Comment la crise
identitaire et sociale se cristallise sur l’école
La série de soubresauts qui
secouent l’institution scolaire (échec scolaire, illettrisme, bilinguisme,
sécuritarisme, laïcité, réhabilitation du colonialisme dans les programmes
scolaires, traitement de la violence, du racisme et de l’antisémitisme, socle
scolaire minimal) apparaît comme le symptôme d’une crise identitaire qui déplace
les fractures classiques entre les partisans d’une école élitiste et les
partisans d’une école « sociale ». Comment la crise identitaire et
sociale s’est - elle cristallisée sur l’école et quelles en sont les
conséquences ?
Depuis
les années 60, le modèle républicain de l’école est soumis à de fortes
pressions caractérisées par des évolutions contradictoires avec d’une part une
poussée démocratique (allongement de la scolarité), d’autre part de nouvelles
formes de ségrégation et sélection scolaires. Ségrégation, sélection sociale et
discrimination résultent à la fois de causes externes comme la ségrégation
urbaine, de causes sociétales (mais en lien avec le fonctionnement interne de
l’Éducation Nationale) comme les stratégies parentales pour accéder à des
établissements de bonne réputation ou l’usage coûteux de soutiens scolaires,
enfin de causes internes au système scolaire comme la mise en place de
filières, classes de niveau ou à options aux effets ségrégatifs. Ces évolutions
font peser sur l’école des enjeux de nature à favoriser une territorialisation
de l’action éducative en adaptant les différentes offres (aides aux devoirs,
activités sportives, artistiques et culturelles, offre d’accueil) aux
spécificités des territoires et de leurs habitants à travers les Contrats
Éducatifs Locaux. Ces derniers sont fondés sur le principe de discrimination
positive et visent une mobilisation de toute la communauté éducative (élus,
Éducation Nationale, associations, parents d’élèves) autour des enjeux
éducatifs. Cependant, le passage du Contrat Éducatif Local qui concerne des
quartiers défavorisés au Projet Éducatif Local qui englobe toute la ville
témoigne d’un déplacement des priorités déterminé par la volonté de retenir les
classes moyennes et moins défavorisées dans le périmètre d’écoles désormais classées en fonction de la
performance des élèves. L’articulation ou l’intégration des Contrats éducatifs
locaux aux Contrats locaux de sécurité et les accords nationaux entre la Police
et l’Éducation Nationale conduisent à des pratiques mêlant indistinctement la
surveillance et la répression de l’absentéisme considérée comme relevant d’une
forme de protection des mineurs, la sécurisation des écoles et l’ouverture de
l’école à des opérations de Police pour des actes et des motifs sans rapport
avec la vie dans les établissements (délits commis ailleurs ou expulsion de
familles de sans -papiers) . Par
ailleurs, toutes ces politiques motivées en partie par le souci de maintenir
une relative mixité sociale dans les établissements se conjuguent avec une
reproduction de la ségrégation mais à l’intérieur par le biais de filières et la promotion de classes
d’excellence. Il s’agit d’endiguer la fuite des classes moins défavorisées dont
les préoccupations deviennent celles des classes moyennes ou la fuite des
classes moyennes quand elles habitent dans des périmètres à forte concentration
de logement sociaux. Or, chacun sait que même au collège, les élèves se
connaissent et se fréquentent entre eux principalement parce qu’ils sont de la
même classe ou du même quartier (on se rend au collège ensemble par exemple).
La ségrégation se reproduit d’autant plus aisément au collège que les élèves
habitants les mêmes ensembles sociaux se retrouvent aussi dans les mêmes
classes de niveau plus ou moins faibles.
Pourtant,
la création en 1981 des Zones d’Éducation Prioritaire inspirée par la politique
de discrimination positive des Etats-Unis vise à corriger ces effets en
obtenant par une augmentation de moyens dans les quartiers défavorisés une
amélioration des résultats scolaires des élèves les plus en difficulté. On
constate cependant en 2003 que les résultats des établissements en ZEP et en
REP[1]
restent sensiblement les mêmes. En fin de CM2, 35 % des élèves de ZEP sont
classés dans les catégories les plus faibles tandis qu’au collège, ce
pourcentage bien qu’encore élevé descend à 25, 7 %. À caractéristiques
sociales égales, les chances de devenir bachelier des élèves scolarisés en ZEP
et celles des élèves hors ZEP sont les mêmes. La politique de discrimination
positive, accusée soit d’une insuffisance de moyens, soit d’être un
investissement peu rentable, est menacée.
« La violence et la délinquance n’ont rien
à faire à l’Ecole. Elles s’attaquent prioritairement aux plus faibles et aux
plus démunis sur le plan social. Nous la combattrons sans aucun état d’âme, en
nous inspirant de l’excellent rapport du sénateur Demuynck sur la violence à
l’école qui énumère toute une série de mesures pour enrayer cet engrenage
inacceptable. C’est notamment pourquoi j’ai décidé avec les ministres de
l’intérieur et de la justice de multiplier les relations de travail entre
l’établissement scolaire et les forces de police, de gendarmerie, la justice et
les associations. Les élèves qui perturbent gravement le déroulement des
classes seront pris en charge et encadrés par des dispositifs-relais dont le
nombre sera accru. 200 classes relais de plus chaque année pendant 5 ans sont
prévues, ce qui représente 13 Millions supplémentaires par an. » Discours de François Fillon. 15 Mars 2005
C’est seulement depuis les années 1993[2]
que la violence à l’école fait l’objet d’une politique de signalement d’abord
(création du logiciel signa et obligation de déclaration par les chefs
d’établissements de tous les actes de violence ou d’incivilité se déroulant
dans l’établissement) et de mesures disciplinaires plus systématiques. Surtout,
elle entre désormais clairement dans le cadre plus général de la prévention de la délinquance d’abord avec des Plans
Départementaux dans les années 80-90, puis avec les Contrats Locaux de Sécurité
adossés au Contrat Educatif Local.
