A propos de la scolarisation et de la scolarité des enfants de 2 ans :

un débat malvenu qui ne fournit pas les preuves de la nocivité alléguée

 

 

Frédéric Jésu et Laurent Ott

Administrateurs de DEI-France

 

Histoire et développement de la scolarité pré-élémentaire

 

Même si elle fait depuis peu, en France, l’objet d’un débat dont le soudain surgissement et l’intensité peuvent susciter la perplexité, la possibilité de scolariser les enfants de 2 ans dans les classes dites « maternelles » est en fait aussi ancienne que l’école républicaine. Inscrite dans les lois organiques de 1881 et de 1886, elle résulte de la volonté affirmée par la IIIème République, et confirmée depuis, de promouvoir – sans la rendre obligatoire - la scolarisation pré-élémentaire (c’est-à-dire celle des enfants de 2-3 ans à 6 ans) en même temps que de favoriser, dans une moindre mesure, le développement des modes d’accueil des enfants de 0 à 3 ans, sous la forme notamment des crèches collectives puis des haltes garderies.

 

Ces dernières n’ont connu un véritable effort qualitatif et quantitatif que depuis les années 1970, grâce aux efforts conjoints des communes et des Caisses d’allocations familiales. Et ce n’est que récemment, au fil et à l’issue d’un long processus d’élaboration réglementaire concrétisé par le décret n° 2000-762 du 1er août 2000 « relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de six ans et modifiant le code de la santé publique », qu’elles ont commencé à s’émanciper de leurs références médicales et hygiénistes historiquement prédominantes pour s’ouvrir à des logiques explicites de projets éducatifs.

 

La montée de l’offre et de la demande de scolarisation pré-élémentaire a quant à elle précédé de quelques décennies cette évolution et a bénéficié en outre de l’amélioration des conditions d’accueil correspondantes.

 

La baisse démographique a tout d’abord permis un transfert des moyens dévolus aux classes élémentaires vers les classes dites « maternelles ». Tandis que, entre 1960-61 et 2001-2002, le nombre d’élèves du CP au CM2 des écoles publiques métropolitaines diminuait de plus de 900.000, celui des élèves du pré-élémentaire augmentait de 970.000. Dans le même temps, le taux de scolarisation des enfants de plus de 3 ans passait de 35% à près de 100%. La quasi totalité des enfants de 5 ans fréquente le préélémentaire depuis deux décennies.

 

Par ailleurs, en un quart de siècle, la taille moyenne des classes « maternelles » est passée de 40 à 26 élèves. Pour notable qu’elle soit, l’importance pédagogique de cette évolution des effectifs moyens doit être relativisée. Dans un avis de janvier 2001, le Haut conseil de l'évaluation de l'école (HCEE) indiquait en effet, à propos de l’ensemble des niveaux d’enseignement scolaire, que « pour être efficace, une politique de réduction de la taille des classes doit être très sélective » et que « certaines politiques s’avèrent plutôt plus efficientes, voire efficaces ou équitables, que la réduction de la taille des classes ».

 

Il convient de relativiser aussi la spécificité de l’offre française de scolarisation pré-élémentaire et de remarquer, s’agissant des pays de l’Union Européenne (avant l’élargissement de 2004) :

-          que la progression de la scolarisation à 4 ans y a globalement été spectaculaire depuis 1960, seules la Belgique, l’Espagne, l’Italie et le Royaume Uni atteignant le niveau français ;

-          que seules la Belgique, l’Espagne et la France inscrivent des enfants dans des établissements scolaires avant l’âge de 3 ans ;

-          que la durée de fréquentation du pré-élémentaire varie dans l’Union Européenne de 1 an 1/2 à 3 ans 1/2, la France se situant dans le peloton de tête ;

-          que dans 12 pays sur 15, les enfants de moins de 3 ans sont accueillis soit dans des établissements non scolaires à finalité éducative soit dans des « garderies » ou des « centres ludiques », mais que rares sont les pays qui emploient à ce niveau des personnels dont la formation est la même que celle des enseignants de l’élémentaire.

 

En France, dans les années 1980, les effets de la scolarisation pré-élémentaire ont fait l’objet de plusieurs études : la première d’entre elles, publiée dans la revue « Éducation et Formation » du ministère de l’Education Nationale, date de 1982 et sera poursuivie en 1983, 1984 et 1988. Toutes s’accordent à constater que l’« on observe en moyenne une amélioration des résultats scolaires à mesure que s’accroît la durée de la pré-scolarisation » à l’école « maternelle ».

 

Une étude plus précise, menée en 1988, portant sur 20.000 élèves et prenant en compte la catégorie socioprofessionnelle de leurs parents, a montré que le fait de fréquenter l’école « maternelle » 4 ans plutôt qu’un an fait passer le taux de redoublement du CP :

-          de 5 % à 1,1 % pour les catégories sociales les plus favorisées ;

-          de 13,5 % à 8,7 % pour les catégories sociales moyennes ;

-          de 24,7 % à 17,2 % pour les catégories sociales les plus défavorisées.

 

 

La relance et le développement inégal, à partir de 1989, de la scolarisation des enfants de moins de 3 ans

 

Les constats ci-dessus ont, parmi d’autres facteurs, amené le ministre de l’Education Nationale à souligner et préciser, dans la loi d’orientation du 10 juillet 1989 sur l’éducation, les conditions de scolarisation des enfants de 2 à 6 ans : « Tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l’âge de 3 ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus près possible de son domicile, si la famille en fait la demande. L’accueil des enfants de 2 ans est étendu en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne » (article L.113-1 du Code de l’éducation). Cette dernière mention tendait notamment à favoriser la scolarisation des enfants de 2 ans dans les écoles situées dans les zones d’éducation prioritaire (ZEP). Elle semblait reposer, entre autres hypothèses implicites, sur celle que formule la Défenseure des enfants dans le chapitre intitulé « Repenser l’accueil des enfants de 2-3 ans » qu’elle consacre à ce sujet aux pages 81 à 91 de son rapport annuel pour 2003, à savoir que « la scolarisation précoce favoriserait la réussite scolaire en apportant à tout enfant des éléments de développement et tout particulièrement en « complétant » ce que la famille n’est parfois pas en mesure de lui fournir ».

 

Les études menées par la suite ont confirmé le bien fondé des accents et des encouragements apportés par le gouvernement et le législateur de 1989 à la scolarisation des enfants de 2 à 3 ans. Ces études, menées en population générale, se sont essentiellement attachées à des indicateurs de performances linguistiques, comportementales et scolaires mesurés en CP et en CE1, et jusqu’en CM2 :

-          une étude conduite en 1992 par l’Institut de recherche en économie de l’éducation (IREDU-CNRS-Université de Bourgogne) en Côte d’Or et par la DEP du ministère de l’Education Nationale au plan national montre que « la scolarisation à 2 ans offre un avantage en termes d’acquisitions par rapport à la scolarisation à 3 ans » et que cet avantage se maintient (voire augmente) jusqu’au CM2 ;

-          une étude publiée en 2001 par la revue « Education et Formation » auprès de 8 661 écoliers indique que « les chances d’accéder au CE2 sans redoubler sont d’autant plus grandes que l’élève est entré précocement à l’école maternelle » et que « les enfants de cadres et les élèves étrangers ou issus de l’immigration semblent tirer le plus grand bien de cette mesure »[1].

 

L’école « maternelle » française comptait, à la rentrée scolaire 2002, 2 473 400 enfants (en France métropolitaine). L’augmentation de la natalité en 2000 et 2001 a conduit à scolariser 40 000 enfants de plus à la rentrée 2003, et 50 000 enfants à la rentrée 2004. À la rentrée 2002, 98 % des enfants de 3 à 6 ans étaient scolarisés, mais seulement 32 % des moins de 3 ans, soit 247.000 enfants (requérant environ 9.500 postes d’instituteurs ou de professeurs des écoles, et compte non tenu des agents municipaux et autres auxiliaires non enseignants). À la rentrée 2003, en partie du fait d’une décélération des effets du mini baby-boom de 2000/2001, ce chiffre était redescendu à 225 000 enfants (dont 40 800 dans le privé).

 

L’effort quantitatif semble avoir continué à s’essouffler à la rentrée 2004. Par ailleurs, le constat d’une grande diversité des taux de scolarisation à 2 ans d’un département à l’autre pose le problème de l’inégalité des offres territoriales et, partant, des adéquations aux recours qui y sont faits.

 

Le taux moyen de scolarisation des enfants de 2 ans est en effet entaché de grandes disparités géographiques : certains départements en scolarisent près de 70 % (en Bretagne, dans le Massif central, dans la région Nord Pas-de-Calais, par exemple) tandis que d’autres sont largement en deçà des 20 % (Paris – 5 % - et région parisienne, Alsace, Savoie, région PACA). Ces écarts s’expliqueraient plus par l’intensité des baisses démographiques dans certains départements et par la compétition entre le public et le privé que par l’application de la loi de 1989 qui prescrit de privilégier la scolarisation à 2 ans dans les ZEP, où le taux atteint effectivement 37 à 38 % (contre 32 % au plan national).

 

 

L’émergence d’un débat, cantonné à un petit nombre de protagonistes, sur le bien fondé de la scolarisation des enfants de moins de 3 ans

 

Avec l’incitation affichée en 1989, et diversement suivie depuis, d’accueillir les enfants de 2 ans, l’école « maternelle » a pu sembler rejoindre l’univers institutionnel des structures et services dédiés à l’accueil de la petite enfance. L’offre et la demande la concernant ne sont-elles pas d’ailleurs identifiées comme telles au sein des « Commissions départementales de l’accueil des jeunes enfants » instituées par le décret n° 2002-798 du 3 mai 2002 (signé par la ministre de l’Emploi et de la Solidarité et la ministre déléguée à la Famille, à l'Enfance et aux Personnes handicapées) ? Cet amalgame est sans doute l’un des facteurs qui, suscitant les comparaisons entre ces deux types d’équipements, nourrit les critiques qu’en déduisent, à l’encontre de la scolarisation désignée comme « précoce », certains professionnels issus notamment des secteurs médicaux et psychologiques.

