rendue. Mais le rôle spécifique de l’école est aussi de faire comprendre que cette histoire est une histoire millénaire : Hélène était-elle « consentante », enlevée et violée par Pâris ? Il s’en est suivi dix ans d’une guerre des plus sauvages que l’humanité ait connue. Et de cette guerre Homère écrit le poème, que nous lisons toujours et qui est publié en livre de poche, que l’école offre à tous les enfants.
Grâce à l’école, nous pouvons apprendre aux enfants à transformer les pulsions les plus destructrices qui nous habitent tous en énergie créatrice. De quoi parlent les tragiques grecs, Racine, Shakespeare, Mozart et Goya ? de meurtres, de guerres, de tortures, de viols, d’incestes, de l’humaine inhumanité, et ils en parlent dans les formes les plus élevées que nous ayons inventés dans notre culture jusqu’à présent.
2. Deuxième enjeu, la loi. En réalité ce n’est pas le « deuxième » : ces deux enjeux sont simultanés et doivent s’articuler.
Comment l’école peut-elle permettre aux enfants de découvrir que la loi est l’outil de la liberté ? La loi est l’outil de ma liberté et non pas limite à ma liberté parce que ma liberté peut s’articuler à celle de l’autre. Et donc je crois que le défi est de permettre aux enfants dans le quotidien de l’école le plus à ras de terre de découvrir que ma liberté – contrairement à ce qu'on dit très souvent – ne s’arrête pas là où commence celle de l’autre mais qu’elle commence là où commence celle de l’autre : dans les structures pédagogiques coopératives, je peux découvrir qu’en articulant nos libertés nous allons créer les conditions pour nous donner ensemble plus de joie dans le travail de la création culturelle, la découverte des cultures du monde entier et l’appropriation des outils de la raison humaine. L’école n’est certes pas un lieu démocratique mais un temps d’apprentissage de la démocratie, le temps de l’existence où l’on apprend progressivement à faire la loi avec les autres.
Quand j’entre en classe j’ai peur parce qu’ils sont 20 ou 25, 35… et alors je peux être tenté de confondre mon pouvoir sur le groupe avec les exigences de l’exercice de mon autorité dans le groupe. Autorité, c’est-à-dire autoriser, transmettre, créer. Autoriser : permettre aux élèves de devenir auteurs à leur tour. Et si j’arrive à ne pas confondre ces deux comportements contradictoires que sont l’exercice du pouvoir sur et l’autorité dans, peut être alors les élèves vont-ils comprendre qu’il y a une contradiction essentielle entre se soumettre à quelqu’un et obéir, d’une part à la loi et d’autre part aux exigences extraordinairement complexes de la construction des savoirs.
Ils apprendront que celui qui se soumet n’obéit pas en réalité et que celui qui obéit marche avec les autres – c’est le sens étymologique d’obéir – et en effet, il ne se soumet pas du tout. Ce qui pourra peut-être permettre aux enfants de découvrir l’essentiel de la relation humaine, au sens éthique le plus profond : on peut le découvrir très concrètement quand, par exemple, on est débordé par les tâches multiples qu’appelle le groupe-classe et qu’un élève demande un renseignement alors que nous sommes occupés avec un autre groupe d’élèves et qu’on le renvoie à un de ses camarades (« Va demander à un tel, lui, il sait faire, il va t’expliquer ») ; quelquefois l’élève qui doit aider son camarade n’est pas très content parce que… : « Il n’a qu’à bosser, il n’a qu’à travailler, il est débile, il ne comprend rien… » Et je réponds à l’élève qui refuse d’aider l’autre : « Je ne te demande pas ton avis, tu vas l’aider, parce que sinon tu seras mis en examen pour non-assistance à personne en danger ! » C’est un de ces principes du droit devenus indiscutables. « Et deuxièmement peut-être qu’en aidant ton camarade, tu vas découvrir ceci : que quand tu expliques quelque chose à quelqu’un d'autre, tu te l’appropries toi-même, tu le sais beaucoup mieux après l’avoir expliqué à quelqu’un d’autre qu’avant de l’avoir transmis. » Et donc, à l’école, on peut (on doit !) découvrir ceci : je ne peux réellement m’approprier que ce que je donne. Autrement, dit dans la transmission même des savoirs, dans le cours de mathématiques, dans l’atelier d’électronique, dans le cours d’histoire, de biologie, etc., je vais découvrir que je ne peux m’approprier que ce que je partage, je ne peux posséder que ce que je donne. Et alors vous voyez ici l’exigence radicale de résistance qui est la nôtre dans l’école, par rapport à toutes les logiques extérieures de la prédation, de l’appropriation, du « moi d’abord et les autres après » [3] [3], des jeux meurtriers de prestance, de rivalités, de concurrence et de guerre. Si on est fidèle aux finalités de l’école, alors nous heurtons de front toutes les logiques économiques et institutionnelles actuelles, y compris celles de l’école telle qu’elle fonctionne encore, qui oblige l’élève à réussir contre les autres et non pas avec les autres. Et nous prenons alors conscience des enjeux éthiques et politiques de notre travail pour que l’école soit l’école.
Je vous remercie.
Par Laurent Ott, éducateur et enseignant,
auteur de " Les enfants seuls " (DUNOD 2000),
association INTERMEDES.
Il suffit d’écouter les discours officiels politiques et l’actualité médiatique pour se rendre compte que l’éducation n’a pas le vent en poupe. Le travail éducatif, le débat éducatif ne sont presque plus jamais présentés pour eux mêmes, en positif, en projets, en action, mais toujours, à l’inverse, en creux et dans l’affirmation du manque d’éducation, de son absence ou de sa faillite.
L’éducation n’a ainsi jamais été autant évoquée, invoquée et, au même moment, tellement niée. Elle n’a jamais été autant l’enjeu des problèmes de société que nous connaissons et en même temps déboutée de toute prétention, tellement refoulée dans ses principes essentiels.
Et pourtant… si la jeunesse et l’enfance nous font aujourd’hui tellement peur, c’est sans doute aussi parce que les relations qui unissent les générations (et au premier rang de celles ci, les relations éducatives) vont se distendant.
Si les diverses institutions (et justement parmi celles ci les institutions éducatives) font état de problèmes relationnels de plus en plus importants avec leur public, cela témoigne selon nous d’un divorce entre ce que les jeunes et les enfants attendent… et ce qu’ils y trouvent.
Le caractère fondateur, essentiel pour la société de la mission éducative est ainsi nié, laissé en friche, peu valorisé ; les acteurs éducatifs souffrent d’une image de plus en plus dévalorisée: ce n’est pas leur fonction que l’on songe à revaloriser mais celle des policiers, des gendarmes et des douaniers. Si on parle encore tellement d’eux, c’est à l’image des débats sur l’éducation elle-même, pour les prendre en pitié ou les déclarer démissionnaires ou dépassés. En guise de projets éducatifs, on ne semble plus nous promettre que des policiers dans les écoles, des vigiles devant les entrées et des centres fermés. Sur ce que deviendrait l’acte éducatif lui même, entouré de tellement de protections, ce que deviendrait son contenu, il n’en est plus question, mystère !
Ceux parmi les acteurs éducatifs les plus militants, ceux, qui justement proposent un contenu, innovent, et qui sont porteurs de pratiques et d’actions adaptées aux besoins des enfants d’aujourd’hui sont gardés à la marge, présentés comme de doux rêveurs et mis hors d’état de mettre en œuvre durablement ces mêmes actions ; nous ne parlons même pas des freins qui empêcheraient ces novateurs de faire reconnaître leurs initiatives action, ou de les essaimer !
Bref, il pleut sur l’éducation aujourd’hui et il devient chaque jour plus urgent et plus important que les éducateurs eux mêmes prennent la parole et dénoncent cet état de fait et réaffirment haut et fort que la crise que nous connaissons actuellement n’est pas due à l’éducation mais à son manque.
Pour ce faire, il faut mettre en lumière les freins et les obstacles qui entravent le projet éducatif lui même; il faut les identifier, les nommer et décrire les trois niveaux, sur lesquels ils s’exercent, à savoir, le niveau du pouvoir, de la nécessité et de la valeur:
Le pouvoir d’éduquer est en effet en péril quand les enfants ne trouvent aucun interlocuteur durable, capable de porter sur eux un intérêt global, en dehors de la famille, en voie de fragilisation.
Le pouvoir d’éduquer est en question quand les structures de loisirs, culturelles et sportives copient de plus en plus leur fonctionnement sur celui de l’école ; quand ces mêmes structures se centrent davantage sur leur propre fonctionnement que sur le devenir des enfants accueillis et quand elles se donnent des objectifs de réussite de type productiviste qui tournent le dos à l’exigence relationnelle.
Le pouvoir d’éduquer est en difficulté, quand les établissements scolaires rétrécissent perpétuellement leurs ambitions sur des savoirs fondamentaux ; quand ces mêmes établissements limitent leur vision de la citoyenneté en une liste interminable d’interdits pour les élèves, sans que jamais le devoir de compréhension, d’accompagnement e d’éducation des adultes soit réaffirmé.
Le pouvoir d’éduquer est en difficulté dans une société où les espaces publics sont désertés, quand les adultes n’osent plus intervenir auprès des enfants des autres et quand il n’existe plus de vie publique locale dans laquelle les enfants trouveraient à s’initier et à s’intégrer.
Le pouvoir d’éduquer est battu en brèche quand les militants des organisations d’éducation populaire se heurtent à des imbroglios administratifs, à une surenchère de mesures sécuritaire et de mises en cause personnelle des acteurs ; et il est réduit à l’impuissance quand les porteurs de projets d’initiatives sociale se heurtent à des problèmes endémiques de subvention, sans cesse plus difficiles à obtenir, sans cesse remises en cause dans la durée, épuisant ainsi ces mêmes acteurs dans des procédures interminables de recherches et de justifications qui les éloignent de leur projet initial.
Face au déni du pouvoir d’éduquer ainsi décliné, il est urgent de rétablir le droit des enfants à connaître et à fréquenter des structures et des équipes engagées capables de les accueillir sans sélection, dans la proximité et la durée ; et pour cela, il faut une véritable reconnaissance sociale, juridique et financière pour des structures associatives de proximité.
Ce n’est pas le seul pouvoir d’éduquer qui est mis à mal actuellement ; c’est la nécessité et le besoin des enfants à bénéficier dune réelle éducation qui est de plus en plus ouvertement mis en question de nos jours.
De plus en plus, on présente les besoins des enfants d’aujourd’hui, dans la presse, les énoncés d’annonces politiques, les rapports et les débats comme ne relevant plus du tout de l’ordre de l’éducation, mais au contraire, de la pénalisation ou de la répression.
C’est à peine si on aborde la question de l’éducation dont les enfants auraient besoin pour fustiger les familles qui seraient démissionnaires ; des raisons et des remèdes, nulle trace : l’éducation aujourd’hui semble devenu un luxe exorbitant dorénavant réservé aux enfants vivant dans des milieux fortement socialisés ; pour les autres, ceux qui partagent avec leurs parents un isolement économique, culturel et social la répression semble seule être requise.
En privatisant et déniant tout caractère public à l’éducation sauf pour en sanctionner les difficultés, ce n’est pas seulement la jeunesse d’un pays que l’on abandonne, c’est aussi la société toute entière que l’on prive de projets et de perspectives. C’est le lien social lui même qui perd tout son sens ainsi que la communication entre les générations : c’est le règne du chacun pour soi sous couvert de " droit à la sécurité ".
Il est évident qu’il faut bien autre chose et que si les problèmes éducatifs sont tels qu’on nous les décrit, il paraît élémentaire de redonner toute sa force et tous les moyens nécessaires à un projet éducatif amitieux au niveau de la société toute entière ; il ne pourra pas en effet y avoir de paix sociale sauf à ce que la société redonne un sens positif de progrès et de projet à cette paix même, en dehors de l’idéologie du " chacun pour soi ".
Face à un tel déni, il faut réaffirmer la nécessité d’éduquer aujourd’hui, plus qu’hier, dans une société plus solitaire et plus complexe ; il faut pour cela de nouveaux métiers éducatifs, de nouveaux lieux et de nouveaux types de structures, adaptés aux enfants d’aujourd’hui, c’est à dire qui prennent en compte l’hétérogénéité et la mobilité des publics accueillis ainsi que leurs besoins.