C’est dans ce contexte qu’en 1995 et 1996, deux circulaires précisent
les modalités de collaboration entre l’école et la Police :
-
Signalement systématique
au Parquet de la non-fréquentation scolaire et de tous les actes de violence
commis en milieu scolaire : l’absentéisme scolaire ente donc désormais
dans le cadre de la Prévention de la délinquance
-
Traitement en temps
réel des procédures engagées pour des faits délictueux
-
Information en retour
par le parquet de la Police et de l’Éducation Nationale
La coopération Police - Justice
–Education s’appuie également sur la loi du 2 octobre 1998 et le protocole
d’accord Education -Intérieur du 4 octobre 2004. La circulaire du 2 octobre
1998, renforce le partenariat avec la Justice, ce qui se traduit par une
augmentation exponentielle de la saisine des juges des enfants au pénal :
dans l’académie de Montpellier, par exemple, au cours de l’année scolaire 2003-2004,
il y a eu plus de procédures en milieu scolaire en 3 mois qu’au cours des 10
années précédentes. Cependant de nombreux enseignants s’opposent à la présence
d’un policier posté en permanence dans les établissements.
De
plus en plus fréquente, l’intervention de la Police dans les établissements
scolaires ne répond plus seulement à une demande des écoles. En 2004 et 2005,
plusieurs interventions en témoignent : les policiers vont chercher dans
une école maternelle un enfant ramené en France par la mère alors que la garde
avait été confiée au père qui vivait à l’étranger, puis des enfants de parents
sans papiers ou des mineurs étrangers isolés, enfin elle procède à des
arrestations pour des actes commis à l’extérieur des établissements. Face à ces
situations, le Réseau Education Sans Frontières regroupant de travailleurs
sociaux, des associations et syndicats d’enseignants, de parents et de sans
papiers, multiplie les protestations et occupations d’écoles, en particulier
pour empêcher l’expulsion des enfants, de leurs familles et des jeunes.
Le 6 janvier 2005, suite à une
circulaire émise par le garde des Sceaux le 3 janvier[3],
le Ministre de l’Intérieur, lance en accord avec l’Éducation Nationale une
« opération nationale de sécurisation » aux abords des établissements
scolaires de « quartiers sensibles ». Au programme : contrôles d’identité massifs, fouilles
collectives avec chiens renifleurs. Syndicats de magistrats, enseignants
et fédérations de parents d’élèves dénoncent énergiquement cette action qui s’inscrit
dans une logique d’une coopération qui dépasse de loin l’objectif affiché de
sécurisation des écoles.
Dans
ce contexte, les lois Darcos - Perben - Sarkozy - Fillon constituent une
rupture radicale avec les politiques de discrimination positive. Elles
déclinent dans une même logique la restauration de l’autorité des enseignants
(délits d’outrage à enseignant, « restauration » de la liberté
pédagogique, retour des punitions collectives), la répression envers les
familles (amendes et risques d’incarcération pour absentéisme scolaire, stages
obligatoires de parentalité), la lutte contre l’illettrisme et l’échec
scolaire. Les logiques de ré-appropriation par les collectivités locales des
enjeux éducatifs sont désormais mises au service de deux priorités : la
prise en charge de la délinquance (remise en cause du secret professionnel pour
les acteurs de la prévention spécialisée par exemple) et la sécurisation des
écoles. Le concept d’élèves « au centre de l’école » qui se serait
substitué aux « savoirs au centre de l’école » est violemment
dénoncé. C’est dans ce sens qu’on peut parler d’une crise identitaire d’autant
plus paradoxale qu’elle rend finalement l’élève responsable des dangers qui
pèsent sur l’école. Alors que le système est de plus en plus performant pour
les catégories les plus favorisées qui sont « initiées au système »
et dont le niveau progresse, ce sont une fois de plus les classes défavorisées
qui sont doublement pénalisées : par l’échec scolaire[4] qui se maintient d’une part mais aussi par
des mesures répressives et de remise en cause du collège à vocation unique...
Interrogé par le Nouvel Observateur[5]
au sujet des mauvais résultats de la France dans la dernière enquête diligentée
par l’OCDE en 2004 sur le système scolaire de 41 pays industrialisés (pays
d’Europe, Canada, Japon, Etats-Unis), le directeur adjoint de l’Éducation
Nationale Bernard Hugonnier observe que ces mauvaises performances sont liées à
l’importance de l’écart de résultats entre les bons élèves (qui sont meilleurs
en France que dans de nombreux pays étrangers) et les mauvais élèves dont les
résultats sont beaucoup plus bas qu’à l’étranger : « On peut simplement observer que, dans les pays les plus
performants, les élèves ont plaisir à apprendre, les relations avec les professeurs
sont très bonnes, le climat est moins à la répression qu’à l’autodiscipline.
Les enseignants se situent dans une optique d’accompagnement. Une chose est
frappante: ces pays, Finlande, Japon, sont souvent des sociétés
traditionnelles, avec des populations homogènes. Les textes, la hiérarchie, les
maîtres y sont très respectés et leur autorité reconnue. C’est loin d’être
toujours le cas en France… Le rejet de
l’autorité ou de l’école s’observe avant tout dans les pays où l’intégration
des populations immigrées est mal faite. Ne se sentant pas acceptés, les jeunes
issus de l’immigration rejettent la culture qui refuse de les intégrer.
L’intégration des étrangers et de ces jeunes est d’ailleurs un point essentiel
pour la bonne marche d’un système scolaire…Croire qu’en
« offrant » des voies différentes d’orientation, pour permettre à
chaque élève de réussir selon ses moyens, est une illusion. De fait, ces
systèmes de filières isolent les élèves faibles ou en difficulté.