 

S’agit-il d’un effet collatéral du décret du 3 mai 2002[2] ? Encore faudrait-il que celui-ci soit réellement appliqué en tous départements, ce qui est loin d’être le cas à ce jour. S’agit-il d’une question concomitante au constat d’une décélération globale sinon de l’offre de places pour les enfants de moins de 3 ans dans les classes « maternelles » du moins du nombre d’enseignants affectés à ces classes ? S’agit-il d’un avatar des tensions créées par la réforme de la décentralisation et des nouveaux transferts de compétences et de charges financières de l’État vers les collectivités locales qu’elle organise ? Toujours est-il qu’il a été donné d’assister, en 2004, à une « soudaine » voire brutale remise en question du bien fondé et des répercussions, individuelles et collectives, de la scolarisation des enfants de 2 ans.

 

Initiée avec une relative mesure par la Défenseure des enfants dans le chapitre « Repenser l’accueil des enfants de 2-3 ans » de son Rapport 2003, cette offensive a été aussitôt relayée avec bien moins de retenue par l’Association française de psychiatrie (AFP) et la « Lettre de psychiatrie française », mensuel dont elle partage la rédaction avec le Syndicat des psychiatres français (SPF). Ces deux organisations sont loin de représenter l’ensemble des psychiatres d’exercice public et privé, mais leur publication mensuelle, de bonne tenue, est très largement – et « gratuitement » (grâce aux publicités pharmaceutiques) – diffusée auprès d’un très grand nombre d’entre eux. Sous l’intitulé « La scolarisation à 2 ans : une fausse bonne idée », l’AFP y publie[3] à partir de mars 2004 une série d’articles illustrant tous la même analyse.

 

En septembre 2004, soit 6 mois après le déclenchement de cette initiative, Christian Vasseur, président de l’AFP, annonce: « Le sujet continue à rencontrer des adhésions auprès des plus concernés et des plus compétents. La démarche s’affirme comme évidente et les différents ministères intéressés (Éducation, Santé, Famille) vont être sollicités afin d’accorder leur parrainage pour des actions d’information scientifique du socius et des décideurs ». Après avoir tenu, le 24 novembre 2004, sur la base des articles publiés depuis le mois de mars, une conférence de presse conjointe avec la Défenseure des enfants « à l’occasion de la Semaine nationale des droits de l’enfant », l’AFP organisera, le 1er avril 2005, un colloque à l’Assemblée nationale. Le thème en sera toujours « La scolarisation à 2 ans : une fausse bonne idée » et les intervenants, pour nombre d’entre eux, les auteurs des articles déjà publiés. L’AFP affirme à cette occasion bénéficier de l’oreille attentive de Bernard Accoyer, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale (et médecin), et de Guy Geoffroy, député UMP (et enseignant), qui se seraient engagés auprès d’elle, en mars 2005, à introduire un amendement sur cette question dans le cadre de la « loi d'orientation pour l'avenir de l'école ».

 

De fait, le ministre de l'Education nationale, François Fillon, intervient le 16 mars 2005 au Sénat sur la question de la scolarisation à 2 ans, faisant valoir qu'il s'agit d'un « sujet complexe sur lequel la réflexion doit aller plus loin ». Il répond ainsi, à l'issue de la discussion générale sur le projet de « loi d'orientation pour l'avenir de l'école », à l'intervention de Muguette Dini, sénatrice UDF, qui avait regretté l'absence dans ce texte de toute mesure concernant « l'accueil des enfants de moins de trois ans ». « Je proposerai l'an prochain d'organiser une conférence sur ce sujet, afin de définir une position consensuelle », déclare le ministre, en soulignant que cette disposition, inscrite dans la loi de 1989, avait soulevé « de vives critiques dans les milieux de la pédopsychiatrie ». S’il reprend de la sorte les analyses et l’une des propositions de la Défenseure des enfants, il ajoute : « Je ne pousserai pas des cris sur un système qui concerne la structuration même des jeunes enfants, et qui mérite un peu plus de prudence que des positions dogmatiques et idéologiques qui peuvent être dangereuses pour les enfants ».

 

La Défenseure des enfants est dans son rôle en traitant un sujet, important et parfois difficile, qui concerne sinon les droits du moins les conditions du bien-être immédiat et du développement harmonieux ultérieur des jeunes enfants scolarisés. Elle le fait d’ailleurs en fournissant l’essentiel des différents points de vue pluridisciplinaires qu’elle a pu recenser. Elle n’en privilégie pas moins ceux de quelques pédopsychiatres parisiens pas toujours curieux ou au fait des réalités sociales et familiales des enfants qu’ils voient en consultation ou à l’hôpital, et très imprudemment enclins – sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres - à étendre à l’ensemble de la population des enfants ou des jeunes les constats qu’ils font des difficultés du petit nombre de ceux dont ils ont, par définition, à connaître.

 

La posture des psychiatres de l’AFP, et des quelques professionnels auxquels cette organisation ouvre sélectivement les colonnes de la « Lettre de psychiatrie française », peut sembler plus étonnante. Elle succombe, comme on pouvait s’y attendre, à la tentation propre à cette profession de procéder à la généralisation abusive des cas d’espèce et à la lecture exclusivement psychopathologique de questions de société dont les déterminants, multiples et complexes, lui échappent. Surtout, alors que l’approche de l’AFP se présente comme « scientifique », elle postule aussitôt l’« évidence » d’un petit nombre de points de vue à sens unique – ceux « des plus concernés et des plus compétents » - qu’elle développe ou, plus exactement, qu’elle réitère sans les exposer à la moindre contradiction ou, même, à la moindre discussion. Elle s’appuie certes sur l’appel récurrent à « un large débat sur la scolarisation précoce des enfants de 2 à 3 ans » - laissant entendre au passage que cette scolarisation est inéluctablement « précoce » : d’ailleurs celle-ci n’est-elle pas désignée comme « une fausse bonne idée » ? Mais elle ne crée pas pour autant les conditions d’un véritable débat, pas plus qu’elle ne distingue scolarisation et scolarité. Enfin, il n’est pas même attendu que le débat allégué, même tronqué ou biaisé, ait eu lieu et qu’il ait produit ses premières conclusions pour que soient contactés ministères et élus de la majorité parlementaire (un élu de l’opposition a certes été « pressenti » pour présider une table ronde lors du colloque du 1er avril 2005, mais celle-ci traitait d’un thème différent, celui de « l’accueil des enfants de 2 ans »). Bref, la posture de l’AFP semble à l’évidence et d’emblée bien plus idéologique que « scientifique » (ce que le ministre, et c’est tout à son honneur, semble avoir prudemment pressenti). On peut se demander pourquoi, mais la réponse à cette question, ouverte à conjecture, doit se rechercher minutieusement entre les lignes, sans garantie toutefois d’être clairement identifiée.

 

Que peut-on donc retenir des opinions, sinon des arguments, émis en ces différentes circonstances et que peut-on comprendre des motivations et du contexte tant de leur production que de leur mise en circulation ?

 

 

Un conglomérat de points de vue hétéroclites et d’inégale valeur duquel émergent néanmoins d’importantes recommandations

 

Il faut mentionner dans un premier temps les points de vue les plus extrêmes, moins pour disqualifier l’intérêt ou la pertinence relative des autres – qui seront présentés dans un second temps - que pour tenter de repérer les implicites idéologiques d’une telle campagne, laquelle a bien entendu facilement trouvé des échos dans la presse grand-public tant le sujet est sensible pour les familles comme pour les nombreux décideurs politiques et institutionnels concernés.

 

 

La tentation de dramatiser, l’ambition d’influencer le législateur, le dérapage dogmatique

 

Il n’est pas inutile de s’attarder sur le fait que l’un des premiers articles publiés, en mai 2004, dans la « Lettre de psychiatrie française », et signé par le président de l’AFP, n’hésitait pas à assimiler la « scolarisation trop précoce » à une forme de « maltraitance faite aux enfants ».

 

« Dans notre numéro de mars [2004], Claire Brisset, Défenseure des Enfants, nous faisait part de certaines de ses inquiétudes et de ses espoirs. Dans l’éditorial d’avril, « Prendre un enfant par la main », J-D. Beigbeder lançait le dossier (qui se poursuit dans ce numéro) sur les maltraitances faites aux enfants. Déjà, lors de nos dernières Journées de janvier, Claire Brisset, venue assister à la remise du Prix Littéraire qui porte le nom de son père Charles Brisset, un de nos fondateurs, m’avait fait part de son souhait que l’AFP s’engage pour la cause des enfants. Pourquoi pas ? Une relance plus explicite nous a conduits à étudier l’objet et le cadre d’une collaboration :

-          l’objet, c’est la loi du 10 juillet 1989 autorisant l’entrée à l’école maternelle des enfants dès l’âge de 2 ans. Les conséquences de cette hypermaturation provoquée sont maintenant connues : elles influent sur tout le devenir psycho-affectif ; les déstructurations psychiques des états-limites en témoignent, entre autres ; mais c’est sans compter les troubles de la symbolisation qui s’expriment à la suite de ceux de la conceptualisation et du langage. Dès le début de son exploration créatrice de la psychanalyse, en 1897, Freud déplorait que – pour ses recherches sur la formation de l’appareil psychique – il ne puisse pas « passer plus de temps dans les nurseries ». Il a été entendu et, pour un pédopsychiatre, se mettre au niveau des bambins, sur le tapis, n’est éventuellement limité que par sa souplesse articulaire ! Aussi, aujourd’hui, si le bon sens, l’empirisme, l’observation des besoins de l’enfant s’opposent naturellement à une scolarisation précoce, les recherches, les mises en perspective, les analyses et les connaissances sur le développement psychique, en expliquent les raisons. Chacun sait, ou sent, que, pour le développement psychique de l’enfant, brûler les étapes c’est en détruire définitivement des potentialités ; c’est une maltraitance ;

-          comme souvent, le législateur soucieux de faire vite et bien ne s’est pas entouré de conseillers spécifiquement compétents dans ce domaine. Avec Claire Brisset, nous avons donc décidé de nous associer pour rassembler les scientifiques concernés, informer les responsables politiques et alerter l’opinion publique sur les impacts de cette loi apparemment utile, simple et pratique, mais qui pourrait se révéler dangereuse et réductrice des besoins des enfants. Nous allons constituer un Conseil scientifique afin d’élaborer la stratégie et la tactique d’une campagne d’information pour intervenir en amont des troubles que nous soignons ; une vraie campagne de prévention.