On comprend qu’on ne tournerait pas autant le dos à l’éducation si on conservait publiquement à l’acte éducatif lui même une certaine valeur ou une valeur certaine ; ce n’est certainement pas le cas actuellement ; quand l’initiative économique et vénale se trouvent publiquement et économiquement encouragées, valorisées au moment même où l’initiative éducative et sociale n’attire à ses acteurs que tracasseries, soupçon d’illégitimité et perpétuelle précarité, on a une idée plus juste de la réelle valeur que l’éducation a pour les pouvoirs publics.
Le déficit est flagrant et il touche tous les acteurs : les animateurs, enseignants et travailleurs sociaux se voient sans cesse reprocher le coût de leur poste ; curieusement il ne semble pas en être ainsi pour les policiers et les gendarmes ; on est bel et bien dans un choix de société.
Il est temps pour les acteurs éducatifs de ne plus accepter cette place honteuse et de revendiquer la valeur sociale de leur travail et de leur fonction ; il est urgent de réaffirmer que le travail éducatif est un acte de haute tenue, d’intérêt politique et public qu’il faut absolument soutenir et encourager.
Concrètement cela pourrait passer par exemple par un changement d’attitude des pouvoirs publics vis à vis des associations, en passant du soupçon d’illégitimité au postulat d’utilité. Mais cela devrait passer aussi par un droit reconnu et un financement public établi et durable des actions éducatives qui relèvent d’une utilité sociale évidente.
On reprochera à ces demandes leur coût financier ; il convient d’affirmer qu’à terme les politiques répressives seront bien plus coûteuses encore que ce soit sur le plan de l’argent ou bien évidemment humain.
Par Fabienne Messica, journaliste, écrivain.
A paraître le 29 août : Le Guide du Bon parent d'elève.
Editions P.U.F.
L’initiative prise l'été dernier par certaines municipalités, y compris par
de grandes villes comme Strasbourg, de décréter ce que les journalistes ont
appelé " le couvre-feu " pour les enfants de moins de 13 ans ou de
moins de 16 ans vivants dans les " quartiers " a fait l’objet de maintes
critiques. En termes d’efficacité sécuritaire comme en termes de protection
de l’enfance, ces mesures saisonnières interdisant la circulation entre 23 heures
et 6 heures des enfants non accompagnés par un adulte, sont jugées totalement
inefficaces aussi bien par la Police, que par les éducateurs et les juges des
enfants. Tous dénoncent leur caractère démagogique.
Si caricaturales et spectaculaires soient-elles, ces mesures ne comportent pourtant
aucun caractère de nouveauté par rapport aux politiques traditionnelles en matière
de sécurité et de traitement " social " des "
incompétences " ou incapacités familiales. La suspicion à l’égard des familles
défavorisées, jugées incapables d’exercer le contrôle nécessaire sur leurs enfants,
s’exprime couramment, soit par des mesures de contrôle, soit par le développement
de formes d’assistance à la parentalité.
Ces contrôles s’effectuent par exemple par le biais de la Caisse d’Allocations
Familiales qui peut supprimer les allocations aux familles pour cause d’absentéisme
scolaire prolongé. C’est ainsi qu’en Septembre dernier, les écoles publiques
de Saint - Denis ont diffusé un document de la Caf avertissant les parents du
risque de suspension des allocations en cas d’absentéisme scolaire des enfants
et d’un accord à ce sujet entre la Caf de Saint-Denis et l’Education Nationale.
À l’instar des arrêtés municipaux de "couvre-feu " qui, cette année,
n’ont pas été cassés par le Conseil Constitutionnel, cette initiative locale,
sans être désavouée par le niveau central , n’est pas à l’heure actuelle appliquée
au niveau national. Dans la mesure où la législation actuelle est suffisante
pour que tout enfant trouvé seul à une heure tardive dans la rue soit reconduit
chez lui par la Police et pour que tout enfant non-scolarisé soit signalé, il
convient de s’interroger sur ce que ces initiatives locales apportent de nouveau.
Outre leur caractère démagogique ces initiatives témoignent de la volonté de rendre publique un contrôle social qui s’effectuait jusque-là de façon discrète. Cette " publicité ", en stigmatisant sans complexe les familles, montre que, par un effet pervers, l’assistance à la parentalité et les directives politiques concernant le renforcement nécessaire du rôle des parents, ont eu pour effet de faire admettre l’incompétence des parents comme une évidence. Le langage pédagogique adopté par la Caf qui met l’accent sur l’intérêt des enfants est à ce titre très significatif. Le soupçon de négligence à l’égard des parents s’y mêle à une attitude compréhensive qui tranche avec la menace de sanctions.
Ces initiatives ont également
pour effet de territoraliser la loi (le couvre-feu concerne des quartiers précis
et se décide à un niveau municipal) et de la soumettre à une conjoncture (ici
saisonnière). Ce qui s’applique ici au nom d’une urgence sécuritaire, c’est
un traitement spécifique des quartiers tant du point de vue de l’espace que
du point de vue du temps. Ainsi, les populations sont renvoyées à une spatialité
et à une temporalité qui n’est pas la même que celle du reste de la société.
Par ailleurs, l’adoption quasi-simultanée par plusieurs municipalités de mesures
de couvre-feu, qu’elle soit concertée ou non, montre qu’il existe aujourd’hui
des coopérations horizontales dont le résultat est de mettre hors-jeu le niveau
central ou étatique. Si le fait de conditionner la perception des allocations
au respect de l’obligation scolaire n’est pas nouveau en soi (traditionnellement,
la Caf contrôle l’inscription des enfants à l’école en demandant aux parents
un certificat de scolarité), la coopération directe avec l’école est inédite.
Elle implique une coordination entre une administration (la Caf) et une institution
(l’école) dont les vocations sont pourtant distinctes l’une de l’autre. Non
seulement elle traduit une modification substantielle des pratiques en permettant
que le contrôle s’effectue par-delà les parents et tout au long de l’année,
mais plus encore elle pose un grave problème éthique. Doit-on, au nom de l’efficacité,
mettre fin à une distinction des rôles qui garantit d’une part l’anonymat des
informations détenues sur les populations et d’autre-part, la possibilité pour
ces populations, de conserver un espace de liberté comme interlocuteurs des
différents services, administrations et institutions ?
Alors que, dans son principe même, la loi est l’affirmation de l’appartenance à une même communauté, ces pratiques désignent des quartiers ou des familles en particulier et font de l’exclusion sociale, ce qui conditionne et justifie une exclusion hors de la loi commune. En effet, même si un arrêté municipal n’a pas le statut d’une loi, il appartient à la sphère de la loi et se l’approprie symboliquement. Or ici, non seulement, l’élément de la loi est laissé à l’initiative des municipalités ou des administrations, mais pire encore, il constitue un relativisme. En effet, le principe de la loi est que lorsqu’elle distingue des groupes (par exemple des groupes d’âge), c’est à partir de sa généralité et non l’inverse. Fonder la loi sur une casuistique ( élaborer des règles destinées à un cas ou un groupe précis ) permet d’évacuer à la fois les fondements et les effets réels des pratiques. Celles-ci relèvent en effet d’une logique qui se referme sur elle-même : en reconnaissant par l’intervention de la loi, la perte de légitimité des parents, elle ne font que l’accroître et provoquer une augmentation de la violence, laquelle JUSTIFIE à posteriori ces mesures; Il y a là un élément qui s’ajoute à toutes les fermetures des quartiers et qui accroît le sentiment de non-sens que confère la sorte " d’extra-humanité" à laquelle ils sont identifiés.
En effet, si d’un côté la généralité de la loi - l’égalité formelle- entraîne des conflits avec des individus ou des groupes qui ne veulent pas, dans leurs conditions sociales d’existence, s’y soumettre, ce conflit a un sens : il révèle des contradictions. En revanche, l’application de règles catégorielles, reconnaissant négativement la différence des quartiers, a pour effet à la fois de cautionner la violence et l’exclusion de la loi commune et de vider les conflits de leur sens. De telles règles, en légitimant une violence institutionnelle ciblée, provoquent celle des individus et des groupes désignés. En même temps, et c’est un paradoxe, elles évacuent les contradictions réelles liées à la juxtaposition d’un égalitarisme de principe sans concessions, avec les effets de l’inégalité sociale et avec la construction, par une partie des plus défavorisés, d’un rapport fondé sur la domination des plus faibles par les plus violents. Or, même si des phénomènes comme l’absentéisme scolaire, les incivilités, la délinquance, la violence ne sont pas de même nature, il n’en demeure pas moins que cette auto-exclusion et les contradictions qu’elle révèle leur donnent sens. Une réponse mimétique, traitant d’un point de vue juridique les quartiers de façon différenciée, est un moyen de dissoudre l’élément de sens issu de cette contradiction. Car c’est parce qu’elle conserve le principe de la loi - tout en éclairant les processus de désintégration sociale par lesquels ce principe devient inopérant – que cette conflictualité est productrice de sens.
Ces phénomènes participent par ailleurs à la fermeture des quartiers liée à l’appauvrissement des relations avec l’extérieur et ils se conjuguent avec un puissant sentiment d’enracinement chez les populations. Concernant la violence, cette double approche de fermeture des quartiers sur eux-mêmes, produite par l’environnement et par les habitants, conduit au développement de violences internes aux quartiers et à l’interprétation de ces violences comme violences contre soi. Quelle que soit sa validité, cette analyse (qui présuppose que pour les habitants, le quartier, c’est " soi-même ") ne permet pas elle non plus de poser la question des rapports de cette violence avec la société. Or, bien que les interactions entre les quartiers et l’ensemble de la société, se limitent souvent aux rapports avec les différents intervenants (éducateurs, assistantes sociales, associations ), la société des quartiers ne peut être considérée isolément. Il ne s’agit pas ici de relativiser les violences au prétexte que la société libérale est violente mais de comprendre en quoi ce qu’elles questionnent n’est pas seulement relatif aux quartiers.
Que l’on interprète ces faits comme l’expression d’une révolte ou au contraire, comme la façon dont des groupes ou des individus instituent par la violence des formes de pouvoir " totalitaire ", ou bien encore comme le mélange ou la coexistence des deux éléments, maintenir la tension avec la loi commune permet de poser la question de la violence dans les quartiers comme un enjeu pour toute la société. Au contraire, en traitant de manière différenciée des individus ou des familles à priori suspectés non seulement de ne pas respecter la loi mais également de ne pas mériter la même loi que les autres, on substitue à cette conflictualité porteuse de sens, une violence à l’état pur.
Un élément constitutif de cette violence institutionnelle est la volonté de rendre invisible, par une sorte de mesure d’urgence, une partie de la population. La priorité mercantile en période touristique a été, à juste titre, dénoncée par la presse. Mais ce qui semble encore plus symptomatique, c’est qu’il s’agit là d’une priorité sur la vie. Non seulement les arrêtés municipaux confisquent la ville aux habitants pour la livrer aux seuls habitants marchands, mais ces arrêtés contiennent un élément mortifère. Condamner les gens à l’invisibilité, c’est leur signifier leur mort sociale. C’est pour cette raison que dans certaines sociétés amérindiennes, lorsqu’un individu se dérobait à la loi, on le condamnait tout simplement à devenir un invisible pour l’ensemble de la communauté. Il en mourait finalement aussi sûrement que si on l’avait abattu. De la même façon, des quartiers ou des catégories de population comme les sans domiciles fixes, condamnés, dans certaines villes et à certains moments de l’année, à être des invisibles sont tout simplement déclarés morts à la société.
Par ailleurs, concernant
la fonction éducative, les difficultés actuelles sont à replacer dans une analyse
historique des rapports entre l’institution scolaire et les familles et dans
une analyse socio-économique des quartiers. La question éducative actuelle est
directement issue du processus de séparation entre une fonction économique assurée
par la famille et la fonction politique de l’école. Cette dépossession historique,
conjuguée avec les effets du chômage, se traduit tout naturellement par une
perte
d’autorité. Un parent qui n’a plus de rôle économique (nourricier) et qui, en
même temps, n’a aucun pouvoir dans la société, ne peut pas détenir une autorité
reconnue. Par conséquent, confiner la parentalité, pour reprendre un mot à la
mode, à la dimension économique est un piège qui se referme sur les familles
défavorisées. Par ailleurs, la question de l'autorité des parents est généralement
mal posée. Dans la plupart des familles modestes, l'éducation est plus sévère
que dans les classes moyennes ou privilégiées. Comme partout, ce que les parents
interdisent ou autorisent est fonction de leur culture, de leur morale mais
ce qui lui donne un crédit aux yeux des enfants est fonction de leur reconnaissance
sociale et politique. Comment donc des parents pourraient -ils enseigner la
citoyenneté à leurs enfants- ce qui est le rôle de l'école- quand eux-mêmes
n'ont pas le droit de vote et n'appartiennent donc pas à la communauté politique?
