Les quatre axes d’une évolution sécuritaire et actuelle de l’École

 

 

Par Laurent Ott,

Éducateur et enseignant, docteur en Philosophie

 

 

   Même si l’idée paraît surprenante, il est possible que les changements  les modifications les plus significatifs, dans le domaine scolaire, ne découlent pas forcément d’une  nouvelle Loi d’Orientation (limitée dans son contenu), qui a fait couler beaucoup d’encre, mais plutôt d’éléments plus discrets contenus dans d’autres lois et réglementations récentes (Lois de décentralisation et Loi Borloo) ,dans la montée en puissance de dispositifs de concertation et de collaboration à l’échelon communal, notamment ou encore en gestation dans des recommandations issues de rapports ministériels (rapport Benisti, notamment).

 

  La  Loi de Cohésion Sociale, par exemple, ne présente pas seulement des éléments concernant l’emploi et le logement : elle fait également, ce qui est loin d’être l’usage,  une forte incursion dans le domaine de l’École dans le domaine de l’École.

 

   Les éléments concernant l’École, issus de cette Loi viennent ainsi s’ajouter à d’autres éléments convergents qui étaient contenus dans la récente Loi de décentralisation, qui avait motivé la mobilisation en 2002 du Monde enseignant.

 

   Dans un contexte où elle est souvent décrite comme étant en crise, et dans la mesure où les éléments mis en avant pour illustrer cette crise (difficultés de certains enseignants, découragement scolaire, ennui des élèves, renforcement des inégalités de résultats, difficultés liées à la gestion de l’hétérogénéité des niveaux des élèves par les enseignants, comportements dits d’incivilité) ne font presque jamais l’objet d’un travail de mise à plat et de recherche d’explications global, l’École fait perpétuellement l’objet de déclarations politiques, de propositions « d’experts », et d’un « traitement médiatique » renforcé qui brouillent les pistes et facilitent l’amalgame des difficultés de l’École, celles des élèves, des familles et les assimile à des thèmes fourre tout tels que le développement de l’insécurité ou la mise en cause de groupes sociaux fragilisés.

 

   Du coup, il n’est pas étonnant que l’ensemble des réformes portant sur l’organisation de l’École mais aussi sur l’évolution des pratiques enseignantes et le traitement des difficultés scolaires rappelle par ses méthodes, son vocabulaire et ses objectifs affichés un discours et des pratiques que l’on peut qualifier de sécuritaires.

 

On assiste ainsi particulièrement au développement ou au renforcement  d’affirmation de nouveaux objectifs, de collaborations et de pratiques dont la répétition et  l’importance deviennent remarquables, et qui sont associées explicitement à des objectifs de « sécurité publique » et de « prévention de la délinquance » (rapport Benisti) ; quatre éléments illustrent particulièrement bien cette tendance :

 

 

1. L’École comme lieu de dépistage précoce des inadaptations sociales

 

Le rapport Benisti a mis encore l’accent récemment et sans doute d’une façon caricaturale sur une tendance réelle et durable gouvernementale d’attribuer à l’école primaire des objectifs de dépistage et d’évaluation précoces, « à visée préventive » de différents signes d’inadaptation sociale ou scolaire.

 

Depuis le Ministère de F Bayrou, on n’a cessé par exemple d’inciter au dépistage de « troubles orthophoniques » avant l’apprentissage obligatoire de la lecture, c’est à dire en école maternelle. Plus anciennement encore, le redéploiement des GAP en RASED s’était accompagné du renforcement de la mission de ces RASED dans les dépistage précoce des signes d’inadaptation scolaire chez les jeunes enfants.