La « Lettre de Psychiatrie Française » et le Bureau de l’AFP seront les moteurs de l’information et du recueil des données et des bonnes volontés que cette excellente cause des enfants suscitera. Bien sûr, le temps presse car cette maltraitance c’est ici, maintenant, et en toute légalité. »

 

Comment exprimer de façon moins directe le dépit historique des psychiatres de ne pas pouvoir « faire la loi »[4]  ? Ce dépit semble d’autant plus croissant que le sens de l’histoire échappe à nombre d’entre eux. Il ne serait pas sans inconvénient d’associer de trop près à l’entreprise législative des professionnels qui persistent à se référer aux modèles sociaux et familiaux de la société bourgeoise viennoise de la fin du XIXème siècle - aux sources desquels Sigmund Freud a puisé pour construire la théorie et la pratique psychanalytiques – et, par exemple, à imputer au seul personnage de la mère la responsabilité et les contraintes des fonctions de maternage. Ce serait d’ailleurs faire injure à l’intelligence et à la curiosité de Freud que d’imaginer qu’il n’aurait pas su ajuster ses réflexions et ses hypothèses de travail aux réalités sociétales du début du XXIème siècle !

 

On devra se montrer d’autant plus prudent que, sur de tels sujets, les risques de dérapages ne tardent pas à se manifester. Ainsi Pierre Sadoul, un pédopsychiatre d’habitude mieux inspiré, n’hésite-t-il pas à écrire les lignes suivantes (intitulées « Au secours ! »)dans le numéro de novembre 2004 de la « Lettre de Psychiatrie Française » :

 

« Quand on se penche sur les conditions du développement physiologique et psychologique du nourrisson et du jeune enfant à qui il est urgent de procurer des conditions de développement optimales, quelques réflexions générales nous permettent déjà d’émettre de sérieuses réserves sur le fait de proposer un modèle scolaire pour un enfant dont on sait bien qu’il n’est pas fini…

En prenant pour exemple la maturation du chaton, la démonstration sera plus parlante. Si l’on enlève celui-ci à sa mère avant l’âge de deux mois, il faudra se substituer à celle-ci pour faciliter l’exonération de l’animal, à savoir lui frotter le ventre avec une éponge humide, là où sa mère lui léchait l’abdomen afin de l’aider à exonérer. Bien entendu ce n’est pas le même travail que la chatte qui mange ensuite les excréments de son rejeton. Il va de soi que nous n’assurerons pas la propreté du chaton par les mêmes moyens. Ce chaton ne bénéficiera pas des mêmes capacités à jouer sans brutalité que le chaton sevré à trois mois.

Pour un enfant tout petit qui n’a pas atteint ses trois ans et dont la maturation psychoaffective se poursuit, les forçages pédagogiques alors qu’il est en train d’explorer les limites de son corps et d’apprendre la relativisation des espaces risquent d’avoir des effets délétères et déstabilisants, surtout si le terrain est fragile.

Quand laisser l’enfant s’épanouir avec ses parents (disponibles…) n’est pas possible, le meilleur contexte socialisant sera basé sur le besoin d’une vie collective mais en petits groupes, en présence d’éducateurs et de spécialistes de la petite enfance, non pas en présence d’enseignants qui, pour la plupart du temps, n’ont pas reçu la formation spécifique.

C’est toute la question des théories extrapolées sur le terrain sans aucune précaution qui a amené ce type d’expériences dont l’analyse in fine les déclare dommageables, à de très rares exceptions près… »

 

On aura l’indulgence de ne retenir de ces étranges raccourcis théoriques et de ces jugements sans nuances que l’importante question, sur laquelle on reviendra plus tard, de la formation des adultes s’occupant de collectivités de jeunes enfants.

 

 

L’effort de médicalisation du regard évaluatif porté sur la scolarité des enfants de moins de 3 ans

 

Il convient maintenant de s’intéresser aux termes, heureusement moins caricaturaux, par lesquels le débat souhaité par l’AFP et par la Défenseure des enfants est présenté dans l’argument de la conférence de presse du 24 novembre 2004 :

 

« La scolarisation précoce des enfants de 2 à 3 ans [est], en fait, (…) une pratique par défaut, en l’absence d’une offre suffisante et diversifiée des modes de garde adaptés des petits enfants, et que notre pays est pratiquement le seul à connaître. La justification, souvent avancée, de cette scolarisation et de cette socialisation prématurées est le bénéfice que les enfants y trouveraient sur le plan de leur développement cognitif. L’expérience des pédiatres et des pédopsychiatres, les constatations des éthologues et des linguistes, ainsi que les résultats de certaines évaluations (…) obligent à remettre en cause cette affirmation.

Pour l’instant, c’est une question ouverte, laissée sans réponse, et que les urgences du quotidien permettent de méconnaître.

Alors, un large débat doit être lancé afin de confronter les bénéfices sociaux attendus de cette pratique, et ses effets immédiats et à long terme sur le développement cognitif et l’équilibre psycho-affectif des enfants.

À ce moment-là de la petite enfance, on doit penser que l’avantage social n’est pas le garant d’un progrès en Santé Publique. »

 

Entre les lignes, on perçoit ce qui se présente ici comme un syllogisme. Or celui-ci est, en grande partie, un sophisme.

 

On postule dans un premier temps que l’école à deux ans est au mieux un équivalent au pire un palliatif des « modes de garde » des jeunes enfants (nonobstant le fait que, depuis 1982, on parle plutôt de « modes d’accueil »). On affirme au passage que la France est le seul pays à scolariser des enfants de deux ans, ce qui – on l’a vu – est inexact ; et que l’offre de modes d’accueil y est insuffisante en nombre et en diversité, ce qui est vrai même si on oublie de mentionner aussi que la France est, avec le Danemark, l’un des pays européens où cette offre est la plus abondante dans le secteurs public et parapublic, et l’une des mieux solvabilisée grâce aux contributions des Caisses d’allocations familiales et des municipalités.

 

On laisse entendre dans un deuxième temps que les bénéfices induits pour l’enfant par sa scolarisation « précoce » ne sont pas équivalents à ceux induits par les modes d’accueil, ce qui est d’autant plus vraisemblable qu’ils ne sont pas évalués selon les mêmes méthodes et les même registres de critères. Les effets de l’école sont appréciés, on l’a souligné, sur l’ensemble d’une classe d’âge, rétrospectivement et sur le moyen terme, en prenant en compte des variables sociales et culturelles, et sur des indicateurs d’acquisitions cognitives et linguistiques et d’intégration scolaire voire sociale au sein de la classe et de l’établissement scolaires. Les effets des modes d’accueil – pour les enfants qui en bénéficient – sont, quant à eux, en général, moins précisément évalués : outre le fait qu’ils dépendent largement du type d’accueil (crèches collectives, familiales ou parentales, haltes garderies, assistantes maternelles agrées ou non), ils sont plus souvent étudiés au niveau individuel et sur le moyen terme, et sur des indicateurs liés à la santé physique et au développement psychomoteur et psycho-affectif des enfants.

 

Le fait est qu’en France - et à la différence de pays tels que, par exemple, la Suisse - les modes d’accueil de la petite enfance se sont historiquement développés autour de préoccupations essentiellement hygiénistes, sous le contrôle normatif et l’autorité sans partage du corps médical et paramédical, et qu’ils n’ont que très récemment commencé à s’ouvrir à des préoccupations éducatives (à l’occasion, notamment, de la création du métier et des fonctions d’éducateurs de jeunes enfants). L’un des principaux points communs entre les crèches collectives et les écoles est toutefois d’avoir longtemps cherché – et, trop souvent, de chercher encore - à maintenir les parents à distance des espaces de vie, de l’organisation et du fonctionnement quotidiens de ces établissements[5].

 

Dés lors, le troisième terme du syllogisme construit par les psychiatres de l’AFP (et par les autres cliniciens associés à son entreprise) consiste à déduire des deux précédents prédicats qu’il conviendrait d’évaluer – voire de contrôler - le déroulement et les effets de la scolarité des enfants de 2 à 3 ans selon les modalités et les critères médicalisés – et non pas éducatifs – qui prévalent encore largement dans les modes d’accueil collectif. C’est ainsi que, cherchant soit à comparer soit à opposer ces deux types de structures, l’AFP conclut que, pour leurs bénéficiaires, « l’avantage social n’est pas le garant d’un progrès en Santé Publique ». Malgré les majuscules apposées à ces mots, on semble oublier ici que l’approche moderne en santé publique consiste à s’intéresser d’une part au bien être global de l’ensemble d’une population, et pas seulement aux individus affectés par des problèmes de santé ou de développement, ainsi que, d’autre part, à la diversité des déterminants – y compris sociaux – de ce bien être ou de ces problèmes.

 

Au fil de ce raisonnement, l’AFP néglige ou feint de négliger le fait :

-          qu’un nombre croissant de services ou d’établissements d’accueil de la petite enfance développent aujourd’hui, notamment  depuis le décret du 1er août 2000, des projets éducatifs et sociaux leur conférant des caractéristiques bien moins limitées qu’autrefois à des perspectives sécuritaires, hygiénistes, psychologisantes et auto-centrées ;

-          que la plupart des écoles « maternelles » sont soucieuses de la personnalisation de la scolarité qu’elles proposent aux très jeunes et jeunes enfants et que leurs équipes font souvent preuve à ce sujet d’une créativité pédagogique notable où se combinent optimisation des moyens et recherches méthodologiques (et les parents ne s’y trompent pas, qui reconnaissent massivement le bien fondé et les résultats de ces efforts) ;

-          qu’en 2000 et 2001, et même si il a été peu suivi en ce sens depuis lors, le gouvernement avait dégagé les moyens institutionnels et financiers de susciter l’établissement ou la consolidation de passerelles de divers types entre modes d’accueil et écoles « maternelles » ;

-          qu’enfin, malgré le souhait ou les besoins de leurs parents,  une majorité d’enfants de 2 à 3 ans ne bénéficient encore d’aucune de ces structures d’accueil ou de scolarisation.

