Vers la participation enfantine par
l’occupation et la déscolarisation de l’espace
La participation des enfants à l'école commence certainement une
ré-appropriation de l'espace et de la circulation.
Il me semble évident que la pédagogie Freinet, par
essence dépasse le cadre de la classe; même si elle n'a peut être pas été
initialement prévue pour ou mesurée dans toutes ses conséquences, c'est quand
même une pédagogie qui déborde.
Nos collègues le savent bien, c'est souvent ce débordement qui inquiète
celui qui, convaincu, souhaite se lancer en PF. On sait bien que les
pratiques coopérative, créatrices et émancipées de nos élèves vont avoir des
conséquences bien au delà de la classe; cela va se savoir dans l'école que nos
élèves sont par exemple libres de circuler, d'utiliser la photocopieuse, de
regarder seuls un document vidéo, de se documenter tout aussi seuls en B.C.D.
On sait bien aussi que c'est sur ce genre de tremblement de terre là que
va se cristalliser parfois la résistance des collègues, plus rarement des
parents à notre pédagogie.
Il me semble donc que la question des structures et des institution
destinées à la participation des enfants dans l'école ne servent absolument pas
à susciter cette participation, mais plutôt à l'encadrer pour la rendre
supportable, à nos collègues, notre hiérarchie et peut être à nous mêmes aussi.
Mon expérience m'a montré que les règles qu'année après
année nous avions mis en place dans notre classe pour encadrer le jaillissement
naturel de la participation et de l'énergie enfantine, avaient souvent plus
d'utilité pour moi, que pour mes élèves; c'est pourquoi, petit à petit, j'ai
renoncé aux permis de circuler, aux ceintures de comportement, aux brevets
d'utilisation, pour travailler directement sur le matériau de ce que les
enfants me montraient: le désir, le dialogue, l'évaluation partagée de ce qui
avait été accompli. Je trouve aujourd'hui que cela suffit bien.
De même, j'ai très longtemps cru que l'émancipation des enfants
dans la classe et dans l'école ne devait pas seulement être encadrée par des
institutions, mais qu'elle devait être aussi progressive; c'est à dire que
comme beaucoup de collègues, quand il y avait des problèmes, j'avais tendance à
revenir en arrière; une salle n'avait pas été rangée, on supprime le droit de
répéter seuls une danse pendant les récrés, par exemple.
Je me rends compte aujourd'hui que ces retours en arrière
étaient plus idéologiques que pratiques; en effet, ils n'apportaient en effet
pas tellement d'amélioration, en tout cas pas plus qu'une sanction, et surtout,
le retour toujours nécessaire à la normale, au droit de circuler et de
travailler librement, n'en ressortaient pas plus renforcé et toujours aussi hasardeux.
Aujourd'hui, il me semble que la réponse à des droits mal employés ne
consiste peut être pas en un retrait des droits, mais plutôt en un surcroît de
responsabilités.
La participation enfantine me paraît ainsi débordante et sans
retour, c'est sans doute pour cela quelle est dérangeante; elle aboutit à
modifier petit à petit complètement l'espace de l'école, c'est à dire à le
déscolariser.
Je crois qu'on peut avoir deux abords vis à vis de
l'organisation de cette participation, selon que l'on souhaite l'encadrer, ou
que l'on souhaite se contenter de l'accompagner.
Dans le premier cas, on verra des écoles et des classes formidables avec
des Conseils d'enfants, des institutions, des espaces d'expression, des
organisations d'enfants à l'échelle de l'école; mais cela nécessite un travail
d'équipe énorme, une adhésion de quasiment tous les enseignants, un accord plus
que bienveillant de la direction, etc.
Si on se contente de l'accompagnement de la "libre
participation enfantine", cela peut paraître plus facile et moins
polémique; plus encore, le résultat est évident. Une classe ou deux
fonctionnant de cette façon (c'est le cas dans l'école où je travaille
actuellement/ Il est vrai que c'est facilité par le fait que je suis
directeur), suffisent à transformer la géographie de l'école:
- les visiteurs sont accueillis par des enfants qui leur répondent à
l'interphone, voire au téléphone, les accompagnent,
- toutes les salles sont investies par des enfants qui développent des petits
projets comme de répéter des danses, des chants, des sketchs, des expos mais
font aussi de la peinture, de l'encre, "tout seuls"
- tous les temps sont utilisés; les enfants sont présents pendant les récrés
dans toutes les salles possibles, mais aussi sur le temps du déjeuner pour peu
que l'instit participant accepte de rester sur place; c'est négociable.
Ce qui me paraît intéressant dans cette démarche participative
informelle mais importance c'est la conversion des esprits:
- les collègues, au départ "râlent" con,tre les enfants qui les
obligent à
faire la queue devant le photocopier, qui sont présents dans la salle des
maîtres; mais au bout d'un certain temps, ils perçoivent un aspect positif à
cet état de fait.