 

A la fin des années 80 et tout au long des années 90, les pratiques des GAP puis des RASED se sont petit à petit éloignées des fonctions d’accompagnement long et durable des élèves en difficulté pour voir leurs missions recentrées sur des actions de dépistage, diagnostic, concertation. On avait déjà vu disparaître dans les années 80, de la composition de ces équipes et de la formation professionnelle y préparant, la spécialité de « rééducation psychomotrice » (qui correspondrait pourtant, selon le témoignage de nombreux enseignants de l’école primaire, aux besoins et aux difficultés d’enfants chez qui une « une instabilité psychomotrice » est souvent mise en avant). A l’inverse, à partir de la fin des années 80, les nouveaux RASED ont vu conjointement et  leur composition diminuer et leur secteur s’accroître sans cesse ; un tel redéploiement s’est accompagné d’objectifs resserrés,  au profit d’un primat de la fonction de détection et de suivi précoce des enfants en difficulté ; les rares prises en charge directes  des enfants subsistantes ont eu tendance à régresser vers des  rééducations beaucoup plus courtes et centrées uniquement sur l’école et les apprentissages.

 

Le Ministère Ferry a marqué encore un net accroissement de cette tendance au dépistage précoce des éventuelles difficultés et inadaptations scolaires dès le plus jeune âge. L’école primaire et donc même maternelle s’est ainsi vue confier la mission de mettre en place un « plan de lutte contre l’illettrisme » y compris avant l’âge de l’apprentissage obligatoire de la lecture.

 

D’une façon générale on perçoit  à travers les programmes et les missions qui sont confiées à l’école un mouvement continu de réduction des intérêts éducatifs autour des questions d’apprentissage réduites souvent au « lire, écrire, compter ». Les difficultés éventuelles des enfants sont toutes interprétées en fonction de ces objectifs et le dépistage précoce des inadaptations vise à repérer tout élément qui viendrait mettre en péril la réussite de ces objectifs ; pour autant, ce sont bien  en général des problèmes de comportement qui sont mis en avant comme source de difficulté et de réussite des apprentissages fondamentaux.

 

Ce mouvement continu est encore appelé raisonnablement à s’accentuer ; le développement des outils d’évaluation obligatoires à l’école élémentaire et maternelle ne fait que se renforcer ; la filialisation des élèves, leur suivi dans la durée à partir de diagnostics précoces se développe (introduction des évaluations CP, passage de tests psychotechniques pour des cohortes entières d’enfants en grande section, obligation de rédiger systématiquement des PPAP en CE2 pour tous les enfants ayant eu des résultats inférieurs à certaines normes; outils de suivi école/ collèges à renseigner obligatoirement et faisant mention d’éléments aussi privés que les suivis thérapeutiques ou orthophoniques extérieurs) ; ce mouvement se développe par ailleurs en conservant certaines caractéristiques :

 

-         Il s’opère à moyens techniques et en personnel égal ; c’est un redéploiement de l’activité des RASED, des médecins scolaires et des enseignants ; les suivis sont renvoyés sur l’extérieur de l’école, alors que l’on sait que la psychiatrie infanto – juvénile est exsangue et que les possibilités des centres de  soins psychopédagogiques publics à l’extérieur de l’école sont saturées. Par ailleurs, comme le dénoncent certains syndicats (SUD, FSU), le temps pris pour ces évaluations, la rédaction des projets individualisés , les concertations et les documents qui en découlent sont aussi du temps retiré à la vie de classe, au suivi directe des enfants  et au travail éducatif dans son ensemble.

 

-         Cette tendance correspond à un double mouvement d’annexion et d’éjection de l’environnement de l’enfant ; si les problèmes sont évalués à l’école, leur prise en charge est le plus souvent renvoyée à l’extérieur ; par ailleurs, l’environnement de l’enfant est très fortement mobilisé : appel aux parents lors des équipes éducatives et CCPE, mobilisation de ceux -ci pour assurer les transports, les transferts sur les lieux de soins, d’éducation et d’orthophonie ;  appel à leurs moyens financiers propres quand les services publics sont saturés ; par ailleurs, il semble bien que plus les parents sont sollicités en tant que responsables de la prise en charge des  difficultés de leur enfant, moins ils sont appelés ou reconnus comme partenaires ordinaires et de plein droit de la vie et de l’organisation de l’école ; la piètre semaine des parents à l’école, instaurée par S Royal a fait long feu et au même moment les plans Vigie-Pirates (il faudrait aussi citer les tracasseries administratives dissuasives pour solliciter l’intervention même exceptionnelle  de parents dans la vie de l’école) renforcés ont eu raison de la participation directe des parents à la vie de l’école,