 

Tout en les relativisant et en en cantonnant la portée au seul registre – celui de l’expertise clinique – qui en légitime la mention, les problèmes individuels voire structurels identifiés çà et là par les intervenants de l’AFP méritent cependant d’être pris en considération, ne serait-ce que pour en réduire l’occurrence et contribuer ainsi à l’amélioration globale des dispositifs scolaire existants.

 

 

Des linguistes s’essayant au langage de la sociologie

 

Les préoccupations « des » linguistes sont en l’espèce plus aisées à circonscrire et à intégrer. En réalité, un seul linguiste, Alain Bentolila, est requis par l’AFP et par la Défenseure des enfants. Certains de ses arguments, cependant, ne relèvent guère de sa discipline. Les travaux d’Alain Bentolila, notamment sur l’illettrisme[6], sont d’ailleurs de ceux qui ont plus ou moins directement nourri la dénonciation de l’égalitarisme républicain, incarné par l’école dite « unique », ou encore suscité l’établissement de corrélations intempestives entre échec scolaire et délinquance, etc. Ainsi, dans un très court article publié en décembre 2004 dans la « Lettre de psychiatrie française », écrit-il :

 

« Comment peut-on imaginer que 30 enfants réunis dans une salle de 50 à 60 m2, confiés aux bons soins d’une institutrice qui n’a pas été formée pour cela, puissent trouver des conditions favorables à leur développement psychologique, linguistique et social ? L’École fournit ainsi une très mauvaise réponse à une vraie question posée par de profondes mutations culturelles et d’importantes transformations dans l’organisation familiale. On nous dira que certains enfants de 2 ans sont plus à l’abri dans une salle de classe que dans un milieu familial où les menacent indifférence ou maltraitance. Certes ! Mais l’École ne peut être qu’exceptionnellement et ponctuellement un lieu d’asile ; elle ne doit en aucune façon institutionnaliser cette fonction qui ne concerne d’ailleurs (et fort heureusement) qu’une toute petite minorité d’enfants. »

 

Des propos, mieux argumentés, que la Défenseure des enfants extrait des travaux d’Alain  Bentolila, il ressort par ailleurs que « la période 2-3 ans est l’âge fondamental de l’acquisition du langage, stade essentiel du développement de la personnalité et clé de la structuration des échanges avec autrui. Or le langage s’acquiert convenablement par le contact entre l’enfant et un nombre significatif d’adultes. Placer, alors, un enfant au sein d’un trop grand groupe de pairs, entourés d’un nombre trop réduit d’adultes (par exemple vingt-cinq enfants pour deux adultes), c’est réduire ses contacts avec ces adultes, et le contraindre à échanger des heures durant les bribes de langage qu’utilisent les autres enfants. C’est entraver durablement ses acquisitions langagières, et ce surtout si la langue parlée à la maison est une autre langue que celle de l’école, ce qui rend difficile encore l’apprentissage. Les enfants issus de l’immigration peuvent en souffrir particulièrement. Autrement dit, l’objectif généreux des initiatives de la scolarisation précoce, loin d’être atteint, montre là toutes ses limites. Alain Bentolila affirme [que] scolariser trop tôt, c’est renforcer le ghetto. »

 

Agnès Florin, psycholinguiste également citée par la Défenseure des enfants, relève pour sa part que « le petit se sent perdu dans un groupe, notamment pour le développement du langage », car « la dimension collective de la communication scolaire est une situation nouvelle, difficile pour les enfants ». Et elle ajoute que « la maîtrise du langage se construit d’abord et avant tout avec un adulte qui met le monde en mots ».

 

Il ressort pour l’essentiel de ces diverses considérations : d’une part qu’il importe de renforcer la présence adulte autour des jeunes enfants scolarisés, ce qui va de soi ; d’autre part que certains linguistes n’ont pas pris connaissance, et on peut s’en étonner, des évaluations globalement positives effectuées, en termes d’impacts et d’intégration socio-linguistiques, de la scolarisation à 2 ans des enfants issus de l’immigration ; enfin – mais qui en douterait ? – que la vie collective demande un effort d’adaptation individuelle pour les enfants (de tous âges, d’ailleurs) qui en font l’expérience quotidienne en même temps qu’elle nécessite une formation appropriée des adultes qui les accompagnent dans cette expérience.

 

 

Où l’on voit que les mères, en se dérobant à leurs devoirs, condamnent leurs enfants à des destins tragiques

 

Dans un registre voisin, des pédopsychiatres consultés par la Défenseure des enfants lui ont fait part de leurs inquiétudes – sans les étayer pour autant sur la moindre approche épidémiologique – et ont souligné, comme Alain Bentolila et Agnès Florin, ce qu’ils lui ont désigné comme « le risque que l’enfant, insécurisé par un groupe de pairs trop nombreux, fusionne avec ce groupe au détriment de l’affirmation de son identité. Le risque est grand, alors, de le voir adopter un mode d’être passif, qui sera assimilé à un « retard », ou au contraire une agitation qui n’a d’autre objet que de le protéger, au risque de le voir catalogué comme « hyperactif » (…) À cela, s’ajoute la contrainte de l’acquisition de la propreté, dont on sait à quel point il est important de ne pas la « forcer ». Il s’agit là d’un apprentissage à la fois réel et symbolique que bien des mères, soucieuses de scolariser leur enfant avant 3 ans, auront tendance à anticiper, au détriment de son évolution spontanée ».

 

La Défenseure a beau écrire un peu plus loin, après s’être prononcée « pour un arrêt de l’extension de cette forme de scolarisation », qu’« il ne s’agit en rien, bien entendu, de regretter l’entrée des femmes dans la vie professionnelle, ni de tenter d’entraver cette dernière en quoique ce soit » : on a compris que les pédopsychiatres dont elle rapporte les propos n’ont pas la même représentation de la place des femmes – ou, plus exactement, des mères - dans la société. Outre qu’il semble exclus à leurs yeux que les pères puissent eux aussi contribuer à l’apprentissage du contrôle sphinctérien de leur progéniture, on est tenté de penser que les mères causent bien des préjudices aux enfants en renonçant – pour reprendre les termes de Pierre Sadoul, et métaphoriquement parlant – à prendre le temps de leur lécher l’abdomen et de manger leurs excréments, comme le font les mères chattes.

 

Deux articles publiés dans le n°140, de décembre 2004, de la « Lettre de psychiatrie française » tournent autour de ces idées, en les habillant sous une formulation plus scientifique.

 

Geneviève Haag indique ainsi tout d’abord que « la troisième année de la vie est l’achèvement d’un cycle de développement qui va de la naissance à l’acquisition du « je », c’est-à-dire à celle d’une autonomie dans le sentiment d’une séparation corporelle et identitaire. Cela suppose une construction de la personnalité dans la transformation et l’élaboration des énergies liées aux premières étapes du développement pulsionnel, oral et anal ; or, cette construction ne se fait que dans les échanges étroits avec les parents et leurs substituts, comme tous les travaux actuels le confirment. Dans cette troisième année, se perfectionnent entre autres :

-          l’acquisition de la propreté sphinctérienne : fin d’une crise d’opposition et d’affirmation de soi, plus ou moins marquée, et d’élaboration d’anxiétés liées à cette « finition» de la séparation corporelle ;

-          le perfectionnement du langage (…)

Concernant l’identité, se produit une révolution copernicienne : passage du « À moi, à moi » au « je » qui s’accompagne d’une crise anxieuse, « la crise des 2 ans et demi », se manifestant par agitation motrice, surplus d’instabilité, irritabilité, colères et agressions et, pour un petit nombre d’enfants, d’autres sortes d’expressions de malaise corporel : retard à la propreté, refus de quitter les vêtements d’extérieur à la crèche comme si on allait y « perdre sa peau ». C’est avec ce « je » que l’enfant va pouvoir commencer à assumer pleinement sa subjectivité, à s’identifier aux autres, (aux fonctions parentales aussi bien qu’aux aspects infantiles), à organiser des jeux en petits groupes avec les autres où se distribuent des rôles et où les problèmes de territoire sont beaucoup mieux gérés. Ce n’est statistiquement que vers 2 ans et 9 à 10 mois que ce nouvel état se stabilise. Une nouvelle atmosphère s’installe alors dans la crèche. « Maintenant, ils sont prêts pour l’école », dit le personnel qui s’en occupait jusque-là.

En deçà, les enfants ont besoin de recours fréquents à un adulte attentif, compréhensif, mais aussi limitant, et ne permettant pas l’agression gratuite, cherchant à comprendre les conflits, les mouvements de rivalité mal contenus, les grosses peines, et certaines angoisses de cette étape de maturation. Que feront les enfants pour passer cette crise dans un groupe de 30 avec une seule institutrice et l’ASM [sic] débordée par les problèmes de propreté ?

En l’absence du secours nécessaire, les enfants ne peuvent que s’inhiber, appauvrir leurs explorations spontanées, se sentir trop seuls et désespérés, ou se durcir dans des conduites agressives, manier le défi ou la sournoiserie, tout ce qui va vers ce qu’on appelle des « défenses de caractère », voire la loi de la jungle… Bonne recette pour accroître dans la société les chances de violence, comme défense contre des vécus dépressifs inassumables et comme résultat des défauts de contention psychique des différentes pulsions ».

 

En grossissant le trait, on en déduit de cet angoissant tableau que seuls les parents – ou, à défaut, les « substituts » parentaux médico-psychologiquement acceptables que sont les personnels de crèche - sont en mesure d’assurer aux enfants de 2 ans à 2 ans et 9 ou 10 mois une présence et une attention telles qu’ils ne deviendront pas des « sauvageons » à l’adolescence. Bien sombre serait donc l’avenir de ceux, nombreux, de ces enfants dont les deux parents travaillent, n’ont pas trouvé de place en crèche pour eux, mais ont - peut-être - réussi à inscrire à l’école « maternelle » si tout du moins l’Inspection d’académie de leur département et leur commune de résidence ont rendu possible cette opportunité.

