CONTRIBUTIONS APPORTEES PAR LEURS AUTEURS SUR LES  QUESTIONS INTERESSANT CE SITE

*************

Retour sommaire "Textes"

Retour Accueil

************

SOMMAIRE:

A PROPOS DE LA SCOLARISATION ET DE LA SCOLARITE DES ENFANTS DE 2 ANS :
un débat malvenu qui ne fournit pas les preuves de la nocivité alléguée (F. Jesu- Juillet 2005)

L'autorité parentale et ses doutes face à l'intérêt supposé de l'enfant; F. Messica Février 2005

Pour une co-éducation émancipatrice (par F. Jesu)

La Tour de Babel (concernant les enjeux de la laïcité) F. Messica (08/04)

La part des choses (surla fabledu RER), F. Messica (07/4)

Les Conseils de parents ( par F. Jesu/ 05/ 04)

DEMOCRATIE FAMILIALE par Jean Le Gal

« Les droits de l’enfant, dangereux défis ou nouvel âge de la démocratie ? » par F Jesu.

Les dessous de la « colère » d’un pédopsychiatre par F Jesu.

Politiques éducatives, sécuritaires et sociales: les familles dans la tourmente/ F. Messica ; 2004.

DEMOCRATIE FAMILIALE par Jean Le Gal

Jean Le Gal, docteur en Sciences de l ‘Education,

Chargé de mission aux droits de l’enfant et de la citoyenneté de l’ICEM-Pédagogie Freinet

Convention Internationale des Droits de l'Enfant

Article 12

1.       Les Etats parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.

2.A cette fin, on donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'un organisme approprié de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.

         

Autorité parentale : Loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale :

Chapitre 1er-L'autorité parentale

Art 371-1-

" L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect de sa personne. Les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent selon son âge et son degré de maturité"

            L’enfant doit pouvoir exprimer son point de vue par rapport à toute activité, procédure ou décision l’intéressant. Cela implique que dans sa famille, dans l’école et dans tous les autres lieux où il vit, on lui offre des espaces pour exprimer son opinion, dans une ambiance de respect et de liberté, et qu’il soit écouté.         

            Dans son rapport, [1] présenté à l'Assemblée nationale en 1990, pour la ratification de la Convention, la députée Denise CACHEUX écrivait que  :

"Ce droit d'expression peut être décomposé en trois points:

            . le droit de s'exprimer, de parler, de donner son avis;

            . le droit d'être écouté, d'être cru;

. le droit de participer au processus de décision et même de prendre seul des décisions. ”

            En accordant aux enfants le droit d’exprimer librement leur opinion sur toutes les affaires les concernant, la Convention reconnaît leur citoyenneté et leur droit de participation. Ce sont là des principes majeurs sur lesquels, aujourd’hui, doivent s’appuyer tous les éducateurs pour une véritable éducation à la responsabilité et à la citoyenneté.

            Après avoir étudié l’exercice des libertés et de la citoyenneté à l’école [2] , je tenterai d’apporter, dans cette courte introduction, quelques arguments qui justifient qu’une étude approfondie soit menée sur la mise en oeuvre d’une démocratie familiale s’appuyant sur la reconnaissance des droits et libertés de chacun de ses membres.

I. Le Conseil de l'Europe et les droits de l'enfant dans la famille

Dès 1979, Année internationale de l’enfant ( AIE), l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, se préoccupe des droits de l’enfant dans la famille et recommande [3] au Conseil des Ministres de «  faire entreprendre sans délai l’élaboration d’une Charte européenne des droits de l’enfant qui sera conçue de manière à aider au maximum les parents à faire face aux graves responsabilités qui leur incombent ». Elle pourrait s’inspirer d’un certain nombre de principes et de lignes directrices, parmi lesquels, j’ai retenu dans le cadre de la réflexion que je mène :

I. Principes généraux

a. Les enfants ne doivent plus être considérés comme la propriété de leurs parents, mais être reconnus comme des individus avec leurs droits et leurs besoins propres ;

II. Situation juridique de l’enfant

c. Il faut substituer à la notion d’ « autorité parentale » celle de « responsabilité parentale », en précisant les droits de l’enfant en tant que membre distinct de la famille ;

d. Il faut améliorer le droit reconnu par la loi à l’enfant d’avoir son propre représentant judiciaire(avocat d’office) en cas de différend entre les parents tel que les affaires de divorce ou de séparation ; ce droit doit reposer sur le principe que les intérêts de l’enfant sont souverains ;

Après l’adoption par les Nations Unies, en 1989, de la Convention relative aux droits de l’enfant, en octobre 1993, [4] la Conférence des Ministres européens chargés des affaires familiales a rappelé que « le principe de base contenu dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, selon lequel l'enfant pour l'épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d'amour et de compréhension » mais elle a aussi souligné que « les enfants doivent être préparés à devenir des citoyens autonomes, responsables et solidaires, grâce à la prise en compte de leurs droits et besoins au sein de la famille ».

Les parents sont responsables de l'éducation de l'enfant, responsables à l'égard de la société en raison de la valeur fondamentale de l'enfant, réalité d'intérêt public, et responsables à l'égard de l'enfant lui-même, qu’ils doivent éduquer dans le respect des valeurs d'une société démocratique.

Mais les familles ont-elles la capacité de donner aux enfants la possibilité de participer et de devenir des individus responsables ? Quelle est la place des enfants dans la société contemporaine ?

Pour répondre à ces questions, et apporter une contribution européenne à  l'Année internationale de la Famille, commémorée en 1994, le Conseil de l’Europe met en place le « Projet du Conseil de l'Europe sur les Politiques de l'Enfance ». Au centre des débats, il place la réflexion sur la participation et la négociation, qui constituent, pour lui, les atouts essentiels pour bien "édifier la plus petite démocratie au coeur de la société" qu’est la famille. Cet important programme de travail traduit l'incidence juridique, culturelle et sociale que la Convention relative aux droits de l'enfant commence à avoir.

En décembre 1994, avec le Ministère espagnol des Affaires sociales, il  organise, à Madrid, une conférence intitulée " Evolution du rôle des enfants dans la vie familiale : participation et négociation" . [5] qui sera un des temps forts du projet. Le rapport deviendra un document fondamental pour les travaux postérieurs.

Cette conférence  rassemble plus de 300 personnes dont environ 60 enfants espagnols et français. Elle témoigne de l'avancée importante des idées en ce qui concerne la démocratie familiale.

La citoyenneté de l'enfant

En ouverture de la Conférence, Christina Alberdi Alonso ministre espagnole des Affaires sociales, place la réflexion à mener dans le cadre de la citoyenneté de l'enfant en affirmant que pour la première fois dans l'histoire, une Convention « reconnaît la citoyenneté des enfants, garçons et filles et leur capacité à être titulaire de droits ». « Du moment dit-elle que l'on considère les enfants comme des citoyens à part entière, il devient d'autant plus capital de veiller à leur donner la possibilité d'exprimer leurs propres points de vue et de participer à l'adoption des décisions les concernant. Le mineur doit être assimilé à un interlocuteur actif ou à un citoyen comme les autres dans tous les domaines qui l'intéressent ( famille, école, collectivité, sports, etc ) »

Elle constate que la société espagnole dans son ensemble est favorable au soutien, au dialogue et au raisonnement pour résoudre ou aborder les problèmes qui se posent dans le contexte des relations entre les parents et les enfants et qu'on assiste à l'émergence d'une nouvelle philosophie de l'enfance et de la famille, caractérisée par la pratique en son sein de la démocratie.

Marta Santos Pais, [6] Vice-Présidente du Comité de Coordination du Projet sur les Politiques de l’Enfance, rappelle que le projet  met « en évidence la qualité de l’enfant en tant que citoyen d’aujourd’hui, titulaire de droits et de libertés fondamentales, capable d’exprimer des opinions, au sein de la famille et de la société. Et en même temps, l’enfant qui sait garder le droit de jouir de son enfance, de jouer et d’apprendre, de grandir dans un climat de bonheur, d’harmonie et de compréhension, de ne pas avoir à craindre les défis du lendemain ».. Comme Christina Alberdi Alonso, elle considère que « l'enfant doit être en mesure d'exprimer ses points de vue par rapport à toute activité, procédure ou décision l'intéressant. Ce qui implique, eu égard à son âge et à son degré de maturité, qu'il soit informé sur les options possibles, les conséquences en découlant, le poids que jouera son opinion. » Cela implique que ceux qui l'entourent, et notamment les membres de sa famille, « soient disponibles pour l'écouter, ouverts à lui accorder l'espace approprié pour qu'il se sente encouragé à exprimer ses opinions, dans une ambiance de respect et de liberté ». Mais comme dans tout environnement démocratique, « exprimer une opinion ne veut pas dire prendre la décision. Respecter l'opinion de l'enfant c'est l'écouter, pas forcément l'entériner ».

