J’avais écrit le texte ci dessous avant les derniers évènements qui viennent de marquer la vie de l’Association Intermèdes
(voir lien sur le site pour plus
de précisions).
A ce jour, il paraît bien difficile d’envisager l’avenir que ce soit de l’association ou de la structure ; raison de plus me semble – t-il pour établir un inventaire des pratiques et des expériences dans le but d’alimenter des réflexions et pratiques futures.
Le projet initial de la Maison Robinson, il peut être utile de le rappeler était de constituer une « permanence éducative intégrale », ce que nous dénommions Internat en Milieu Ouvert ; il est à noter, que cette question laissée en suspens de l’internat court toujours dans les intentions politiques éducatives, et ce, quels que soient les ministères.
Très vite, le petit groupe de concepteurs du projet et avant même l’ouverture de la Maison Robinson, avait fait évoluer cette notion ; plutôt que de l’Internat, dont l’admission, le financement, la durée et la gestion posaient des problèmes de conception, ne valait il pas mieux développer le sens sous jacent de cette préoccupation, à savoir la durée et le suivi des relations éducatives engagées avec les enfants ?
Cette re direction fut bénéfique car elle nous permit d’être mieux compris par les partenaires locaux et notamment, l’Aide Sociale ; néanmoins la question de l’Internat reste posée mais différemment : le besoin se fait sentir lors de périodes de crise familiales de « faire la jonction », entre deux solutions de garde, d’éviter des placements provisoires ou des déplacements trop brutaux ; plus encore, la possibilité de prévenir l’usure des relations parents/ enfants en restant à l’écoute de cette préoccupation du côté de l’enfant qui « demande à faire un break » semble pleine de bon sens.
Le projet initial était donc à la fois plus court et plus complet que le travail tel qu’il s’est progressivement développé à la Maison Robinson :
- plus court, car l’action était à l’origine pensée comme axée trop exclusivement sur les enfants et plus encore sur les enfants les plus isolés, et que, chemin faisant elle s’est développée largement vers les parents et vers d’autres enfants, tout aussi seuls, mais « dépendants » de groupes ou de fratries un peu étouffants .
- plus complet, cependant dans le sens où le projet initial donnait une part bien plus importante aux accompagnements éducatifs individualisés, l’accueil et l’écoute d’un seul enfant par un seul adulte, la constitution de souvenirs et d’histoire communes, matérialisées par des petits rituels ou des objets « souvenirs » : casiers appartenant aux enfants, photos des enfants affichées dans le local de la Maison Robinson, anniversaires célébrés dans le local, albums photos plus personnalisés, etc. Or, cette dimension est aujourd’hui beaucoup plus réduite qu’elle ne l’a été dans les premiers temps de l’ouverture de la MR, et ce, pourtant, avec une équipe plus réduite.
Le travail de la Maison Robinson a donc connu différentes phases de modification ; en quelques années, le travail avec les familles s’est développé pendant deux trois ans, pour arriver à la situation actuelle où les pratiques restent stables et ne donnent pas lieu pour le moment à des évolutions ou initiatives nouvelles ; symétriquement les accompagnements individuels ont peu à peu au fil du temps perdu de leur rigueur ; nous étions partis d’une liste, certes évolutive, mais rigoureuse d’enfants autour desquels l’équipe à la fois de bénévoles et de permanents s’engageait, afin de constituer un environnement éducatif personnalisé, stable et durable. Au jour d’aujourd’hui, les enfants sont certes connus, souvent depuis longtemps, mais cette notion de « disponibilité prioritaire » semble en « stand by », et n’est plus évoquée par l’équipe que de loin en loin.
Par contre un autre élément du travail est resté stable à la fois dans son importance, mais aussi dans sa qualité, sa technicité et son succès au point d’avoir tendance à tenir lieu d’axe d’identité privilégié de la structure : le travail dehors, en milieu ouvert et en grand collectif.
Cet axe fut le premier à anticiper l’ouverture de la Maison Robinson : les ludothèques , puis les bibliothèques de rue en ont façonné petit à petit le modèle, qui a servi régulièrement pour d’autres activités (danse, arts plastiques, théâtre, etc.). C’est en effet dans ce type d’action, que l’équipe ou les volontaires de l’Association INTERMEDES développent le savoir faire le plus recherché et le plus spécifique ; mais il faut dire également que ce savoir faire était antérieur pour pas mal d’acteurs de la Maison Robinson et avait pu être développé dans d’autres cadres et auprès d’autres structures (ATD Quart Monde, Centres de Loisirs en Milieu Ouvert, etc.). Il n’est donc pas tellement étonnant que c’est sur cet axe là que semblent se « retrouver » , voire se resserrer » les actions de la Maison Robinson.
Mais, pour autant, ce qui a permis au travail de la Maison Robinson d’engager à la fois une pratique et une réflexion dans le champ de la prévention, du développement des facteurs de protection personnels, des pratiques de co-éducation, n’est pas représenté dans cet axe de travail.
