La fin de la
prévention spécialisée ?
Les fuites soigneusement
organisées autour des avant projet de Loi contre la délinquance, de Sarkozy à
de Villepin, semblent avoir en commun de témoigner d’une conception très
particulière de la prévention, pensée comme un élément d’une politique de
sécurité plus vaste et relevant d’un intérêt supérieur..
On ne s’étonnait déjà plus
depuis des années, de constater dans les déclarations ministérielle et dans les
médias, cette perpétuelle confusion dans le sens même du mot
« prévention », qui laisse supposer que la prévention consisterait en
fin de compte à « une répression précoce d’actes plus ou moins délictueux
et au dépistage et au suivi d’individus (ou groupes sociaux) considérés comme
étant à risques » .
Les fuites autour des projets
préliminaires, la première version de ce projet de loi, finalement mise sous le
boisseau, suit au départ du Ministre Sarkozy, témoignaient et témoignent
largement de cette tendance ; on a lu et on entend couramment que le but
des pratiques de prévention spécialisé serait de concourir à une politique de
sécurité ; on apprend dans le rapport Benisti, que le fait pour une
famille d’origine étrangère de parler sa langue, entre soi, constituerait en
soi un facteur de risque de délinquance pour les enfants, et devrait peu ou
prou à ce titre être découragé, voire réprimé.
Certes, les politiques de
prévention étaient déjà bien mal en point en France depuis les années 80, d’un
gouvernement à l’autre, comme en témoigne par exemple l’état exsangue d’un
secteur professionnel qui souffre de sous professionnalisation et de problèmes
récurrents de recrutement [1]
.
Depuis le milieu des années 80,
en effet, les pratiques des équipes de prévention spécialisée ont été
progressivement éloignées des référents du travail de rue qui avaient pourtant
donné du sens à cette profession ; on a ainsi vu décliner sur la scène
éducative des référents, des modèles et des pratiques pourtant fondamentales
comme « la rencontre au hasard », « le primat de la
relation », « le dialogue individuel » et la construction de
relations de confiance « gratuites » (c’est à dire dégagées dans un
premier temps des préoccupations sanitaires, ou liées à l’emploi ou au
logement), qui jusque là avaient constitué le coeur d’un métier.
A partir de la montée en charge
des préoccupations d’ordre sécuritaire, à partir des premières émeutes
urbaines, les équipes et les clubs de prévention, se sont peu à peu retrouvés
sommés, bien souvent, d’abandonner progressivement une telle conception de leur
travail afin de jouer le rôle, au dire des acteurs concernés, de
« pompiers sociaux ».
Les équipes des clubs de
prévention et leurs associations tutélaires ont souvent au gré des directives,
et sous la pression croissante des collectivités locales (sous l’effet de la
décentralisation et des politiques de territoire) été obligées de jouer
progressivement des cartes moins éducatives et moins relationnelles, mais plus
visibles, telles que la présence dans certains points du quartier, aux sorties
des collèges, la focalisation de leur activité autour des jeunes les plus
visible et les plus dérangeants (pas forcément ceux qui vont le plus mal) et
l’accompagnement de groupes, plutôt que des individus pris dans leur histoire.
On ne prend plus la peine
aujourd’hui de mettre en relation les moyens humains dérisoires consacrés à la
prévention, en comparaison des moyens énormes donnés à la Police, à la
Gendarmerie, à l’accompagnement judiciaire de la jeunesse et aux réponses
pénales qui leur sont réservées, tant il semble qu’une réelle politique
d’accompagnement éducatif préventif de la jeunesse de France n’est même plus à
l’ordre du jour.
Tout au plus, on semble
s’interroger sur les moyens d’incorporer progressivement les équipes et les
clubs de prévention (et au delà de l’ ensemble des structures socio éducatives
en lien avec la jeunesse), dans un ensemble répressif, coupé de tout projet
social.
Ce qui resterait des faibles
moyens consacrés à la prévention en usurperait dès lors le nom. Il ne s’agirait
plus que du premier étage de signalement et de dépistage des individus
« pressentis » comme susceptibles de s’inscrire dans un parcours
pénal, dont la Prison deviendrait un élément « banal ».
Dire qu’il s’agit là d’un
contresens social est un euphémisme.
Laurent Ott, Éducateur
spécialisé, enseignant, docteur en Philosophie
[1] Selon le rapport du groupe de
travail interinstitutionnel (minsitère, Association des Mîres deFrance,
Association des Départements de France), réalisé à partir de données de 2001/
2002, publié en date du 14/01/2005 et dressant un état des lieux du secteur,
les vacances de postes dans la Prévention Spécialisée concernent
essentiellement les postes éducatifs et sont de 11,34 % avecde fortes
disparités dans le sdépartements. Le taux de mobilité des personnels éducatifs
est également très important (18,3 % pour une année selon l’enquête !) et
seuls 48 % des postes éducatifs sont occupés par des éducateurs spécoialisés
diplômés d’etat, les autres postes étant occupés par des personnes justifiant
d’autres qualifications dont 20 % restent "inconnues" selon
l’enquête...