Pour Ferran Casas, [7] Président du Comité de Coordination du Projet, la socialisation démocratique des enfants est extrêmement importante si l'on souhaite, qu'en Europe, les citoyens fassent preuve de coopération, de responsabilité et de solidarité. Il s'agit donc de débattre de leurs nouveaux droits et des nouvelles formes de leur présence dans la société. Or pour les adultes, se comporter avec eux et les écouter comme des individus dotés des mêmes droits qu'eux-mêmes, est en contradiction avec les représentations sociales des enfants qu'ils ont héritées du passé. Pour lui, l'aspect le plus fondamental de ces représentations est la définition des enfants comme des "pas encore" ( pas-encore mûrs, pas-encore responsables, pas-encore citoyens à part entière, etc). Dans nos sociétés européennes en général, dit-il, « nous avons construit la catégorie des "pas-encore" comme une catégorie très absolue de personnes. La loi définit un âge de la majorité légale, un âge minimum pour conduire, voter, être condamné et emprisonné, etc. Tous les enfants, avant d'atteindre chaque palier d'âge, sont censés appartenir de façon homogène à une catégorie unique même si leur capacités réelles sont complètement différentes. » . Or il ne s'agit pas là d'une vérité scientifique. Il existe d'importantes variations individuelles et les parents et les éducateurs savent très bien si les enfants sont capables ou suffisamment responsables pour faire quelque chose.

Pour Eugène Verhellen, [8] Directeur de programme au conseil de l'Europe, il importe de comprendre que notre image-enfant est une "construction sociale". Notre rapport avec les enfants n'est pas imposé par la nature et peut donc être modifié.

Jusqu'à la fin du moyen-âge, la société ne faisait pas de l'enfant une catégorie à part. Mais peu à peu, les enfants ont été perçus comme les dépositaires de l'avenir, les outils pour réaliser un Etat éclairé. Définis alors comme des êtres humains '"encore inachevés", des "pas encore"; il était nécessaire de les protéger ( d'où une législation de protection de l'enfance) et de les socialiser conformément au rêve de l'Etat éclairé ( d'où une législation scolaire). Ces lois et des institutions spécifiques ont exclu les enfants du monde réel et les a inclus du même coup dans un monde à eux. Situation que les pédagogues de l’Education nouvelle et ceux de l’Ecole socialiste avaient remis en cause depuis la fin du XIX e siècle. Korczak avait fait remarquer que « la moitié de l'humanité semble ne pas exister. Leur vie est une plaisanterie, leurs ambitions naïves, leurs sentiments passagers...Nous nous référons à l'homme futur, au futur travailleur, au futur citoyen. Nous voulons dire par là que les enfants ne sont qu'en devenir, leur vie réelle n'a pas encore commencé, tout ce qui est sérieux appartient à leur avenir, non à leur présent. »

Mais aujourd'hui la Convention des Nations Unies a reconnu que les enfants sont des personnes à part entière, titulaires de droits et de libertés Elle reflète et conforte la prise de conscience que les enfants ont des opinions et ont le droit de les exprimer au même titre que les adultes. Mais il ne suffit pas d'admettre qu'ils ont des droits encore faut-il qu'on leur reconnaisse la capacité à les exercer de manière autonome. Or pour E. Verhellen « l'argument le plus fondamental invoqué de manière récurrente par ceux qui sont opposés à l'idée d'accorder des droits autonomes aux enfants est que ces derniers seraient incompétents pour prendre des décisions bien fondées. Selon ce point de vue, les enfants ne sont pas assez mûrs physiquement, intellectuellement et émotionnellement et n'ont pas l'expérience nécessaire pour porter un jugement rationnel sur ce qui est ou n'est pas dans leur intérêt. » Or on ignore ce que les enfants savent, ce qu'ils sont capables de faire et ce qu'ils sont.  Il serait donc d'un « grand intérêt d'obtenir davantage de nouvelles données empiriques(scientifiques) au micro-niveau sur les enfants et sur la manière dont ils sont reconnus et respectés dans la vie quotidienne en leur qualité de pourvoyeurs compétents de significations, d'acteurs compétents et d'êtres humains actifs et responsables...Des recherches actives pourraient porter à notre connaissance nombre de stratégies simples utilisées par les parents ( et les enseignants) et susceptibles d'être mises en oeuvre dans les sphères publiques de la société. »

Chez les partisans de la mise en pratique du droit de participation de l'enfant, E. Verhellen identifie plusieurs tendances :

- la tendance réformiste : notre société sous-estimerait gravement la capacité des enfants à prendre des décisions rationnelles et fondées. Les enfants acquièrent cette capacité beaucoup plus jeunes qu'on ne le pense généralement. Il faudrait donc abaisser l'âge de la majorité et d'un accès graduel des enfants à leurs droits.

- La tendance radicale : toute forme de discrimination, y compris la discrimination sur la base de l'âge, est moralement injustifiable. La seule solution consiste à octroyer aux enfants tous les droits fondamentaux : égalité de tous.

- La tendance pragmatique : les partisans de cette tendance, qui revêt une importance croissante, se demandent pourquoi ne pas octroyer dans la pratique tous les droits fondamentaux à l'enfant, dont le droit de les exercer en pleine autonomie, à moins que l'incompétence de ce dernier à exercer certains droits ne soit prouvée; ce point fait l'unanimité ( "les enfants ont tous les droits, à moins que...") L'expérience que l'on a des adultes montre que c'est parfaitement possible. Le principal avantage par rapport à la situation présente serait que le fardeau de la preuve serait inversé. Actuellement, la position des enfants est beaucoup plus faible parce que c'est à eux qu'incombe le soin de faire la preuve ( "les enfants n'ont aucun droit, à moins que")

La participation sociale des enfants : droits et responsabilités

Pour Ferran Casas, « La responsabilité sociale doit être apprise par une participation sociale active et consciente; et la participation sociale elle-même ( tout comme les modes de vie démocratiques) ne saurait résulter d'un apprentissage théorique mais seulement d'une expérience pratique...Il s'agit d'un défi lancé à nos capacités créatrices dans la mesure où les adultes doivent définir de "nouveaux" sujets et espaces de participation réelle des enfants, en fonction de la capacité et de la maturité de chacun d'entre eux...La participation sociale des enfants dans la société devrait être considérée comme un processus.  Au sein de ce processus, des espaces et des perspectives distincts de participation doivent être envisagés. Mais La famille reste bien sûr le lieu où l'on apprend la participation et la responsabilité par la participation."

Ce processus d’éducation sociale active est celui qui a été mis en place par la pédagogie libertaire, l’éducation nouvelle [9] et l’école du travail [10] dès la fin dès la fin du XIX e siècle et aujourd’hui par les praticiens de la classe coopérative. [11] Nombre des pratiques que tous ces éducateurs ont créées pourraient être expérimentées dans le cadre de la démocratie familiale.

La participation dans la famille et dans la vie sociale

Pour Marta Santos Pais, « la famille se révèle être le milieu où le dialogue et la libre expression de points de vue sont favorisés, où le droit d'avoir des opinions différentes sur la considération de la réalité est reconnu et accepté, où l'enrichissement est possible grâce à l'échange d'opinions et à la diversité....C'est dans la famille que doit commencer la participation de l'individu et son engagement au développement de la société...La famille est par excellence le berceau des valeurs de la compréhension, du respect mutuel et de la solidarité, la source inspiratrice de toute expérience démocratique. »

 L'information aux parents et à la famille devient donc particulièrement cruciale en ce qui concerne l'exercice d'une action parentale responsable au sein d'une expérience démocratique partagée, vécue et enrichie de par l'action consciente de chacun de ses membres. Mais l'information des enfants est aussi nécessaire afin de les préparer et de les sensibiliser vis-à-vis de leur rôle et de leur responsabilité dans l'exercice des droits dont ils sont titulaires.

Pour Ferran Casas "La participation repose sur une conception de l'enfant comme un sujet "déjà" doté d'aptitudes, de droits, de compétences, des responsabilités ( même si ces capacités ou responsabilités ne sont "pas encore" les mêmes que celles des adultes)." Cette participation doit être une participation réelle et responsable.

Il est très important, pense-t-il que les enfants puissent participer avec leurs parents aux manifestations sociales où les individus peuvent réellement être actifs ( en exprimant leur volonté, en prenant des décisions etc). Il émet une idée que les municipalités engagées dans un processus de démocratie participative devraient reprendre. Elles devraient encourager toutes sortes d'activités auxquelles les familles pourraient participer avec leurs enfants. Il ne s'agit pas seulement des loisirs mais aussi des processus consultatifs, des débats d'idées et des processus décisionnels, par exemple, sur l'environnement urbain( comment organiser les parcs, les aires de jeux, etc). 