Résultat : les bons élèves progressent à peine plus, alors que les élèves
moyens et les élèves plus faibles perdent beaucoup. Si bien qu’au final les
performances de ces pays très sélectifs sont moyennes, et nettement moins
bonnes que dans les pays où l’école est plus démocratique. Où l’on choisit de
ne pas trier les élèves mais au contraire de favoriser au maximum la diversité
dans les classes. C’est le cas par exemple en Finlande où, grâce à un suivi
individualisé, l’hétérogénéité des classes est gérée au mieux. A contrario, l’Allemagne, qui trie plus tôt
que nous encore et, dès le début du collège, oriente une partie de ses élèves
vers des enseignements techniques et professionnels, obtient de mauvais
scores ».
Comment en imputant aux carences
familiales et aux familles d’origine étrangère
l’échec scolaire et l’illettrisme, on justifie le maintien d’une école
élitiste
La notion d’échec
scolaire n’apparaît véritablement que dans les années soixante, soit une
dizaine d’années après la publication du rapport Wallon commandé sous le Front
Populaire à la « Commission de l’enfance déficiente ». Dans les
années 50, l’échec scolaire est considéré comme une incohérence étudiée
principalement sur les cas d’enfants bien classés aux tests de quotient
intellectuel et dont les résultats scolaires sont mauvais.
Mais c’est après la prolongation de l’obligation scolaire jusqu’à
16 ans (réformes de 1959 et 1963) que la question de l’échec scolaire s’impose
véritablement. L’ouvrage de Pierre Bourdieu et Jean –Claude Passeron,
« Les héritiers »[6]
montre le décalage entre l’objectif de faire progresser des élèves de milieux
sociaux défavorisés et un fonctionnement et une pédagogie, en particulier dans
le secondaire, destinés à une élite.
Dans les années 70 et 80, tous les efforts qui tendent vers une
plus grande démocratisation de l’école visent un rapprochement entre la
pédagogie et le public hétérogène des écoles et des collèges. Pendant cette
période, l’allongement de la scolarité s’accompagne de l’accès à des emplois
plus qualifiés. Mais avec la crise des années soixante-dix et la montée du
chômage des jeunes, le débat sur l’échec scolaire rebondit sur l’école accusée
de mal former les élèves. En outre, l’urbanisme favorise la concentration de
logements sociaux dans des quartiers isolés des centres près desquels sont
construits de grands collèges et lycées. Les effets de la ségrégation urbaine
et de la discrimination scolaire par voie de filières et le classement
des collèges en fonction de la réussite des élèves se traduisent par une
géographie de la réussite et de l’échec scolaire qui détruit les acquis de la
démocratisation.
La crise du collège « unique »
Pour comprendre le succès ultérieur du concept de l’illettrisme et
la manière dont il va cautionner la remise en cause des objectifs égalitaires
de l’école, il faut se resituer dans la perspective de la circulaire Jospin en
1989 qui vise à la fois une démocratisation de l’école et la généralisation de
l’accès aux diplômes.
En 1989, avec la réforme mise en œuvre par Lionel Jospin et
l’objectif de mener 80 % d’une classe d’âge au BAC, on voit apparaître la
notion d’obligation de résultats pour l’école. En outre, l’orientation est
repoussée de la 5e à la 3e
favorisant le maintien dans les filières générales d’élèves autrefois orientés
plus tôt. Cependant, l’inadaptation de
l’enseignement à la massification, l’absence de dispositifs accompagnant la loi
amplifient la querelle sur la pertinence du Collège unique qui maintient de
toutes manières un système ségrégatif de filières simplement repoussé de deux
ans. Le collège dit unique est accusé de faire baisser le niveau alors que
toutes les études démontrent que le niveau des bons élèves progresse tandis que
celui des élèves moyens se maintient. En revanche, le phénomène de décrochage
scolaire est d’autant plus visible que la scolarité s’est allongée. Ce débat
s’amplifie au fur et à mesure que la crise s’installe et avec elle, le chômage.
Il débouche sur une réflexion sur l’illettrisme et ses causes qui se traduira
ultérieurement par le concept de socle commun minimum de la Loi Fillon en 2005.
La redécouverte de l’illettrisme
Le concept d’illettrisme apparu dans les années 70 quand
l’association ATD Quart-Monde constate que les personnes démunies dont elle
s’occupe, bien que scolarisées antérieurement, n’ont pas acquis une
connaissance suffisante de la langue pour l’utiliser aisément dans la vie
quotidienne donne lieu en 1981 au rapport OHEIX intitulé : « Contre
la précarité et la pauvreté : 60 propositions » . Le terme apparaît
dans le dictionnaire Robert en 1983 puis en 1984, dans un rapport demandé par
Pierre Mauroy intitulé : « Des illettrés en France ». Ce rapport
débouchera sur la création du Groupe Permanent de lutte contre l’illettrisme
(GPLI), un temps présidé par François Bayrou, futur ministre de l’Éducation
Nationale.
Très vite, la redécouverte de l’illettrisme sert de caution à la
remise en cause du collège unique. En l’absence de définition claire du
phénomène, les conclusions de l’expert Alain Bentolia sont utilisées
principalement pour dénoncer l’égalitarisme républicain incarné par l’école
dite « unique ». En outre,
comme selon le Ministère de la Justice « À leur entrée en maison d’arrêt, [7]près
d’un quart des détenus sont en très grande difficulté par rapport à
l’écrit », la préoccupation des pouvoirs publics vis-à-vis de
l’illettrisme se déplace . Elle établit un lien entre illettrisme et
délinquance comme ultérieurement, le rapport Bénisti associera délinquance et
bilinguisme des enfants d’immigrés.