 

-         Cette tendance au dépistage précoce s’accorde bien entendu avec l’annonce de re création de filières au collège, et la « revalorisation » des orientations précoces, souhaitée par L Ferry, et permises par la nouvelle Loi d’Orientation,

 

 

         Malgré les intentions affichées et généreuses de lutter contre l’échec scolaire, il s’avère que le mouvement actuel de dépistage précoce des difficultés scolaires des enfants repose en fait sur une double et préoccupante ambiguïté :

 

-         les difficultés sociales et psychoaffectives des enfants pèsent lourdement dans les évaluations pratiquées à l’école élémentaire et surtout maternelle ; ce sont souvent des comportements plus que des compétences qui sont mises en avant pour décider de la mise en place de dispositifs spécifiques à certains élèves ; les difficultés scolaires des enfants issus de milieu très défavorisé sont ainsi en danger d’être lourdement pénalisées, à la fois sur le plan du traitement disciplinaire et sur le plan de leur avenir scolaire,

 

-         en faisant de plus en plus largement appel aux parents et aux ressources éducatives du milieu pour répondre aux difficultés scolaires et éducatives des enfants, le danger est grand d’accentuer les inégalités sociales, culturelles et éducatives d’une part, et de pénaliser ceux parmi les parents qui n’ont pas les moyens de répondre à ce genre de mobilisation, d’autre part,

 

 

 

2. L’École dans une logique de renforcement des rapports hiérarchiques et de standardisation des pratiques pédagogiques

 

     Le renforcement de l’évaluation des enfants à l’école élémentaire ne va pas sans s’accompagner de celui des équipes, et, plus sûrement encore, des enseignants ; bien que l’organisation de la hiérarchie à l’école élémentaire fasse l’objet de critiques continues, que ce soit de la part des personnels intéressés , mais également des rapports officiels successifs commandés sur ce sujet, l’exercice de l’autorité des Inspecteurs primaires et maternels (les IEN) n’a fait que se renforcer ces vingt dernières années.

 

  Présentée davantage comme un support d’aide et de progrès l’inspection reste aujourd’hui une épreuve très largement redoutée par les nouveaux enseignants, comme par les anciens ; sa rareté même contribue à en renforcer l’aspect dramatique ; par ailleurs, malgré les textes et les intentions de donner une plus large place au travail en équipe dans les écoles primaires, les inspection restent aujourd’hui strictement individuelles à quelques rares exceptions près.

 

  Plus encore, en dehors des inspections officielles qui restent rares, se sont multipliées d’autres formes de contrôle du travail des enseignants, beaucoup plus effectives encore y compris à distance ; il faudrait citer dans cette catégorie le travail des conseillers pédagogiques qui accompagnent les nouveaux enseignants, ou ceux, parmi eux qui sont désignés comme étant en difficulté ; travaillant en étroite collaboration avec les Inspecteurs, ils bénéficient largement de leur autorité même si officiellement, leur pouvoir est très limité ; dans les faits, les conseillers pédagogiques sont tout à fait en mesure d’imposer des méthodes de travail, des outils didactiques qui ne font pas consensus et qui vont bien au delà des limites de la liberté pédagogique théorique des enseignants.

 

    Le travail en équipe de circonscription, la multiplication des heures dites de concertation obligatoire entre enseignants et équipe de l’Inspection (permises par la 27ème heure) ont multiplié l’emprise et l’autorité de la hiérarchie dans le quotidien des écoles.

 

  La possibilité largement exploitée par les Inspecteurs de demander en tout temps toutes sortes de documents tels qu’emplois du temps, progressions, supports d’évaluation, de les critiquer, d’imposer leur modification, constitue également une source de pouvoir et d’influence de l’administration dans les écoles très importante.