 

 

Les enfants « appartenant à des milieux défavorisés » n’ont aucune bonne raison d’en sortir et peu de chance de bien s’en sortir

 

Plus sombre encore, à cet égard, serait l’avenir des « enfants appartenant à des milieux défavorisés » auxquels Roger Misès consacre, en décembre 2004, un article qui montre comment « le partenariat établi entre les pédiatres, l’école, les travailleurs sociaux, l’équipe de santé mentale a permis de reconnaître, de plus en plus tôt, des infléchissements et des réorganisations inquiétantes qui requièrent un dépistage précoce ». Toutefois, selon l’auteur (qui a pourtant toujours préféré exercer sa discipline en milieu hospitalo-universitaire que dans les dispensaires de quartier), « les milieux gravement défavorisés sont difficiles à aborder : il faut passer par les aides sociales et manifester une grande patience dans le suivi pour que, dans quelques cas, une coopération puisse s’élaborer, qui reste sans cesse menacée. Dans ce contexte, les parents manifestent souvent un déni à l’égard de la souffrance de l’enfant ; les conseils, qu’ils émanent du travailleur social, du pédiatre ou de l’enseignant, sont rarement suivis ; de sorte que la consultation auprès d’un pédopsychiatre a lieu tardivement, à un moment où les troubles sont devenus manifestes. Notons, incidemment, que ces éléments aident à comprendre pourquoi la scolarisation à 2 ans ne touche qu’un nombre réduit d’enfants appartenant aux milieux défavorisés pour lesquels elle avait été prioritairement conçue ».

 

Des élus locaux ont en effet constaté que trop d’enfants vivant dans des milieux marqués par le chômage de longue durée n’accèdent pas autant qu’on pourrait le souhaiter à la scolarisation dite « précoce ». Les raisons de cet état de fait semblent bien plus résider dans la perte progressive, par les parents, des rythmes sociaux liés à l’emploi que dans le désintérêt ou la négligence coupable qu’ils manifesteraient à l’égard de leurs enfants.

 

Roger Misès admet heureusement qu’« il n’y pas (…) corrélation constante entre les conditions défavorables et l’avènement d’un processus morbide. Beaucoup d’enfants, appartenant à des milieux touchés par la précarité et par l’exclusion, mettent en œuvre de remarquables capacités de réintégration et ils évoluent sans problèmes notables ; d’autres présentent des manifestations extériorisées, mais on ne peut juger de leur gravité en se fondant sur le seul recueil des aspects symptomatiques et comportementaux ; on ne saurait, non plus, s’appuyer sur des investigations systématisées et standardisées, dont les résultats seraient exploités en référence à des normes préétablies et sans les réinsérer dans une saisie élargie. En effet, on se trouve ici devant des processus complexes et évolutifs qui appellent une approche compréhensive ; seule une perspective dynamique et structurale permet d’articuler ce qui s’inscrit au plan du fonctionnement intra-psychique et ce qui se joue dans les modes d’échanges établis entre l’enfant et son environnement socio-familial ».

 

En clair, il faut bien admettre que le déterminisme social est finalement assez relatif et que ce n’est que « pour les enfants très vulnérables qu’on découvre dans les milieux défavorisés [que] la scolarisation à 2 ans est susceptible d’exercer des effets gravement péjoratifs. Loin de représenter seulement un stress, isolable à un moment précis de l’histoire, ici, le traumatisme vient réactiver des angoisses archaïques, non élaborées, qui ont été vécues dans des moments antérieurs où le très jeune enfant avait été confronté à des graves menaces de rupture du lien : la scolarité précoce conduit alors à la fixation de modes défensifs contraignants, qui feront, ultérieurement, obstacle au mouvement intégratif ».

 

L’auteur semble toutefois se remémorer in extremis la thèse qu’il est invité à défendre et relativise aussitôt sa relativisation. Même s’il apparaît en effet que nombre d’« enfants appartenant à des milieux défavorisés » donnent l’impression de trouver des bénéfices, en termes d’intégration et d’apprentissages scolaires, à leur « scolarisation précoce », ils n’en sont pas moins enclins plus que d’autres à rôder durablement aux marges de la pathologie. Et, si celle-ci ne s’est pas exprimée d’emblée sous l’effet de la réactivation traumatisante de la « séparation précoce » à laquelle est assimilée cette scolarisation, elle se manifestera sans nul doute à l’adolescence.

 

« Les recherches anamnestiques réalisées, à un âge assez avancé, chez les enfants pathologies limites, font voir que, dans les premières années de la vie, le facteur coté « rupture du lien avec l’environnement familial » apparaît de loin le plus fréquent. Sur ce point, les enquêtes épidémiologiques, en accord avec la clinique, font donc ressortir le danger d’une séparation trop précoce, surtout lorsqu’elle est réalisée dans des conditions d’encadrement qui ne répondent pas aux exigences requises par ces enfants, ce qui est le cas pour la scolarisation précoce.

Dans le déroulement des processus qui prennent forme dans ces conditions, vont s’exprimer particulièrement deux dangers, plus ou moins intriqués : l’un concerne la prédominance progressive des conduites agies, y compris l’hyperkinésie ; l’autre s’inscrit dans l’accentuation des atteintes portées aux fonctions cognitives et instrumentales, avec l’apparition des tableaux caractéristiques des déficiences dysharmoniques et des troubles de l’apprentissage du langage oral puis écrit.

Cependant, en dépit de la gravité des atteintes inscrites au plan psychopathologique, l’enfant ne présente pas toujours des perturbations extériorisées. En effet, à mesure que s’affirment les traits et les mécanismes propres aux pathologies limites, sont mis en œuvre des fonctionnements en faux-self qui assurent des modalités adaptatives étendues. L’enfant développe aussi des conduites de réassurance qui tendent à recouvrir les blessures narcissiques, les angoisses dépressives, les menaces de perte d’objet. Ces modes d’ajustement n’ont pas prise sur les failles sous-jacentes, mais ils peuvent faire illusion, particulièrement dans un cadre scolaire où l’évaluation se fonde sur des critères pédagogiques exclusifs. Cependant, la vulnérabilité demeure, des phases décisives de l’histoire ne sont pas franchies et l’enfant va se trouver gravement menacé par les remaniements inéluctables qu’introduit l’adolescence.

C’est encore dans les milieux défavorisés qu’apparaissent alors, le plus souvent, les agirs caractéristiques de cette période ; les troubles des conduites s’y relient à d’autres faits : en particulier, les dépressions, les tentatives de suicide, les accidents inexplicables, les comportements d’addiction.

En définitive, chez les enfants issus de milieux défavorisés, la prévention des troubles, qu’ils soient précoces, tardifs ou même latents, appelle des interventions multidimensionnelles menées dès le plus jeune âge et qui, pour le moins, mettent l’enfant à l’abri de discontinuités qu’il ne peut tolérer. La scolarisation à 2 ans, par la simplification extrême qu’elle introduit dans l’abord du problème et par la solution univoque qu’elle offre, fait, très précisément, obstacle à la mise en œuvre des interventions ambitieuses qu’il serait autrement possible de concevoir et de réaliser dans cette période de la vie, en adaptant le projet individualisé aux aspects originaux qu’offre chaque enfant dans son cadre socio-familial ».

 

Sous la terminologie médico-psychologique et au moyen de l’extrapolation de données épidémiologiques dont les sources ne sont pas citées, c’est donc une conception délibérément pessimiste du destin social de ces enfants et systématiquement dramatisée des effets à court, moyen ou long termes de leur « scolarisation précoce » qui cherche ainsi à s’imposer. Sans se sentir tenu d’y adhérer, il faut en laisser la responsabilité à son auteur ou aux commanditaires de son article.

 

Il convient cependant de s’arrêter à son dernier énoncé, qui prône l’idée « de concevoir et de réaliser » des « interventions ambitieuses » permettant d’adapter « un projet individualisé aux aspects originaux qu’offre chaque enfant dans son cadre socio-familial ». Il suffit de substituer le terme « personnalisé » au terme « individualisé », d’étendre au milieu scolaire la notion de « cadre socio-familial » et de considérer que l’ambition des interventions requises peut s’appliquer à la scolarité et pas seulement à la prévention des manifestations psychopathologiques : on voit alors se profiler les conditions génériques d’une scolarisation et d’une scolarité mieux appropriées aux besoins spécifiques des enfants de 2 à 3 ans – et aux attentes de leurs familles – qu’elles ne le sont aujourd’hui.

 

 

À la recherche des premières pistes permettant d’améliorer les conditions de scolarisation et la scolarité des enfants de moins de 3 ans

 

Le chronobiologiste Hubert Montagnier, cité par la Défenseure des enfants, insiste sur le fait qu’« il est essentiel de satisfaire les besoins de base des enfants de 2-3 ans et, en premier lieu, leur sentiment de sécurité. Celui-ci est un socle sur lequel se construit le développement moteur, émotionnel, social et cognitif. L’école doit donc être capable de respecter chez le petit ses rythmes (sommeil, repas, propreté, besoins d’isolement). Il a besoin de dormir à deux moments de la journée : le matin, et surtout l’après-midi (sieste). Le repos du matin est très peu pris en compte à l’école. Par ailleurs, comment faire dormir au même moment de nombreux enfants – plusieurs classes étant parfois regroupées pour la sieste – dans des locaux collectifs ? À cet âge, les rythmes étant extrêmement variables d’un enfant à un autre, un décalage d’une heure entre plusieurs enfants est fréquent et peut compromettre le repos du groupe tout entier ». On notera que les importants problèmes organisationnels et architecturaux, ici soulevés, d’adaptation aux besoins essentiels d’une classe d’âge précise se posent en termes à peu près équivalents dans les crèches collectives – du fait notamment de la coexistence de tranches d’âges différentes : les enfants de 2-3 ans sont les « grands » dans les crèches, alors qu’ils sont les « petits » à l’école – et que ces problèmes finissent en général par y trouver des solutions appropriées.