Comment pourraient-ils socialiser leurs enfants selon les normes de la société
quand eux-mêmes vivent une situation d' exclusion sociale?
Dans un tel contexte, ce n'est pas la fonction parentale qu'il faut interroger
ni même "soutenir", tout du moins lorsque ce soutien se fonde sur
la négation du savoir être parents des populations. L' aveu d'impuissance de
l'école et de la société qui consiste à faire porter aux seuls parents la responsabilité
des échecs scolaires et sociaux et des violences est beaucoup plus inquiétant.
Car les premières victimes de ces violences sont les enfants ?
En termes pratiques, cela signifie que ce n'est pas la sphère morale de l'éducation
parentale qui est en cause mais bien la sphère politique de l'éducation nationale
et des politiques publiques en général. C'est en investissant ce champ que les
familles victimes des discriminations sortiront de l’impasse sécuritaire ou
de l’assistanat " parentaliste "auxquelles on les confine aujourd'hui,
dans un geste ultime et de plus en plus musclé de fermeture des quartiers .
Par Elisabeth Chauvet,
Syndicat de la Magistrature.
"Cette jeunesse est pourrie depuis le fond du cœur.
Les jeunes gens sont malfaisants et paresseux.
Ils ne seront jamais comme la jeunesse d'autrefois.
Ceux d'aujourd'hui ne seront pas capables de maintenir notre culture".
(Poterie d'argile. BABYLONE 1000 avant J.C.).
"Dans un pareil état (démocratique), le maître a peur de l'élève et il le flatte, l'écolier a le mépris du maître, et de même à l'égard de l'éducateur.
D'une façon générale, les jeunes se donnent l'air d'être des vieux et ils leur tiennent tête en paroles et en actes…"
PLATON, La République VIII.
"Il n'y a plus de familles aujourd'hui, il n'y a plus que des individus"
HONORE DE BALZAC "les mémoires de deux jeunes mariés"
La jeunesse a toujours inquiété. La jeunesse a toujours dérangé - parce qu'elle est par définition "nouvelle", différente, parce qu'elle pose des questions - insolentes souvent - sur nous-mêmes, sur la société que nous avons construite - que nous leur avons construite - parce qu'elle la conteste, de manière violente parfois ; parce que son désarroi nous renvoie nécessairement à notre responsabilité d'adultes et d'éducateurs.
Quant à la jeunesse pauvre - la jeunesse défavorisée, du terme dont on la désigne de nos jours, elle a toujours gêné, mettant en péril la tranquillité de nos villes.
La tentation de la mise à l'écart de la jeunesse perturbatrice est donc une tendance lourde, récurrente. Si en 1878 le Pasteur Robin, dans son discours devant la Société Générale des Prisons évoque avec un réalisme qui peut nous choquer "la nécessité de nettoyer les rues et les carrefours des grandes villes des petits vagabonds et mendiants exerçant des métiers interlopes". "Il y a un certain nombre d'enfants qui pullulent dans la ville, et dont il faut débarrasser la voie publique ", les termes du débat instauré sur la jeunesse délinquante au cours de la récente période électorale, repris à l'envi par le gouvernement au pouvoir ne sont au final pas très différents, focalisés sur la nécessité d'éloigner - voire d' enfermer ces jeunes qui,, qui désormais sont repérés sous le terme de "mineurs délinquants multi-récidivistes", mettent en péril nos villes. La finalité non masquée est de préserver la sécurité du citoyen, à présent affirmée comme leur étant due (alors même que la constitution fait état d'un droit à la sûreté- et non à la sécurité)
D' autant que la création de centres fermés en direction des mineurs délinquants est présentée' dans le discours politique comme une évidence - du reste les 2 candidats, tant de gauche que de droite, en avaient annoncé la création à leur programme.
Que se passe-t-il pour que, en 2002, c'est-à-dire à peine plus de 20 ans après la fermeture par A. Peyrefitte en 1979 du dernier centre fermé, dénoncé comme 'une prison qui ne dit pas son nom", comme un lieu générateur d' une violence extrême d'une part, et comme parfaitement inefficace d'autre part, , nos politiques nous présentent leur création comme une "solution" au problème de la délinquance ?
Comment l' histoire peut-elle à ce point bégayer (selon les termes de l'historienne F. TETARD) [4] ? Comment peut-on imaginer 20 ans après le constat d'échec cinglant et incontesté des centres fermés que leur réouverture - même si les meilleurs aménagements en seront prévus, pourrait constituer une issue ?
Car il est clair que, outre leur inefficacité (hormis bien sûr la protection de la société le temps que dure la mise à l'écart), outre leur violence, l'enfermement des mineurs délinquants constituerait un recul historique sans précédent puisque l' évolution du traitement de la délinquance depuis deux siècles est en fait l'histoire de l'abolition de la peine, et que, jusqu' à aujourd'hui en tous cas, les multiples réformes en matière de traitement de la délinquance ne sont que la longue histoire d'un adoucissement de la répression au profit d'une perspective éducative - affirmation aboutie par la promulgation de l'ordonnance du 02,02,1945, texte fondateur de la justice des mineurs, qui sonne le glas du coercitif et organise l'omniprésence de la dimension éducative en faveur des mineurs délinquants, ceci sous l'influence d'une part des avancées des sciences humaines qui ont mis en lumière la vertu transformatrice de la rééducation, et d'autre part des bilans totalement négatifs tirés du constat de l'absence d' efficacité correctrice de la prison.
Ce recul historique se justifierait-il d'une montée sans précédent de la délinquance des mineurs ? Dépeinte comme de plus en plus violente, gratuite, agie par des mineurs de plus en plus jeunes, et particulièrement menaçante pour l' ordre public nécessiterait-elle un traitement d'exception ?
Un regard sur les deux derniers siècles nous indique pourtant que ,le phénomène n'est manifestement pas nouveau - même s'il prend effectivement des formes sans cesse renouvelées : Rappelons notamment qu' entre 1837 et 1857, le nombre de mineurs détenus s' est multiplié par 10; que la Société pour la protection de l'enfance abandonnée ou coupable est fondée, en 1878, en raison d' une augmentation inquiétante de la délinquance juvénile; que la loi du 24 mars 1921 résulte d'un accroissement important du nombre de petits vagabonds de 13 à 16 ans; que c'est pour répondre à une recrudescence de la délinquance des mineurs, liée aux ravages de la guerre, qu' a été promulguée l' ordonnance du 02.02.1945, et que, plus récemment, les années 1960 ont connu le phénomène dit "des blousons noirs"…
Ce retour en arrière se justifierait-il d' un changement qualitatif notoire ? Les analyses du sociologue L. Mucchielli [5] nous indiquent que cette augmentation doit être mise en relation avec une augmentation en chiffres absolus du nombre de jeunes ; et que, contrairement au discours ambiant véhiculé par les médias, les vols avec violence continuent à être nettement moins nombreux que les vols simples ; que bon nombre de délits sont - comme depuis toujours, commis par des pauvres qui volent aux riches ce qu'ils ne peuvent se procurer (vols de portables, de scooters, de vêtements), et que les chiffres brandis sont en fait ceux de la police qui mesurent plus l'activité policière que la réalité de la délinquance. .
Quant à justifier le recours aux centres fermés par une absence de solutions éducatives efficaces, ce serait faire fi des initiatives particulièrement fructueuses qui se sont développées ces dernières années : la mesure de réparation, introduite dans le code civil de 1994, qui prévoit la possibilité pour le mineur délinquant d' effectuer une activité d'aide ou de réparation soit en faveur de la victime, soit en faveur de la collectivité, et qui constitue une réelle contribution à la restauration du lien social : les centres éducatifs renforcés, qui proposent des prises en charge de grande qualité, basées sur la compétence et le savoir-faire d'équipes éducatives pluridisciplinaires particulièrement engagées ; (les premiers bilans font apparaître un taux de récidive après séjour en CER de six pour cent, là où la prison connaît un taux de récidive de soixante-dix pour cent chez les mineurs ; les prises en charge éducatives classiques, pour peu qu' elles soient menées par des éducateurs de qualité et que la continuité de l'action éducative ne soit pas mise à mal par les dysfonctionnements institutionnels de tous ordres ;la création de petites structures désignées du terme d'Unités d'Hébergement diversifié permettant des prises en charge souples , adaptées à chaque mineur, et permettant le plus souvent une réelle réinsertion.
Ces actions éducatives ont parfaitement démontré leur efficacité. Elles sont indéniablement peu nombreuses, peu connues, et malheureusement noyées dans un discours globalisant dubitatif quant à l'efficacité de l'action éducative en général, assimilée, à tort aux indéniables difficultés de la Protection judiciaire de la Jeunesse dans l'exercice de ses missions.
Il est vrai que ces mesures sont coûteuses - très coûteuses en temps investi par les professionnels : quatre fois plus de temps pour la mise en œuvre d'une mesure de réparation que pour une mesure de Liberté surveillée classique ; deux à trois fois plus d' éducateurs pour faire fonctionner les CER (sur la base de six éducateurs pour six mineurs); et au moins deux ans, - deux années pleines, pour qu'une mesure éducative porte véritablement et durablement ses fruits, et ceci dans l' hypothèse où l'effort éducatif a été soutenu et constant.
Mais , ô combien moins coûteuses sont ces mesures au regard du coût social que génère un adolescent multi-récidivistes qui persiste à récidiver et devient un adulte délinquant d'habitude. Mais notre société est-elle encore à même de se préoccuper de l'avenir? L' absence d' études prospectives en ce sens , qui pourraient démontrer l' économie réalisée à long terme laisse perplexe.
Un tel investissement d'avenir relève incontestablement d' un choix politique, d'un choix de société. Mais pourquoi notre société ne ferait-elle pas ce choix?.
Ce n'est donc ni l' existence d'un phénomène d'une gravité ou d'une nature inédite ni l'absence de solution - certes individuelles - certes au compte-goutte, - mais la justice a précisément vocation à traiter l'acte commis par un individu - qui acculent nos politiques à revenir au choix de l'enfermement des mineurs..
Ce retour de l' enfermement pourrait être l'effet de la conjugaison de deux facteurs :
· d'une part de cette "impossibilité de mémoire" qu' évoque F; TETARD, qui inscrirait ce retour comme un "invariant" de notre société ;
· d'autre part et de manière tout à fait actuelle, il serait la conséquence de l'envahissement de notre société par le recours au tout-pénal, qui, par le truchement de la mise en place du principe de tolérance zéro aboutit inéluctablement ,à terme, à l'enfermement des fauteurs de troubles.
Notre historienne explique:"La question de la rééducation du mineur de justice, où s' articulent "protection de l'enfance" et "délinquance juvénile", est toujours à l'ordre du jour. Pour autant, se pose-t-elle dans les mêmes termes en 2001 qu'en 1810 ? J.P. Chevènement avec "ses sauvageons" doit-il être classé comme un homme de la IIIème République, ou les politiques menées sont-elles toujours construites de la même façon depuis plus de deux siècles ?
Le scénario des campagnes de presse est toujours le même, il se déroule en trois phases : D'abord quelques "affaires " causées par des mineurs enflamment l'opinion publique : leur accumulation - coïncidence ou pas -venant augmenter la pression, elles sont immédiatement relayées par la presse. Les institutions chargées de prendre en charge les mineurs délinquants se trouvent à la fois sollicitées et critiquées sur leur manque d'efficacité. L' Etat, se sentant alors défenseur de la morale publique et investi de la juste rééducation qui remettra ces jeunes déviants dans le droit chemin, entre en scène. Un ministre fait une annonce politique dans un discours d'affichage, proposant de nouvelles réformes qui, presque toujours, portent sur la rénovation nécessaire des institutions existantes. Les différents professionnels se renvoient ensuite la responsabilité des dysfonctionnements, des statistiques sont brandies, qui toujours démontrent une aggravation des délits et une augmentation du nombre des délinquants qui les ont commis. Puis la vague des affaires passe, les passions s'apaisent, des urgences s'imposent ailleurs, l'action au quotidien reprend ses droits. La question qui semblait incontournable et qui avait été collectivement posée dans un contexte "chargé" retourne dans une discrétion feutrée de spécialistes. Et l 'oubli se réinstalle provisoirement, jusqu' à la prochaine vague…
Il y a là un aspect circulaire du discours et des attitudes répétitives qui doivent être analysés. La délinquance juvénile, dans les discours que l'on porte sur elle, a une double caractéristique : elle est toujours considérée comme "nouvelle", et en même temps toujours instituée en phénomène " permanent" de nos sociétés. Aujourd'hui, en 2001, ce qui interroge, c'est cette impossibilité de mémoire. A quoi bon rappeler à nos gouvernants que les mesures qu'ils pensent inventer - les Centres éducatifs renforcés, les centres de placement immédiats, la prévention dans les quartiers, - sont des modèles qui ont été utilisés et usés plusieurs décennies auparavant ?
