Vers la participation enfantine par l’occupation et la déscolarisation de l’espace. 1

La déscolarisation de l'espace de l'école, comme élément d'autonomisation et de responsabilisation sociale  2


Vers la participation enfantine par l’occupation et la déscolarisation de l’espace


  La participation des enfants à l'école commence certainement une ré-appropriation de l'espace et de la circulation.

     Il me semble évident que la pédagogie Freinet, par essence dépasse le cadre de la classe; même si elle n'a peut être pas été initialement prévue pour ou mesurée dans toutes ses conséquences, c'est quand même une pédagogie qui déborde.

  Nos collègues le savent bien, c'est souvent ce débordement qui inquiète celui qui, convaincu, souhaite se lancer en PF.  On sait bien que les pratiques coopérative, créatrices et émancipées de nos élèves vont avoir des conséquences bien au delà de la classe; cela va se savoir dans l'école que nos élèves sont par exemple libres de circuler, d'utiliser la photocopieuse, de regarder seuls un document vidéo, de se documenter tout aussi seuls en B.C.D.

  On sait bien aussi que c'est sur ce genre de tremblement de terre là que va se cristalliser parfois la résistance des collègues, plus rarement des parents à notre pédagogie.

 Il me semble donc que la question des structures et des institution destinées à la participation des enfants dans l'école ne servent absolument pas à susciter cette participation, mais plutôt à l'encadrer pour la rendre supportable, à nos collègues, notre hiérarchie et peut être à nous mêmes aussi.

    Mon expérience m'a montré que les règles qu'année après année nous avions mis en place dans notre classe pour encadrer le jaillissement naturel de la participation et de l'énergie enfantine, avaient souvent plus d'utilité pour moi, que pour mes élèves; c'est pourquoi, petit à petit, j'ai renoncé aux permis de circuler, aux ceintures de comportement, aux brevets d'utilisation, pour travailler directement sur le matériau de ce que les enfants me montraient: le désir, le dialogue, l'évaluation partagée de ce qui avait été accompli. Je trouve aujourd'hui que cela suffit bien.

   De même, j'ai très longtemps cru que l'émancipation des enfants dans la classe et dans l'école ne devait pas seulement être encadrée par des institutions, mais qu'elle devait être aussi progressive; c'est à dire que comme beaucoup de collègues, quand il y avait des problèmes, j'avais tendance à revenir en arrière; une salle n'avait pas été rangée, on supprime le droit de répéter seuls une danse pendant les récrés, par exemple.

    Je me rends compte aujourd'hui que ces retours en arrière étaient plus idéologiques que pratiques; en effet, ils n'apportaient en effet pas tellement d'amélioration, en tout cas pas plus qu'une sanction, et surtout, le retour toujours nécessaire à la normale, au droit de circuler et de travailler librement, n'en ressortaient pas plus renforcé et toujours aussi hasardeux.
  Aujourd'hui, il me semble que la réponse à des droits mal employés ne consiste peut être pas en un retrait des droits, mais plutôt en un surcroît de responsabilités.

   La participation enfantine me paraît ainsi débordante et sans retour, c'est sans doute pour cela quelle est dérangeante; elle aboutit à modifier petit à petit complètement l'espace de l'école, c'est à dire à le déscolariser.

     Je crois qu'on peut avoir deux abords vis à vis de l'organisation de cette participation, selon que l'on souhaite l'encadrer, ou que l'on souhaite se contenter de l'accompagner.

  Dans le premier cas, on verra des écoles et des classes formidables avec des Conseils d'enfants, des institutions, des espaces d'expression, des organisations d'enfants à l'échelle de l'école; mais cela nécessite un travail d'équipe énorme, une adhésion de quasiment tous les enseignants, un accord plus que bienveillant de la direction, etc.

   Si on se contente de l'accompagnement de la "libre participation enfantine", cela peut paraître plus facile et moins polémique; plus encore, le résultat est évident. Une classe ou deux fonctionnant de cette façon (c'est le cas dans l'école où je travaille actuellement/ Il est vrai que c'est facilité par le fait que je suis directeur), suffisent à transformer la géographie de l'école:
 - les visiteurs sont accueillis par des enfants qui leur répondent à l'interphone, voire au téléphone, les accompagnent,
- toutes les salles sont investies par des enfants qui développent des petits projets comme de répéter des danses, des chants, des sketchs, des expos mais font aussi de la peinture, de l'encre, "tout seuls"
- tous les temps sont utilisés; les enfants sont présents pendant les récrés
dans toutes les salles possibles, mais aussi sur le temps du déjeuner pour peu que l'instit participant accepte de rester sur place; c'est négociable.