 

Hubert Montagnier insiste ensuite sur « le caractère individuel des rythmes des petits. À cet âge, ils ne se fondent que progressivement dans la collectivité. Les modes de vie des enfants diffèrent pour l’alimentation dans les rythmes et les goûts, le développement sensori-moteur est très individualisé, chaque enfant a des performances qui lui sont propres et, s’il a besoin d’espaces aménagés pour s’exercer, il convient aussi de respecter ses besoins d’espace individuel ainsi que ses capacités motrices (attention aux classes en étage) et de veiller à sa sécurité ». Ici encore, ces observations s’appliquent tout autant à l’école « maternelle » qu’aux autres collectivités d’enfants, crèches y compris. Il n’est en outre pas certain qu’il faille souscrire à l’excès à l’impératif d’« individualisation » des prestations et des équipements. La notion de « personnalisation », ouverte à une composante de socialisation précoce, peut en revanche inciter à prévoir plusieurs temps, espaces et caractéristiques de repas ou d’activités motrices, comme plusieurs temps et aménagements de lieux de siestes, et à y répartir les enfants par petits groupes homogènes en termes de compétences et de besoins. Enfin, est-il indispensable de prémunir à ce point les jeunes enfants – notamment en milieu urbain – de tous contacts et de tous apprentissages sécurisés des escaliers et des ascenseurs, sachant que ceux-ci figurent vraisemblablement dans leurs environnements familiaux ?

 

Le projet d’adapter l’organisation, le fonctionnement et les espaces de vie des collectivités aux besoins des enfants - plutôt que d’adapter unilatéralement les enfants aux contraintes des collectivités - n’est pas un projet utopique, même s’il a des coûts, notamment architecturaux, managériaux et de gestion, sur la répartition desquels on reviendra. Il peut justifier aussi, selon les circonstances et les opportunités, de création ou de développer un ensemble de structures ou de dispositifs « passerelles » de proximité entre crèches collectives et écoles « maternelles » (étendues à leurs centres de loisirs sans hébergement) ; mais aussi, puisqu’une large part des enfants de 2 à 3 ans ne fréquentent en réalité ni les premières ni encore les secondes, de passerelles entre résidences familiales (parents, famille élargie, assistantes maternelles, « gardes » à domicile) et écoles.

 

Dans tous les cas, les projets de service et la formation des personnels (enseignants et non enseignants) affectés à la mise en œuvre de ces différents dispositifs doivent prendre en considération les recommandations formulées par des spécialistes et des experts dépourvus de préjugés idéologiques à leur égard, et par exemple :

-          celles d’Hubert Montagnier ou de chercheurs menant des travaux similaires aux siens ;

-          celles de chercheurs en sciences de l’éducation préscolaire et de praticiens engagés dans le champ des pédagogies innovantes ;

-          celles encore de psychologues, de médecins, de psychomotriciens, etc. attentifs aux besoins et aux compétences spécifiques des jeunes enfants.

 

Ainsi Geneviève Haag, dans l’article ci-dessus mentionné, doit-elle retenir l’attention quand elle fait remarquer qu’entre 2 et 3 ans se perfectionnent chez l’enfant :

-          « le développement de jeux expérimentaux spontanés de constructions et de combinaisons, base, pour le développement de l’intelligence logico-mathématique, des « stratégies ouvertes », selon l’expression d’Hubert Montagnier, versus les « stratégies fermées », risque inhérent à la proposition trop précoce d’activités dirigées : la qualité de ces activités continue encore, bien que de façon moins étroite que dans les deux premières années, à être dépendante de la qualité des inter-relations ;

-          le développement de jeux imaginaires spontanés avec des figurines pour des théâtralisations variées ;

-         le développement du graphisme spontané : dessins préfiguratifs, principalement faits de compositions rythmiques, d’où vont émerger la fermeture de la forme (le rond) et le premier bonhomme autour de 3 ans ;

-         une suffisante maîtrise de l’agressivité dans les rivalités de possession d’objets, de territoire et de l’attention des adultes ».

 

Il est indéniable que tout un faisceau d’exigences - et notamment d’exigences pédagogiques - est ainsi requis pour ne pas transformer l’expérience de la scolarité à 2 ans en l’épreuve déstructurante voire déshumanisante que certains observateurs aussi partiellement que partialement impliqués se complaisent à voir et dénoncer en elle.

 

 

A l’écoute des points de vue des parents et des enseignants

 

Il est étonnant que les premiers concernés, à savoir – outre les enfants eux-mêmes – les parents et les enseignants, se fassent encore assez peu entendre dans le débat en cours sur la scolarisation et la scolarité des enfants de moins de 3 ans. Sans doute perçoivent-ils mieux que d’autres sa réelle complexité.

 

Si les parents d’élèves semblent encore partagés[7], leurs associations et la plupart des syndicats d’enseignants sont globalement attachés au principe du maintien d’une offre quantitativement et qualitativement satisfaisante en la matière. Mais ni les uns ni les autres ne se risquent à prôner le caractère systématique du recours à celle-ci. Tous se rejoignent en outre pour dénoncer ou déconseiller absolument, à leur tour, l’institutionnalisation d’effectifs de 25 à 30 enfants de 2 à 3 ans par classe, régis par des rythmes scolaires conçus pour des enfants plus âgés et encadrés par un binôme d’adultes médiocrement formés à la connaissance et à la gestion de la spécificité de leurs besoins. Ils n’ont en effet pas vraiment besoin des propos alarmistes des « spécialistes » cités plus haut pour comprendre ou constater par eux-mêmes que, dans de telles conditions, il est peu probable que soient obtenus, par et pour tous les enfants, les bénéfices attendus en termes d’apprentissage et de développement du langage, de découverte des règles du vivre et faire ensemble, d’enrichissement et d’organisation des activités ludiques expérimentales. Ils savent aussi que le manque de disponibilité et de formation des professionnels peuvent occasionner des difficultés de compréhension et de communication entre les enfants, l’insuffisante prise en considération de leurs besoins individuels, de leur intolérance aux frustrations, de leurs habituelles impatiences (ou de leurs résignations dépitées) et de leur fatigabilité.

 

Toutefois, dans des conditions plus favorables, et comme le fait remarquer Sylvie Chevillard, conseillère pédagogique et chercheuse à l’Université Paris VIII dans une interview à l’Express du 22 mars 2004, « pour la plupart des petits, la scolarisation dès 2 ans est enrichissante : bien que l'enfant soit dès la naissance doué de sociabilité, il a besoin de se construire par rapport à d'autres individus de son âge et à des adultes différents de ses parents. On reproche souvent à l'école d'être trop contraignante. Mais ce cadre fait aussi partie des bases de l'apprentissage. Exemple : les règles de rassemblement, telles que « Asseyez-vous ! » ou « Ne bougez pas ! », durant le temps imposé par l'enseignant obligent l'enfant à maîtriser, à discipliner son corps mais aussi à se concentrer sur l'activité. Il est également amené à intégrer la règle implicite du « chacun son tour ». C'est une manière pour lui d'apprendre à respecter l'autre, le copain, comme la maîtresse et de comprendre ce qu'est le cadre scolaire ».

 

Le point ici soulevé est essentiel. Il permet d’identifier l’un des implicites de la hiérarchisation et de l’opposition que certains se plaisent à attiser entre, d’une part, les modes d’accueil et notamment la crèche collective, supposés tournés vers l’individualisation de l’éveil et des compétences du jeune enfant et, d’autre part, l’école, supposée trop tôt « socialisatrice » dans son projet pédagogique. Mais l’éducation du jeune enfant doit-elle entretenir précocement en lui l’idée qu’il est foncièrement unique parmi et malgré les autres enfants ? Doit-elle le préserver de la prise de conscience du droit commun, de la nécessité du partage, bref du sentiment vécu d’être un égal parmi les autres (ce dont la crèche, et a fortiori  l’assistante maternelle et les parents tendraient en revanche à le prémunir au moins jusqu’à l’âge de 3 ans) ?

 

Les critiques de la scolarisation, et donc de la scolarité, à 2 ans ne visent-elles pas au fond à préserver ou à restaurer une éducation « traditionnelle » quant à ses acteurs, mais résolument « post-moderne » quant au projet confié à ceux-ci de mettre en exergue des processus extrêmes d’individualisation – et non pas d’individuation – affective et relationnelle ? Ces critiques ne cherchent elles pas à écarter les jeunes enfants de l’influence précoce de la sphère publique sur la construction de leur personnalité ? D’ailleurs, si elles se défendent certes –quoique, on l’a vu, parfois assez mollement - de vouloir renvoyer la « garde » des jeunes enfants vers la seule sphère privée des familles, ne privilégient-elles pas en tout état de cause des dispositifs ou des services d’accueil qui, même s’ils sont publics ou conventionnés, reposent en plus ou moins grande partie sur la contribution financière directe des parents (conjointement à celles de la Caisse d’allocations familiales et de la municipalité) ?

 

À cet égard, l’argument selon lequel la scolarisation des enfants de 2 ans serait appréciée par les parents surtout du fait de son apparente « gratuité » - outre le fait qu’il est émis de façon souvent méprisante à leur encontre – contribue à occulter les questions de fond ci-dessus posées. Et quand bien même la « gratuité » serait l’un des déterminants du choix des parents, qui peut se permettre d’affirmer que l’intérêt de l’enfant ne dépend pas aussi de l’équilibre du budget familial et du maintien ou de la reprise de l’activité professionnelle de ses parents, en l’espèce souvent de sa mère ? Plusieurs études, françaises ou européennes, ont d’ailleurs mis en évidence de façon récurrente que la bi-activité des parents etait corrélée à une plus grande ouverture socioculturelle de tous les membres de la famille.

 

Tel n’est pas le point de vue, cependant, de Béatrice Guerville, institutrice et auteure de « Ne mettez pas votre enfant à l’école, il est trop petit » (Edition First, 2003), quand elle affirme que « les parents sont prêts à tout pour que leur progéniture réussisse, même si leur épanouissement s’en ressent. De plus, c’est une facilité de garde adaptée à leur emploi du temps, surchargé. Il faut réhabiliter le rôle des parents dans l’éducation des enfants, quitte à ce que l’un d’entre eux réduise son activité. A cet âge-là, rien ne les remplace ». C’est, ici encore, déconsidérer le choix des parents en même temps que la spécificité de l’école que de donner à penser que les premiers assimilent la seconde à un mode de « garde ».

 

On est cependant tenté de prendre l’auteure au mot en faisant valoir qu’il y a sans doute lieu, en effet, de « réhabiliter le rôle des parents » dans la scolarité des enfants, et de faire de ceux-ci des partenaires essentiels de l’école qui participe, avec eux, à l’éducation de leurs jeunes enfants. Ce partenariat et cette participation pourraient d’ailleurs constituer une importante spécificité tant de l’accueil que de la scolarisation des enfants de 2 ans – à condition toutefois qu’elle ne se traduise pas par une réquisition plus ou moins contrainte, et bénévole, des parents pour compléter des façon régulière les effectifs des adultes chargés de l’encadrement de ces enfants dans leurs classes (ou dans tel ou tel dispositif « passerelle »).