Les études les plus récentes [8]situent
l’illettrisme dans une fourchette de 4 à 6% . 11 % des élèves français
n’atteindraient que le niveau I, celui de tâches de lecture simple et de
compréhension d’éléments simples et sans relations et 10 % des élèves d’une
classe d’âge sortent aujourd’hui du collège sans qualification ni diplôme
(contre 35 % en 1965). En outre, dans un contexte où la concurrence est
vive sur le marché de l’emploi, l’échec scolaire se traduit par une exclusion
sociale et professionnelle. Mais le plan contre l’illettrisme lancé en 2002 par
Luc Ferry est surtout un moyen pour le Ministre de conspuer la démocratisation
de l’école, la perte d’autorité de l’institution, les méthodes éducatives et
scolaires qui se situent dans le sillage du mouvement Freinet et la méthode
d’apprentissage de lecture dite « globale » (l’enfant reconnaît des
syllabes et des mots sans épeler les lettres), laquelle très peu utilisée par
les maîtres obtient de toute façon des résultats identiques à ceux obtenus par
des méthodes traditionnelles. Preuve du peu d’intérêt pour l’enjeu pédagogique
de la lutte contre l’illettrisme : on ne dispose aujourd’hui d’aucune
évaluation de ce plan.
Le maintien du
redoublement en France alors que dans la majorité des pays d’Europe, il
n’existe pas et que de nombreuses études démontrent sa nocivité sauf dans
certains cas et dans des classes précises, la 5e par exemple, montre
d’ailleurs que ni l’autorité des maîtres, ni la liberté pédagogique ne sont en
réalité menacée. En effet, les chiffres sont éloquents[9] :
moins d’un élève redoublant le C.P. sur 10 obtient son baccalauréat en fin de
parcours, 43 % des élèves redoublant le C.P et 30 % des élèves redoublant la 6e
sortent de la scolarité soit prématurément soit sans diplôme. Enfin dans tous
les pays qui ont aboli le redoublement, les performances des élèves à 15 ans
sont supérieures à celles qui sont obtenues en France. Au primaire, en 40 ans le redoublement a
certes beaucoup régressé : il est passé en C.P de 22 % à 7 % et
au CM2 de 52 % à 20 %. Cependant, il s’agit bien d’un bastion puisque
les deux ministres qui se succèdent, Luc Ferry et François Fillon, veulent tous
deux supprimer le droit des parents à effectuer des recours contre les
décisions de redoublement. Dans ce contexte, le redoublement semble moins
répondre à des objectifs pédagogiques qu’à la volonté de montrer que l’école
sanctionne, sélectionne et ne baisse pas ses exigences.
Le lien entre la
lutte contre l’illettrisme imputé en toute mauvaise foi aux innovations
pédagogiques et à la démocratisation de l’école, le maintien de procédures de
sélection connues pour leur nocivité, la tendance à faire porter aux familles
la responsabilité de l’échec scolaire, enfin l’articulation entre politiques
éducatives et politiques sécuritaires témoigne d’une régression du droit à
l’école pour tous au profit d’une série de mesures favorisant des processus
d’exclusion et de pénalisation des élèves.
Le bilinguisme des populations
immigrées.
En 2005, le pré-rapport sur la prévention de la délinquance
du député UMP du Val-de-Marne et Maire de Villiers-sur-Marne Jacques Alain
Benisti suscite une polémique. En effet, ce dernier établit un lien de
causalité entre bilinguisme, échec scolaire et délinquance. Il vise ainsi le
bilinguisme dans les langues de l’immigration non européenne. Interrogé le 9
mars 2005 par Africa.com, voici ce qu’il déclare : « La
délinquance est majoritairement le fait des immigrés. Selon l’Observatoire
national de la délinquance, il y a une augmentation impressionnante des délits
commis par les jeunes issus de l’immigration. Je n’invente rien, les chiffres
sont là. Sachant cela, deux solutions s’offrent à nous : soit on n’en parle
pas, soit on règle le problème… Il ne s’agit en aucun cas de supprimer le
bilinguisme. Mais le schéma est le suivant : sur une semaine complète, soit 168
h, un jeune d’origine étrangère entendra parler 28 h de français à l’école et
140 h du dialecte de son pays à la maison. Forcément, il va finir par connaître
des difficultés scolaires et au bout du compte, décrocher, se replier sur
lui-même. Ce qui entraînera encore une augmentation de son retard. Plus grave
encore, non seulement ce jeune en difficulté fait des bêtises, mais il nuit aux
autres élèves, les faisant même régresser. Mais à force de fustiger le cancre,
de l’isoler, son besoin d’exister va trouver son épanouissement dans la
délinquance. On peut d’ailleurs le constater par l’augmentation de la
délinquance mineure depuis 1996. En ce qui concerne la langue, le jeune ne doit
toutefois pas perdre de vue ses origines et son dialecte maternel, comme
l’Arabe par exemple ou le " gambara " …Dans ce pré-rapport, nous
proposons la création d’une structure au sein de l’école, qui offrirait un
programme d’alphabétisation et d’accompagnement des élèves difficiles par un
personnel professionnel et adapté : pédopsychiatre, psychiatres, médecins
scolaires, professeurs, etc. …Ce programme pourrait éventuellement concerner
les jeunes dyslexiques, les jeunes en situation familiale difficile ou en échec
scolaire, mais resterait essentiellement basé sur les jeunes immigrés ... Le maire doit être au cœur du dispositif
car il connaît sa population et les problématiques qui la concernent. Il
interviendrait en cas de danger de mort, d’inceste, de pédophilie, etc. Les
travailleurs sociaux devraient en conséquence partager leur secret avec lui :
c’est la notion de secret partagé…Car
les familles africaines ne reconnaissant qu’une autorité : " Le chef de la
tribu ", en l’occurrence, le maire, qu’ils écoutent. Ce système
éviterait bien des procédures longues et fastidieuses. »
En réponse à ce
pré-rapport, plusieurs groupes de linguistes protestent contre des conclusions
en contradiction avec toutes les recherches menées sur ces questions depuis des
décennies [10]: « Si c'est d'abord comme citoyens que nous
avons pris connaissance de ce texte, c'est ici en tant que professionnels de
l'étude du langage, des langues et de leur apprentissage que nous réagissons à
la lecture de ce document. Celui-ci ne pouvait nous laisser indifférents, tant
il regorge de simplifications outrancières, de contrevérités et de pseudo -
évidences.