Un second élément d'analyse, qui s'inscrit du reste dans le premier - du moins on peut l'espérer, c'est que l' enfermement revient parce qu'il est l'aboutissement logique, inéluctable et incontournable de la mise en application du principe dit de tolérance zéro , proclamé par le politique et érigé en véritable vade-mecum depuis 1992 très précisément; en effet, si un mouvement général de pénalisation des rapports sociaux a touché notre société depuis une vingtaine d'années, et a conduit à recourir de plus en plus à la police et à la justice, et notamment à la justice pénale pour le règlement de la vie collective, et particulièrement de ses frictions, c 'est depuis 10 ans que, face au désarroi des familles, au retrait des éducateurs spécialisés, au repli de l'école sur elle-même, police et justice, de plus en plus sollicitées, ont accepté ces sollicitations..
C'est ainsi que, de manière plus ou moins zélée, le système judiciaire a mis en application ce principe de tolérance zéro, ainsi que son corollaire le traitement en temps réel, c'est-à-dire non seulement la réponse à chaque acte de délinquance, mais une réponse rapide, visible, par la comparution immédiate devant un juge dès lors que tout laps de temps intervenant entre la commission de l'acte et la réponse pénale ne peut que favoriser la répétition de l'acte.
Dans ce contexte, la réitération de l'acte, qui prend en termes judiciaires l'appellation de "récidive", est devenue "la bête noire" en quelque sorte de la société, visibilisant la défaillance d'une justice voulue comme rapide et efficace. . L' efficacité de la justice est alors mesurée à sa capacité d 'éradiquer le mal, c'est-à-dire la délinquance , et plus précisément le fléau que constitue la répétition.
La justice s'est donc vue devenir depuis 10 ans instrument privilégié de mise en application d'une analyse qui pourrait être exprimée ainsi en termes simples : les désordres de la société proviennent d' un défaut de responsabilité des individus, qui est lié à un sentiment d 'impunité - tout particulièrement chez les mineurs; il convient donc de restaurer et développer sanction et répression à titre de réponse responsabilisante de la société à tout acte antisocial (Un survol, même rapide de,l' histoire nous indique que c 'est toujours avec la conviction de faire le bien que les mesures les plus attentatoires à la liberté sont prises)
La justice est donc devenue instrument d' un Etat pénal - là où l'Etat social aurait vécu.
En termes techniques, c'est par la mise en avant du rôle du parquet, comme moteur de l'action publique, que s'est mise en acte cette nouvelle logique, en vertu de la circulaire du ministre de la justice du 01,10,1992 qui enjoint "Il faut veiller à ce qu' à chaque acte de délinquance soit apportée une réponse"…
Dans la mesure où aucun moyen supplémentaire n' a été octroyé en vue du développement de réponses alternatives, c'est une logique d'ordre public qui s'est imposée, autour de cet objectif : la lutte pied à pied contre l' impunité. On verra - pour rester dans les métaphores basiques, que cette logique n' est pas très éloignée de l' ancestral " oeil pour œil, dent pour dent "….
Si ce tout-pénal sévit depuis une dizaine d' années au sein de la justice de droit commun, entraînant une augmentation exponentielle des incarcérations, elle n' a pu se mettre en place que de manière plus heurtée, et plus tardive au sein de la justice des mineurs, pour la simple raison que le principe de tolérance zéro heurte de plein fouet les principes propres à la justice des mineurs.
En effet, la grandeur de la vision du législateur de 1945, à travers l'ordonnance de 1945, avait été précisément de se démarquer la logique de l'acte de délinquance - en raison des risques spécifiques à l'enfance de répétition et de démultiplication, au profit d'une logique d' éducation, d' une logique fortement ancrée dans une dimension humaine de respect du temps de maturation de l'enfant, et de la lenteur obligée de son évolution. Or ce credo requiert un temps de déroulement de l'action pénale, et une hauteur d'appréciation que vient contrecarrer de plein fouet une logique d'ordre public, une logique de maintien de l' ordre. C'est du reste cette dimension que garantit "l' approche civiliste" de la justice des mineurs ; loin d' être un brouillage de l' image du juge, et de l' affaiblissement de son autorité, l' approche civiliste que constitue l 'assistance éducative constitue le socle des interdits que sanctionne la loi pénale.
Or dans cette vague déferlante du tout-pénal, c' est l' ensemble de la justice des mineurs qui s 'est trouvée happée dans le traitement visible et immédiat de l' acte, justice tétanisée par la menace du fléau de la répétition, délaissant trop souvent l 'approche civiliste, gagnée de vitesse par la réitération du délit, dès lors que les causes n' ont pas eu le temps d' être traitées.
La mise en place de la tolérance zéro , en l'absence de mise en place de réponses suffisantes autres que pénales, a donc créé une situation inédite et explosive : la visiblisation de l' existence aux portes des cabinets des juges des enfants de quelques dizaines de "mineurs délinquants multi-récidivistes", qui, comme de tous temps ont mis en échec tous les dispositifs éducatifs existants, mais qui dans le contexte sécuritaire actuel apparaissent, du fait de la menace qu' ils représentent pour la sécurité publique, devoir nécessairement faire l' objet d 'une mise à l' écart que la création de centres fermés concrétise, au détriment d' une action éducative nécessairement lente, souvent cahotique, qui exige temps, compétence et humanité, mais seule véritablement efficace.
Puisque l'enfermement des mineurs est un aboutissement de la tolérance zéro, et dès lors qu' elle semble réaffirmée -voire prônée par nos nouveaux gouvernants (et il est intéressant de voir son application caricaturale par les tribunaux britanniques, qui jugent en continu, même la nuit …), alors il est urgent que l'ensemble de la société prenne la mesure de la dérive qui menace une partie de notre jeunesse - la plus en difficulté, et retrouve, loin de la diabolisation dont elle fait trop souvent l' objet, un regard intéressé, curieux, bienveillant,
Les problèmes qu'elle nous pose sont révélateurs des problèmes qu' elle rencontre dans notre société en pleine mutation., et les maux dont elle souffre ne peuvent que nous éclairer dans nos visions d'avenir..
Les scouts de France est une association regroupent 100 000 adhérents dont 20 000 cadres, la proposition Plein Vent existe depuis 10 ans. Cette proposition est faire pour les enfants issu des quartiers populaires de France et Métropole. Durant de nombreuses années les scouts ont délaisser ces quartiers, il y a dix ans nous les avons réinvesties avec un projet concret.
Le projet est de proposer des vacances aux enfants qui ne partent pas en vacance.
Actuellement nous proposons plusieurs support éducatif et d’animations :
Les équipes d’animations sont constituées d’animateurs de quartier et de chefs scouts, ce mélange permet un enrichissement dans la connaissance du public et dans l’animation.
· Les Opérations Vacances Solidarités : cette opération permet aux groupes scouts d’accueillir un ou deux enfants ponctuellement dans un camp ou pour l’année.
· BAFA Plein Vent : proposer un BAFA aux jeunes de 17 et plus issu des quartiers populaires avec un suivi de formation. Cette formation est également une réinsertion sociale pour certain que nous accompagnons avec les partenaires.
· Animations ponctuelles : durant l’année, des permanents des scouts organisent des animations dans les quartiers populaires de France avec l’aide des animateurs de quartier ainsi que des chefs scouts.
Dix ans ont passé depuis le premier camp pour tous, les difficultés rencontrés nous ont permis de finalisé notre organisation de travaille, qu’il soit dans la constitution des équipes d’animations que dans le partenariat. Depuis nous en avons déduit que le partenariat est essentiel au bon déroulement de toutes nos actions. La rencontre des familles pour un dialogue sociale et une meilleure connaissance du public.
Nous souhaitons ne pas faire de plein vent une affaire de spécialistes mais favoriser l’implantation des groupes scouts dans cette proposition pour accéder à une meilleures possibilités d’échanges et de brassage social. D’identifier les partenariats locaux pour rejoindre les personnes isolées et donner à tous une chance de partir en vacance.
Nous souhaitons développer les contactes avec les parents et de faire plus de choses avec les familles.
Cet engagement nous a permis de trouver nos limites dans nos actions ainsi que repérer nos nouveaux outils de travail pour le mouvement.
Par Patrick REUNGOAT
Secrétaire Général du Mouvement EDUCATION ET SOCIETE
Je veux avant tout remercier ici Laurent OTT et son équipe remarquable pour le travail qu’ils nous ont offert, montrant par la même qu’une journée de formation essentielle même dans une conjoncture difficile n’est pas forcément une marchandise à vendre.
Ils m’ont demandé de terminer cette journée par une intervention sur le thème suivant : la nécessaire prise de parole des travailleurs sociaux pour éviter l’accaparement du débat par les médias.
Cette journée était prévue et préparée de longue date, bien avant le déploiement des campagnes électorales et législatives dont on a déjà évoqué les dérives ou plutôt les orientations sécuritaires qui se sont affirmées de la droite à la gauche, sans parler de l’extrême droite dont c’était depuis toujours l’un des fonds de commerce. Nous savons déjà tous parfaitement que l’objectif est largement loupé : les médias ont bel et bien accaparés ce débat et les politiques avec eux et on n' a pas du tout entendu de façon audible, à l’échelle du « grand public » les professionnels du travail social, pas plus que leurs organisations. C’est, me semble-t-il et bien que je m’y oppose, un état de fait. Comment le comprendre ? Faut-il l’accepter ? Autrement dit, la prise de parole par les travailleurs sociaux, dans l’espace public qui dépasse celle de leur relation avec les personnes directement concernées par leur action et l’espace interne de leur institution est-elle bien nécessaire ? Leur logique et leur mission n’est-elle pas celle d’une action efficace parce que silencieuse ? Leurs fonctions sont d’ailleurs soumises par le droit à un devoir de discrétion et à une obligation de réserve. Quel en est le sens ?
Clarifier la dimension politique du travail social
D’abord il ne faudrait pas que nous prenions les faits têtus que nous rencontrons, tels que la difficulté d’accès aux médias, les cordiaux évitements de nos collègues sollicités, pour une réalité immuable. Les objets auxquels nous avons ici à faire dans la réalité ne se confondent pas avec les enjeux. C’est là, à mon sens, l’importance capitale d’un travail permanent d’analyse collective, fort minotaire ou dominé si vous préférez : permettre de sauvegarder et de réaménager, partout ou ils se trouvent menacés, des espaces d’élaboration de la pensée pour la relier ensuite à l’action possible. Pour nommer rapidement un premier enjeu, nous permettant d’emblée de mieux situer la question de la prise de parole des travailleurs sociaux, nécessaire ou non dans l’espace public et ensuite de ses conditions, et répondre à la question de la discrétion ou du devoir de réserve, il suffit de poser la question : la dimension politique a-t-elle place dans l’exercice du travail social ? La réponse de notre association est oui, c’est même l’une des analyses à l’origine de sa création. Quelle est alors cette place ? Elle n’est pas première certes. Les travailleurs sociaux ont bien pour fonction première de s’acquitter des missions qui leur sont assignées par les pouvoirs publics qui disposent de la légitimité fondée sur le suffrage universel, soutien, accompagnement, accès aux droits (dont celui à l’assistance), éducation, insertion, lutte contre les exclusions et non pour fonction première que de polémiquer à la télé avec les candidats dans les campagnes électorales. Quel sens alors à la question ? Nous avançons à Education et Société l’idée que tout acte de travail social comprend, inclut une dimension politique, au sens où il renforce ou affaiblit certaines conceptions contre d’autres, certaines formes de l’organisation de la société contre d’autres et cela dans le plus banal des actes du quotidien, un entretien, un accompagnement, une activité avec une personne ou un groupe. Il y a en cela une responsabilité démocratique déléguée par la puissance publique à des professionnels et ils doivent donc en rendre compte à leurs mandants et à travers eux au peuple dont ils sont, indirectement, une émanation. Et cela est, quand bien même on ne souhaite pas l’entendre, quand bien même cela est difficile ou apparaît risqué pour soi-même ou pour l’idée que l’on se fait d’une possible carrière professionnelle fondée sur la soumission à l’autorité, quand bien même on se passerait bien parfois d’une éthique professionnelle qui n’arrête pas de vous proposer des problèmes et jamais de solutions toutes faites.