 

   A l’échelon national, la liberté pédagogique laissée aux enseignants en matière de méthodes d’enseignements, de rythmes et de pratiques est en passe de devenir de plus en plus théorique avec la multiplication récente, à côté des traditionnels programmes, d’outils d’évaluation, de dossiers techniques, de documents présentant des « bonnes pratiques », qui sont déjà présentés ici ou là comme obligatoires.

 

  Enfin, la sollicitation des directeurs d’école primaire, malgré le peu de temps et d’avantages qui leur sont accordés (ce qui a mis cette fonction en crise grave et durable) constitue également une source de pression indirecte sur les enseignants ; de ce point de vue les projets de regroupement des écoles primaires en établissements publics avec à leur tête des chefs d’établissement renforceront sans doute cette tendance étant entendu que ce qui constitue actuellement encore la  limite la plus solide du pouvoir de contrôle de la liberté pédagogique des enseignants à l’école primaire, est l’épuisement et la lassitude des acteurs eux mêmes, à commencer par les directeurs.

 

   Par ailleurs, la récente réforme de l’État offre dorénavant une plus grande place pour la notation « au mérite », y compris des enseignants, en fonction de la réalisation d’objectifs choisis et imposés de l’extérieur des établissements ; le recours par la hiérarchie des enseignants à ces méthodes de notation et d’évaluation va permettre sans nul doute le renforcement de l’influence des bonnes pratiques et la standardisation de l’enseignement.

 

  En renforçant le contrôle direct et indirect du travail des enseignants, le gouvernement réussit très efficacement à diminuer concrètement, à l’inverse souvent des intentions affichées, la marge de manœuvre et d’autonomie  des enseignants de l’école primaire.

 

  Or, cette marge de manœuvre et d’autonomie en passe d’être limitée ou perdue, si elle peut rassurer certains enseignants, constitue une certaine forme de déqualification de l’acte d’enseigner qui perd sa fonction ingéniérale, pour renforcer une fonction technique ; la marge de dialogue, de créativité éducative avec les enfants et les parents est largement menacée par une tendance qui diminue les possibilités d’ajustement et surtout de participation et de démocratisation du fonctionnement des écoles.

 

  La technicisation de la fonction enseignante qui va de pair avec le renforcement du contrôle des méthodes employées, sape le mouvement certes lent mais ancien de démocratisation de l’école et de participation à sa vie et à son fonctionnement des enfants et des parents d’élèves ; la technicisation accrue du travail d’enseignant apporte en retour une pseudo légitimité scientifique qui éloigne la contestation sociale et la revendication de participer des parents comme des élèves ; il n’est donc pas étonnant que nombre d’enseignants accueillent favorablement ces évolutions qui déqualifient pourtant leur métier mais qui semble aussi leur garantir un domaine réservé.

 

  Les fédérations de parents d’élèves ne se sont pas trompées, qui ont unanimement condamné la nouvelle Loi d’Orientation, en constatant que les parents en étaient tout simplement absents et que celle ci institutionnalisait, dans plusieurs domaine, un recul du droit des parents et des élèves à l’école.

 

3. Poursuite du principe de « concentration scolaire » et de gestion à l’échelle municipale ou intercommunale des « établissements publics »

 

 

    La baisse démographique sur le plan national  des effectifs des enfants en âge primaire constitue une source importante de motivation à la fois pour l’administration  de l’Éducation Nationale d’une part et les municipalités d’autre part pour mettre en œuvre de véritables restructurations des établissements scolaires primaires.

 

 

  Depuis les années 80, les différents Ministères de l’Éducation Nationale ont recherché d’abord à limiter le nombre d’écoles et de classes primaires en milieu rural ; partant d’un constat de non rentabilité d’un système dans lequel il existait autant de classes rurales qu’urbaines pour des effectifs très largement moindres, divers plans ont été mis en place pour fermer les classes uniques, regrouper les écoles de villages et plus récemment, mettre en place de regroupements pédagogiques (RPI) permettant de limiter également le nombre de classes multi-âges.