 

Orientations pédagogiques argumentées, « choix » des parents pour tel ou tel type de structure, participation de ceux-ci à son fonctionnement : aussi fondé et nécessaire le débat posé en ces termes soit-il, ne le pousse-t-on pas dans des recoins de sophistication étrangers aux réalités bien plus rudes auxquelles sont confrontées un grand nombre de familles ? Le récent rapport, intitulé« La nouvelle équation sociale », rendu public en avril 2005 par la commission « Familles, vulnérabilité, pauvreté » présidée par Martin HIRSCH dans le cadre des travaux préparatoires de la Conférence de la famille relève que « dans un système de gestion de la pénurie, l’accès des familles pauvres aux modes d’accueil des jeunes enfants est aujourd’hui difficile : seuls 3% des enfants des familles bénéficiaires d’un minimum social sont gardés en crèche. Huit enfants de familles bénéficiaires d’un minimum social sur 10, qui ne sont pas en âge d’être scolarisés, ne sont ainsi confiés à aucun mode d’accueil et sont gardés par leurs parents » Ce phénomène a pour corollaire le fait que, selon une étude du ministère chargé des affaires sociales et de la famille, « toutes aides comprises (y compris le quotient familial), quelle que soit la configuration familiale, les familles françaises ayant des enfants de moins de 3 ans sont d’autant plus aidées que leurs revenus sont élevés ». Et inversement.

 

Dans un tel contexte, et aussi imparfaite soit-elle, la scolarisation des enfants de 2 ans est un instrument de justice sociale pour les familles pauvres, précarisées, ou qui - foyers biparentaux ou monoparentaux – ne peuvent renoncer à conserver ou à reprendre un travail. Elle contribue à compenser, au moins partiellement, les désavantages liés à des situations sociales ou familiales qui, sinon, confineraient l’enfant dans une garde à domicile subie, ou dans des solutions de « garde au noir » bricolées et offrant des garanties souvent aléatoires d’éducation et de sécurité.

 

L’argument de la justice sociale - aussi puissant soit-il - combiné à un bilan globalement positif de ses effets à moyen terme mesurés sur des indicateurs de compétences scolaires - qui n’est pas négligeable non plus - ne sauraient justifier pour autant que la scolarité des enfants de 2 ans continue à être organisée et conduite sans précaution, sans adaptation, sans ajustements, sans ambition pourrait-on même dire, comme cela le lui est aujourd’hui souvent reproché. La Défenseure des enfants note à juste titre que « nombre d’enseignants déplorent la pauvreté de leur formation, initiale notamment (environ 12 heures dans l’année), au travail en école maternelle et plus encore pour les classes des moins de 3 ans. Les indispensables ATSEM (agent territoriaux spécialisés des écoles maternelles) sont très souvent en nombre insuffisant, de qualification hétérogène (il n’y a pas de référent national) ou doivent « se partager » entre plusieurs classes. Par ailleurs, la forme de contrat de travail utilisé par la commune est souvent précaire (contrats aidés, temporaires, etc…) ».

 

 

Qui, aujourd’hui, peut faire quoi, et comment, pour étendre l’offre de scolarisation et améliorer les conditions de scolarité des enfants de moins de 3 ans ?

 

Les efforts à mener pour accroître quantitativement et améliorer qualitativement les conditions dans lesquelles sont scolarisés les enfants de 2 ans relèvent :

-          des communes pour ce qui concerne tant la construction ou l’aménagement de locaux adaptés que la formation et le recrutement d’agents d’encadrement non enseignants (qui peuvent être, classiquement, des ATSEM, mais aussi, dans le cadre de dispositifs « passerelles », des éducateurs de jeunes enfants et des animateurs de centres de loisirs) ;

-          du ministère de l’Education nationale pour ce qui concerne la formation initiale et continue des personnels enseignants et l’encadrement pédagogique de l’ensemble des personnels.

 

Il est donc faux d’affirmer que le développement de la scolarisation des enfants de 2 ans serait motivé par la volonté plus ou moins occulte des communes de se voir financièrement soulagées, au détriment de l’État, des charges d’accueil des enfants de moins de 3 ans. Les compétences des communes en ce domaine sont d’ailleurs non obligatoires (et elles le sont moins encore pour les départements et les régions). On ne fera pas plus aux contempteurs de la scolarisation « précoce » le procès inverse de vouloir aggraver le transfert de charges, pourtant bien réel depuis 2 ans, de l’État vers les collectivités locales.

 

Il serait temps, en revanche, que soient effectués localement, par exemple au niveau des grandes villes mais, mieux encore, au niveau des départements, des diagnostics précis des besoins des enfants de 2 à 3 ans et de leurs familles en matière d’accueil, d’éducation préscolaire et de loisirs. Cette mission revient en pratique aux Commissions départementales de l’accueil des jeunes enfants (CODAJE) instaurées par le décret du 3 mai 2002 mentionné au début de cet article, et qui ont été mises en place à ce jour dans 70 départements. Celles-ci constituent dès lors l’instance pertinente pour réaliser, au regard des diagnostics départementaux de besoins, la mutualisation – entre les communes, les Caisses d’allocations familiales, l’État et les familles - des compétences et des financements permettant d’y répondre. De ce fait, elles pourraient être également chargées de concevoir, de mettre en œuvre et d’évaluer une série de réponses diversifiées correspondant aux ressources conjointes mobilisables et permettant de renforcer, selon les contextes locaux, les capacités d’accueils collectifs (crèches, haltes garderies) et individuels (assistantes maternelles, services prestataires de gardes à domicile), de scolarisation, de jardins d’enfants, de « garderies » périscolaires et de centres de loisirs pour très jeunes enfants, mais aussi de structures et de services passerelles entre ces différents équipements (comme il en est déjà expérimenté de multiples modalités en de nombreux sites urbains et ruraux).

 

Un tel projet, piloté nationalement mais décliné localement, c’est à dire reposant sur des financements territorialisés croisés mais doté de dispositifs de régulation explicites et homogènes au plan national (pour ce qui concerne notamment les modalités d’attribution des places et d’évaluation des services) serait sans doute de nature à réconcilier toutes les parties prenantes du débat dont cet article a cherché à restituer les principales composantes. Il pourrait s’appuyer, au préalable et le cas échéant, sur les travaux d’une « conférence de consensus » telle que celle dont la Défenseure des enfants a souhaité la tenue (à condition toutefois, que les représentants du corps médical n’y soient pas aussi sur-représentés qu’elle le préconise) et dont le ministre de l’Éducation nationale a confirmé le principe.

 

Mener à bien un tel projet contribuerait enfin à poser les jalons, pour la tranche d’âge considérée des enfants de 2 à 3 ans, d’un service public diversifié d’accueil de la petite enfance et de la reconnaissance progressive d’un droit au mode d’accueil pour toutes les familles qui souhaitent le faire valoir au bénéfice de leurs enfants. Encore faudrait-il que ce droit s’étende aussi aux enfants de moins de 2 ans, et qu’il soit concrétisé par une offre diversifiée, quantitativement et qualitativement adaptée à ces enfants et à leurs parents, ce qui suppose des efforts institutionnels et financiers bien plus considérables encore pour les collectivités locales et les Caisses d’allocations familiales.

 

Encore faudrait-il aussi que le projet de rendre obligatoire la scolarité à 5 ans, et non plus à 6 ans, ne vienne pas concomitamment créer une incertitude et une fragilisation de l’offre publique de scolarisation et de scolarité pour les enfants de 3 à 5 ans, dont certains modèles européens fournissent aujourd’hui des exemples aussi patents que préoccupants.

 

 

De l’importance que l’accueil des enfants de plus de 2 ans reste et/ou redevienne possible pour tous en milieu scolaire et des efforts restant à mener pour y parvenir

 

Il existe certes, en dehors de l’école, de nombreuses formes d’accueil, professionnalisées et de qualité, pour les enfants de plus de deux ans. Mais, on vient de le voir, ces offres – outre le fait qu’elles sont loin d’être accessibles à toutes les familles - ne répondent pas aux mêmes besoins sociaux et collectifs. L’école a, pour les parents, un tout autre sens que les crèches ou le recours aux assistantes maternelles. Nombre d’entre eux, exclus du marché du travail ou ayant décidé de ne pas ou de ne plus chercher à s’y inscrire, n’ont pas nécessairement besoin de faire « garder » leur enfant ; mais, désireux de lui offrir précocement la meilleure éducation possible, ils sont convaincus qu’une partie de celle-ci passe par l’école.

 

Au delà des considérations propres aux familles et des appréciations psychosociales livrées ça ou là de leurs besoins, de leurs motivations et de leurs attentes, d’autres préoccupations, relevant quant à elles de la sphère pédagogique, accompagnent l’actuel mouvement de remise en cause de la scolarisation « précoce ». La nature des arguments employés pour affirmer l’incapacité de l’école « maternelle » de subvenir aux besoins des jeunes enfants semble vouloir faire écran à ces préoccupations mais laisse en réalité songeur quant à ce qui fonde aujourd’hui le modèle scolaire.

 

N’est-ce pas l’ensemble des pratiques de l’école - et pas seulement « maternelle », mais également élémentaire - qui devrait être ré-interrogée du point de vue de ces critiques ? Invoquer le manque de qualités de base pour écarter les enfants les plus jeunes, n’est ce pas une façon curieuse de justifier des défaillances qui affectent en réalité l’ensemble du système éducatif ? Si les jeunes enfants ne trouvent pas à l’école la réponse à certains de leurs besoins éducatifs essentiels, au point qu’on se pose la question de préférer d’autres lieux pour eux, il faut se demander si le même type de critiques ne pourrait pas s’appliquer aux niveaux supérieurs où les besoins des enfants, pour être réputés un peu moins intenses, sont pour autant bel et bien de même nature !

 

C’est en effet à tous les âges de l’école primaire, et au sein de l’école de tous, que les enfants devraient avoir la chance de bénéficier d’une éducation ouverte à leur expression, d’une éducation professionnelle et durablement attentive aux individus.