Les travailleurs sociaux sont des professionnels de l’influence sur les représentations
Autre élément d’analyse maintenant : les actes professionnels des travailleurs sociaux sont essentiellement ce qu’on pourrait appeler des actes de discours, c’est à dire qu’ils passent par le langage, même ponctué ou appuyé d’actes matériels concrets. Or dans les conceptions qui s’opposent à propos de sécuritarisme, de risques nécessaires ou de création de centres fermés, les conflits passent par le langage. Les luttes passent par le langage. Rappelons au passage que le langage remplit une fonction de classification. Il ordonne des significations en une vision du monde qui s’impose alors. Les représentations sociales, c’est à dire les systèmes interprétatifs qui mobilisent le sujet pour appréhender, interpréter et construire sa relation au monde et aux autres constituent un savoir pratique qui permettra de s’engager dans un certain rapport à la réalité ainsi conçue, sa famille, l’école, le travail, le vote, etc.
Les énoncés méritent donc une grande attention parce qu’ils sont des enjeux dans les luttes d’ordre symbolique où il s’agit, en imposant des représentations et des désignations, de faire exister socialement une réalité, au sens propre, et donc de la faire reconnaître comme telle. Comme l’écrivait Pierre BOURDIEU [6] , une catégorie est « un principe collectif de construction de la réalité collective ». Nous savons donc, et puisque nous le savons, nous en sommes responsables et comptables devant le peuple dont nous tenons notre mission professionnelle, que les représentations, processus à la fois cognitifs et sociaux, traitent l’information, la schématisent par sélection successives et participent à la composition de notre perception du social.
L’histoire fournit des points d’appui pour l’analyse du présent
Par quelques raccourcis dont je m’excuse par avance, la pré-histoire et l’histoire de l’action sociale et du travail social nous fournissent des points d’appui pour analyser le présent et prendre une parole argumentée quand cela est nécessaire. D’abord, dans un monde sacralisé, structuré par un imaginaire social construit sur un principe d’unité selon une émanation divine, c’est la charité qui a eu pour fonction d’annihiler l’inégalité structurelle de l’organisation sociale. Elle subsiste toujours. Ses formes ont évoluées jusqu’à la charité business. Il s’est ensuite construit, sous l’impulsion de la pensée humaniste, un ordre différent à partir de classes érigées sur le capital issu du commerce. L’accumulation de biens matériels est devenue le critère de classification des groupes sociaux dans cet ordre nouveau. C’est à propos de ce contexte historique que Michel FOUCAULT à analysé le grand mouvement d’enfermement des indigents au XVIIème siècle. « La pratique de l’enfermement désigne une nouvelle réaction à la misère » écrit-il à ce propos [7] . Au détour du XIXème siècle, passant de la charité à la bienfaisance, la philanthropie sociale va fonder l’idée d’une assistance assurée par l’Etat au nom des hommes. Ce sera le traitement politique de la pauvreté. L’histoire de ceux qui n’ont rien est encore marquée par un autre mot : les prolétaires. Le mot prolétaire est d’origine romaine : "proles" signifiait « lignée » pour désigner, dans l’antiquité, le citoyen de la dernière classe du peuple dont l’utilité pour l’Etat ne se manifestait que par sa descendance. Le terme est définit ainsi par DIDEROT dans l’encyclopédie : l’homme qui ne possède pas. Ne dirait-on pas aujourd’hui les « sans » à propos des mêmes catégories ? « sans papier », « sans domicile fixe », voire sauvageons au sens privatif de « sans éducation » ou « sans civilisation » selon Jean Pierre Chevènement ?
De la bienfaisance à l’assistance : Comment et pourquoi advint « le social »
Durkheim a montré comment le social est lié à l’existence d’une solidarité organique, et non plus de la solidarité mécanique assurée par les groupes d’appartenance familiaux, de voisinage, de travail, mais produite par la complexification des sociétés modernes, de leur processus de production et de répartition et de la division du travail qui en découle. L’intégration devint alors le produit de la diversification des fonctions sociales. Dans ce contexte, la prise en charge de l’indigence par l’assistance régule les effets dont l’absence totale de prise en charge risquerait de compromettre l’homéostasie de la structure sociétale. Le « social » a ainsi résumé un nouveau compromis entre les exigences de la société capitaliste industrielle et l’Etat institué comme garant des principes républicains, pour suppléer aux carences de la sociabilité primaire et tenter de pallier, et non pas de résoudre, les conséquences de la rencontre entre deux logiques contradictoires : celle de l’accumulation et celle de la souveraineté dans l’ordre politique nouvellement symbolisée par la république. Comme nous le confirme Hannah ARENDT : « l’avènement du social coïncida historiquement avec la transformation en intérêt public de ce qui était autrefois une affaire individuelle concernant la propriété privée » [8] . La question politique du traitement des inégalités est consubstantielle au social et dans la structure même du travail social limité à une fonction palliative et jamais résolutive des inégalités nous indique cette brève relecture historique. Et il nous faudrait aujourd’hui où le ne parle plus dans l’espace public de réduction des inégalités mais ne lutte contre les exclusions et à nouveau d’enfermement ne rien dire de tout cela?
La prise de parole : Des obstacles forts et des éléments de réponse concrets
SI la prise de parole des travailleurs sociaux dans l’espace public est aujourd’hui plus que jamais nécessaire et si elle est aussi difficile, on le voit bien, c’est que la fonction de mise au débat des enjeux va en sens contraire des logiques d’intérêt qui domine dans la société. C’est aussi, que de telles analyses sont méconnues, non partagées ou rejetées par un grand nombre de travailleurs sociaux, et bien sur par les médias et le donc le public.
Au niveau des travailleurs sociaux eux-mêmes, dans le brouillage des repères et en fonction des mutations des formes d’organisation, comment se retrouver et construire collectivement pour élaborer, alors que nous sommes largement déterminés selon des temps, des espaces et des modes communicationnels médiatiques et politiques qui ne sont pas les nôtres : les rythmes médiatiques (l’immédiateté) le type d’impact (l’émotionnel) les espaces (grande diffusion au sein de laquelle nous ne savons pas faire). Les rythmes politiques (celui de la durée du mandat), exercés selon des modes rétrogrades (confiscation de la représentation et de la souveraine) et dans des espaces discriminants (les territoires d’exercice du pouvoir ne correspondent pas aux espaces vécus par les gens, le zonage stigmatise) ?
Le premier temps est celui de la construction d’analyses partagées, de la fabrication d’une nouvelle intelligence collective des situations, ce à quoi participe d’ailleurs complètement une journée comme aujourd’hui. Cette dimension de travail collectif est indispensable à la capacité de prise de position. Nous l’avions revendiquée largement dans un article signé du groupe Démocratie et travail social paru dans les ASH l’an dernier sous le titre « le silence des travailleurs sociaux : passivité ou contrainte ? Avec l’ANAS, le CNAEMO, l’ANPF, Pratiques Sociales, ITINERAIRES, AFORSSES, INTERMEDES, CAP SOCIAL, l’AIRe, [9] nous nous inquiétions publiquement à la fois du déficit d’expression publique des professionnels de l’intervention socio-éducative, du cloisonnement de la réflexion dans le travail social, du fonctionnement peu démocratique des institutions et du peu de prise en considération de l’expertise des dysfonctionnement sociaux. C’est bien le risque d’instrumentalisation qui était ici pointé comme la proposition de relance de centre fermés qui s’est développé durant la campagne électorale le confirme. A l’automne dernier l’initiative d’Intermèdes pour monter cette journée est venue apporter une autre pierre concrète que celle d’un article dans la presse spécialisée aux formes de prise de paroles possible et elle a aboutit à cette journée. En mars dernier, notre mouvement a adressé une lettre ouverte aux candidats (démocratiques) aux élections présidentielles, proposant nos analyses et questionnant leurs programmes. Cette lettre est aujourd’hui utilisable pour les élections législatives. Dans la foulée des présidentielles nous avons publié un communiqué de presse dénonçant les impasses des dérives sécuritaires et demandant la création de 10000 emplois de travailleurs sociaux. J’ai moi-même lancé un appel public à la réflexion et l’action collective et à la constitution de groupe d’échange et de veille démocratique dans chaque institution, dans chaque ville, dans chaque région, dans le but de générer un réseau d’appui local et national durable, éventuellement avec notre mouvement, dans les colonnes du journal lien social. Nous avons aussi publié un article dans les ASH sous la plume de Bernard CAVAT invitant l’ensemble des organisations professionnelles du travail social à la création d’une conférence permanente des organisations centrées sur une fonction de vigilance démocratique. La première réunion en est prévue le vendredi 7 juin. Nos groupes locaux, actuellement au nombre de 4 à PARIS, GRENOBLE, BORDEAUX, NANTES, échangent et produisent régulièrement sur ces questions (prendre la parole cela s’expérimente aussi) comme en témoigne un texte récent du groupe de Grenoble intitulé « pour un vrai débat autour de la sécurité » dont je ne vous citerais que les intertitres révélateurs et la dernière phrase: La 1ère insécurité est économique et sociale - les inégalités sont une forme de violence - l’injustice aussi - Redonner sens à l’autorité instituée et je leur laisserai ainsi le soin de la conclusion : « Si l’autorité des institutions semble en crise, n’est ce pas d’abord parce que les autorités ne parviennent plus à faire vivre le débat public (qui est aussi conflit social) qui seul permettra d’instituer les nouveaux contrats, social et éducatifs, autour desquels une société démocratiques peut se retrouver ?
Ce qui dessine une autre responsabilité pour les professionnels du travail éducatif et social, imposer dans les conditions d’exercice de leur activité des pratiques à même de concilier analyse critique, efficacité et engagement public.
Vous le voyez donc, les réponses sont à construire, elles sont déjà en construction, à l’interne dans le travail social et en lien à l’externe avec d’autres collectifs citoyens, ce que je n’ai pu développer ici, à la fois au niveau local et national, en prenant le risque indispensable et fécond d’une analyse et d’une prise de parole non achevées, indices d’une recherche et d’un débat ouvert et non du règne d’un nouveau dogmatisme.
En revendiquant tout simplement quelques principes d’unité et de solidarité ouverte avec les classes populaires, et en particulier « avec » les personnes qui sont désignées comme « sans » la prise de parole est une prise de position qui fait sens dans le domaine de la lutte symbolique, celle du langage qui rejoint et renforce celui de l’action.
Les formes d’organisation qui s’inventent sous nos yeux dans la jeunesse comme au sein des diverses initiatives citoyennes et parmi elle la notre ou celle d’autres collectifs de travailleurs sociaux rappelle, s’il le fallait que la créativité n’appartient nullement à la classe dominante, même si elle maîtrise globalement les médias. Et même dans de domaine, nous vous proposons de souscrire au lancement d’un nouveau journal dont les colonnes vous sont aujourd’hui ouvertes et que nous avons choisi de nommer « MOUVEMENT ». S’abonner, écrire et lire sont aussi des moyens pour poursuivre ce débat.
Notes: les textes qui suivent ont été au présents au cours de la journée d'étude, que ce soit sous la forme de textes proposés à la signature, à la lecture par les personnes ou les organisations présentes, soit qu'ils aient sous-tendu les interventions des uns et des autres à divers moments.
Intermèdes est ou a été pour certains de ces textes ou bien co-auteur ou tout au moins signataire.
Patrice Dunaigre
Responsable du groupe de travail sur les Droits de l 'Enfant
à la Ligue des Droits de l'Homme
De quelle place à l'heure actuelle est-il possible de parler des insécurités?
Quel point de vue en effet pourrait faire autorité pour décrire les multiples
formes qu'elles prennent, la diversité des champs concernés, les déterminismes
qui sont en jeu, les solutions qui restent à inventer. Comment éviter le réductionnisme
sécuritaire, ou l'angélisme, comment organiser leurs complexités et même temps
lui donner un sens ?
Mais plutôt que de se
lancer dans une démarche supposée tout comprendre
d'un phénomène complexe, pourrait-on insister sur la nécessité d'une pause,
d'un intermède, un temps qui permettrait de repérer les interactions qui sont
en cause. Comment ce qui avait pu apparaître comme pacifié dans les rapports
sociaux a pu produire aussi des formes de conflictualités sans traduction "
politique" et qui apparemment échapperaient aux contractualisations propres
à " l'idéal Républicain " ?
