Les éducateurs, travailleurs sociaux, enseignants, animateurs ou tout simplement citoyens sont nombreux à constater chaque jour l’urgence et le manque de formes d’accueil adaptées aux besoins affectifs et éducatifs des enfants et des parents d’aujourd’hui. Ils constatent que les structures de garde et de loisirs traditionnelles marquent leurs limites et n’arrivent à concerner que trop faiblement voire, pas du tout ceux des enfants dont le parents semblent définitivement écartés de la sphère du travail et d’une quelconque insertion dans la vie culturelle, sociale et économique. Ceux là, les éducateurs, les animateurs le savent bien, ne bénéficient pas du suivi éducatif dont ils auraient besoin ; pire encore, dans de nombreuses villes, les enfants sont même souvent en danger de se voir rejetés des dernières structures collectives qu’ils fréquentent encore comme les cantines et les garderies au motif justement que leurs parents n’ont pas d’emploi. Dire que ces enfants, ces familles vivent en plus d’un isolement social une grande solitude éducative est un euphémisme.
Pour répondre à de tels besoins, il n’y pas d’autres solutions que de créer de nouveaux modes d’intervention éducative portés par l’initiative sociale et citoyenne ; ici ou là se sont organisés, le plus souvent dans la précarité et le manque de communication des modes d’accueil et d’accompagnement souvent innovants et performants qui n’ont jamais trouvé à se répandre.
Pour avoir contribué à Longjumeau, à la création d’un tel lieu (la Maison Robinson) , il me paraît important et nécessaire de témoigner à la fois de l’utilité et de la pertinence des lieux d’accueil et d’éducation en milieu ouvert … mais aussi de l’immense difficulté de parvenir à les ouvrir ou à les faire durer.
C’est une chose connue que l’innovation sociale et éducative même portées par des acteurs au fait des us et coutumes du secteur, est selon la formule consacrée « un parcours du combattant ». Ceux qui s’y sont essayés connaissent l’incroyable accumulation d’obstacles économiques, administratifs, les soupçons d’illégitimité de la part des institutions, les contraintes contradictoires, dignes de Kafka.
Mais cet aspect répulsif des choses pour efficace qu’il soit n’en constitue pas moins que la partie émergée de l’iceberg. Les rares collectifs porteurs de projets, qui auront survécu à ces épreuves s’en préparent de bien plus difficiles encore ; le stade de la pérennisation, la capacité pour le projet de se stabiliser, d’évoluer et de se transmettre est d’une complexité autrement plus redoutable surtout pour les porteurs de projets qui cherchent à travailler de façon coopérative en dehors des institutions :
- Les réelles associations qui regroupent usagers, et acteurs sociaux, engagées dans le développement éducatif et social, pour être indépendantes, n’en sont pas moins fragiles ; elles ne pèsent pas lourd dans les négociations avec les Collectivités ou les Administrations et elles sont toujours prises en tenailles entre deux dangers : celui de se laisser instrumentaliser par tel ou tel subventionneur (heureux de la possibilité de leur faire jouer le rôle de complément de ses propres services) , ou de ne pouvoir suffisamment compenser la pression des salariés qui risquent de mettre à mal le projet initial.
- les Municipalités soutiennent souvent fort mal les interventions de développement social et éducatif qu’elles ne peuvent pas contrôler et qu’elles ne sauraient réaliser par elles mêmes (cela grève d’ailleurs la question de l’opportunité de faire des Municipalités des « chefs d’orchestre » en matière de politique de prévention)…
- les Collectivités territoriales, même quand elles sont convaincues du bien fondé de l’action menée et de ses méthodes peinent à financer une action même innovante quand celle ci est uniquement locale ; elles peinent également à trouver des modes de subventions pérennes, ou à prendre en compte la globalité des charges d’une telle structure quand celle ci est hors tout agrément. Si des conventions pluri-annuelles sont parfois signées, que faire quand elles sont en dessous des besoins réels minimaux de fonctionnement, et fragilisent ainsi les structures ?
- Les subventionneurs privés, souvent indispensables au démarrage, laissent un grand vide quand ils doivent se retirer, qui n’est généralement pas pris en compte par les Institutions et collectivités.
- Les recherches perpétuelles de subventions, années après années, au gré des appels à projets et des critères changeants des opérations, épuisent les équipes comme les professionnels qui s’y collent, captent et détournent un temps énorme de l’objet du projet (un mois de travail à temps plein pour 15 000 € de subventions ? Combien pour 200 000 ?).
- La Politique de la Ville, dont un des objectifs était de simplifier la situation des associations, notamment pour la recherche des subventions, s’est montrée peu efficace du pont de vue des petites associations porteuses d’un projet d’accompagnement global et durable vis à vis de leur public. La multiplication des objectifs en interne, des priorités données donne un avantage énorme aux structures déjà bien implantées au détriment des petites actions innovantes portées par des associations autonomes.
- La précarité de l’action insécurise les salariés comme les responsables, et oblige à faire des économies sur l’encadrement des équipes et la gestion des projets. Le résultat est que les « militants » et les « salariés » débordés chacun à leur place se retrouvent souvent en conflit sans moyen de le gérer.
Les obstacles rencontrés par les porteurs de projets éducatifs et de prévention sont décidément trop nombreux, trop persistants et trop durables pour être mis sur le compte de la simple inertie des institutions.
Il s’agit bien en réalité de choix de société ; le choix d’éduquer est aujourd’hui un choix lourdement et doublement pénalisé, à la fois dans sa pratique professionnelle (par des conditions d’exercice difficiles et des mises en cause nombreuses) et du point de vue de l’innovation et de l’expérimentation. Il existe pourtant des alternatives éducatives face au danger de la généralisation de réponses sécuritaires et punitives à courte vue qui ont été et qui sont expérimentées dans la difficulté; des structures variées ont acquis des expériences précieuses, mais elles n’ont banalement pas eu la possibilité de les faire reconnaître et se multiplier.