 

L’école « maternelle » est aujourd’hui au milieu du gué. On s’est contenté depuis fort longtemps d’un satisfecit trop général à son sujet et ce satisfecit a surtout abouti à ce que les conditions d’éducation n’y progressent plus beaucoup depuis les années 80. On se soucie encore assez peu du déficit des formations enseignantes sur le plan de la connaissance du développement psycho-affectif des jeunes enfants, ou encore sur celui de l'éducation par le jeu. On ne dit pas assez que l’école « maternelle » reste encore souvent le parent pauvre de l’école primaire. C’est à ce niveau d’enseignement que l’on trouve le moins d’investissement en intervenants extérieurs, que les directeurs (directrices, le plus souvent) ne sont presque jamais déchargé(e)s de classes, que l’équipement audio-visuel et informatique est le moins développé. C’est également à ce niveau d’enseignement et à ce niveau seul que l’on trouve acceptables les effectifs les plus élevés du système scolaire ! On ne peut expliquer que les très jeunes enfants ont besoin de relations personnalisées et suivies avec les adultes sans commencer par s’indigner que les écoles « maternelles » n’aient pas les opportunités et les moyens de les mettre en œuvre.

 

Pire, les pratiques de l’école « maternelle » sont aujourd’hui réorientées sous l’effet d’une intrusion précoce des pratiques les plus discutables de l’école élémentaire. Les évaluations à l’entrée du CP se généralisent et exercent une pression sur les enseignants des grandes sections pour anticiper de plus en plus les apprentissages fondamentaux. Les mêmes enseignants sont invités à privilégier, à la relation quotidienne, une capacité à déceler de plus en plus précocement d’éventuels signes avant-coureurs de difficultés scolaires. Dans ce registre, la plus grande agitation des enfants, leur trop plein de dynamisme sont en danger d’être considérés comme autant de signaux d’appel de troubles cognitifs mais également de « déviances sociales », avec les risques de confusion que cela implique entre les registres de la stigmatisation, de la répression et de la prévention.

 

Ce n’est pas avec de telles pratiques que l’école « maternelle » aura des chances de consolider ou de développer le milieu rassurant, protecteur, riche et bienveillant dont tous les enfants d’aujourd’hui (et non seulement ceux de 2 ans) ont de plus en plus besoin.

 

À l’inverse de cette tendance persistante à la technicisation des apprentissages et au repli de l’école sur des savoirs fondamentaux et réduits, une autre voie serait pourtant possible. Elle est connue depuis le plan Langevin-Wallon, elle est pratiquée et conseillée par les praticiens de l’éducation nouvelle, mais elle est toujours soigneusement mise à l’écart. Elle comporte :

 

-          l’établissement et le suivi de relations éducatives durables au sein de l’école : un véritable travail d’équipe doit permettre un suivi des enfants, au sein de celle-ci, qui ne se résume pas à un simple étalonnage des résultats des enfants à des épreuves diverses mais qui donne lieu à ce que chaque enfant soit connu pour lui même par toute l’équipe.

 

-          des apprentissages globaux et actifs (-) : il conviendrait, sans découper le savoir en petits bouts, de restituer aux enfants chaque notion dans sa complexité, dans son environnement humain, dans une histoire, et ceci afin de les éveiller aux responsabilités humaines du savoir et de la connaissance ;

 

 

-          un apprentissage de la vie en collectivité et du travail en groupe : l’enfant doit pouvoir s’enrichir des autres sans se sentir ni appauvri, ni menacé, ce qui suppose l’existence de groupes et de collectifs enfantins dans lesquels les adultes prennent toutes leurs responsabilités et s’impliquent, y compris personnellement ;

 

-          une école ouverte sur la Cité et l’environnement : en apportant aux enfants le goût de l’action, de l’initiative sociale, du travail, de la responsabilité, une telle école donnerait aux apprentissages un sens qui ne se limite pas à la peur du lendemain, au désir de réussite des parents – ou, plus tard, à une vaine attente de la fin de la scolarité obligatoire ;

 

 

-          une école ouverte sur tous les âges de la vie, véritable lieu social, de culture et de recherches : dans ce cadre les parents pourraient et sauraient prendre des initiatives et des responsabilités bien au delà de celles que motive l’unique souci de leurs propres enfants ; cette école saurait également reconnaître et mobiliser l’utilité sociale des plus anciens, de ceux qui sont privés d’emploi, et accueillerait tous ceux qui souhaitent apprendre encore.

 

Une telle école serait a fortiori à même de trouver la véritable place à donner aux enfants, dès l’âge de 2 ans comme après, et de ne plus définir celle-ci en fonction d’un simple catalogue d’apports même hautement spécialisés.

 

Une telle école serait naturellement passionnante pour tous les enfants car elle saurait réunir quatre critères qui font formidablement sens pour eux :

 

-          une école qui est, tout d’abord, le lieu où on peut travailler avec tous et prendre sa place dans la collectivité ;

-          une école qui est aussi celui où on peut apprendre à s’exprimer et à se connaître soi-même en tant qu’individu parmi les autres ;

-          une école qui permet à chaque enfant d’être reconnu dans son âge, mais aussi, et peut être plus encore, dans la perspective de son histoire et de son avenir ;

-          une école qui, pour cette dernière raison, associe l’enfant à ses propres apprentissages, à la vie et à la gestion de l’école, bref une école qui n’est pas seulement faite pour lui, mais également le plus possible avec lui et en lien avec son environnement direct.

 

 

Idées pour une conclusion :

 

     Pour de multiples raisons la scolarité dès deux ans est aujourd’hui devenue un besoin social important ; ce type d’accueil tranche en effet avec les tendances à l’émiettement de la société française, à l’accroissement des solitudes individuelles et à la tendance de considérer l’éducation commun service à la carte, au risque de faire l’impasse sur la fonction de cohésion sociale et personnelle qui sont à sa base.

 

    La scolarisation dès deux ans permet aux familles comme aux enfants  de s’insérer dans un tissu social et institutionnel fondamental et en principe ouvert à tous.  La scolarisation précoce constitue un travail  en commun et d’évolution réciproque entre équipes éducatives, parents et enfants, voire même Commune en ré apprenant les enjeux des politiques locales

 

  L’école est aussi fondamentalement un lieu qui appartient pleinement aux enfants, leur permettant d’accéder à un véritable ailleurs de leur milieu, en dehors des options et limitations familiales.

 

  Bien entendu l’école à deux ans doit donner lieu surtout pour se développer à un enrichissement et à une évolution des pratiques : taille humaine de l’établissement et du groupe classe, formation des enseignants, importance du jeu pour lui même et non pas comme seul vecteur des apprentissages, compréhension que le temps et le lieu de l’éducation précoce doivent être pensées comme du répit, c’est à dire un moment où on s’abstient de fabriquer de l’étiquette, de l’orientation, juste un temps qu’on donne à tous ….



[1] Dans un autre contexte, une étude menée auprès de 3000 enfants et publiée en 2004 par l'Institut d'Education de l'Université de Londres indique que « la scolarisation avant 6 ans (…) améliore le développement de l'enfant. Ses effets sur le développement social et intellectuel de l'enfant sont évidents durant les premières années de l'école primaire ». Pour ces chercheurs britanniques, plus la scolarisation est précoce, meilleurs sont les résultats, même si elle s'effectue à temps partiel. Ils mettent en évidence des gains pour l'apprentissage de la lecture et des mathématiques et ils démentent tout effet négatif sur les comportements.

 

[2] Ce décret a été pris, au dernier jour du gouvernement sortant, en application de l'article L. 214-2 et l'article L. 214-5 du Code de l'action sociale et des familles, eux-mêmes issus, de façon relativement étonnante, de l'article 83 de la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 « rénovant l'action sociale et médico-sociale ».

[4] Dans le même esprit, le pédopsychiatre honoraire Roger Misès écrit dans le n° 140, de décembre 2004, de la « Lettre de psychiatrie française » : « Selon ses promoteurs, la scolarisation à 2 ans se propose, parmi ses principaux objectifs, d’apporter une aide à des enfants qui paraissent menacés par leur appartenance à des milieux défavorisés. Malheureusement, lors de l’élaboration de ce projet, l’Éducation Nationale n’a pas pris en compte les contributions émanant d’autres intervenants (pédiatres, pédopsychiatres, linguistes, travailleurs sociaux, …). Aussi, la loi du 10 juillet 1989 s’est trouvée placée sous une perspective réductionniste, qui valorise l’étude des fonctions cognitives et juge de ses effets d’après les aptitudes de l’élève aux apprentissages scolaires. Dans ce contexte, les premières enquêtes se sont bornées à évaluer comment les enfants scolarisés à 2 ans s’adaptaient, quatre ou cinq ans plus tard, aux exigences du CP et de la classe de CE1. Les résultats ont paru d’abord favorables mais, aujourd’hui, des remises en question se dessinent, et le rapport de Claire Brisset fait bien voir qu’une réévaluation d’ensemble est devenue indispensable. »

 

[5] Cf. : Frédéric Jésu : « Accueil de la petite enfance et co-éducation : une alliance parents/professionnels à développer », Entretiens de la petite enfance, Expansion Scientifique Française, 2005 (à paraître)

[6] Depuis « De l’illettrisme en général à l’école en particulier », Plon, 1996, jusqu’à « Tout sur l’école », Odile Jacob, 2004.

[7] 60% des parents d'élèves ne sont pas prêts à mettre leur enfant à l'école dès l'âge de deux ans, même s'ils en ont la possibilité, contre 39% qui y sont favorables, selon un sondage réalisé en mai 2004 par la fédération des Parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP). Les parents qui se déclarent prêts à scolariser leur enfant dès l'âge de deux ans, le sont principalement par choix, pour l'éveil de leur enfant (78%) indique l'enquête. Mais 20% prendraient cette décision pour des raisons d'ordre matériel : 16% par manque de structure d'accueil, et 4% parce que l'école est moins chère qu'une autre forme de garde. (Enquête réalisée par Audirep du 9 au 14 avril 2004 par téléphone auprès de 803 personnes - 63% de femmes, 37% d'hommes - ayant au moins un enfant scolarisé et dont 75% ne sont pas adhérents d'une association de parents d'élèves, selon une méthode dite d'échantillons régionaux).