Conflictualités qui sont
vécues comme des formes de déstructurations - zones de non droit, cultures agrégatives,
économies parallèles etc..- et qui sont, avec un bel unanimisme, attribuées
aux seuls " jeunes". Ce" jeunisme " labellisant et formatant
toute une population décrite de façon systématique et incantatoire par
un langage, des vêtements, et des comportements violents, renvoie à la déshérence
du lien social ou son peu de légitimité , avec en corollaire l'évidence que
l'insécurité désormais ferait partie de notre quotidienneté.
Les médias, peu soucieux
de distinguer ses diverses formes, présentent une image complaisante de cette
tranche d'âge. Le fait qu'elle soit affectée par le plus haut pourcentage de
suicide dans la population française n'est que rarement signalée, car télévisuellement
peu pertinent. Ce réductionnisme médiatique, univoque, contraste singulièrement
d'avec la diversité des interprétations et analyses proposées par les chercheurs
et acteurs de terrain, plutôt attachés à en décrire les multiples composantes.
Ces jeunes qui seraient
isolés dans l'ailleurs d'un nulle part, ces jeunes insérés dans des bandes nécessairement
à l'écart, viendraient signer l'impossible articulation entre espace public
et espace privé.
Ils mettent ainsi en cause l'ensemble des systèmes de première ligne :École,
services sociaux, Justice, Police, mais aussi la famille, les liens transgénérationnels,,
les fonctions parentales, etc. Ces institutions vont se montrer peu à mêmes
de comprendre le fonctionnement de ces cultures agrégatives et installeront
des défenses à type de replis ou de sanctuarisation limitant considérablement
leur compréhension du phénomène. Un certain nombre d'hypothèses seront
avancées pour en cerner les contours. Ainsi parlera-t-on de dilution des repères,
de nouveaux conformismes, de bricolages des normes. L'importance de la "
marque " aurait valeur d'emblème ou serait une caricature du monde consumériste
des adultes. Ces inventions identitaires seraient porteuses d'un "
dur désir d'intégration ", pouvant déboucher sur des organisations de type
comunautariste s'opposant aux valeurs intégratives républicaines. Il s'agirait
là de construire les modalités d'une intégration culturelle alors que l'intégration
économique ou politique leur est interdite. La revendication d'une dignité même
" marquée " vaudrait d'un mode participatif à la société globale Et
si l'État Providence met en avant la dimension " universaliste " de
ses interventions, il s'avère peu à même de percevoir finement ces diversités
socio culturelles en " crise ". Si les politiques publiques
valorisent des stratégies d'acculturation, elles ne peuvent gérer les discriminations
que ces populations de " jeunes " rencontrent de fait, dans la société
civile : Accès impossible ou limité à l'emploi, aux soins, au logement, à l'éducation...
L'impression d'être " entre deux " ou d'être disqualifiés va empêcher toute structuration de la conflictualité: l'impossibilité où certains jeunes se trouvent " d'utiliser des mots " font apparaître de nouvelles formes de violences. Elles restent pour les adultes à strictement parler indéchiffrables, et ininterprétables. Elles sont relayées d'ailleurs comme telles par les médias qui vont privilégier des images, toujours les mêmes, au titre que ces images parlent d'elles mêmes (sic). Faisant" marque, elles deviennent un produit de consommation instrumentalisant" les jeunes ".
Le public, ainsi fidélisé, ne retiendra que celles-ci, et plus, se jugera victimisé
de les voir se répéter avec autant d'insistance. Dès lors, toute compréhension
du problème va lui échapper. Les mots n'auront plus besoin d'avoir un sens,
laissant la place à l'indigence du vocabulaire propre au tout sécuritaire. Vocabulaire
d'une pauvreté indécente se limitant à " tolérance zéro, visibilité, temps
réel, mécaniquement repris par l'ensemble du personnel éligible, soucieux par
cet usage immodéré de se donner bonne contenance. L'insécurité deviendra alors
" virtuelle "parce que " vue à la télé ", ou ânonnée en
boucle sous forme de brèves par les radios. Au nom du devoir d'informer un marché
sécuritaire, économiquement juteux, va trouver là des relais vertueux,
Que pourrait donc proposer
le groupe de travail sur les droits de l'Enfant à la Ligue Des Droits de l'Homme,
face à cette désinformation ? En premier, de ne pas faire de la Convention Internationale
des Droits de l'Enfant (C.I.D.E.) un usage " vertueux ", mais d'en
proposer une lecture aussi attentive à son esprit qu'à sa lettre. Quoi qu'ayant
été ratifiée par les Institutions démocratiques de la République, il faut bien
reconnaître que cet aval reste purement formel, voire qu'il peut être utilisé
comme un alibi visant à " pacifier " les marges tumultueuses où une
certaine jeunesse est présentée comme " hors
droit ".
Disons le tout net : La
C.I.D.E. n'est pas un outil de plus de l'idéologie sécuritaire.
Parce qu'elle envisage radicalement l'enfant dans sa dimension globale, elle
n'en fait ni une victime, ni un tyran. Parce qu'elle fait prévaloir une approche
" civiliste " du Droit dans son rapport à l'enfant, plutôt qu'une
approche strictement " pénaliste ".
Parce qu 'elle reconnaît
l'enfant comme sujet d'un langage dont il convient de saisir toutes les caractéristiques
spécifiques, incluant bien sûr la parole. Le plus choquant, dans les politiques
sécuritaires vis-à-vis de certains jeunes, reste bien l'inconvenance des mots
qui servent à les qualifier. Face au constat qu'ils n'en ont parfois pas beaucoup
(et cela reste à vérifier dans la mesure où ils sont d'emblée désignés comme
en étant dépourvu, c'est aussi cela la tolérance zéro) il leur serait proposé
une sorte de loi du talion, justice rudimentaire qui se passerait de mots, justice
bricolée pour la forme.
Ainsi, la logique du couvre
feux ne fait que majorer l'obscurité du phénomène qu'elle est sensée couvrir.
Exclure un enfant du domaine des mots, c'est lui interdire de se servir du seul
outil qui permet aux conflictualités traversant son enfance de pouvoir se négocier
sous d'autres formes que celles du passage à l'acte. Exclure un enfant du domaine
des mots, c'est rendre dérisoire les rappels à la loi que les adultes s'épuisent
à exiger, sur tous les tons, jusqu'à eux-mêmes ne plus savoir de quoi ils parlent
: Le sécuritaire viendrait à point pour masquer leurs confusions.
Exclure un enfant du domaine
mots c'est illégitimer radicalement tout acte éducatif, puisque l'enfant n'est
plus alors considéré comme un être " global " c'est-à-dire un être
à qui l'on peut parler. Éduquer c'est entre autres se servir des mots pour
organiser les différents modes de conflictualité privés, publiques, intimes
que l'enfant va rencontrer dans ses rapports au monde des adultes,
La C.I.D.E., par les mots qu'elle propose, insiste sur une autre façon
d'aborder ces conflictualités dans l'acte éducatif. À ce propos, elle est bien
un instrument politique, et à ce titre, donne à l'acte d'éduquer sa pleine légitimité
au sein des dispositifs de la démocratie
républicaine.
Quant à la Marseillaise,
emblématiquement Républicaine, on en connaît plus la musique que les paroles,
sauf le premier couplet, en lui-même édifiant.
Il semble qu'un certain
sécuritaire soit tout à fait prêt à nous alerter sur notre surdité à entendre
mugir ces féroces soldats qui viendraient jusque dans nos bras égorger nos fils
et nos compagnes.
Ce coté " armons nos bras vengeurs, la République est en danger "
permet tous les amalgames, dont on sait qu'ils ne sont possibles que par l'indigence
des mots qu'ils utilisent.
Aussi peut-on dire que ces partisans du " tout sécuritaire " se trompent
de guerre se trompent d'époque, se trompent de République.
500,000 jeunes à Paris, autant à Lyon, Bordeaux, Rennes, Marseille l'ont bien
fait entendre, il y a peu. Et la tendance n'était ni au bleu horizon, ni au
bleu marine.
Le discours "républicaniste" sur l’école a le vent en poupe. Il se présente comme la planche de salut pour un système éducatif qui serait en pleine déliquescence avec des enfants violents, des parents absents, des enseignants démunis. Avec un opportunisme certain, il récupère le discours sécuritaire qui procède de la même logique réactionnaire. Comme par magie, le rétablissement de l’instruction civique suffirait à restaurer l’Autorité de l’école et des principales institutions.
Profitant de vents porteurs dans une société déboussolée, il tente de pousser son avantage en jetant le discrédit sur ceux qu’il surnomme ironiquement les "pédagogos", voire les "pédagogols". Ces derniers, empêtrés dans leurs manies procédurales, seraient parmi les principaux acteurs de cette dégénérescence. Il conviendrait donc d’expulser " la pédagogie du vide " (1) qui néglige les contenus au profit de la méthode. Pire, les "pédagogos" seraient accusés d’entretenir dans l’inculture et l’anomie des "hordes de sauvageons" en puissance. Ils seraient même responsables de l’entrée des valeurs libérales dans l’école. Rappelons déjà que les chantres de la Tradition si regrettée n'ont jamais cessé d'être majoritaires dans les écoles.
Les apprentissages impartis à l’école relèveraient donc d’une dichotomie caricaturale et chaque enseignant serait sommé de choisir son camp ( mémoire ou réflexion, cognitif contre ou affectif, savoirs fondamentaux ou savoirs sociaux)
Si notre sympathie va assurément aux pédagogues qui, eux, ont le souci de l’enfant réel, nous ne voulons pas nous laisser enfermer dans ce débat réducteur. Car, pédagogues et républicains, voyant en l’école son propre recours, " en viennent à oublier l’essentiel : les inégalités sociales. " (2)
Praticiens et militants de la pédagogie Freinet, résolument hostiles aux nostalgiques de l’école dualiste de la 3ème république, nous ne nous sommes jamais bercés d’illusion pédagogique. Comme jadis Célestin Freinet, nous ne comprenons toujours pas que des collègues " fassent de la pédagogie nouvelle, sans se soucier des parties décisives qui se jouent à la porte de l’école mais nous ne comprenons pas davantage les éducateurs qui se passionnent activement pour l’action militante et restent dans leur classe de paisibles conservateurs. " (3) En l’occurrence, les paisibles conservateurs d’hier sont devenus bien vindicatifs !
Nous ne pouvons nous satisfaire des inégalités criantes engendrées par notre société libérale et nous inscrivons notre démarche militante dans un mouvement social plus large qui vise le changement.
Un souci de la réussite de tous, et pas seulement celle des enfants qui sont proches de la culture de l’Ecole, doit s’appuyer aujourd’hui, plus encore qu’hier, sur la culture première et la vie des enfants. Alors, avec eux, pas à pas, dans une atmosphère coopérative qui laisse toute leur place à l’expression, à la communication et au tâtonnement expérimental, se construisent des passerelles vers d’autres cultures, vers la Culture. Cela demande de l’exigence mais aussi un sens de l’écoute et de l’accompagnement pédagogique. L’acquisition des connaissances est d’autant plus efficace et dynamique qu’elle prend corps dans des groupes vivants et qu’elle a un sens pour les enfants. A ce compte, on va bien souvent bien au-delà des programmes sur lesquels se crispent les tenants de la tradition.
Aussi, forts de pratiques qui continuent de faire leurs preuves au quotidien, nous pouvons lancer à ces Messieurs les " Républicains " :
"Descendez de votre estrade, de votre chaire, venez dans nos écoles, dans nos classes, à la rencontre d’enfants bien réels et vous constaterez déjà que, même dans des quartiers dits sensibles, des pratiques coopératives, cohérentes sont génératrices de sérénité. Vous verrez qu’en construisant la loi au quotidien avec les enfants, ceux-ci sont mieux capables d’en mesurer les tenants et aboutissants et de la respecter. D’ailleurs, dans la lutte contre la violence à l’école, on se tourne régulièrement vers nos pratiques… Pour autant, nous ne sommes pas prêts à assumer le rôle de pompiers sociaux que d’aucuns aimeraient nous voir jouer à bon compte. Nous sommes dans une démarche de transformation et non de simple pacification scolaire et sociale qui ne règlerait rien sur le fond.
Ouvrez les yeux et vous verrez que l’Ecole que vous voulez réhabiliter, enferrée dans son fameux élitisme, n’a jamais engendré autre chose qu’arrogance d’un côté et rancœur ou sentiment d’exclusion de l’autre, ingrédients fondamentaux d’une société à plusieurs vitesses. Une société où le mythe de l’égalité des chances constitue une imposture dès lors qu’on reste aveugle aux déterminants sociaux et économiques mais aussi aux perspectives réellement offertes aux enfants. En la matière, la réhabilitation des bourses pour les enfants des milieux défavorisés, sans en nier le bien-fondé, ne peut qu’influer à la marge, comme autrefois.