Avant de proposer des mesures qui se veulent préventives, les
rédacteurs se livrent à un examen, période par période et dès " le berceau
", du parcours type d'un jeune délinquant. Or, dans ce parcours type, le
fait d'avoir des " parents d'origine étrangère " susceptibles
d'utiliser " le parler patois du pays " à la maison constituerait,
dans la chaîne des causes, le premier facteur potentiellement générateur de
déviance. Les auteurs établissent ainsi d'emblée un lien implicite mais
néanmoins direct entre bilinguisme et trajectoire déviante, tout en ciblant,
par le recours à la désignation dévalorisante " parler patois du pays
", certains bilinguismes. Partant de ce postulat, ils préconisent que les
parents s'obligent " à parler le français dans leur foyer pour habituer
les enfants à n'avoir que cette langue pour s'exprimer " (p. 9). S'ensuit
toute une série de mesures à mettre en œuvre dans le cas où les parents
passeraient outre cette injonction première. Ces mesures médicalisent et
partant, stigmatisent les pratiques langagières et les locuteurs, alors même
que le rapport s'émeut plus loin des effets possibles de la stigmatisation sur
les enfants en échec scolaire (p. 15).
D'un
point de vue sociolinguistique, ces déclarations appellent plusieurs
remarques : Il est indéniable que la maîtrise du français, langue de
l'école et de la société est indispensable à l'insertion sociale des futurs
citoyens. Mais, il n'en reste pas moins qu'assimiler, toujours de manière
implicite, le bilinguisme à une pathologie et le mettre en rapport avec la
délinquance est scientifiquement non fondé. En tant que linguistes, nous sommes
en mesure d'affirmer, sur la base de nombreux travaux réalisés en France comme
à l'étranger, depuis maintenant plus d'une trentaine d'années, que les choix de
langues dans la communication familiale ne constituent pas en soi un facteur de
risque…. »
Loin
d’être « technique », le débat sur l’échec scolaire témoigne de la
façon dont la critique du système scolaire, de la politique sociale et des
phénomènes discriminatoires se déplace vers une responsabilisation et
culpabilisation des familles socialement déshéritées et/ou d’origine étrangère.
La question des moyens mis à disposition pour lutter contre cet échec scolaire,
soit à « minima » en concentrant les efforts sur l’acquisition
d’aptitudes de bases (loi Fillon) soit en adaptant le système à tous les élèves
incluant ceux qui sont en difficulté n’oppose plus seulement ceux qui
promeuvent une pédagogie différente, inspirée globalement par le mouvement
Freinet, aux libéraux pour qui l’école doit s’adapter aux besoins économiques
et former d’un côté les élites, de l’autre les employés et ouvriers. Car à
travers l’affirmation d’une supériorité des pédagogies traditionnelles qui
d’ailleurs ont toujours cours, ce n’est pas la « technicité » de la
pédagogie qui est en cause mais bien le projet social de l’école.
C’est pourquoi, la remise en cause d’un
enseignement homogène au profit d’une individualisation n’a pas la neutralité
du bon sens à un moment où les mesures de compensation des inégalités sont
abandonnées au profit de l’aggravation de la ségrégation par filière et de
l’exclusion des voies nobles auquel conduit le BAC général. La loi Fillon qui
se propose de développer la contractualisation (augmentation du nombre de
contrats de réussite signés par les élèves et les parents), renforce la responsabilité des élèves et des
parents dans l’éventuel échec scolaire. C’est l’abandon - au nom de l’individualisation
- de tout projet de démocratie sociale et la destruction des droits collectifs
que le mouvement lycéen, dans un isolement qui témoigne de la perte de repères
politiques vis-à-vis de la question scolaire, a tenté de combattre.
La laïcité et les signes
religieux à l’école
Dès 1989, la décision prise par trois jeunes filles de confession
musulmane de se présenter dans leur collège coiffées d’un foulard islamique
provoque l’une des plus importantes polémiques scolaires qui sera relancée de manière
spectaculaire et très médiatisée en 2003-2004. Le 18 septembre 1989, les trois
jeunes filles sont provisoirement exclues des cours par le proviseur. Après
discussion avec l’Inspection, les parents et des associations, elles reprennent
les cours au collège le 9 octobre. Elles sont autorisées à garder le foulard
jusqu’à l’entrée en classe et doivent l’enlever pendant les cours. Mais dix
jours plus tard, les trois collégiennes rompent leur accord en remettant
leur foulard pendant les cours. Le proviseur les fait conduire en bibliothèque
et l’affaire de Creil s’emballe dans une polémique largement médiatisée.
Il s’ensuit un débat sur la définition de la laïcité qui oppose
partisans d’une laïcité « ouverte » et partisans d’une laïcité
qui s’applique non seulement aux agents de l’Éducation Nationale mais également
aux « usagers », c’est-à-dire les élèves.