Mais compte tenu des représentations sociales profondément ancrées qui existent sur les capacités et les droits de l'enfant, il est nécessaire que les chercheurs et les professionnels mènent des réflexions, et les fasse connaître par les médias, sur la participation des enfants. Pour Ferran Casas " les professionnels travaillant avec les enfants ou avec les services de soutien familial doivent bénéficier d'une formation qui les aidera à améliorer les relations entre adultes et enfants" Ils doivent savoir comment développer les compétences et les activités participatives avec les enfants tant dans leurs institutions que dans la famille.

            Tirant les enseignements des études menées dans le cadre du Projet sur les Politiques de l’Enfance, les 11 et 12 mai 1996, le Comité de coordination de ce projet, au cours de sa 4e réunion,  propose un Avant-projet de recommandations aux Etats membres [12] . Dans l’exposé des motifs, il rappelle que «  La Convention sur les droits de l’enfant souligne l’importance primordiale de la façon dont on accorde à l’enfant la possibilité d’exprimer son point de vue et de participer au niveau qui convient aux processus de prise de décision le concernant. L’enfant doit être considéré comme un membre actif de la société ou comme un citoyen à tous les niveaux( famille, école, quartier, sport). Il souligne que «  la participation des enfants à la vie familiale et sociale est essentielle pour leur garantir un développement harmonieux et les préparer à la vie dans une société libre... Elle est une façon d’améliorer la qualité de la vie de la famille, basée sur les valeurs démocratiques et les droits fondamentaux de l’homme, et ce au profit de tous les membres de la cellule familiale....Le fait d’écouter les enfants, de traiter les problèmes avec eux, d’accepter leur avis et aussi de leur expliquer pourquoi leurs idées ne sont pas toujours acceptées, constitue un moyen important pour lancer une participation. Celle-ci devrait commencer tôt. Elle demande «  que l’on tienne compte que les établissements scolaires, garderies d’enfants et institutions pour enfants, devraient être invités à faire en sorte que les enfants puissent exprimer leur avis sur toutes les affaires les concernant et qu’il en soit effectivement tenu compte dans les décisions prises au niveau de ces établissements. »

Durant quatre années, les participants au projet «  Politiques de l’enfance », réunis en groupes de travail, ont centré leurs réflexions sur les trois thèmes, participation, prévention et protection, qui servent de fil directeur tout au long de la Convention des droits de l’enfant.

La groupe de travail sur «  La participation des enfants à la vie familiale et sociale » avait pour mandat de réunir et d’étudier les travaux du Conseil de l’Europe dans le domaine de la participation des enfants, et de présenter ensuite ses conclusions sous forme d’éléments pour un avant-projet de recommandation. Toutes ces conclusions ont été présentées dans un document [13] dont nous allons extraire quelques éléments.

Dans le préambule, il est réaffirmé que «  tout enfant a, en tant qu’individu, un droit de participation sans discrimination d’aucune sorte ». Il reconnaît que « la participation à la vie familiale est une forme de démocratie vivante...une forme de dialogue conduisant à la capacité de négocier et de résoudre les conflits Nous avons retenu

2. AUTRES POINTS DE VUE

Pour le sociologue Michel Fize, [14] la famille tend à avoir un fonctionnement plus démocratique et à devenir un îlot protecteur ou chacun peut exister en tant que personne. On quitte donc insensiblement le modèle autoritaire pour mettre en place un nouveau système d’échange et de communication. En associant leurs enfants aux décisions qui les concernent, en considération de leur âge et de leur degré de maturité, les parents participent à l’éducation à une citoyenneté active et responsable. Mais ceux qui n’ont pas connu ce mode de participation ont du mal à admettre le point de vue de l’enfant, dans les décisions qui concernent sa vie personnelle et la vie familiale. Et, ils ne savent pas comment mettre en pratique l’écoute, le dialogue, la consultation, la concertation, la négociation.

Nous avons pu, au cours de travaux avec des parents, constater que les institutions, les démarches, les outils, créés pour la classe, pouvaient être adaptées à vie familiale. L’initiative vient d’ailleurs parfois de l’enfant : “  je propose qu’on fasse un conseil comme en classe pour décider de nos projets ”.

Une enquête menée par le COFRADE [15] , auprès de 50 associations  montre une quasi unanimité des organisations et des familles sur les conditions de la participation de l'enfant au sein de la famille, incluant la communication, la disponibilité, les échanges, la concertation, la négociation, la responsabilisation et un apprentissage progressif de l'autonomie. Pour le COFRADE, " on entend par participation des enfants et des jeunes au sein de la famille, l'ensemble des processus qui permettent de prendre en compte :

-         les besoins et les intérêts de tous les membres de la famille;

-         la pratique de l'écoute, du dialogue, de la consultation, de la concertation, de la négociation;

-         - le point de vue de l'enfant dans les décisions qui concernent sa vie personnelle et la vie familiale;

-         - les possibilités d'associer les enfants à des activités familiales, à l'initiative"

Fonctionner comme la "plus petite démocratie au sein de la société" voudrait dire que " la famille devrait fonctionner d'une façon analogique( même si on ne peut assimiler complètement la famille à la démocratie) comme une communauté où les uns et les autres se respectent, échangent, grandissent et s'enrichissent mutuellement et où chacun peut faire entendre sa voix et concourir au bonheur et au développement harmonieux de l'ensemble."

Les associations consultées ont émis le souhait

- d’élargir la participation de l’enfant aux autres institutions qui le prennent en charge : écoles, centres de loisirs, associations...

- et d’organiser une mutualisation et une analyse commune des pratiques.

Les résultats de l'enquête menée par le COFRADE sont cohérents avec une enquête du BICE en 1994 auprès de 400 enfants de 9-14 ans. Elle montre que les trois quarts des enfants sont consultés pour choisir le lieu de vacances, la moitié pour les gros achats familiaux et les fournitures scolaies et la quasi totalité (90%) donne son avis pour l'achat de ses vêtements. On constate l'émergence d'un modèle de socialisation et de fonctionnement familial marqué par des espaces d'autonomie, de partage de parole et de décisions. Ce modèle n'atteint pas cependant les populations marquées par les ruptures sociales, la crise économique, les maltraitances qui affectent le tissu familial.

L’expression individuelle et collective des enfants et leur participation aux décisions qui les concerne sont bien devenues une réalité. Il reste cependant encore beaucoup à faire pour qu'un plus grand nombre de familles et d'institutions modifient les relations entre les adultes et les enfants. Il revient aux militants des droits de l'enfant, comme le préconisait Marta Santo Pais, de “ faire valoir par une action systématique et infatigable que l’enfant, n’ayant pas encore atteint la phase adulte, est pourtant déjà titulaire de droits fondamentaux, un être capable de participer à la vie et d’assumer des responsabilités dans une société libre, devant jouir, dans sa dignité, des droits de tout citoyen du monde, et en gardant, en même temps, toute la richesse de son âme d’enfant ”.

 « Les droits de l’enfant, dangereux défis ou nouvel âge de la démocratie ? » par F Jesu

Synthèse de la Journée d’Etude de DEI France du 15/11/ 2003

Par Frédéric Jésu

Membre du Bureau de DEI-France

L'enfant est peu à peu devenu à nos yeux cet « égal paradoxal de l'adulte qui a besoin de lui pour devenir ce qu'il est » (Alain Renaut) et, en particulier, pour devenir ce qu'il est promet d’être. Cette relation d’identification mutuelle entre l’adulte et l’enfant donne à penser qu’éduquer celui-ci consiste à l'élever, dans tous les sens du terme, et non pas à le dresser. Une telle affirmation devrait aujourd’hui constituer un point de non retour, tant sur le plan des principes que sur celui des pratiques.

S’agissant des principes, la Convention des Nations Unies de 1989, ratifiée par la France en 1990, ne s’est d’ailleurs pas limitée à reconnaître à tout enfant une série de droits à la sécurité, à la protection, aux soins, à l'éducation, etc. ; elle les a aussi prolongés et consolidés par divers droits « politiques ». Il s’agit notamment du droit d'avoir une opinion sur toutes les questions qui le concernent, de disposer des moyens de se la forger, de l’exprimer et de la voir prise en considération (article 12), du droit à la liberté d'expression (article 13), du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 14), du droit de se réunir et de créer une association (article 15), du droit d'accéder à une information diversifiée visant à promouvoir le bien être physique, mental et social (article 17).