 

   Ignorant volontairement des résultats d’enquête qui attribuent régulièrement aux écoles de petit nombre de classes et aux classes multi-âges de meilleurs résultats et un climat éducatif bien plus favorable, les regroupements ont été et demeurent systématiques obligeant également de nombreux élèves à  subir de très longs transports en autocar.

 

 En ce qui concerne les classes rurales, l’administration de l’Éducation Nationale s’est heurtée et se heurte toujours dans ses velléités de regroupement à l’hostilité ou à la résistance des communes rurales qui voient dans la disparition ou l’éloignement des écoles une perte de vitalité, d‘activité et d’attractivité pour leur village.

 

 Il n’en est évidemment pas de même en milieu urbain ; la baisse démographique scolaire également sensible dans les Villes amène les municipalités à chercher à récupérer des locaux scolaires, coûteux en entretien et pouvant être convertis vers d’autres usages, dans une logique de regroupement et de limitation des coûts qui rencontre aussi l’intérêt de l’Éducation Nationale.

 

  En regroupant en milieu urbain deux ou trois écoles de faible nombre de classes, l’administration peut diminuer le nombre de postes de directeurs, rendre plus performant le partage de temps des ré éducateurs, et constitue surtout des équipes enseignantes plus importantes, ce qui est plus pratique pour les diriger et les contrôler.

 

    Depuis la mise en place des ZEP dans les années 80, les critères de réussite scolaire et de « climat éducatif » satisfaisant ont été volontairement définis du côté de la pédagogie ; ce serait avant tout par des manières d’enseigner, des méthodes et des pratiques différentes que s’expliqueraient les inégalités de réussite entre établissements recevant des enfants de même milieu social ; le facteur pourtant objectif du nombre de classes des écoles, de l’existence dans les écoles de locaux disponibles pour diversifier les activités, accroître le confort des élèves et des enseignants a été systématiquement minoré, alors qu’il est de l’avis de tous les acteurs le critère le plus effectif et le plus pertinent, surtout du point de vue de la qualité du climat de travail et de relations entre parents, enfants et professionnels.

 

   Les petites structures par l’espace d’expression et d’investissement individuel qu’elles permettent en interne, par une meilleure qualité du suivi et de l’accueil des individus ont un avantage considérable sur les grandes structures , toujours en danger d’adopter un fonctionnement de type « caserne », bien connu dans les années 50, et dénoncé depuis lors, par de nombreux courants pédagogiques.

 

  Les exigences de la productivité et du contrôle y compris en matière d’éducation et d’enseignement s’opposent pourtant au développement ou même à la survie de ces petites structures; y compris en milieu défavorisé, les exemples de regroupements d’écoles sont de plus en plus nombreux.

 

  Ils  sont encouragés également par la crise de la fonction de directeur d’école primaire et maternelle ; les regroupements permettent en effet aux directeurs « survivants » de bénéficier d’une décharge de temps de travail bien plus importante à partir de 10 classes (mi-temps de décharge) , puis de 13 (temps plein de décharge) …

 

  Les regroupements d’école sont presque toujours impopulaires auprès des enfants et des parents qui y voient à juste titre une dégradation des conditions d’éducation et d’enseignement ; par contre, ils s’opèrent souvent sans trop d’opposition de la part des enseignants qui bénéficient en contrepartie d’une priorité pour une mutation qui les intéresse.

 

   Si les regroupements « physiques » d’écoles apportent des gains de productivité ou « d’efficacité » non négligeables, ils sont par nature, limités à l’existence de poches d’écoles ou de classes sous exploitées ; d’autres formes de regroupement d’écoles ont donc été envisagés depuis quelques années, sous couvert de la Loi de décentralisation ou de la récente Loi Borloo. Il s’agit des EPLCE qui sont dans les faits des regroupements sous une même entité d’écoles distinctes sur le plan des bâtiments.