C’est la Ligue de l’Enseignement qui va lancer un grand chantier
de réflexion aboutissant au concept de laïcité « plurielle ». La laïcité plurielle consiste à traiter de
manière égale les différences culturelles et religieuses. En face, se
développe un discours d’intégration définissant l’école comme le lieu où sont
gommées les différences et les origines. Ces deux discours se réclament de la
laïcité, de l’intégration et de l’égalité. Le 27 novembre 1989, le Conseil
d'Etat rend l’avis suivant : « ...Le principe de la laïcité de
l’enseignement public, qui est un des éléments de la laïcité de l’Etat et de la
neutralité de l’ensemble des services publics, impose que l’enseignement soit
dispensé dans le respect d’une part de cette neutralité par les programmes et
les enseignants et d’autre part de la liberté de conscience des élèves…La
liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit d’exprimer et de
manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements
scolaires... Dans les établissements scolaires, le port par les élèves de
signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion
n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure
où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestations de
croyances religieuses... ».
Cependant, cette
liberté s’exerce « dans le respect du pluralisme et de la liberté
d’autrui, et sans qu’il soit porté atteinte aux activités d’enseignement, au
contenu des programmes et à l’obligation d’assiduité. » et « cet
exercice peut être limité dans la mesure où il ferait obstacle à
l’accomplissement des missions dévolues par le législateur au service public de
l’éducation » . En outre, les élèves ne peuvent arborer « des signes
d’appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans
lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur
caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de
provocation, de prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la
dignité ou à la liberté de l’élève ou des autres membres de la communauté
éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le
déroulement des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants,
enfin troubleraient l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement normal du
service public »
Ces définitions laissent une large marge d’interprétation :
qu’est-ce qu’un signe « ostentatoire », « provocateur »,
quand commence le prosélytisme ? C’est pourquoi, dans les années qui
suivent, le Conseil d’État est amené à se prononcer plusieurs fois sur des
règlements intérieurs et les exclusions d’élèves qui en résultent. Dans
plusieurs cas, les décisions d’exclusion d’élèves sont annulées mais dans
certains cas, elles sont confirmées. Les décisions ne sont pas cohérentes entre
elles.
La circulaire Bayrou du 20 septembre 1994 affirme quant à elle
qu’il existe « des signes si ostentatoires que leurs significations est
précisément de séparer certains élèves des règles de vie commune de l'école »
et que « ces signes sont, en eux-mêmes, des éléments de prosélytisme ». C’est
la première fois qu’une circulaire vise implicitement le port du foulard. Dans
un communiqué publié le 1er décembre 1994, la Ligue des droits de l’Homme
déclare : « Cette circulaire désigne, de fait, au nom de
l’idéal laïque et nationale, une confession particulière comme source de tous les
problèmes alors que d’autres manifestations religieuses sont tolérées au sein
des établissements scolaires, dès lors qu’elles ne ressortent pas de l’Islam
».
À
la rentrée 2003, deux jeunes filles, Lila et Alma, se présentent au Lycée Henri
Wallon à Aubervilliers avec un voile islamique. Leur présence suscite de
nombreux remous dans l’établissement, l’affaire est retransmise par la presse :
s’ensuivent une série d’interventions, d’articles, de tracts opposant les
professeurs de l’établissement qui ne sont pas d’accord entre eux mais aussi
des associations qui interviennent ainsi que des intellectuels. Très vite, la
situation aboutit à la réunion d’un Conseil de discipline le 10 octobre qui
décide l’exclusion des deux élèves.
L’avocat des jeunes
filles annonce sa décision de porter l'affaire devant le tribunal administratif
tandis que le conseil français du culte musulman (CFCM) propose sa médiation
dans les affaires de voile islamique à l'école. En visite à la Grande Mosquée
de Paris, le Premier ministre estime alors que le débat ne doit être
tranché "qu'en dernière extrémité" par une loi. Le gouvernement estime à 200 tout au plus le
nombre d'élèves voilées en France.
Cependant, durant plusieurs mois, l’affaire continue dans les
médias : réactions des associations antiracistes et des droits de l’homme,
communiqués d’enseignants, débats intellectuels. Cette affaire et sa
médiatisation aboutiront à la mise en place de la Commission Stasi et à la promulgation
d’une nouvelle loi interdisant les signes religieux « ostensibles » à
l’école. Entre ces deux dates charnières (1989-2004), le débat a largement
débordé la question scolaire en particulier autour des enjeux identitaires,
historiques et concernant plus largement l’intégration.
Quelques repères
historiques
La première loi de laïcisation concerne l’état civil avec
l’instauration du mariage civil en 1787. Au moment de la Révolution française,
la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 d'une part
et d’autre part, la Constitution du 3 septembre 1791 consacrent le principe de
liberté de conscience : « Nul ne peut être empêché d’exercer, en se
conformant aux lois, le culte qu’il a choisi. » . Le Concordat de 1801va régir
l’Eglise jusqu’en 1905 : le culte catholique, les deux principales Eglises
protestantes et le culte israélite sont sous l’autorité d’un Ministère et d’un
Budget des cultes. En 1879, à la veille des grandes lois laïques, sur 37 000
congréganistes enseignants, la moitié exerce dans les écoles primaires
publiques. La laïcisation du corps enseignant n’en est qu’à ses débuts.
Jules Ferry, appuyé par la Ligue de l’Enseignement, créée en 1866
par Jean Macé va instaurer graduellement la laïcité à l’école : gratuité
et obligation de l’école primaire par deux lois successives promulguées le 16
juin 1881, le 28 mars 1882 et la loi organique du 30 octobre 1886. La
laïcisation des programmes consiste à remplacer l’enseignement religieux à
l’école publique par "l'instruction morale et religieuse» . Elle sera
suivie par le remplacement progressif des membres des congrégations
enseignantes dans les écoles publiques par du personnel laïque. La laïcisation
de l’enseignement secondaire suit immédiatement mais dans l’enseignement supérieur,
aucune réglementation ne voit le jour.
À côté des lois scolaires, une série de dispositions législatives
vont mettre fin à toute influence de l’Eglise dans les services publics :
suppression du caractère confessionnel des cimetières, établissement du
divorce, suppression par la loi du 12 juillet 1880, du repos dominical, enfin
vote de la loi du 7 juillet 1904 interdisant l’enseignement dans les écoles
privées aux membres de toutes les congrégations, autorisées ou non.