La mise en pratique de ces droits, de façon concrète et au quotidien, s'inscrit donc résolument dans un projet de formation de l'enfant comme sujet éclairé de son histoire et comme citoyen en devenir. Il s’agit d’un projet d’éducation progressiste et durable dont l’ambition doit pouvoir atteindre chaque enfant en même temps que l’ensemble des enfants. Il faut pour cela que deux grands types de conditions soient réunis :

-         il faut, d'une part, que ce projet soit validé et garanti par l’ensemble des adultes et, pour commencer, par les parents ; les droits et les devoirs de ceux-ci, constitutifs de leur autorité parentale, sont les premières composantes d'une autorité éducative qui, complétée par les autres adultes, pourra dès lors se révéler globale, cohérente et proche des enfants ;

-         il faut, d'autre part, que les enfants aient vraiment la possibilité d'être actifs, de participer à la vie de leur famille, des institutions qu'ils fréquentent, de leur quartier et de leur ville, ainsi que de circuler, de s'associer, de communiquer et de prendre des initiatives accompagnées.

Il n'en reste pas moins difficile, pour les parents et les autres éducateurs, compte tenu des doutes et des inquiétudes qui les assaillent, de renoncer à une conception de l’autorité focalisée sur le contrôle, la contention, l’exigence unilatérale, voire la formation à la compétition précoce. Or l’enfermement des adultes dans ces seuls registres de l’éducation renforce leurs sentiments respectifs d’isolement et d’adversité, et parfois leurs prémunitions et leurs accusations mutuelles. Ce repli défensif risque de les détourner - ou de retarder les occasions – de la recherche puis de la mise en œuvre des méthodes et des moyens partagés d’une possible coéducation. Celle-ci ouvre pourtant une perspective qui, parce qu’elle constitue une réelle alternative aux pièges de la confrontation, s’avère apaisante, économe de déperditions inutiles d’énergie et potentiellement créatrice. Elle ne peut être en effet menée que dans une relation de côte à côte, et non pas de face à face et, moins encore, de dos à dos.

Si l’on accepte l’idée que l’éducation est « ce qui conditionne le devenir homme de l'homme » (Marcel Gauchet), il faut donc que soient solidairement assumées, par et entre tous les adultes concernés, les tensions de fond qui lui sont inhérentes. Celles-ci se manifestent le plus souvent autour et du fait d’une série d’objectifs en apparence contradictoires, tels que :

-         protéger et autonomiser ou, en d’autres termes, savoir tenir la main de l’enfant et, dans le même temps, savoir aussi la lâcher ;

-         transmettre des connaissances et former au « vivre ensemble » civique et, peu à peu, citoyen ;

-         autoriser et interdire ;

-         émanciper et intégrer.

* * *

Notre journée d'étude s'est donnée deux objectifs.

Le premier objectif est d'apprécier l'impact des textes (lois et décrets) de 2002 et des principes qu'ils affichent au regard des récentes orientations politiques, mais aussi de pratiques institutionnelles, professionnelles, familiales qui peinent de toute évidence à s’ouvrir et à se démocratiser : quelles volontés de les mettre en œuvre au quotidien les décideurs, les acteurs, les familles et les jeunes de toutes conditions manifestent-ils concrètement ? Certains se demandent même si les droits de l'enfant ne risquent pas, aujourd'hui, de se retourner contre les enfants eux-mêmes : la Convention des Nations Unies n’aide-t-elle pas, au contraire, à analyser et à dépasser les contraintes critiques de l'heure tout en tenant bon sur les valeurs ? Et si oui, pourquoi et comment ?

Le second objectif consiste, pour raison garder, à illustrer et approfondir ces interrogations, sans angélisme ni fatalisme, à la lumière de témoignages et d'expériences.

Nos travaux ont mis en lumière un constat de fond ; une hypothèse, face à ce constat, pour guider l'action éducative ; une série de préconisations pouvant découler de l’application de cette hypothèse ; l’existence , cependant, d'écarts préoccupants entre droits et devoirs, susceptibles de fragiliser ces préconisations ; l'affirmation, néanmoins, d'une possible éthique de la relation éducative.

* * *

Le constat, tout d’abord, est celui d'une crise manifeste de l'éducation tant familiale qu'institutionnelle et, notamment, scolaire. Les manifestations en sont si abondamment commentées qu’elles semblent se modifier au fur et à mesure qu’on les commente. Et si les causes en sont réputées relativement connues, ce n’est pas au point qu’un accord se fasse sur la façon de les hiérarchiser. Chacun, quoi qu’il en soit, perçoit plus ou moins confusément que c’est à une crise du sens même de l’éducation que l’ensemble du corps social est confronté ; que c’est donc en termes de finalités et de méthodes, et pas seulement de moyens, que se nouent et devront se dénouer les dilemmes mis à nu par cette crise ; et que la recherche des voies de sa résolution ne saurait se résumer au seul projet de blâmer les plus exposés de ses acteurs et de ses victimes. C’est pourquoi le constat de cette crise ne justifie, pour y faire face, ni de sombrer dans la résignation, ni de s’épancher dans la déploration, ni de céder dans l’urgence aux tentations répressives et régressives. Il incite plutôt à approfondir les questions de frontières et d'articulations en jeu entre les différentes instances éducatives en présence. Il incite aussi, à l'aube du nouveau siècle et sur la lancée de la Convention des Nations Unies léguée par la fin du précédent, à réactualiser l’impératif somme toute classique de la conciliation entre les droits qui protègent et les droits qui émancipent. Le fait nouveau est ici que les uns et les autres de ces droits ne sont désormais plus seulement reconnus aux adultes, mais aussi aux enfants. L’objectif, moins formel qu’il n’y paraît, vise par exemple à relever un double pari, éminemment dialectique : celui de garantir, sous toutes ses formes, la sécurité des enfants en tant qu’elle est l’une des conditions de base de la liberté et de la valeur de leur expression ; et celui d’encourager et de prendre en considération l’expression des enfants en tant qu’elle contribue à veiller et à participer à leur sécurité. Plus généralement, il s’agit de vérifier que, pour l’enfant autant que pour l’adulte, les droits qui protègent émancipent et, simultanément, que les droits qui émancipent protègent.

L’hypothèse de « sortie de crise » qui s’en déduit est que l’autorité des parents et des autres éducateurs devrait aujourd’hui essentiellement résulter de leurs volontés et de leurs aptitudes à gérer la coexistence de ces deux types de droits, mais aussi de leurs volontés et de leurs aptitudes à les gérer ensemble. Il importe bien entendu que chacun le fasse selon ses devoirs, responsabilités et domaines de compétences spécifiques et sans perdre de vue ni sous-estimer ceux de l'autre. Mais, en tout état de cause, l’établissement d’un climat de coopération apaisée entre les adultes – au sein des familles, au sein des institutions, entre les familles et les institutions – semble constituer une condition nécessaire, quoique non suffisante, à ce que les enfants soient en mesure de se saisir de l’ensemble de leurs droits et de leurs devoirs et de les mettre en pratique. Telle est tout du moins l’une des principales hypothèses qui peut se déduire de la mise à plat des réalités vécues et partagées par les adultes, les enfants et les jeunes au sein de nombre de familles et de dispositifs institutionnels qui en acceptent les prémisses et qui les adoptent au quotidien. Résolument, sans faire de bruit ni toujours bénéficier de soutiens à la hauteur de l’importance de leurs recherches, on voit aujourd’hui s’engager sur ces pistes prometteuses un nombre croissant d’établissements d’accueil de la petite enfance, de communautés éducatives scolaires et périscolaires, d’associations de quartier et d’éducation populaire, de centres sociaux, de clubs sportifs, de services et institutions de soin ou de protection de l’enfance, etc., mais aussi, à leurs côtés, de collectivités publiques locales et de fondations privées. Il serait certainement utile de mieux connaître et de mieux faire connaître ces expériences. Mais l’hypothèse d’une éducation à la fois coopérative, protectrice et émancipatrice sur laquelle elles se fondent nécessite la création et l’entretien d’un dialogue respectueux et confiant entre leurs protagonistes qui les rend encore peu aptes à capter l’attention de médias surtout friands de « scénarios catastrophe » …

Deux grandes conséquences peuvent cependant découler de la mise en action de cette hypothèse si l’on entend continuer, sans plus attendre, à promouvoir la prise en compte des droits des enfants dans les familles et dans les institutions et, plus encore, à favoriser l’émergence entre parents et professionnels de projets concrets, utiles et stimulants pour tous, et le faire sur la base de valeurs partagées.

La première conséquence est que si l'autorité parentale est bien la première composante de l'autorité éducative que sollicite l'enfant, qu’elle est rarement « démissionnable » en droit et convocable à merci en pratique, elle n’en reste pas moins une composante parmi d'autres. Une perspective ouverte, confiante et non « panoptique » de la coéducation devrait donc permettre de concevoir les parents comme partie prenante d'un réseau éducatif de proximité, et même « têtes » de ce réseau, plutôt que comme placés au centre d'une série de cercles éducatifs qui les entourent et les surveillent. En retour, et même s’ils sont les principaux responsables de l’éducation de leurs enfants, les parents devraient être activement encouragés à percevoir les professionnels de l’éducation ordinaire, voire dans certains cas de l’éducation spécialisée, comme des ressources de choix – et donc, si possible, choisies - au sein de ce réseau.