 

   Présentés comme un moyen de revitaliser la dynamique de travail en équipe et l’autonomie des établissements scolaires, en leur donnant une réelle existence administrative les EPLCE d’écoles primaires apportent surtout un gain évident dans la gestion et le contrôle de ces écoles sur au moins trois plans:

 

-la mise en place d’un véritable chef d’établissement à l’échelon de l’école primaire qui ignorait ce type de hiérarchie, permet de renforcer le contrôle des enseignants et des méthodes éducatives,

-         l’attribution des postes et des classes sur un pôle d’écoles (plutôt que sur une seule) permet une meilleure souplesse des moyens de remplacement, de remplissage optimum des classes par reversement d’une école à l’autre des enfants de même niveau, et de nombreuses économies d’encadrement technique.

-         La taille supérieure des équipes enseignantes ainsi définie permet d’envisager une véritable politique de ressources humaines à un échelon local et toutefois rentable.

 

 

  Enfin, les EPLCE,  en consacrant l’alliance des intérêts de l’administration de l’Éducation Nationale et des Municipalités au regroupement des écoles, offrent également aux Mairies un pouvoir d’intervention plus grand et plus efficace dans le fonctionnement des écoles .

 

4. Le renforcement de l’échelon municipal dans la vie des écoles

 

   Le développement des dispositifs territoriaux de réussite scolaire depuis les années 80 ont largement fait appel aux municipalités pour contribuer au développement de programmes éducatifs spécifiques ou renforcés.

 

  Les ZEP, puis les REP ont largement sollicité les Mairies à renforcer les dotations des écoles concernées, que ce soit en matériel ou en personnel intervenant en complément du personnel enseignant dans les écoles.

   D’autres programmes, d’ampleur nationale, comme celui du développement des langues notamment, ont également fait appel largement aux collectivités territoriales ; le développement de l’informatique à l’école, repris dans le socle commun et officialisé par la mise en place du B2I dès l’école élémentaire, sollicite également largement les mairies.

 

   Les organes de concertation et de pilotage des politiques territoriales ont donné également dans la même période une place très importante aux municipalités que ce soit dans les opérations de développement urbain, de politique de la Ville, ou plus récemment dans la lutte contre la délinquance et la sécurité publique (CLS et CLSPD). Le domaine éducatif ne fait pas exception au renforcement de ce pouvoir municipal : les CEL, mais également les « Veilles éducatives » constituent des comités et des structures de décisions et de pilotages de politiques éducatives qui concernent largement les écoles et dans lesquelles les municipalités ont une place incontournable, qui vient s’ajouter à leur rôle fondamental mais traditionnel dans les Conseils d’École.

 

     Le développement du rôle et de l’intervention des Municipalités en matière scolaire et d’éducation a abouti à multiplier les collaborations entre hiérarchie de l’Éducation Nationale et Municipalité, au détriment de l’indépendance des écoles et de ses acteurs ; ici ou là, ce sont les Mairies qui décident du bien fondé des classes et séjours transplantés, qui attribuent des primes ou des budgets à certaines écoles ou à certains enseignants, en fonction des rapports entretenus avec les écoles.

 

  L’influence des Municipalités ne fait que croître au sein des écoles, étant entendu que, pour les équipes enseignantes,  le maintien de « bonnes relations » avec les Mairies est devenu une nécessité pour continuer de bénéficier de dotations, de matériels ou tout simplement pour préserver parfois un fonctionnement pourtant souvent à peine suffisant.

 

  A fortiori,  le pouvoir des Villes ne cesse de croître dans les domaines complémentaires à l’école et qui sont entièrement de son ressort : cantines , garderies, centres de loisirs, séjours de vacances, activités sportives, péri éducatives, culturelles, etc. D                                                ans tous ces domaines, les Villes sont

en mesure  d’ouvrir ou de fermer leurs portes à telle ou telle catégorie de la population, comme, c’est souvent le cas, aux enfants dont les mères ne travaillent pas…

 

  Sur le plan de l’inscription même des enfants à l’école, dans de nombreuses villes, les Mairies se sont emparées du monopole de l’inscription des enfants, ce qui est déterminant en matière de scolarisation d’enfants étrangers en difficulté administrative; le pouvoir des directeurs d’inscrire directement les enfants est à la fois de moins en moins utilisé, et de plus en plus risqué pour ceux qui s’y aventurent.