Le 25 juillet 1904, c’est la rupture des relations diplomatiques
entre la France et le Vatican aboutissant à la promulgation de la loi du 9
décembre 1905, avec l’article 2 qui stipule « la République ne reconnaît, ne
salarie, ni ne subventionne aucun culte. »
La neutralité de l’État vis-à-vis de la religion ne sera
interrompue que par les lois de Vichy qui seront abrogées à la Libération à
l’exception de la restauration des congrégations enseignantes.
Au plan constitutionnel, l’article 2 du 4 octobre 1958 déclare : «
La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle
assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine,
de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » .En ce qui
concerne l’école publique, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946
affirme : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à
l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation
de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de
l’Etat. »
L’ordonnance
du 6 janvier 1959 fixe la limite des 16 ans révolus tandis que le décret du 30
août 1985 confie au règlement intérieur des établissements secondaires le soin
de déterminer les modalités selon lesquelles seront mis en application le
respect des principes de laïcité et de pluralisme (article 3, alinéa 1er). Pour
l’enseignement supérieur public, sa laïcité est précisée par la loi du 26
janvier 1984, dite " loi Savary " par son article 3 : « Le service
public de l’enseignement supérieur est laïc et indépendant de toute emprise
politique, économique, religieuse ou idéologique... ». La loi du 31 décembre
1959 précise que l’enseignement religieux doit être dispensé hors des cours et
de l’obligation scolaire.
La
France est le seul Etat laïque de l’Union Européenne, c’est-à-dire qui connaît
la séparation juridique totale de l’Eglise et de l’Etat. Certains pays sont
placés sous le régime du Concordat avec le Vatican, d’autres, comme le Danemark
ou le Royaume-Uni, ont une religion d’Etat. La France est le seul Etat dans
lequel la religion est totalement exclue de l'école publique. Au plan juridique, l’article 55 de la Constitution de 1958
reconnaît aux traités et aux accords, régulièrement ratifiés ou approuvés, une
valeur supérieure à celle de la loi interne et ceci dès leurs publications. Or,
le droit international ne connaît pas la notion de laïcité et insiste sur la
liberté religieuse. La France a ratifié plusieurs conventions qui reconnaissent
cette liberté de manifester sa religion : il s’agit en particulier du Pacte de
1966 relatif aux droits civils et politiques, de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et plus
récemment de la Convention internationale sur les droits de l’enfant.
La commission Stasi
auditionne pendant plusieurs mois les partisans et les opposants à une loi. Les
premiers, proches des milieux enseignants ou de courants divers de droite et de
gauche, parfois anti-racistes ou féministes, insistent sur la nécessité d’une
loi pour éviter les recours contre les chefs d’établissements, considérant en
outre le caractère exceptionnel de la laïcité française. Les seconds parmi
lesquels des associations des Droits de l’homme, des associations des droits de
l’enfant, des féministes, des associations anti-racistes et des associations de
parents d’élèves s’appuient globalement sur les droits de l’enfant et de
l’élève et s’opposent à toute loi qui se traduirait par l’exclusion des jeunes
filles voilées.
Les syndicats enseignants sont divisés comme de nombreux partis et
mouvements. Le syndicalisme enseignant actuel est le fruit, de plusieurs
scissions à l’intérieur d’un syndicat d’origine, la FEN qui regroupe
actuellement 140. 000 adhérents. Depuis 1992, le SNES et le SNEP ne sont plus
affiliés à la FEN. De cette scission est née la Fédération Syndicale Unitaire
(FSU) qui regroupe plusieurs syndicats dont principalement le SNES (80.000
adhérents), le SNEP, le SNETAA, le SNUIPP et totalise 160.000 adhérents en
1995.
La FEN revendique la nationalisation de l’enseignement et a
fustigé la laïcité ouverte : elle est donc favorable à une loi interdisant tout
signes religieux. La FSU se prononce
majoritairement contre toutes dispositions aboutissant à des exclusions
d’élèves. Le SGEN-CFDT considérant le voile comme un symbole inacceptable de
soumission de la femme est favorable à la loi. La FCPE et les associations de
défense des droits de l’homme et des droits de l’enfant s’opposent à toute loi
se traduisant par des exclusions d’élèves.
Des droits collectifs
des élèves à l’individualisation, de la criminalisation des familles à celle
des identités collectives
Les débats qui se
sont cristallisés autour de l’école peuvent se résumer à deux questions simples
en apparence mais qui déterminent des fractures et configurations politiques
complexes.
La première - l’échec scolaire, à qui la
faute ? - s’est traduite de manière contradictoire par une
responsabilisation individuelle et des familles et une crispation identitaire
de l’école sur son identité (loi interdisant les signes religieux à l’école),
par la « restauration » de l’autorité des enseignants et par
l’application d’une politique sécuritaire à l’école. De nouvelles fractures
apparaissent : les tenants d’une école plus égalitaire peuvent s’opposer à
l’individualisation et à la méritocratie tout en approuvant aussi bien la loi
contre les signes religieux à l’école (au nom justement de l’égalité) que la
restauration de l’autorité de l’enseignant pour contrer le consumérisme
parental. En réalité, ils s’arc-boutent à une vision de l’école
« idéale » où la mixité sociale et ethnique justifieraient un
enseignement et une organisation homogènes dans un objectif d’intégration et
d’égalité qui se poseraient dans les mêmes termes qu’au XIXe siècle. Tout en
s’opposant souvent à une politique répressive et d’exclusion envers les élèves,
les tenants d’une école égalitaire sont souvent favorables à une politique
autoritariste, voire répressive envers
les parents. Or, comme le montrent les études sur la ségrégation scolaire, une
politique visant une plus grande égalité face à l’école repose sur des
processus internes et externes à l’école visant précisément à lutter contre
cette ségrégation. Les libéraux peuvent quant à eux se montrer assez
indifférents à l’égard des signes religieux mais favorables à la mise en place
de filières dans lesquelles puiser les cadres de demain et les employés et
ouvriers tous formés à l’obéissance et aux exigences de l’entreprise. Dans ce contexte,
ils restent assez extérieurs au débat sur les religions ou sur la violence
scolaire car l’école se présente à leurs yeux comme un marché.