   Ce qui me paraît intéressant dans cette démarche participative informelle mais importance c'est la conversion des esprits:
- les collègues, au départ "râlent" con,tre les enfants qui les obligent à
faire la queue devant le photocopier, qui sont présents dans la salle des maîtres; mais au bout d'un certain temps, ils perçoivent un aspect positif à cet état de fait.
- Ces enfants leur rendent très facilement et volontiers de nombreux services; ils acceptent de présenter leurs travaux devant leurs propres élèves, ce qui est motivant.
- Au bout d'un certain temps un nouveau bénéfice apparaît; ces enfants omniprésents dans tous les espaces, constituent également des agents d'apaisement de l'école; moins de vols puisque les locaux ne sont jamais ni déserts , ni ouverts à un enfant seuls (ils sont toujours plusieurs),
- les collègues découvrent que les enfants qui avaient le plus de problèmes dans les espaces collectifs et un peu désertés des adultes, comme la cour,
ou les couloirs, s'ils restent en classe, se tranquillisent, reprennent confiance en eux; du coup, les plaintes, les conflits baissent.
- Bien sûr, il reste tout de même des enfants dans la cour et ceux ci sont surveillés normalement; c'est leur choix. Ce sont en général les fanas de
foot, mais aussi des enfants qui, profitant que la cour est moins fréquentée, ont obtenu l'autorisation de sortir du matériel ludique ou sportif, pour leur libre utilisation ( on recourt aux "métiers" pour la responsabilité du matériel et du rangement). - Les parents , quand ils découvrent une école "occupée" par les enfants s'y sentent en général bien; du coup, si la grille est ouverte et s'ils sont
venus pour une affaire ou un projet donné, ils peuvent avoir inopinément l'occasion d'aider uin groupe d'enfants en difficulté avec une imprimante, un four à allumer, un gâteau auquel il manque un ingrédient... et ils trouvent naturellement leur place...


   Bien entendu, la question sous jacente à l'occupation de l'école par les enfants est une question de sécurité; l'option retenue permet en douceur, l'apprentissage de la gestion des risques et des responsabilités, mais suppose également la même démarche de la part des enseignants; ceux ci doivent renoncer à une "pseudo sécurité " qui est malheureusement de grande actualité (condamnations récentes) et par ailleurs la base même de al formation ou de la dé formation reçue dans les IUFM (ou auprès de certains collègues). Pour autant, l'enjeu me paraît de taille; c'est en libérant l'initiative, la circulation et l'occupation enfantine que l'on lutte certainement le plus efficacement contre l'ennui, la déception scolaire et  les violences et souffrances qui en découlent.

Laurent Ott,
2004 

 

La déscolarisation de l'espace de l'école, comme élément d'autonomisation et de responsabilisation sociale

 

Il n'est pas rare, à l'école, de rencontrer des collègues porteurs d'un discours pédagogique novateur qui se trouvent en butte avec une équipe, des parents ou même une partie de leur public.

Il n'est pas rare non plus de remarquer que d'autres enseignants qui affichent de toutes autres opinions adoptent des modes de fonctionnement qui, de fait, créent du changement dans les relations et les rapports éducatifs adultes/enfants alors qu'ils ne seraient d'accord entre eux sur aucune théorie.

C'est que la recherche de l'école et de l'équipe idéale égare et fait perdre un temps infini tant qu'on n'a pas compris qu'un changement réel, même minime est certainement plus productif que les batailles d'idées et de méthodes, du moins quand celles ci se cantonnent dans les salles des maîtres.

J'ai pu expérimenter au fil des années, comment des actes posés, sans revendication idéologique particulière étaient mieux à même d'être admis, voire d'être adoptés ou intégrés par des collègues qu'on aurait pu croire très éloignés des nouvelles pédagogies dans un premier temps.

Il y a en effet des petits changements, que l'on peut réaliser dans les écoles telles qu'elles sont et en dehors de sa classe, qui ne nécessitent ni l'adhésion de chacun (la réforme des mentalités), ni la transformation des structures institutionnelles (le « grand soir »).

Il en est ainsi de toutes les actions qui tendent à déscolariser l'espace de l'école. Dans ce domaine figurent tous les changements dans la manière de présenter, interdire ou autoriser les espaces en dehors de la classe, que ce soit à destination des enfants, des parents ou des collègues.

Ces changements ne sont jamais neutres et on rencontre souvent encore, peut être de plus en plus dans le contexte sécuritaire que nous vivons, des oppositions farouches de certains collègues. Il en est ainsi quand un enseignant décrète à lui seul « la fin du rang », et qu'il autorise ses élèves à monter ou sortir seuls de classe. Il y a même des écoles où ce genre de décision remet en cause tout le système de croyance de certains, enseignants ou directeurs qui sont persuadés que ce type de libération va entraîner automatiquement de la violence ou des accidents.