Ouvrez les yeux et vous verrez que l’école archaïque que vous prônez, figée dans ses certitudes et l’inertie bureaucratique, conduit avec sa logique de compétition à faire perdre le sens du vivre ensemble et du bien commun. A son corps défendant, elle fait le lit de l’école libérale par l’inadaptation de ses réponses aux défis sociaux actuels. Quoi que vous en disiez "le système éducatif vit encore dans le mythe constamment réaffirmé d'une dynamique de transmission des connaissances qui se ferait par le seul canal de fonctions intellectuelles supérieures (à l'exclusion des émotions et des personnalités individuelles, des cultures et des croyances collectives, etc.) entre un diffuseur abstrait (l'enseignant) et un récepteur abstrait (l'élève). La réalité ne s'accorde pas avec cette théorie et il semble peu efficace de vouloir l'y faire entrer à tout prix en s'arc-boutant sur des pratiques pédagogiques traditionnelles [....] " (4)
Comme par hasard, c’est vous que l’on retrouve encore dans l’opération de dénigrement des nouveaux programmes de l’école primaire. Si nous condamnons dans ceux-ci la régression que constitue le seul recours aux comportements alphabétiques pour l’apprentissage de la lecture, pour nous, ces programmes représentent malgré tout une avancée en ce qu’ils donnent plus de place aux apprentissages en contexte qui font sens pour les enfants. Ils ne vont même pas assez loin en laissant une part encore trop belle aux programmations sclérosantes que vous aimez tant.
Et puis, quand vous prônez un retour aux filières, nous militons activement pour une éducation polytechnique pour tous. Dans une société complexe, il devient indispensable de développer au maximum toutes les formes d’intelligence et non, la seule intelligence logico-verbale que vous vénérez tant. Nos pratiques, en cherchant à appréhender dans leur globalité les enfants et les groupes dans lesquels ils évoluent, sont mieux à même de relever ce défi.
Nos désaccords sont donc profonds, nos logiques sont opposées. "
La pédagogie Freinet n’est pas soluble dans le pédagogisme : nous revendiquons avec force une école populaire, dans un service public d’éducation de qualité qui soit capable de dialogue avec les enfants, les jeunes et leurs familles, et en particulier celles et ceux qui en sont les plus distants culturellement. Pour nous c’est cela la véritable école de la République, mais une République à refonder, dont l’école, en prise avec la réalité sociale, prépare activement à l’exercice de la démocratie participative, une école qui tourne le dos au SMIC éducatif de savoirs prétendument forts vers lequel certains voudraient renvoyer les enfants d'aujourd'hui. Une école qui ne prétende plus faire ou penser pour mais qui avance avec.
Pour l’ICEM – Pédagogie Freinet,
Catherine Chabrun, Pierrick Descottes, Laurent Ott, Joël Blanchard
"La pédagogie du vide" H. Boillot et Michel Le Du, PUF 1993
"Le ghetto des discours sur l’école" P. Encrenaz et E. Hassenteufel, dans Libération,10 février 2001
Extrait des Perspectives de l’Education Populaire, dans L’éducateur, novembre 1978
Laurent Mucchielli, Le Monde diplomatique, février 2002
Texte proposé par le SNPJJ-FSU
La campagne sécuritaire sans précédent, la surenchère politique et la sur-médiatisation qui l'accompagnent, nous inquiètent fortement. C'est en effet tout un pan de la jeunesse qui est ainsi déclaré "irrécupérable", et dont le seul avenir ne pourrait être que l'enfermement, la mise au ban de la société.
Dans le concert de proclamations péremptoires sur l'impunité et la violence des mineurs, certains chiffres et faits passent inaperçus. Est-ce que l'on s'est ému d'apprendre qu'il y avait 16 000 mineurs vivant dans la rue ? (recensement des sans domicile fixe).
La violence que les jeunes exercent contre eux-mêmes, c'est-à-dire les conduites à risque et les suicides, si elle fait moins parler d'elle, est statistiquement largement plus importante que la violence liée aux incivilités ou à la petite délinquance. Et ce n'est pas parce qu'elle fait moins de bruit que nous en serions collectivement et socialement moins responsables !
Il ne s'agit pas de nier que des problèmes se posent, ni le fait que des réponses doivent leur être apportées. Mais si dans le débat public il est fait état d'une augmentation sans précédent de la délinquance des mineurs, tout est mis sur le même plan : "incivilités", insultes, petite délinquance, grand banditisme, corruption, crime... Si les actes de délinquance sont légitimement inacceptables, ces amalgames relèvent de la manipulation et désignent la jeunesse en difficulté comme principale responsable de l'insécurité. Cela relève de l'irresponsabilité et détourne des vraies solutions à mettre en oeuvre.
Alors, de quelles solutions parlons-nous ?
Des centres fermés ?
Rappelons que ce type de réponse a déjà existé : après les maisons de correction il y a eu, plus près de nous, le centre fermé de Juvisy.
Ces établissements ont été fermés sous un gouvernement de droite, par Monsieur Peyrefitte, pourtant peu suspect de laxisme en la matière. Ils ont fermé parce que c'était un échec ; parce que chercher à éduquer et à réinsérer un jeune quand il est enfermé, quand il n'a aucun choix possible, aucun espace de liberté, c'est mission impossible. Dans ces centres existait une violence extrême, entre les jeunes et entre jeunes et adultes ; la réinsertion restait aléatoire.
Une réforme de l'ordonnance de 45 ?
Contrairement à ce que veulent faire croire ses détracteurs, l'ordonnance de 45 n'organise pas l'impunité. Parce qu'elle prend en compte la spécificité des passages à l'acte adolescents, elle permet justement d'intervenir efficacement. En privilégiant la réponse éducative par rapport à la répression et à l'enfermement, elle indique clairement son objectif d'intégration sociale.
De plus, il faut tordre le cou à l'idée que l'on aurait donné trop largement place à l'éducatif, et qu'il faudrait en finir avec l'impunité des mineurs.
Quelle impunité ? Alors que 87 % des affaires des mineurs sont poursuivies contre 28 % de celles concernant des majeurs. L'ensemble des condamnations et décisions prononcées par les tribunaux et les juges pour enfants a plus que doublé au cours de la décennie écoulée (on est passé d'environ 35 000 sanctions en 1990 à environ 75 000 en 2001). Le constat est le même en ce qui concerne la plus dure des sanctions, l'incarcération : en 2001, 4000 mineurs ont été incarcérés, soit deux fois plus qu'en 1990. Et n'oublions pas, statistiques à l'appui, que 70 %des mineurs incarcérés récidivent dans les mois qui suivent leur remise en liberté.
Quelle priorité à l'éducation ? Aujourd'hui, il y a pratiquement 100 policiers pour 1 éducateur. La police est de plus en plus utilisée dans une fonction de contrôle, particulièrement vis à vis des jeunes de banlieue, au détriment de l'élucidation des faits de délinquance. Cela provoque un face à face jeune/police qui, loin de favoriser la tranquillité publique, multiplie les tensions et les risques de dérapage.
Malgré les créations d'emplois, il y a aujourd'hui, en tout et pour tout, 3000 éducateurs dans le service public de la PJJ, 230 psychologues et autant d'assistant(e)s de service social, pour l'ensemble du territoire! Les juges pour enfants, pour leur part, ne sont que 362 nationalement.
En 20 ans, depuis les lois de décentralisation, le nombre d'assistants sociaux de secteur a dramatiquement chuté, les équipes d'éducateurs de prévention ont été décimées. Quant au nombre d'assistants sociaux et d'infirmier(e)s dans les établissements scolaires, il est ridiculement faible au regard des besoins !
Alors, osons vraiment l'éducatif, donnons lui les moyens au lieu de dire qu'il ne marche pas ! Et permettons aux professionnels de travailler à l'abri des pressions politiques !
Seule une politique d'éducation et de prévention ambitieuse se donnant comme projet de combattre les inégalités et les exclusions, de lutter contre l'échec scolaire, d'ouvrir de réelles perspectives d'avenir pour les jeunes en difficulté peut constituer une réponse et réduire les tensions sociales.
Pour construire des solutions de fond durables il est nécessaire : de développer une vraie politique de prévention, de conserver la double finalité d'éducation et d'intégration sociale, de concevoir la sanction pénale de manière exceptionnelle comme prévu dans l'ordonnance de 45. Il faut aussi s'appuyer sur tout ce que nous ont appris les sciences humaines, les pédagogues et les savoir-faire des professionnels de terrain en donnant à ces derniers les moyens de remplir l'intégralité de leurs missions.
Le discours ambiant est révélateur de la montée de l'intolérance à l'égard de la jeunesse des catégories sociales les plus démunies. Il nourrit un sentiment de peur à son encontre. Il produit un effet d'aveuglement qui nous ferait oublier qu'il s'agit d'enfants, d'adolescents, pour lesquels nous devons avoir une ambition éducative.
Les questions que renvoie la jeunesse posent aussi celles d'une conception de la démocratie, du monde que nous construisons et de l'avenir de notre société. Elles sont suffisamment graves pour ne pas être l'objet d'enchère électoraliste.
Texte fondateur du réseau CLARIS
Polémiques autour des lois sur la sécurité quotidienne et sur la présomption d’innocence, manifestations bruyantes des policiers et des gendarmes, publication de plus en plus fréquente de statistiques policières, omniprésence du thème de “ la violence ” dans les médias..., le débat public est aujourd’hui saturé par les préoccupations sécuritaires. A force de prédire que les questions liées à la sécurité seraient au cœur de la campagne électorale, la chose est arrivée. Bel exemple d’auto-réalisation des prophéties ! Face à une fréquente amnésie collective, il faut pourtant rappeler que le débat n’est pas nouveau et que les enjeux sociaux qu’il dissimule ne le sont pas non plus.
C’est au cours des vingt dernières années que la délinquance des jeunes est devenue un objet central du débat public, au point même de supplanter depuis peu la question du chômage. En effet, les années 1990 ont été marquées par l’amplification et le durcissement continu des discours sur la sécurité à travers notamment l’imposition de catégories “ fourre-tout ” telles que “ violences urbaines ”, “ sécurité intérieure ”, “ incivilités ” puis tout simplement “ violence ”. Pourquoi cette évolution ? A en croire nombre de commentateurs – à commencer par la plupart des hommes politiques, mais aussi beaucoup de journalistes –, la montée de cette préoccupation publique serait la prise en compte simple et légitime de l’aggravation du sentiment d’insécurité des citoyens, et ce sentiment serait à son tour la traduction directe et logique d’une progression et d’une aggravation continues de la délinquance. Cette double proposition a l’apparence de l’évidence. Elle est pourtant trop simple pour être vraie.
Voyons d’abord les faits. Certes, il est incontestable que certaines formes de délinquance ont augmenté fortement depuis la fin des années 1950 (essentiellement les vols et les cambriolages qui, encore aujourd’hui, représentent près des deux tiers de la délinquance enregistrée) et depuis la fin des années 1980 (essentiellement des violences tournées contre les biens et les personnes symbolisant les institutions, des usages et des trafics de drogues ainsi que certaines formes de bagarres et d’agressions dont les jeunes des quartiers populaires sont à la fois les principaux auteurs et les plus fréquentes victimes). Par contre, les violences les plus graves n’ont pas progressées. Malgré tous les faits divers rapportés, les meurtres ne sont pas plus nombreux aujourd’hui qu’il y a trente ans et ils ne sont pas davantage dus à des enfants. Quant aux violences sexuelles, il n’est pas sûr qu’elles soient plus nombreuses mais peut-être surtout de mieux en mieux déclarées. En réalité, ce sont le plus souvent des actes de petite délinquance, voire même parfois des injures et des provocations, qui alimentent le plus le discours sur l’insécurité de certains habitants et de certaines catégories de fonctionnaires.