La seconde conséquence est que les relations entre les parents et les autres éducateurs, comme entre les professionnels de l’éducation eux-mêmes, devraient tendre à devenir plus égalitaires au sein de ce réseau. Chacun, en effet, y est détenteur d'une expertise propre - les parents sont par exemple les premiers experts tant de leur parentalité que de leurs conditions de vie. Chacun y est co-auteur non pas de la personne de l'enfant, mais de son éducation. Et chacun est en mesure d’y apporter une contribution irremplaçable.

Dans ces conditions, et parce que l’enfant (ou le groupe d’enfants) vient la trianguler, la relation éducative a toutes les chances de fonctionner comme une relation éthique. Au sein d’une telle relation, le droit de chacun – adulte ou enfant - est cadré par une obligation de respect mutuel, qui crée et entretient les échanges, plutôt que par le devoir de se soumettre aux attributs de l’autorité ou de la fragilité présumées d’autrui, qui les contractualise à l'excès. En d’autres termes, chaque partenaire de la relation se montrera d’autant plus confiant et respectueux à l’égard des deux autres qu’il recevra d’eux confiance et respect.

Les écarts s’avèrent cependant toujours aussi importants. Depuis peu, et dans certains domaines, ils sont même redevenus plus importants. Il s’agit d’écart génériques entre les droits reconnus aux enfants, aux parents et aux professionnels, et les modalités d’exercice de ces droits ; entre les besoins perçus ou exprimés par eux pour concrétiser ces droits dans les espaces éducatifs, et les réponses que ceux-ci sont en mesure de leur apporter ; et, pour commencer, entre l’obligation théorique de respect mutuel ci-dessus évoquée et les conditions réelles de sa mise en application. Il résulte de ces écarts une série d’injonctions contradictoires faites aux adultes, aux enfants et aux jeunes pour assumer, simultanément et respectivement, leurs droits et leurs devoirs théoriques.

Comment les familles peuvent-elles souscrire à l’obligation qui est la leur de protéger et de structurer les enfants si la place et le rôle des parents sont fragilisés ou déniés - par exemple par les institutions scolaires ou de protection de l’enfance - , si leur parole y est peu prise en compte - ou, si elle y est, sur le seul registre de la psychopathologie - , si leur image est a priori dévalorisée - entre les deux caricatures extrêmes du parent « consommateur » et du parent « démissionnaire » - ou s’ils ne sont pas incités à se départir de telles images ?

On dit aussi des familles qu’elles sont le « point de départ » des enfants, le tremplin de leur émancipation. Mais comment peuvent-elles accomplir cette fonction s’il est simultanément attendu des parents qu’ils contrôlent et surprotègent en toutes circonstances leurs enfants et si, de surcroît, la culture dominante vise à infantiliser les jeunes, à les dépolitiser, à les déconnecter de la prise de conscience des réalités économiques et sociales, à les réduire à des « cœurs de cible » d’entreprises de marketing ?

Comment les parents et les jeunes peuvent-ils souscrire aux injonctions à « participer » à la vie des institutions (dans les différentes instances de la vie scolaire, les conseils de la vie sociale, les conseils de quartier, les conseils municipaux et départementaux d’enfants ou de jeunes, etc.) :

-          si les décrets d’application des lois qui prévoient cette participation ne paraissent pas ou sont inapplicables ou non appliqués ?

-          si les conditions concrètes de cette participation ne sont pas créées (par exemple, la question du statut de représentant de parents d’élèves reste un « serpent de mer » depuis près de 20 ans) ?

-          si, de leur côté, les professionnels continuent à manquer de méthodes et d’outils appropriés pour intégrer la participation des « usagers » ou des « personnes » qui s’adressent à eux, et ne sont pas toujours encouragés ou formés à adopter des postures permettant de l’accueillir positivement ?

-          bref, si aucun effort systématique n’est déployé pour favoriser cette participation autrement que sur un mode incantatoire et donc, à terme, culpabilisant pour tous ?

Où, comment et par qui l’obligation de répondre au besoin et au droit des enfants d’être formés à la citoyenneté peut-elle être concrétisée ? Toute collectivité d’enfants est-elle sui generis une cellule potentielle de formation au « vivre ensemble » et à la démocratie ? La démocratie n’est-elle pas une valeur trop importante pour que son apprentissage soit confié aux seules familles ou que sa pratique soit abandonnée aux découvertes spontanées des enfants ?

Enfin, l’obligation faite aux adultes de respecter la dignité et l’intimité des enfants dans les détails infimes et les circonstances diverses de la vie quotidienne et, notamment pour les plus âgés d’entre eux, de prendre en considération leurs opinions et leurs options ne renvoie-t-elle pas à un principe plus général de respect mutuel entre les trois pôles du triangle enfants / parents / professionnels de l’éducation ? Ce principe de respect mutuel et vigilant ne serait-il pas à la fois la clé d’entrée et la finalité d’une coéducation bientraitante qui se présenterait ainsi comme une alternative crédible tant au libéralisme libertaire (« chacun fait ce qu’il veut, surtout si il est le plus fort ») qu’à la contention sécuritaire (« chacun fait ce que veut le plus fort ») ?

Affirmer que la relation éducative peut tendre à une relation éthique suppose de ce point de vue :

-          que l’environnement des adultes et des enfants devienne propice à l’exercice simultané de leurs droits politiques communs et respectifs et que les uns et les autres bénéficient, en tant que de besoin, d’une formation pratique aux principes et aux outils de la démocratie participative au sein de leurs différents cadres de vie ;

-          que les postures et les pratiques de la coéducation soient promues et diffusées entre les adultes, en même temps que validées aux yeux des enfants (et parfois adoptées par et entre eux) ;

-          que, dans ces conditions, les valeurs d’entraide et de partage soient précocement préférées et transmises aux dépens de celles de compétition et de contrôle et que les enfants soient entraînés à l’exercice progressif de responsabilités réelles, individuelles et collectives, tant au sein de leurs familles que des institutions éducatives.

Aussi n’est-il pas anodin - même si cela a encore été peu relevé – que, depuis la loi du 4 mars 2002, l’autorité parentale, dont on a souligné qu’elle est et reste la première composante de l’autorité éducative, soit non seulement définie par l’article 371.1 du Code civil comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant » qui appartiennent « aux père et mère jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne » mais aussi qu’il soit aussitôt précisé que « les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».

* * *

L’option de la « coéducation bientraitante » est peut-être l’expression du « voulu de tous les vouloirs » de la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant – ou, en d’autres termes, l’expression de son éthique. Elle n’efface pas plus le rôle, la place et l’autorité des parents qu’elle ne disqualifie les professionnels de l’éducation. Elle guide bien au contraire le renforcement des conditions et la redéfinition des modalités de leurs coopérations. À travers elle, les adultes ont l’occasion de présenter aux enfants les modèles de société qui s’affichent en filigrane au frontispice de la Convention. Ces modèles donnent à voir et à penser que les valeurs, les obligations et les responsabilités que les adultes assument solidairement, aujourd’hui, sont celles qu’ils entendent peu à peu conférer aux enfants dès lors que, sans nier leur enfance, ils s’adressent aussi aux adultes en devenir qu’ils perçoivent en eux.

S’agit-il d’un « dangereux défi » et, si oui, pour qui est-il dangereux et qui a intérêt à ne pas vouloir savoir ce qu’il en est vraiment ? Il n’est pas nécessaire, pour répondre à ces questions, d’attendre la venue à maturité des générations bénéficiant aujourd’hui d’approches de coéducation bientraitante, en l’occurrence encore trop peu répandues. L’évaluation sur la durée, et non pas dans la seule foulée des enthousiasmes militants, de ce qu’ont produit par exemple (et continuent de produire) des méthodes de pédagogie participative encore trop injustement négligées par les décideurs publics pourrait ici s’avérer éclairante. Le fait est, cependant, que cette évaluation ne semble pas avoir encore été menée ou, si elle l’a été, ne pas avoir été suffisamment valorisée. Il serait peut-être temps, et même urgent, de penser à le faire enfin.