La
deuxième question concerne la mission d'intégration au sens large de l’école.
Comment articuler la pluralité des histoires, cultures et origines avec la
production d’une culture commune alors que ni les approches pédagogiques, ni
les programmes n’incluent l’intégration et l’ouverture à l’histoire des
autres ? Comment lutter contre les crispations identitaires alors même que
l’école, se sentant menacée, donne le mauvais exemple ? Comment, dans un contexte de réhabilitation
du colonialisme, comme en témoigne la loi du 23
février 2005 qui indique dans son article 4 que « les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la
présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle
mérite et que les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle
positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et
accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française
issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ... » assurer
l’intégration de tous les élèves par la reconnaissance de leurs histoires
singulières et de leur égalité et grâce au respect réciproque ?
Ce qui se joue
aujourd’hui n’est pas la restauration d’une école qui n’est égalitaire que dans
nos phantasmes mais sa re-fondation envers et contre les vents mauvais qui
l’agitent. Il ne s’agit pas d’opposer les individualités à l’intérêt collectif,
ce dernier étant socialement stratifié, mais de promouvoir à l’école une
« démocratie sociale » reconnaissant les droits collectifs des élèves
(droits au savoir, droits à la réussite, droits à l’expression) et les identités
collectives (culturelles, religieuses, politiques) tout en luttant contre le
clientélisme des intérêts économiques, des classes moyennes/supérieures ou de
quelques groupes défendant des intérêts communautaires en les dissociant d’un
projet social englobant tous les exclus de la réussite scolaire.
En réponse à l’échec
scolaire, la politique d’éducation nationale n’a jusqu’ici que conforté ces
clientélismes tout en offrant aux enseignants la restauration de valeurs
républicaines au contenu implicitement identitaire. Or, l’impensé de l’échec
scolaire, c’est aussi la coexistence d’histoires familiales, culturelles et
identitaires qui sont collectives et singulières à la fois et s’intègrent à des
appartenances sociales déterminant des intérêts et des luttes partagés . Les
identités historiques, culturelles, religieuses, sexuelles et la spécificité
des luttes qui s’y attachent (féminisme, lutte contre les discriminations) si
elle ne se résorbent pas dans le concept de classes sociales ne peuvent pas davantage
dissoudre les antagonismes de classes qui les traversent. C’est par la remise
en jeu d’identités et d’appartenances sociales, métissées, en devenir, ne
s’inscrivant pas dans une généalogie mais dans plusieurs que l’école pourra
relever le défi d’une démocratie encore inexistante et d’une lutte authentique
contre l’inégalité scolaire.
La série de
soubresauts qui secouent l’institution (échec scolaire, illettrisme,
bilinguisme, sécuritarisme, laïcité, réhabilitation du colonialisme dans les
programmes scolaires, traitement de la violence, du racisme et de
l’antisémitisme) apparaît comme le symptôme d’une crise identitaire qui déplace
les fractures classiques entre les partisans d’une école élitiste et les
partisans d’une école « sociale ». En effet, les partisans d’une
école élitiste ne s’opposent pas à la démocratisation de l’école, synonyme à
leurs yeux - et dans les faits - d’un enseignement différent en fonction des
catégories d’élèves soit dans des écoles, soit dans des classes différentes. En
revanche, un courant de plus en plus important de partisans d’une école sociale
favorisant la mixité associe le droit des élèves, le droit des parents et tous
les acquis démocratiques de l’école à des logiques libérales alors que
celles-ci sont effectivement à l’œuvre mais indépendamment de toute conquête
démocratique. Dans sa défense de l’institution scolaire, de ses fondements
républicains et au bout du compte de son autoritarisme, ce courant est de plus
en plus perméable, en contradiction avec ses valeurs sociales, aux logiques
sécuritaires. Ce faisant il renforce le courant élitiste - démocrate qui veut
bien renoncer aux libertés collectives tant que la liberté individuelle qui
triomphe avec le clientélisme n’est pas remise en cause.
Fabienne Messica, 8
mai 2005
[1] Réseaux d’Éducation Prioritaires
[2] Voir « la prévention et le traitement des violences dans les établissements scolaires » Séminaire ENA Promotion Averroès. Territoires et sécurité.
[3] Cette circulaire ordonne à la Justice de subordonner son action aux priorités déterminées par la police et dans le cadre de la lutte « contre les trafics et violences divers
[4] En témoigne le taux d’accès des enfants d’ouvriers aux grandes écoles qui est passé de 16 % environ il y a vingt ans à moins de 5 % aujourd’hui
[5] Semaine du jeudi 7 avril 2005 - n°2109
[6] Pierre
Bourdieu, Jean-Pierre Passeron, Les
héritiers, Paris, Ed. de Minuit, 1964
[7]
Insee-première n°706 : « L’histoire familiale des détenus »,
avril 2000
[8] Voir à ce sujet : « Le traitement de la grande difficulté scolaire au collège et à la fin de la scolarité obligatoire » André Hussenet en collaboration avec Philippe Santane. Haut Conseil de l’Évaluation de l’école. N=° 13. Novembre 2004
[9] Ibid. Haut Conseil de l’Évaluation. Novembre 2004
[10] Réaction de
l'Association des Linguistes de l'Enseignement Supérieur (ALES)