Cette mise au point n’a pas pour objectif de discréditer les situations d’insécurité et les peurs qu’elles suscitent chez une partie de nos concitoyens. Il s’agit, d’une part de prévenir contre son exploitation abusive, d’autre part d’attirer l’attention sur la nécessité de poser les problèmes de façon précise et concrète. Déclarer que “ la violence ” ou “ la délinquance ” augmente sans cesse, voire même “ explose ” comme on l’entend souvent, c’est faire des amalgames et des généralisations qui ne servent pas la réflexion et qui ne peuvent que susciter des mesures démagogiques purement répressives. On connaît pourtant les limites de ce type de politiques dès lors qu’elles ne s’articulent pas à des dispositifs de prévention et, plus généralement, à des politiques sociales. On n’éteint pas un feu en soufflant sur les braises. De plus, ces discours masquent la réalité quotidienne de l’insécurité qui renvoie rarement à l’existence d’une délinquance organisée préméditant l’attaque des biens et des personnes. Bien souvent, les paroles et les gestes de certains jeunes traduisent à la fois leur besoin d’affirmation et de valorisation identitaire, les opportunités qui se présentent à eux du fait de l’isolement des biens et de l’anonymat dans l’espace public, la remise en cause d’un certain nombre de principes de fonctionnement des institutions publiques. En d’autres termes, le développement de certaines formes de délinquance juvénile est aussi révélateur de transformations profondes de la société française parmi lesquelles il faut au moins citer :
- le problème récurrent de l’insertion des jeunes peu ou pas diplômés sur le marché de l’emploi,
- le durcissement des inégalités économiques et sociales,
- l’emprise toujours plus forte de la société de consommation sur nos aspirations et nos valeurs,
- l’écroulement des grandes espérances collectives et des formes de militantisme et de solidarité qui y étaient liées,
- le discrédit des élites qui dirigent l’État et, par extension, de certains aspects du fonctionnement des institutions régaliennes que sont la police et la justice,
- la concentration des populations économiquement et socialement les plus faibles dans certaines zones urbaines dont la réputation et le climat sont tels que, parfois, c’est l’ensemble des acteurs privés mais aussi publics qui y dysfonctionnent.
- les métamorphoses de l’État qui, à défaut de pouvoir réellement réguler l’économie et les relations sociales, cherche à renforcer sa légitimité dans un surinvestissement sécuritaire.
De par les enjeux qu’ils soulèvent réellement, les problèmes dits “ d’insécurité ” sont donc particulièrement importants. Pourtant, au lieu d’analyser attentivement ces enjeux pour tenter de modifier les données du problème, les discours politiques et médiatiques se livrent le plus souvent à des exploitations, des amalgames et des dramatisations qui dérivent vers la construction d’un ennemi jeune et immigré. Ainsi les “ jeunes de banlieues ” font peur ; ils seraient “ de plus en plus violents ” et deviendraient délinquants “ de plus en plus tôt ” ; ils seraient les principaux voire les uniques responsables de “ l’insécurité ” dans laquelle la France serait plongée.
L’état quasi permanent de campagne électorale dans lequel fonctionne la vie politique donne lieu à une surenchère continue sur ces thèmes. On a ainsi entendu parler ces dernières années de la réouverture des maisons de redressement, de l’abaissement de l’âge à partir duquel on peut condamner un enfant à la prison, de l’instauration de couvre-feux pour les mineurs, de la sanction financière des parents et bien entendu de la croissance continue des effectifs de police (nationale et municipale). Il y a là de lourds enjeux politiques. De plus, l’usage médiatique des faits divers y contribue pleinement à sa manière, de même que l’usage que les journalistes font des statistiques et des interprétations policières au détriment d’autres éléments d’analyse, à commencer par la prise en compte de la parole des habitants des quartiers concernés, y compris celle des jeunes que tout le monde accuse.
Face à cette situation, il nous semble important et urgent que des chercheurs et des praticiens mettent en commun leurs compétences pour contribuer à clarifier le débat, en exerçant une vigilance critique sur les discours qui alimentent le débat public, en diffusant des connaissances précises et en orientant la réflexion vers l’analyse des contextes qui favorisent l’apparition et le développement des diverses formes de délinquance. C’est en ce sens que notre groupe – qui espère fédérer largement – interviendra régulièrement dans le débat public, par le biais notamment d’un bulletin d’information et d’un site Internet.
"Réseau contre
la fabrique de la haine"
Près de soixante ans après la fin du nazisme, la France se couvre de honte aux
yeux de l'histoire et du monde en flirtant avec l'idée de porter à la présidence
de la république un démagogue raciste, antisémite et ultra-sécuritaire.
Ceux qui, à droite comme à gauche, ont fait de la sécurité le thème principal
de leur campagne électorale, avec tous les non-dits racistes qu¹un tel thème
véhicule, ceux-là portent une lourde
responsabilité dans la situation d'aujourd'hui. Durant tant d'années de pouvoir
partagé,
la gauche n'a rien fait pour lutter contre la ghettoïsation de la pauvreté,
les classes les plus menacées se trouvant stigmatisées comme "dangereuses".
Elle n'a rien fait contre
la précarisation généralisée (emploi, retraite, école...) que produit un nouvel
état du capitalisme et qui, en s'étendant aux classes moyennes, a offert le
meilleur terreau au discours
sécuritaire.
Tandis qu¹une bonne part de ses électeurs "naturels" l'abandonnaient
à sa dérive gestionnaire, d'autres, à l'instar de ce qui s¹est passé en Autriche
ou en Italie, se décidaient à préférer l'original à la copie. Le vent mauvais
qui souffle sur le monde depuis le 11 septembre, avec les crispations qu¹il
entraîne a accentué le mouvement.
Tous ceux qui ne se résignent pas devant ces tendances de fond, doivent se préparer
à se battre au plus près de la vie sociale quotidienne. Pour ce qui nous concerne,
nous devons prévoir un redoublement de l'arbitraire policier et judiciaire qui
s¹exerce, notamment, contre la jeunesse des quartiers pauvres. Flics "baveurs"
et magistrats expéditifs vont se sentir prodigieusement encouragés par les résultats
électoraux. La démarche de notre réseau était essentielle. Depuis hier soir,
elle est devenue vitale.
Texte diffusé par
le "Réseau contre la fabrique de la haine"
et non signé.
Ainsi nous avons peur,
et cette peur est un ordre. Le devoir de peur. Nous avons peur de Ben Laden,
de Ben Bush et de Ben Le Pen. Nous avons peur du terrorisme, et peur de la guerre.
Peur de l'insécurité. Peur de l'autorité. Peur de l'extrême droite. Peur de
notre voisin, de notre femme, de notre mari, d'un regard, peur de grossir ou
de maigrir, de trop consommer ou pas assez. Nous avons peur de ne pas trouver
un travail, que nous aurons peur de perdre. Peur de perdre le sommeil et l'oubli.
Nous avons peur de perdre notre langage par plaques, de prononcer des mots que
nous ne reconnaîtrons plus. Nous avons peur de montrer notre peur.
Nous avons peur de la pollution, bien sûr. Paris est un marécage. Bruxelles,
Rome, New York, Jérusalem : marécages, marécages, marécages. C'est la nuit en
plein jour, et nous avons peur des silhouettes qui progressent difficilement
dans les trente centimètres d'eau boueuse qui recouvrent les trottoirs. Les
pompes installées dans le hall de chaque immeuble ne suffisent même plus à écoper
toute cette fange. Bientôt les rues chavireront, et nous monterons sur leurs
quilles. C'est la nuit en plein jour, et nos ombres ont peur de nous.
Ces peurs sont d'origine contrôlée. Branchons-nous sur l'archipel médiatique,
et contemplons, impuissants, les grandes peurs lointaines Palestine, Afghanistan,
Pakistan, Argentine, Irak ou, plus proches de nous, les peurs permises, autorisées,
élues les banlieues, les clandestins, les islamistes, les pédophiles, les
jeunes.
Dehors c'est la guerre; dedans, c'est la violence.
Ben Laden (ne tombe-t-il pas à pic, celui-là ?), Le Pen (ne grimpe-t-il pas
ad hoc, ce gros-là ?) : les pouvoirs ont besoin d'ennemis pour huiler leur moteur.
Manichéisme stérile qui se transforme en combat de coqs. Nous ne sommes pas
des supporters ! Cette désignation de l'ennemi est infantilisante, comme l'illusion
d'action et d'engagement politiques qu'elle suscite. Exemples d'absurdités à
la mode :
Quand j'enferme les jeunes, je défends la société
Quand je mange bio, je protège ma planète
Quand je vote, je sauve la démocratie
Quand je me méfie de mon voisin, je combats le terrorisme
Quand j'achète des actions dans la sécurité, je lutte contre le chômage
Mais veuillez croire que ce n'est pas récent : " La connerie est française,
la vérole est française, les porcs sont français " (Paul Eluard) L'élection
présidentielle l'illustre bien, puisqu'un président dont personne ne voulait
a été plébiscité dans les urnes funéraires : quand le vote se déroule sous l'empire
de la peur, la délégation montre toutes ses limites ; l'événement se capitalise,
fructifie, devient objet de spéculation. La peur étant un marché de libre concurrence,
la surenchère est permanente :
Dieu est mort? La police fera l'affaire!
Ne nous trompons pas de peur ! Car tandis que l'espace de la peur est saturé
par ce jeu de masques, nous oublions que le présent tue, et qu¹il y a urgence
à s'en inquiéter. Il tue dans les régions sous tutelle de l'Empire, lequel nous
tient dans l'impuissance organisée. Il tue ceux qui entravent la
terreur d'État, parfois sans sommation, parfois en les poussant au désespoir
ou à des gestes rapidement et systématiquement qualifiés de " fous".
Nous oublions que certains meurent déjà des délires bactériologiques, génétiques,
chimiques, et que le monde entre dans une logique d'anéantissement (suppression
de l'Afrique par le sida, mutation des espèces végétales, animales et humaines,
premiers conflits nucléaires en instances).
" Démocratie ", vieille salope oligarchique, tu méprises ton peuple
!
Chacun pourrait dire : " Mais que vaut la destruction du monde face à la
question de ma propre survie quotidienne ? " Certes, l'angoisse est compréhensible.
La solitude de la foule et le fatalisme de ses membres sont à l'image d'une
vie absurde courant au rythme d'un monde emballé par la technique et le besoin
de prévaloir, de croître à tout prix. Cette vie " sociale ", nos bons
maîtres ne la veulent qu'animée par des peurs collectives et bien dirigées.
Ainsi, toute peur singulière doit être tue. Elle n'est pas nommable, elle ne
regarde que vous et le psy vous déchargera de cette angoisse privatisée.
C'est la nuit en plein
jour : restez inquiets mais confiants, on s¹occupe à votre place de ces grandes
peurs qui déferlent sous vos yeux et sur vos corps sans les atteindre ; vous
êtes vulnérables mais protégés, indemnes, dédommagés de toute conscience, dans
un lâche et miraculeux soulagement.
Nos peurs doivent regagner
l'éblouissant espace de l'intime "à ce carrefour qui est four alchimique
des gestes, des jets, des jeux et des tics" (Gherasim Luca). La peur peut
prendre nos corps sans polluer nos esprits ; il n'y a rien de plus encourageant
que la peur de l'inconnu. Quand nos peurs ont une fonction sociale, elles peuvent
soit mener à la veulerie bleu marine, soit quitter la sphère du pouvoir pour
retrouver une place entre l'indifférence, l'attirance ou la répulsion. Car elles
sont aussi des modes de rapport à l'autre et au monde, et nous invitent à les
connaître, à inventer d'autres qui-vive.
Il n'y a pas de liberté sans insécurité!
[1] [1] Texte complet de sa lettre et quelques unes des réponses d’élèves de la classe dans les Cahiers Pédagogiques, juin 1999.
[2] [2] Le texte de Nordine est disponible dans le texte de ma conférence « Un enseignement philosophique est-il possible aujourd’hui ? », séminaire Déconstruire le social : pourquoi l’école ?, Saül Karsz, Sorbonne, 11 juin 2001, www.bernard-defrance.net
[3] [3] « Après vous, je vous en prie… » : les exigences originaires de la politesse sont aussi des exigences politiques.
[4] F. TETARD "Les "arab' boys", ces petits vagabonds qui encombrent nos rues in VEI Enjeux n° 126, septembre 2001.
[5] Laurent Mucchielli: "Violences et insécurité, Fantasmes et réalités dans le débat français". La Découverte- 2001.
[6] BOURDIEU Pierre, Raison pratique, Edition du Seuil, 1994, page 137
[7] FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique ,Editions Gallimard, 1972, pages 67, 69, 70.
[8] ARENDT Hannah, Condition de l’homme moderne, Edition Agora presse pockett, 1998, p 109
[9] SIGLES : ANAS : Association Nationale des Assistants de Service Social, CNAEMO Carrefour National de l’action éducative en milieu ouvert, ANPF Association Nationale des Placements Familiaux, AIRe : association des Instituts de Rééducation.