S’agit-il au contraire, et dores et déjà, des promesses d’un « nouvel âge de la démocratie » ? Si tel est le cas, il faut sans plus attendre dire et faire savoir que les droits politiques des enfants, lorsqu’ils sont activés par une volonté de coéducation bientraitante, n’asphyxient pas l’enfance des enfants. Ils contribuent au contraire à leur protection en même temps qu’à leur émancipation durable. Ils permettent dans le même souffle d’attiser la créativité qui est souvent la leur pour instruire et résoudre les questions d’enfants qu’ils se posent entre eux, et qu’ils posent à des adultes aujourd’hui en panne pour leur répondre de façon satisfaisante. Ils permettent aussi de comprendre que, pas si naïfs qu’il y paraît, les enfants n’ont de cesse de jouer dignement et souvent malicieusement leurs rôles d’enfants pour aider les adultes à jouer dignement, sérieusement et collectivement les leurs.

À l’écoute respectueuse et confiante des enfants, les adultes retrouveront peut-être ainsi de nouvelles chances de replacer leurs propres rêves d’enfant à la hauteur du monde d’aujourd’hui et de demain.

Les dessous de la « colère » d’un pédopsychiatre par F Jesu

Frédéric Jésu

Pédopsychiatre.

Membre du Bureau de la section française de Défense des Enfants International

Un récent livre de Maurice Berger, « L’échec de la protection de l’enfance », a récemment fait l’objet de commentaires attentionnés dans les médias grand public, et plus mitigés dans les médias professionnels. Le ton, le contenu, les outrances qu’il comporte et la passion qui l’inspire témoignent de la souffrance de son auteur, engagé de longue date et selon des modalités qu’il s’est à lui-même assignées, dans un combat sans nuance en faveur des enfants en danger. Aussi conclut-on en général que ce « pédopsychiatre en colère » a bien des raisons de l’être.

La thèse qu’il développe est pourtant aussi banale que récurrente : le dispositif français de protection de l’enfance serait nuisible, inefficace et coûteux. Pourquoi ? Aux prémices de celui-ci, à la fin du 19ème siècle, on estimait déjà – comme, aujourd’hui, M. Berger - que les parents des enfants les plus en danger, et notamment des enfants maltraités, sont en général « gravement inadéquats » et fondamentalement pathogènes. Le fait nouveau serait que, depuis une trentaine d’années, le système s’épuiserait à vouloir les considérer autrement. Surtout, il aggraverait l’état des enfants en voulant préserver et restaurer à tout prix les liens avec leurs parents. L’« idéologie familialiste » des décideurs publics, et des professionnels qui appliquent leurs politiques, est ainsi clairement mise en cause. M. Berger n’hésite pas à faire dire à une petite fille de 8 ans que sa mère « s’est mise à hurler (…) que la ministre de la famille, Ségolène Royal, [a dit] que les enfants devaient rester dans leur famille et c’est le ministre qui commande ».

Il n’y a pas lieu d’engager ici un débat d’experts. Les arguments techniques que convoque l’auteur à l’appui de sa thèse (comme, par exemple, les effets controversés des hormones du stress sur le cerveau du jeune enfant) pourraient certes forcer l’attention, mais pas moins que ceux qu’il néglige de mentionner (comme, par exemple, l’existence de méthodes éprouvées permettant de prendre simultanément soin d’un enfant, de ses parents et de leurs relations). Il importe plutôt de s’arrêter sur les conditions de production et sur les conséquences possibles des propos tenus par le « pédopsychiatre en colère ».

De son propre aveu, M. Berger fonde ses affirmations sur l’étude approfondie de 170 cas qu’il a eu à connaître en 24 ans de pratique, soit une moyenne de 7 cas par an. Cela suffit-il pour jeter l’opprobre sur un dispositif public qui, au plan national, s’adresse à 263 000 enfants, dont 135 000 pris en charge en dehors de leurs familles ? Trop de psychiatres succombent aujourd’hui à la tentation d’étendre sans précaution à l’ensemble de la société les observations et les constats qu’ils effectuent auprès des seules personnes qui s’adressent à eux. Mais que cherche-t-on en prenant ici le risque de démoraliser les professionnels de la protection de l'enfance, les familles en difficulté voire les enfants et les jeunes eux-mêmes ? L'immense majorité d'entre eux sont engagés au quotidien dans des projets de soutien socio-éducatif et psychologique qui sont loin d'être aussi désastreux, dans leurs modalités et leurs résultats, que ce que M. Berger laisse bruyamment entendre à partir d'observations sélectionnées par ses soins. Son service, bien que public, semble s’être « spécialisé (…) dans la prise en charge des situations de défaillance parentale », mais ceci en restant confiné dans un cadre essentiellement hospitalier. Aussi est-il peut-être privé des occasions de s’intéresser aux conditions de vie réelles des familles, de comprendre les causes des « défaillances parentales » et d’agir sur elles au titre des missions de prévention qui sont pourtant également dévolues aux secteurs publics de psychiatrie infanto-juvénile. Il constaterait alors que les difficultés et les impasses familiales ne relèvent pas de la seule psychopathologie.

Il est de bon ton, actuellement, de valoriser « la » famille comme institution de référence et, en même temps, d’incriminer et de stigmatiser les plus fragilisées d’entre elles, de les désigner comme les principales causes des problèmes éducatifs et sociaux complexes, d’inscrire à leur encontre dans le Code pénal des « condamnations à des stages d’aide à la parentalité ». Sans considération de la déstabilisation socio-économique des pères et des mères, ni du déficit d’équipements publics dans nombre de villes, on leur reproche de ne pas savoir contrôler leurs enfants et de favoriser ainsi les « incivilités » et la délinquance. La lutte contre l’absentéisme scolaire est pilotée par le ministre de la Famille et non pas par celui de l’Education Nationale, dédouanant ainsi les institutions scolaires de leurs responsabilités avérées en ce domaine. Cet été, les familles ont été accusées d’avoir délaissé leurs aïeux. En toutes circonstances, on leur reproche d’aggraver les coûts de l’aide, de l’action et de la sécurité sociales, dont on laisse entendre au passage qu’elles ne les méritent pas. Elles n’ont pourtant jamais autant souhaité être accompagnées et promues dans leurs rôles éducatifs ; encore faut-il accepter de l’entendre et d’y répondre.

Prétendre que, lorsqu’une graine d’enfant est tombée dans le « mauvais pot », il suffit de la changer de pot pour qu’elle pousse mieux et à moindre coût est une thèse simpliste et rétrograde qui participe de cette vision. Alors même que, depuis quelques années, les professionnels commencent à reconnaître et à respecter l’importance que les enfants accordent à leurs racines, il n’est de pire Cassandre que ceux qui, en prétendant briser les pots, n’ont d’autres terreaux à leur proposer que celui de leur pessimisme.

Au nom de sa conception, médicale et personnelle, de l’intérêt des enfants en général et des enfants en danger en particulier, M. Berger veut diffuser des grilles d’évaluation des « qualités » de leurs parents. Ses méthodes et ses critères laissent moins songeur que franchement inquiet.

Il entend aussi faire changer la loi sur l’assistance éducative. « Tant que ne seront pas introduits dans la loi les termes d’intérêt de l’enfant et de protection de son développement intellectuel et affectif, ce qui implique de pouvoir proposer si besoin est des liens stables, fiables, solides et sécurisants avec d’autres personnes que les parents biologiques, aucune modification du dispositif de protection de l’enfance ne sera utile » affirme-t-il. Ce faisant, il oublie que la loi du 4 mars 2002 a inscrit les « termes » qu’il préconise dans la nouvelle définition de l’autorité parentale (article 371-1 du Code civil). Il propose ensuite d’introduire dans la loi des mesures « qui concevraient l’adoption comme une forme de protection de l’enfant » - ce qu’elle est déjà, d’ailleurs, dans le droit actuel.

Ces appels à faciliter les ruptures radicales de liens entre enfants et parents en difficulté en une période où l’institution familiale traverse une crise de mutation profonde, mais nécessaire, pourraient bien trouver des échos et des relais dans la récente constitution, le 21 novembre 2003, d’un groupe d’études parlementaires sur l’adoption. Celui-ci est en effet destiné à « dresser l’état des lieux des principaux obstacles rencontrés lors des démarches d’adoption, en France, relayer les préoccupations des familles concernées et émettre des propositions », et ceci en concert avec le Conseil supérieur de l’adoption mis en place le 28 janvier 2003 par le ministre de la Famille. Le Premier ministre n’a-t-il dores et déjà annoncé, le 12 janvier dernier, qu’il se donnait comme objectif de doubler le nombre des adoptions ? Mais de quels enfants ? Et « abandonnés » par quels parents ?

Une boucle, que l’on a déjà vu à l’œuvre dans les pays pauvres, serait-elle en passe de se constituer en France pour se resserrer autour de familles désorientées et stigmatisées ? Ce serait là, à n’en point douter, une toute autre source de « colère ».