Il semble plutôt que si, le travail en « grands groupes extérieur » tient une place, centrale dans le dispositif de permanence éducative, c’est surtout parce qu’il permet tout simplement de rentrer en contact et de le garder tant avec les enfants qu’avec les parents du quartier. En tant que tel et à lui seul, cet axe de travail ne permet pas de constituer un travail éducatif structuré et structurant.
La tendance à simplifier le projet au cœur de son travail, est probablement à l’œuvre dans la plupart des structures éducatives, au risque, évidemment, d’appauvrir progressivement le projet initial.
Dans le cas de la Maison Robinson, le caractère innovant de la pratique mise en place a permis, dans un premier temps, un enrichissement du projet initial ; toute la difficulté actuelle réside dans les méthodes et les pratiques à construire pour permettre à une pratique homogène de continuer son développement dans cette complexité même.
Or, au jour, certains axes de travail, à la Maison Robinson nécessiteraient selon moi d’être réactivés et de recevoir une attention et un volontarisme affirmé :
- les suivis individualisés pour les enfants les plus isolés, les plus en rupture, ou, à l’inverse, les plus en demande devraient reprendre toute leur place ; cela suppose, je le crois de consacrer à ce type d’accompagnement l’équivalent d’un temps plein pour un nombre d’enfants évalué à une vingtaine. Si on ne décide pas à l’avance de consacrer un tel temps et de créer une telle disponibilité, c’est sûr, les préoccupations et les sollicitations concurrentes ne manquent jamais et viennent tout naturellement « grignoter » ce luxe éducatif qui me paraît indispensable,
- le travail que nous avons appelé « d’association » avec les parents, après avoir été suscité, semble être dorénavant en « stand by » et avoir tendance à s’enrayer. Il faudrait se pencher sur les freins à son développement et les identifier plus finement ; je propose deux hypothèses :
o les premiers parents et adultes qui ont trouvé, dans la Maison Robinson, l’occasion d’organiser des moments et des événements de convivialité ou de citoyenneté dont ils ressentaient le manque se retrouvent aujourd’hui dans une certaine forme de répétition ; les goûters, les stands, les expositions se succèdent un peu à l’identique ; il serait important de trouver de nouvelles issues à ce cadre de travail qui répondent aux besoins de ces familles : l’aide à l’organisation, à l’auto-financement partiel des sorties et séjours en petits collectifs, la surveillance coopérative et collective du travail scolaire, … sont des demandes souvent évoquées ; la Maison Robinson peut en effet aider les parents à trouver avec un investissement collectif et coopératif des réponses à ces problèmes dans une période où les structures municipales se désengagent et où les problèmes sociaux du quartier augmentent.
o Certains parents n’ont pas encore pu trouver de place dans le fonctionnement de la Maison Robinson ; il est à rappeler qu’à l’inverse des enfants qui se présentent spontanément lors de nos actions extérieures, l’expérience nous a montré que beaucoup d’adultes restent retranchés chez eux et nécessitent que les membres de l’équipe aillent les y trouver et établir sur place un premier contact, souvent long mais nécessaire. Or, suite à l’investissement de la structure et de l’équipe par un petit groupe de familles très présente, ce travail de fond a eu tendance à beaucoup perdre de sa fréquence.
- La question des « associations d’enfants » demeure un chantier toujours inachevé, mais également riche ; là encore, il faut aller au devant des enfants les moins demandeurs car la tendance est trop forte à céder la place et le temps aux enfants et ados à proximité directe de la structure ; il pourrait être nécessaire de rappeler l’âge « cœur de cible » de l’action de la Maison Robinson qui ne s’offre pas comme un lieu d’activité pour les plus de 13 ans ; il propose à partir de cet âge et à ceux qui le désirent une sorte d’intégration dans l’équipe en tant « qu’apprentis animateurs ». Cela est lié, le contenu des projets collectifs proposés par les enfants devrait être plus fermement recadré dans le champ de la coopération : il faut sortir du tournoi de cartes à jouer ou de foot, même s’il est entendu que la Maison Robinson parvient à faire accepter à peu près tout le monde (ce qui est en effet mieux que la moyenne des pratiques d’animation) ; mais cela ne suffit pas, maintenant que les enfants du quartier ont accepté l’idée de jouer et travailler avec d’autres qui ne font pas forcément partie de leur groupe ou de leur âge, il faut leur proposer et les accompagner dans des véritables chantiers, plus ambitieux dans leurs objectifs, motivants, mais nécessitant de l’organisation du groupe en interne ; des chantiers d’expression (journal de quartier, de création de site, de courts métrages, de création et d’animation d’expositions) sont à renforcer sur le modèle un peu du travail des ateliers d’écriture. Nul doute qu’il serait également profitable d’accompagner ces enfants dans la diffusion du travail en dehors du quartier : présentations, exposés, expositions dans d’autres villes, pour d’autres collectifs. Les enfants en sortiraient évidemment grandis. De même, dans ce domaine, nous sommes restés depuis longtemps au seuil de la dimension économique ; or celle ci est essentielle dans le projet coopératif ; définir un budget, se financer, s’auto financer partiellement, valoriser le travail accompli devraient maintenant devenir des modes de travail réguliers dans les groupes d’enfants que nous animons.