- Ces enfants leur rendent très facilement et volontiers de nombreux services;
ils acceptent de présenter leurs travaux devant leurs propres élèves, ce qui
est motivant.
- Au bout d'un certain temps un nouveau bénéfice apparaît; ces enfants
omniprésents dans tous les espaces, constituent également des agents
d'apaisement de l'école; moins de vols puisque les locaux ne sont jamais ni
déserts , ni ouverts à un enfant seuls (ils sont toujours plusieurs),
- les collègues découvrent que les enfants qui avaient le plus de problèmes
dans les espaces collectifs et un peu désertés des adultes, comme la cour,
ou les couloirs, s'ils restent en classe, se tranquillisent, reprennent
confiance en eux; du coup, les plaintes, les conflits baissent.
- Bien sûr, il reste tout de même des enfants dans la cour et ceux ci sont surveillés
normalement; c'est leur choix. Ce sont en général les fanas de
foot, mais aussi des enfants qui, profitant que la cour est moins fréquentée,
ont obtenu l'autorisation de sortir du matériel ludique ou sportif, pour leur
libre utilisation ( on recourt aux "métiers" pour la responsabilité
du matériel et du rangement). - Les parents , quand ils découvrent une école
"occupée" par les enfants s'y sentent en général bien; du coup, si la
grille est ouverte et s'ils sont
venus pour une affaire ou un projet donné, ils peuvent avoir inopinément
l'occasion d'aider uin groupe d'enfants en difficulté avec une imprimante, un
four à allumer, un gâteau auquel il manque un ingrédient... et ils trouvent
naturellement leur place...
Bien entendu, la question sous jacente à l'occupation de l'école
par les enfants est une question de sécurité; l'option retenue permet en
douceur, l'apprentissage de la gestion des risques et des responsabilités, mais
suppose également la même démarche de la part des enseignants; ceux ci doivent
renoncer à une "pseudo sécurité " qui est malheureusement de grande
actualité (condamnations récentes) et par ailleurs la base même de al formation
ou de la dé formation reçue dans les IUFM (ou auprès de certains collègues).
Pour autant, l'enjeu me paraît de taille; c'est en libérant l'initiative, la
circulation et l'occupation enfantine que l'on lutte certainement le plus
efficacement contre l'ennui, la déception scolaire et les violences et souffrances qui en découlent.
Laurent Ott,
2004
Il n'est pas rare, à l'école, de rencontrer des collègues
porteurs d'un discours pédagogique novateur qui se trouvent en butte avec une
équipe, des parents ou même une partie de leur public.
Il n'est pas rare non plus de
remarquer que d'autres enseignants qui affichent de toutes autres opinions
adoptent des modes de fonctionnement qui, de fait, créent du changement dans
les relations et les rapports éducatifs adultes/enfants alors qu'ils ne
seraient d'accord entre eux sur aucune théorie.
C'est que la recherche de l'école et de l'équipe idéale
égare et fait perdre un temps infini tant qu'on n'a pas compris qu'un
changement réel, même minime est certainement plus productif que les batailles
d'idées et de méthodes, du moins quand celles ci se cantonnent dans les
salles des maîtres.
J'ai pu expérimenter au fil des années, comment des actes
posés, sans revendication idéologique particulière étaient mieux à même d'être
admis, voire d'être adoptés ou intégrés par des collègues qu'on aurait pu
croire très éloignés des nouvelles pédagogies dans un premier temps.
Il y a en effet des petits changements, que l'on peut
réaliser dans les écoles telles qu'elles sont et en dehors de sa classe, qui ne
nécessitent ni l'adhésion de chacun (la réforme des mentalités), ni la
transformation des structures institutionnelles (le « grand soir »).
Il en est ainsi de toutes les actions qui tendent à
déscolariser l'espace de l'école. Dans ce domaine figurent tous les changements
dans la manière de présenter, interdire ou autoriser les espaces en dehors de
la classe, que ce soit à destination des enfants, des parents ou des collègues.
Ces changements ne sont jamais neutres et on rencontre
souvent encore, peut être de plus en plus dans le contexte sécuritaire que nous
vivons, des oppositions farouches de certains collègues. Il en est ainsi quand
un enseignant décrète à lui seul « la fin du rang », et qu'il autorise ses
élèves à monter ou sortir seuls de classe. Il y a même des écoles où ce genre
de décision remet en cause tout le système de croyance de certains, enseignants
ou directeurs qui sont persuadés que ce type de libération va entraîner
automatiquement de la violence ou des accidents.