 Politiques éducatives, sécuritaires et sociales: les familles dans la tourmente/ F. Messica ; 2004

 

Par la défense de la famille comme “valeur” et la répression des familles réelles, les politiques et les discours restaurateurs actuels réconcilient les deux France, celles de Pétain et celle de la République, qui réprouvent ensemble la déchéance des mœurs. Quoi de mieux que la famille pour opérer ce détournement de sens qui fait de chaque parent une menace d’incompétence, de cruauté et de carence éducative pour ses enfants et qui exonère de toute responsabilité la politique, l’injustice économique, les institutions et l’environnement ?

La politique éducative et scolaire mise en œuvre par Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l’éducation et de la recherche et par Xavier Darcos, ministre délégué à l’enseignement scolaire se caractérise par quatre éléments principaux. La continuité: elle prolonge, sans les modifier, les dispositifs des ministères précédents comme les classes-relais ; les mesures symboliques et  spectaculaires: elle prétend rétablir l’autorité dans les établissements”; la rationalisation de l’éducation: comme il y a une rationalisation du soin, on met un terme à la progression du budget de l’Education Nationale. Caractéristique subsidiaire: la politique éducative n’existe pas, elle se dissout dans un vaste projet de décentralisation verticale.

 A côté de cette politique scolaire et éducative simpliste, les politiques familiales se distinguent par leur relative complexité et principalement leur caractère schizophrénique: d’un côté, on constate la nécessité de favoriser un travail de terrain et un accompagnement des familles; d’un autre côté, on vise la diminution des personnels (assistantes sociales) et un contrôle accrue de leur intervention. Même constat pour la Protection Judiciaire de la Jeunesse appelée à participer, en contradiction avec ses missions et ses principes d’intervention, à la prise en charge des jeunes dans les centres fermés.

 Cette politique s’inscrit enfin dans un contexte marqué par deux tendances majeures: le glissement de la question éducative vers la question sécuritaire comme en témoigne l’articulation forte entre le Contrat Éducatif Local et le Contrat Local de Sécurité: dans certains cas, le contrat Éducatif Local est purement et simple intégré au Contrat Local de Sécurité;  la tendance à une territorialisation de l’action éducative, notamment en favorisant l’implication des collectivités locales ou communautés d’agglomération dans la vie scolaire, y compris pour les établissements d’enseignement secondaires qui jusqu’à présent dépendaient du Conseil Général. La décentralisation prévoit un glissement progressif de l’Etat vers le Département des compétences non pédagogiques des Collèges, en confiant à celui-ci la gestion de certains personnels non-enseignants (médecins, assistantes sociales, ATOS etc...) tandis que les infirmières scolaires pourraient être affectées à la Région. Concrètement,  cette “décentralisation” qui s’accompagne de la réduction du nombre de postes d’aides-éducateurs se traduira par une diminution des postes non-enseignants et une présence de moins en moins régulière d’adultes dans les établissements, bref, le contraire de ce qu’elle annonce: loin de “territorialiser” l’action éducative c’est à dire de la rapprocher du

public, elle conduit à davantage de centralisation et elle isole le corps enseignant dans les établissements en diminuant drastiquement le nombre de postes non-enseignants.

Travail, famille...

Cette politique s’accompagne d’un discours se référant implicitement à la révolution conservatrice des années 30. L’histoire nous a montré, dans un contexte alors anti-républicain- que lorsqu’au plus haut niveau de l’Etat, sont prônées les valeurs de la famille et du travail, ce discours s’accompagne d’une politique de répression des familles réelles et des travailleurs. Ainsi, sous les régimes nazis, fascistes et sous la France de Pétain, ce même discours se traduisait par des lois prônant une fidélité bien supérieure à l’Etat, l’armée, la police et à l’ensemble des institutions qu’à la famille réelle de chaque individu. Ces années noires ont été celles de la dissolution de nombreuses familles au sein desquelles des réfractaires étaient dénoncés par leurs proches, frères, sœurs, parents, enfants et ce, par fidélité à un régime qui certes, encensait la famille mais en tant que relais de l’Etat. A l’inverse, c’est par les familles que se sont transmises des valeurs supérieures, contraires à l’idéologie de l’époque qui consistaient à protéger les siens et à défendre, par des actes de résistances, des valeurs sociales supérieures. Ce simple exemple suffit à démontrer que la famille n’est pas une valeur en soi mais qu’elle est porteuse de valeurs hétérogènes et d’une raison qui n’est pas identique à la raison d’Etat.

Le contexte actuel de la défense  de la famille comme “valeur” et de la répression des familles réelles, est néanmoins totalement nouveau. En effet, il ne s’agit plus de combattre la république mais de l’engager au côté d’un discours restaurateur, moralisateur, censé réconcilier les deux  France, celles de Pétain et celle de la République, réprouvant d’un même mouvement de “ bon sens” la déchéance des mœurs. Quoi de mieux que la famille pour opérer ce détournement de sens qui fait de chaque parent une menace d’incompétence, de cruauté et de carence éducative pour ses enfants et qui exonère de toute responsabilité la politique, l’injustice économique, les institutions et l’environnement? Un environnement bien silencieux lorsque des enfants sont réellement en danger comme en témoignent d’hallucinants faits divers. Oui, dans le huis clos familial se produisent des drames dont les enfants, sans défense, sont le plus souvent les victimes. Voilà qui témoigne, si c’était nécessaire, non d’une carence généralisée des familles mais de la nécessité de combattre tous les enfermements et parmi ces enfermements, l’enfermement familial et les folies qu’il couve et couvre.

La confiscation de la République

La confiscation de la république au profit d’un discours fondé sur la restauration des valeurs, est d’autant plus aisée que la République a toujours été morale. Seule différence mais elle est de taille: elle n’a jamais prétendu faire assumer la moralisation et la socialisation des enfants par les familles. Bien au contraire ! Elle les a éloigné. Pour les théories éducatives qui se sont développées dans le sillage de Jules Ferry, l’éducation par les apprentissages et par la morale civique et sociale est étrangère aux familles. Elle appartient au champs du politique et du social. L’idéologie républicaine oppose aux familles, à leur hétérogénéité de croyances, de convictions, d’histoires et de condition, parfois même de langues, l’homogénéité d’un projet social. En bref, pour elle, la famille n’est pas politique et la cité n’est ni la famille ni la réunion

des familles mais un artefact, une création. Outre sa fonction économique, la famille est un lieu de réception et de transmission d’une éducation reçue, de conservation et de transmission de traditions, d’histoires, enfin, elle exerce une fonction de protection et d’éducation des enfants mais tout cela à la marge. Le nouveau discours qui se prétend fidèle à cette morale républicaine, en trahit donc le présupposé principal qui se fonde sur la capacité d’une société à substituer aux morales hétérogènes des familles, une morale sociale commune.

 Ainsi, le discours accompagné de pratiques qui affirme la nécessité de réprimer les familles tout en portant au pinacle la valeur de la famille et du travail, traduit en réalité l’abandon de toute production commune de la morale au profit d’une individualisation de cette morale. Cette individualisation s’incarne dans la famille réduite à une totalité indivisible (donc un individu) et en même temps désocialisée. En effet, plus l’attention se focalise sur la famille, plus les familles sont traitées comme une simple fonction comme en témoigne l’expression de “fonction parentale”: cette fonction, veut-on nous faire croire,  pourrait s’exercer en quelque condition que ce soit et dans n’importe quel rapport avec le reste de la société parcequ’elle est naturelle! Mais rien n’est moins naturel que l’éducation!  Les familles, insiste t-on, exercent bien ou mal leur fonction éducative indépendamment de la façon dont les institutions, principalement l’école, exercent la leur, indépendamment des valeurs prônées par la société, indépendamment de leur condition sociale, de l’accès à une protection, à des services publics, à ce qui fonde et informe une solidarité sociale. Double négation donc: négation de la société comme producteur de la morale et de la solidarité (donc instrument de toute réforme par définition sociale et politique), négation de l’individu en tant que sujet émancipé ou en voie d’émancipation au sein de sa famille, réduction de la famille à un individu, corps indistinct où toutes les générations sont non seulement solidaires mais encore coupables ensemble; enfin, isolement de cette même famille, comme si les difficultés qu’elle rencontre, étaient indépendantes de tout contexte social, économique et institutionnel.

Isolement des familles, autonomisation des institutions

 Coupée de son interaction avec le reste de la société, la famille est donc traitée comme un corps (dont on ne sait pas s’il est intermédiaire et entre quoi et quoi, il le serait), ce qui constitue un premier acte d’autonomisation par rapport aux institutions responsables de la protection, de l’éducation et de la scolarisation des enfants. Institutionnellement parlant, il pourrait s’agir là des prémisses de l’autonomisation de chacune de ces institutions au plan national avec pour corollaire et progressivement, une plus grande autonomie à l’échelle locale, devenue l’échelle de coordination.