Bien entendu, il n'en est rien, du moins si l'enseignant donne vie à cette nouvelle liberté et prend le parti de restituer le temps libéré pour lui, dans l'attention portée à ses élèves ; de sorte que ce genre de libération des élèves du rang est une bataille en général assez facile à gagner dans une école ; l'enjeu pourrait ne pas paraître assez pédagogique ; il est pourtant essentiel ; le regard porté sur l'enfant en est profondément bouleversé : c'est de lui même qu'il vient travailler et, du coup, la distance s'amenuise avec le moment où il viendra travailler pour lui. L' école sort de son folklore, elle « déritualise » son entrée, elle devient lieu de travail, c'est ce que je nomme « déscolarisation ».

Bien entendu, cette transformation modeste de l'attitude enseignante va pouvoir évoluer ; le gain de temps, d'énergie disciplinaire perdue ne tarde pas à convaincre les collègues que d'autres choses tenues pour immuables peuvent être changées et répondent à la fois à la demande des enfants et à l'amélioration du climat de la classe : l'obligation de sortir en récréation, alors que certains enfants préfèrent travailler pour leur compte ou pour la classe est une étape essentielle.

En ne sortant pas en récréation, c'est l'espace même de la classe qui se déscolarise un petit peu ; les enfants qui demandent à travailler pour eux, pour le collectif, parfois même pour le maître démontrent une vérité qui choque toujours et dont Freinet a fait un invariant (le plus important selon moi), à savoir que ce n'est pas le jeu mais le travail qui est naturel à l'enfant !

A partir d'une toute petite réforme,  l'enseignant peut expérimenter en laissant ses élèves demeurer dans la classe que de nombreuses certitudes véhiculées par l'école ont la tête vide : les enfants travaillent vraiment s'ils comprennent leur travail et lui donnent du sens ; l'enseignant lui même ne voit plus la récréation de la même façon : si les enfants ne sont pas des fauves qu'il faut tenir le temps d'un cours, la récré ne peut plus être pour l'enseignant la pause dont il a tellement besoin ! Il découvre que cette récréation est inutile pour lui même et qu'il peut s'en servir lui aussi pour dialoguer, aider, écrire, discuter. avec ses élèves s'il le souhaite. En changeant les récréations, on peut ainsi insidieusement et sans le proclamer changer la vision par les  enseignants et les enfants de ce qui entoure les récréations, les cours eux mêmes. Ils ne sont plus des  exercices de force qui nécessitent des pauses ; ils peuvent être un temps de travail individuel et collectif absolument accepté et sans souffrance par les élèves ; le dolorisme scolaire en est ébranlé.

Bref l'enseignant qui en est à ce stade de la déscolarisation de l'espace et du temps scolaire, sans avoir touché à ses méthodes, est déjà sur la « mauvaise pente » ; il risque fort de prendre goût à ce que la situation scolaire lui masquait : le plaisir de travailler non pour mais avec des enfants comme on travaillerait au milieu de collègues.

Cette déscolarisation de l'espace pourrait paraître bien limitée, dans ses effets, mais également dans ses possibilités d'évolution ; car, enfin, après avoir « banalisé » les récrés, les montées et les descentes, on ne pourra plus changer grand chose sur ce mode…Justement si ! le champ est immense, et il nécessite certainement du temps pour convaincre, car il y a là certaines responsabilités à prendre collectivement entre adultes et aussi avec les enfants ; mais, de la même façon, le travail en école ouverte peut se développer tout doucement ; on ne ferme plus les grilles car on se rend compte qu'elles sont plus dangereuses fermées qu'ouvertes ; on permet aux parents qui ont du temps de remonter la BCD, de venir voir comment ça se passe à la cantine, de venir donner des coups de mains pour l'informatique, etc.

Le temps même de la cantine pourra être questionné ; petit à petit, dans cette école « qui devient industrieuse», les projets des enfants comme des adultes foisonnent ; on court après le temps et on finit par trouver pratique de permettre aux enfants qui restent à la cantine de remonter en classe sitôt terminé leur repas ; les autres enseignants ont tendance à rester aussi dans leurs classes pendant ce temps de déjeuner et à faire de même ; l'école est ainsi pleine d'adultes et d'enfants qui poursuivent leurs projets de travail.

Que peut on dire de l'effet de ces petits changements ? Il ne s'agit certainement pas de la solution de l'échec scolaire, mais il s'agit indéniablement de transformations significatives des représentations des uns et des autres, d'évolution du statut de l'enfant, ne serait ce que dans le regard porté sur lui ou dans le fait qu'il peut se découvrir acteur de sa propre éducation.

Ce type de transformation s'opère dans l'espace « interpersonnel » dans le sens où il n'est le fait ni d'un individu isolé, ni d'une collectivité organisée ; ces changements s'opèrent par influence directe et progressive des individus entre eux.

 

Laurent OTT, 2004.