Bien entendu, il n'en est rien, du moins si l'enseignant
donne vie à cette nouvelle liberté et prend le parti de restituer le temps
libéré pour lui, dans l'attention portée à ses élèves ; de sorte que ce genre
de libération des élèves du rang est une bataille en général assez facile à
gagner dans une école ; l'enjeu pourrait ne pas paraître assez pédagogique ; il
est pourtant essentiel ; le regard porté sur l'enfant en est profondément
bouleversé : c'est de lui même qu'il vient travailler et, du coup, la distance
s'amenuise avec le moment où il viendra travailler pour lui. L' école sort de
son folklore, elle « déritualise » son entrée, elle devient lieu de
travail, c'est ce que je nomme « déscolarisation ».
Bien entendu, cette transformation modeste de l'attitude
enseignante va pouvoir évoluer ; le gain de temps, d'énergie disciplinaire
perdue ne tarde pas à convaincre les collègues que d'autres choses tenues pour
immuables peuvent être changées et répondent à la fois à la demande des enfants
et à l'amélioration du climat de la classe : l'obligation de sortir en
récréation, alors que certains enfants préfèrent travailler pour leur compte ou
pour la classe est une étape essentielle.
En ne sortant pas en récréation, c'est l'espace même de la
classe qui se déscolarise un petit peu ; les enfants qui demandent à travailler
pour eux, pour le collectif, parfois même pour le maître démontrent une vérité
qui choque toujours et dont Freinet a fait un invariant (le plus important
selon moi), à savoir que ce n'est pas le jeu mais le travail qui est naturel à
l'enfant !
A partir d'une toute petite réforme, l'enseignant peut
expérimenter en laissant ses élèves demeurer dans la classe que de nombreuses
certitudes véhiculées par l'école ont la tête vide : les enfants travaillent
vraiment s'ils comprennent leur travail et lui donnent du sens ; l'enseignant
lui même ne voit plus la récréation de la même façon : si les enfants ne sont
pas des fauves qu'il faut tenir le temps d'un cours, la récré ne peut plus être
pour l'enseignant la pause dont il a tellement besoin ! Il découvre que cette
récréation est inutile pour lui même et qu'il peut s'en servir lui aussi pour
dialoguer, aider, écrire, discuter. avec ses élèves s'il le souhaite. En
changeant les récréations, on peut ainsi insidieusement et sans le proclamer
changer la vision par les enseignants
et les enfants de ce qui entoure les récréations, les cours eux mêmes. Ils ne
sont plus des exercices de force qui
nécessitent des pauses ; ils peuvent être un temps de travail individuel et
collectif absolument accepté et sans souffrance par les élèves ; le dolorisme
scolaire en est ébranlé.
Bref l'enseignant qui en est à ce stade de la
déscolarisation de l'espace et du temps scolaire, sans avoir touché à ses
méthodes, est déjà sur la « mauvaise pente » ; il risque fort de
prendre goût à ce que la situation scolaire lui masquait : le plaisir de
travailler non pour mais avec des enfants comme on travaillerait au milieu de
collègues.
Cette déscolarisation de l'espace pourrait paraître bien
limitée, dans ses effets, mais également dans ses possibilités d'évolution ;
car, enfin, après avoir « banalisé » les récrés, les montées et les descentes,
on ne pourra plus changer grand chose sur ce mode…Justement si ! le champ
est immense, et il nécessite certainement du temps pour convaincre, car il y a
là certaines responsabilités à prendre collectivement entre adultes et aussi
avec les enfants ; mais, de la même façon, le travail en école ouverte peut se
développer tout doucement ; on ne ferme plus les grilles car on se rend compte
qu'elles sont plus dangereuses fermées qu'ouvertes ; on permet aux parents qui
ont du temps de remonter la BCD, de venir voir comment ça se passe à la
cantine, de venir donner des coups de mains pour l'informatique, etc.
Le temps même de la cantine pourra être questionné ; petit à
petit, dans cette école « qui devient industrieuse», les projets des enfants
comme des adultes foisonnent ; on court après le temps et on finit par trouver
pratique de permettre aux enfants qui restent à la cantine de remonter en classe
sitôt terminé leur repas ; les autres enseignants ont tendance à rester aussi
dans leurs classes pendant ce temps de déjeuner et à faire de même ; l'école
est ainsi pleine d'adultes et d'enfants qui poursuivent leurs projets de
travail.
Que peut on dire de l'effet de ces petits changements ? Il
ne s'agit certainement pas de la solution de l'échec scolaire, mais il s'agit
indéniablement de transformations significatives des représentations des uns et
des autres, d'évolution du statut de l'enfant, ne serait ce que dans le regard
porté sur lui ou dans le fait qu'il peut se découvrir acteur de sa propre
éducation.
Ce type de transformation s'opère dans l'espace «
interpersonnel » dans le sens où il n'est le fait ni d'un individu isolé, ni
d'une collectivité organisée ; ces changements s'opèrent par influence directe
et progressive des individus entre eux.
Laurent OTT, 2004.