 Concrètement, chaque institution serait amenée à se recentrer et à se renfermer sur ses missions, tandis qu’à l’échelle locale se développeront de plus en plus des politiques éducatives et familiales territoriales avec le risque de favoriser une sorte de justice de village, comme ce qui s’expérimente aujourd’hui au Royaume-uni. Contribuer à autonomiser les institutions, c’est les extraire du débat permanent dont elle doivent faire l’objet et les soustraire à la confrontation, donc à la réflexion sur les finalités. Décentraliser l’action éducative c’est, dans le contexte actuel, la centraliser encore plus mais à l’échelle régionale, loin, bien loin, des publics, des réalités locales, des quartiers.

Dans ce contexte, les familles ont à affronter une situation démentielle, une situation qui rend fou tant les injonctions contradictoires sont nombreuses: plus les institutions se referment, se recentrent et s’autonomisent, moins les familles disposent de moyens pour faire entendre leur parole. Moins elles disposent de moyens et de reconnaissance collective réelle, plus elles sont flattées en tant que valeurs. Plus elles sont flattées, plus le discours sur la morale leur impute à elles seules tous les maux de la société : incompétence éducative, indifférence envers les aînés, manque de solidarité, de responsabilité, pathologies mentales.  Objet désocialisé, coupé de son appartenance sociale et au demeurant, dépourvu de tout pouvoir sur la société, c’est à la famille d’assurer le rôle de pare-choc social et ce, malgré un “obscurantisme héréditaire”, sans cesse dénoncé par l’Etat et les institutions et qui devrait donc, logiquement l’en rendre incapable.

A l’analyse sociale des difficultés réelles, de la détresse des enfants, de celle des jeunes et des familles défavorisées, de la violence subie (et de la violence exercée qui souvent en découle), on substitue deux approches: un jugement moral sans appel égrené par les ministres à longueur de temps, d’articles, sur les ondes et à la télévision et qui se veut, luxe suprême, l’expression du “bon sens”: les familles sont défaillantes, l’Etat ne peut pas tout, ni l’école, bien sûr; enfin, en second lieu, une approche psychologique, en apparence plus “bienveillante” qui substitue à l’approche sociale une pathologisation du corps social. Tout ceci se résume à une injonction supplémentaire: se soumettre ou se faire soigner.

A côté de ces discours subliminaux qui se traduisent par des pratiques bien réelles, les familles ont à affronter une réalité économique et familiale qui ne peut que ruiner les efforts accomplis pour assumer enfants, petits-enfants et grands-parents: il faut travailler plus et plus longtemps, assumer l’éducation des enfants de plus en plus tard du fait de l’échec scolaire et du chômage, prendre en charge des personnes âgées de plus en plus longtemps dépendantes dans un contexte où il est impossible de confier, ne serait-ce que quelques heures ou quelques jours, les aînés dépendants. Un chiffre, un seul: 30 000 places seulement en accueil provisoire pour des personnes âgées en France quand il en faudrait déjà aujourd’hui 300.000! Quant à l’accueil en long séjour, outre le manque criant de places, il s’effectue aujourd’hui dans des conditions désastreuses pour les personnes âgées très dépendantes: par exemple pour les malades d’Alzheimer que le manque de personnel conduit à laisser attachés sur des chaises des journées entières, ces malades risquant, sans surveillance, d’errer dans l’hôpital, de se perdre, se blesser etc...

L’échec des familles pour assurer une mission surhumaine de moralisation dans un contexte social de compétition sans pitié et d’aggravation des inégalités sociales, est un échec programmé, destiné à justifié les reculs sociaux et la destruction progressive des services publics. La méritocratie n’a pas d’autres conséquences: il y aura peu d’élus parmi les familles défavorisées, peu mériteront d’accéder à une meilleure condition car on leur demande l’impossible.

Renforcement des institutions, affaiblissement des services publics

Dans ce contexte, le rôle des institutions en tant que puissances administratives se renforce  mais les services publics eux, s’effondrent: dans les hôpitaux et les écoles publiques, la dégradation constante et attestée s’accélère au rythme de la rumeur qui impute la crise sociale à l’incivilité de concitoyens généralement jeunes et pauvres ou d’enfants qui ne s’occupent pas des anciens. Restaurer l’autorité de l’enseignant comme prétend le faire de manière totalement irréaliste la politique actuelle, c’est revaloriser l’institution scolaire mais pas l’école publique qui relève d’un enjeu plus vaste. D’ailleurs, les enseignants eux-mêmes accueillent majoritairement cette “restauration” avec une ironie attristée. De même, prétendre placer les savoirs au centre de l’institution à la place des élèves serait risible si derrière un tel discours ne se profilait un projet qui aggrave les inégalités. L’école a besoin d’éducateurs, de protection de l’enfance et de la jeunesse, donc de présence adulte. L’école a besoin de médecins scolaires, d’assistantes sociales, d’infirmières, de collaboration. Elle a par dessus tout besoin de recentrer son projet, en termes d’organisation, de programmes scolaires et d’encadrement des enfants autour d’un projet social . Elle a besoin de savoirs mais pas de savoirs inutilement cumulatifs; de savoirs pour se connaître et se situer, de savoirs être ensemble. L’école n’est pas la formation à un métier.

 “Les enfants sont tous différents” est la dernière porte ouverte enfoncée par ceux qui prétendent réformer le système scolaire. Difficile de contrecarrer une telle évidence. Mais ne vivent-ils pas tous dans la même société, ne feront-il pas tous la société de demain? Laquelle? Quelle société fait l’école? Nous fera t-on croire que l’école est moins productrice d’une société et d’une morale sociale que ces familles dépourvues d’idéologie commune et dont les héritages, à tous points de vue, sont multiples?

Une telle dévalorisation du projet social de l’école, lequel ne se réduit pas à la réussite scolaire, se traduit tout naturellement par une libéralisation de l’éducation et de l’école et la  fuite vers l’enseignement privé des classes moyennes ou de classes modestes qui se sacrifient pour offrir quelque chose de mieux à leurs enfants. Elle se traduit par la commercialisation des services à la personne qu’il s’agisse de soutien scolaire pour les enfants ou de garde à domicile pour les aînés, par l’aggravation des inégalités face aux charges familiales, par l’aggravation de la condition de la femme qui assume la majorité de ces tâches familiales.

La restauration d’une école élitiste et sans ambitions sociales, la remise en cause rampante de la mixité, le renvoi des femmes à leurs très lourdes charges familiales, la déresponsabilisation de la société et du politique au profit d’une prétendue responsabilisation des familles, conduisent ni plus ni moins à une remise en cause de fait sinon formelle du droit fondamental des enfants à la protection et à l’éducation qu’il soient bien ou mal nés.

Fabienne Messica (AITEC).

AITEC : Association des Intervenants, Techniciens, Experts et Chercheurs: 21, ter rue Voltaire. 75011 Paris.



[1] CACHEUX Denise, 1990, Rapport d'information

[2] LE GAL Jean, Les droits de l’enfant à l’école. Pour une éducation à la citoyenneté, Bruxelles, De Boeck-Belin, 2002,

[3] Recommandation 874 (1979) adoptée par l’Assemblée le 4 octobre 1979

[4] Communiqué final de la XXIIIe Conférence des Ministres européens chargés des affaires familiales, qui s'est tenue à Paris les 14 et 15 octobre 1993 sur le thème " Politiques familiales, droits des enfants, responsabilités parentales"

[5] Conseil de l’Europe, Evolution du rôle des enfants dans la vie familiale : participation et négociation, Strasbourg, Actes, 1994  

[6] SANTOS PAIS Marta, "Aspects juridiques concernant la participation des enfants à la vie familiale, op.cit.

[7] CASAS Ferran, "La participation des enfants dans la société européenne, op.cit.

[8] VERHELLEN Eugène, "Evolution et développement historique de l'éducation de l'enfant et de la participation des enfants à la vie familiale", op.cit.

[9] FERRIERE Adolphe, L’autonomie des écoliers dans les communautés d’enfants, Neuchâtel, Delachaux et Nietslé, 1921

[10] PISTRAK M.M., Les problèmes fondamentaux de l’école du travail, Paris, Desclée de Brouwer, 1973, 1ère édition en 1925)

[11] LE GAL Jean, Coopérer pour développer la citoyenneté. La classe coopérative, Paris, Hatier, Questions d’école, 1999

[12] Conseil de l’Europe, La participation des enfants à la vie familiale et sociale, Document CDPS CP (96)

[13] Conseil de l’Europe, « La participation des enfants à la vie familiale et sociale », DOCUMENT CDPS CP (96) 10

[14] FIZE Michel, La démocratie familiale, Ed Presses de la renaissance, 1990

[15] COFRADE : Conseil français des associations pour les Droits de l’enfant