 

   C’est donc dans un tel contexte qu’il faut apprécier les projets encore mal connus de regroupement des écoles primaires autour d’EPLCE dans les quels les Mairies détiendraient à la fois un pouvoir de financeur et de décisionnaire, c’est à dire un double pouvoir, par rapport aux acteurs éducatifs. Pour les Mairies, les EPLCE  constitueraient une source non négligeable de simplicité de gestion et surtout de relations avec les écoles : là où il y avait dix ou quinze directeurs d’écoles maternelles et primaires, très occupés en interne, très solidaires de leurs collègues dont ils partagent le statut, peu mobilisables, les Mairies pourraient se trouver dans un avenir très proche face à un ou deux chefs  d’établissements entièrement dépendants et sans doute pour une large part rémunérés en complément ou sous forme de primes directement  par les Villes (les Mairies auraient très certainement également leur rôle à joeur dans el choix ou le recrutement de ces « chefs » d’) .

 

    Il est important également de souligner comment et en quoi les EPLCE amènent également une baisse d’influence des parents d’élèves dans le fonctionnement des écoles, en minimisant le rôle des Conseils d’École qui ne seraient plus que… facultatifs.

 

   Enfin, les EPLCE s’offrent très vraisemblablement comme des instruments privilégiés des politiques municipales en matière éducative, avec tous les risques d’inégalités de traitement et de stigmatisation des individus et des minorités que ce soit vis à vis des acteurs éducatifs, incités à la docilité, que vis à vis des enfants et des familles.

Ce que la Loi Borloo accentue.

 

  De ce point de vue la Loi Borloo, en matière scolaire, s’inscrit à la fois en continuité et en accélération d’un mouvement plus ancien que l’on peut donc caractériser par trois facteurs : la concentration des équipements et équipes scolaires, le renforcement des liens de hiérarchie et de contrôle des enseignants et le renforcement du pouvoir municipal en matière éducative.

 

 

-         Elle offre un nouveau cadre d’action, les « dispositifs de réussite éducatives », qui s’intègrent particulièrement bien dans l’échelon municipal[1]

 

-         Elle donne notamment et précise l’assise juridique des  regroupements d’éducation, en les asseyant sur les anciennes Caisses d’École (où les municipalités sont prédominantes). [2]


   Elle inscrit surtout ces tendances dans une politique sociale, éducative et « de sécurité » plus vaste dont un le dénominateur le plus significatif est justement le développement du pouvoir municipal dans l’ensemble de ces domaines ; il faudrait citer ici le risque (selon les lieux, déjà inscrit dans la réalité) de gestion municipale directe des équipes de « Prévention spécialisée », dans le pouvoir d’attribuer les contingents HLM préfectoraux, dans la délégation de certaines missions de politique sociales ; ainsi on voit se dessiner le cumul local de pouvoirs à la fois éducatifs, sociaux et liés à la « sécurité publique » qui traduisent bien la confusion qui règne actuellement dans la pensée publique entre éducation, travail social et sécurité.

 

 



[1] « Article 128
Les dispositifs de réussite éducative mènent des actions d'accompagnement au profit des élèves du premier et du second degrés et de leurs familles, dans les domaines éducatif, périscolaire, culturel, social ou sanitaire.
Ils sont mis en oeuvre dès la maternelle, selon des modalités précisées par décret, par un établissement public local d'enseignement, par la caisse des écoles, par un groupement d'intérêt public ou par toute autre structure juridique adaptée dotée d'une comptabilité publique. »

[2] « Art. L. 1441-2. - Les établissement publics locaux de coopération éducative sont des établissements publics à caractère administratif créés par arrêté du représentant de l'État, sur proposition de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale intéressé. »